Le Journaliste, Tome 1/La Maison de la rue d’Enfer

Charpentier libraire-éditeur (Tome Ip. 99-169).


La Maison de la Rue d’Enfer




Le jour allait finir, et le soleil couchant ne jetait plus dans l’atelier qu’une lueur mourante ; Frédéric recouvrit la pierre lithographique à laquelle il travaillait, et vint rejoindre à la fenêtre Henri Leblanc, qui s’amusait à émietter du pain aux moineaux du Luxembourg.

— Eh bien ! mon Raphaël, as-tu fini ? manda celui-ci en frappant sur l’épaule du jeune peintre.

— Non, le jour m’a manqué et cependant l’éditeur doit faire reprendre la pierre demain.

— Tu es donc obligé de livrer ton travail à heure fixe ?

— À peu près.

Leblanc baussa les épaules.

— Voilà où nous en sommes venus ! s’écria-t-il ; les artistes sont maintenant les esclaves de ces gueux de brocanteurs. Tu t’es trompé d’époque en venant au monde, mon pauvre garçon ; il fallait naître quand il y avait encore des croyances, quand l’art était compris et, au lieu de te trouver ici, en blouse de toile, dans une chambre de dix pieds, travaillant au pouce carré pour des entrepreneurs, tu serais en pourpoint de soie, l’escarcelle bien garnie, et occupé à peindre quelque vierge dans une grande cathédrale, ou quelque maîtresse de roi dans un palais.

— Mieux vaut être un pauvre ouvrier libre qu’un laquais opulent.

— Ainsi, tu es content de ton sort ?

— Non ; mais qui me dit que j’en eusse été plus content il y a cinq siècles ?

— Je ne te comprends pas, ma parole d’honneur ! on dirait que tu n’aies pas artiste : tu ne te plains jamais. Moi, je suis médecin, et par conséquent désintéressé dans la question ; mais j’ai en horreur notre siècle d’épiciers. Je ne puis voir un talent méconnu sans avoir une névralgie ! et l’on ne voit que cela aujourd’hui, Hier encore, j’ai fait la connaissance d’un jeune homme employé aux Assurances, qui est auteur d’un poëme admirable sur le Mont Carmel.

— Il te l’a lu ? — Non ; mais il suffit de voir sa tête pour deviner que c’est un grand poète. Il a la bosse de l’idéalité la plus développée que j’aie jamais rencontrée. Eh bien ! personne ne le connaît ; aussi est-il décidé à s’asphyxier à la fin de l’année, s’il n’a pas trouvé un éditeur ; il a déjà composé la moitié de la pièce de vers qu’il laissera dans la poche de son gilet, pour que les journaux la publient.

Frédéric Garnier sourit tristement sans répondre. Il connaissait trop bien Henri pour essayer de le combattre. Depuis longtemps déjà celui-ci avait adopté, au nom de l’art, ce rôle de procureur du roi contre l’époque, c’était sa spécialité, et ses confrères le citaient, sinon comme le plus habile, du moins comme le plus artiste de tous les médecins de Paris.

Leblanc avait en outre cette vanité trop commune qui nous fait transformer tous ceux que nous connaissons en grands hommes, afin de nous dorer aux rayons de leur gloire. Sans cesse à la recherche des génies ignorés, il en avait chaque jour quelques nouveaux en portefeuille. Malheureusement, l’expérience avait mis en garde contre ses faciles enthousiasmes, et, auprès du plus grand nombre, son approbation était devenue plus dangereuse que profitable.

Frédéric était loin de partager les opinions de son ami ; mais, voulant éviter une discussion inutile, il changea de sujet, et lui parla de son nouveau logement.

— Regarde, lui dit-il, les arbres viennent jusqu’à ma fenêtre ; je suis, éveillé par les pinçons qui chantent dans les tilleuls. J’ai là une porte qui donne sur les allées ; j’y descends le matin quand tout est encore solitaire, et pendant deux heures je puis croire que le Luxembourg est à moi. Puis, tous les locataires sont à la campagne : je suis seul dans ce grand hôtel et tranquille comme au fond d’un couvent.

— Tu es décidé à passer ici tout l’été ?

— Tout l’été.

— Tu as donc renoncé à ton voyage d’Italie ?

— Entièrement.

— Tu as eu tort.

— C’est possible.

La conversation devint languissante, et peu après Leblanc sortit pour se rendre au théâtre de l’Odéon, dont il était médecin depuis quelques mois.

Lorsqu’il fut parti, Garnier demeura accoudé à sa fenêtre, le front penché et le cœur profondément triste.

