Le Jubilé, suivie de deux autres ouvrages/Ode, à monsieur, sur son Voyage en Piémont

ODE.




À MONSIEUR,


Sur son Voyage en Piémont.


Les Princes vont bannir ces préjugés antiques
Par qui, dans leurs Palais prisonniers politiques,
Ils regnoient, inconnus dans leurs propres États.
Nous avons vu des Rois, vainqueurs de la molesse,
Pour chercher la sagesse,
Voyageurs couronnés, parcourir nos climats.




Tels, dans leurs fictions les Maîtres de la lire
Représentent ces Dieux, enfans de leur délire,
Dans l’oubli du nectar laissant les Cieux déserts ;
Et fatigués d’encens, jaloux d’un libre hommage,
Cachés sous notre image,
Sans tonnerre & sans pompe, errant dans l’univers.




France ! au fond de sa Cour si ton Maître s’exile ;
Ton bonheur lui prescrit ce sacrifice utile :
Peut-il quitter son Peuple, investi de dangers ;
Mais un Frère vanté, mais un autre lui-même,
Pour son Prince qu’il aime,
Va conquérir les cœurs sur des bords étrangers.




Partez, jeune Héros que Turin nous envie ;
Sur les pas d’une Sœur, de nos regrets suivie,
Visitez cet Empire où l’attend un Époux,
Où l’Éridan, chanté par cent Muses rivales,
Roule ses eaux royales,
Fier d’enlever Clotilde à nos fleuves jaloux.




Sous quel ciel merveilleux l’amour va vous conduire !
Ces alpes, ces rochers parlent, pour vous instruire ;
Ils sont pleins d’Annibal & pleins de vos Aïeux.
Le sang de ces Héros qu’adopta la victoire,
Prodigué pour la gloire,
Illustra ces forêts qui soutiennent les cieux.




Vous marchez, entouré de prodiges sans nombre :
Là du Peuple Romain gît au loin la vaine Ombre ;
Devant lui se taisoient les Rois respectueux :
Cet immense colosse, élevé par la guerre
Au trône de la terre,
Tombe, & n’est plus hélas ! qu’un nom jadis fameux.,




Ici Rome pourtant demande votre hommage ;
Rome qui d’Elle-même est une triste image ;
Rome où les vils troupeaux marchent sur les Césars ;
Veuve d’un peuple Roi, mais Reine encor du monde ;
Rome sur qui se fonde
La gloire d’un pays, deux fois père des Arts.




Mais vous ne cherchez pas sur ces rives funèbres
Des monumens d’orgueil, des ruines célèbres ;
L’amitié vous appelle aux fêtes de l’amour,
En des lieux, où voyant des Princes populaires,
Du pauvre toujours pères,
On croirait que Bourbon n’a point changé de Cour.



Ah ! que ces champs heureux où tous les cœurs vous suivent,
Où dans tous les esprits déjà vos bienfaits vivent,
À nos désirs bientôt vous rendent pour jamais :
S’ils possèdent la Sœur nécessaire à leur joie ;
Qu’au moins Paris revoie
Le Frère qui se doit au bonheur des Français.