Le Juif errant (Eugène Sue)/Dédicace

Méline, Cans et compagnie (1-2p. i-iii).


À Monsieur C. P.



Veuillez accepter la dédicace de ce livre, mon cher Camille ; c’est un souvenir d’amitié bien sincère, c’est aussi un témoignage de vive reconnaissance. Je n’oublierai jamais combien vos excellents travaux, fruit d’une longue et habile expérience, m’ont servi pour mettre çà et là en relief et en mouvement (dans ma modeste sphère de conteur) quelques faits consolants ou terribles se rattachant de près ou de loin à la question de l’organisation du travail, question brûlante, qui bientôt dominera toutes les autres, parce que, pour les masses, c’est une question de vie ou de mort.

Si, dans plusieurs épisodes de cet ouvrage, j’ai donc tenté de montrer l’action admirablement bienfaisante et pratique qu’un homme de cœur noble et d’esprit éclairé pourrait avoir sur la classe ouvrière, grâces vous soient rendues !

Si, par opposition, j’ai peint ailleurs les effrayantes conséquences de l’oubli de toute justice, de toute charité, de toute sympathie envers ceux qui, depuis longtemps voués à toutes les privations, à toutes les misères, à toutes les douleurs, souffrent en silence, ne réclamant que le droit au travail, c’est-à-dire, un salaire certain, proportionné à leurs rudes labeurs et à leurs modiques besoins, grâces vous soient encore rendues !

Oui, mon ami, car la touchante et respectueuse affection que vous a vouée cette multitude d’ouvriers que vous employez et dont vous améliorez chaque jour la condition morale et matérielle, est une de ces rares, de ces glorieuses exceptions, qui rendent plus déplorable encore l’égoïsme inintelligent auquel un peuple de travailleurs honnêtes et laborieux est souvent impunément sacrifié.

Adieu, mon ami ; vous dédier ce livre, à vous, artiste si éminent, à vous, l’un des meilleurs cœurs et des meilleurs esprits que je connaisse, c’est dire qu’à défaut de talent, on trouvera du moins dans mon œuvre de salutaires tendances et de généreuses convictions.

Tout à vous,


Eugène Sue.


Paris, 25 juin 1844.