Henri ne s’était point aperçu en lui parlant de son voyage d’Italie, qu’il touchait à une espérance morte depuis peu et que le jeune peintre avait amèrement pleurée. Encouragé par quelques premiers succès (toujours faciles parce qu’ils ne portent ombrage à personne), Garnier avait fait ce rêve il y avait un an, et, comme il arrive toujours quand on est jeune, il l’avait fait tout haut devant ses amis, présentant, sans s’en apercevoir lui-même, une espérance comme un projet. Mais la réussite, satisfaisante d’abord, s’étant bientôt montrée plus incertaine, au premier enthousiasme des protecteurs avait succédé l’indifférence. Frédéric comprit qu’on avait fait pour lui comme pour les jeunes soldats, que chacun aide le premier jour, mais auxquels, une fois en marche, on laisse tout le poids de leurs armes et tous les dangers du chemin. Ses travaux diminuèrent, on les paya moins ; enfin, il fallut toucher à cette part de l’espérance réservée sur ses premiers gains, et loin de prêter à l’avenir, vivre avec les réserves du passé ! Il y eût dans cette ruine de ses plus doux rêves bien des suspensions et bien des crises ; mais les exigences de chaque jour dévorèrent lentement son pauvre trésor. — Oh ! que de fois il s’indigna pendant cette lutte de voir le triomphe de la matière sur l’esprit, et du besoin sur le désir ! Que de fois il s’irrita contre les dispendieuses nécessités de la vie, se condamnant à la retraite, réformant ses habitudes élégantes et essayant la faim ! Mais, malgré tout, le moment vint où il fallut reconnaître l’impossibilité de son espérance et renoncer au voyage qu’il avait vu pendant deux années comme une récompense et comme un but. Il y avait huit jours à peine qu’il s’était fait à lui-même cet aveu, et les maladroites paroles de Henri avaient ravivé toute sa douleur. Il resta longtemps à la fenêtre complètement perdu dans sa rêverie, et ne fut rappelé à lui que par le tintement de l’horloge qui sonnait dix heures. Il remarqua alors que le Luxembourg était silencieux. La brise qui s’était élevée, apportait jusqu’à lui les senteurs des orangers, et les blanches statues du jardin apparaissaient à travers les arbres mouvants comme une armée de muets fantômes.

Frédéric contempla un instant cette nuit pleine d’étoiles et de parfums, puis repoussa la fenêtre avec un soupir, et fit quelques pas dans l’appartement.

Mais le passage subit du ciel lumineux qu’il venait de contempler à l’obscurité de son atelier lui causa une émotion pénible ; il lui sembla qu’il manquait d’air, d’espace, sa chambre lui fit l’effet d’un tombeau !….. Il s’assit et regarda autour de lui. Quelques masques de plâtre, accrochés aux murs, se détachaient dans l’ombre, et un mannequin bizarrement drapé dessinait confusément dans un coin une forme humaine. Frédéric se sentit oppressé ; à sa tristesse avait succédé une sorte de vague effroi qui n’était qu’une autre expression de l’abattement de son âme. Son isolement, qui tout à l’heure avait appelé des larmes à sa paupière, lui faisait peur maintenant. Il éprouvait une répugnance craintive à se lever ; son oreille était attentive, et ses yeux, errant autour de lui, semblaient attendre quelque étrange apparition.

Tout à coup un pas léger retentit au dehors ; la porte s’ouvrit brusquement, et une femme s’arrêta sur le seuil.

Frédéric s’était levé pâle et troublé ; la femme parut chercher un instant dans l’obscurité, et apercevant enfin le jeune homme à la clarté des étoiles qui glissait sur le mur, elle s’avança droit à lui.

M. Frédéric Garnier ? dit-elle d’une voix haletante.

— C’est moi, madame.

— Vous avez ici une porte qui donne sur le jardin du Luxembourg ?

— Oui, madame.

— Au, nom de Dieu, ouvrez-la moi !

Frédéric fit un mouvement de surprise.

— Oh ! je vous en conjure, monsieur, reprit-elle, ne me refusez pas ; je vous devrai plus que la vie !

Tout cela était dit avec un accent étranger, que Georges n’avait jamais entendu, mais d’une voix si déchirante qu’il en fut touché. Par un mouvement rapide et instinctif, il courut à la porte qu’on le priait d’ouvrir ; elle était fermée.

— Pardon, madame, dit-il en fouillant à tâtons sur sa table de travail, je cherche la clef.

— Merci, monsieur, oh ! merci !… Eh bien !… vous ne la trouvez pas ?

— Sans lumière, je ne puis….

Allumez-en !

Frédéric courut dans la chambre voisine et reparut bientôt, un bougeoir à la main. Son premier regard se porta sur l’étrangère ; il demeura immobile et comme ébloui de sa beauté.

— La clef, monsieur, la clef ! répéta celle-ci avec une expression d’irrésistible prière.

Il la trouva enfin parmi ses papiers et courut à la porte pour l’ouvrir ; en ce moment, un coup de feu retentit dans le Luxembourg. La jeune femme jeta un cri et s’appuya au mur.

— Qu’y a-t-il, madame ? demanda Frédéric effrayé. — La porte ! monsieur ; la porte !

Il l’ouvrit et elle se précipita dans le jardin.

Il la vit traverser l’allée, courir droit à la statue la moins éloignée, se pencher sur quelque chose de sombre, puis tomber. Il s’élança vers elle et la trouva à genoux, tenant dans ses mains les mains d’un jeune homme étendu sans mouvement.

— Au nom du ciel, qu’est-il arrivé, madame ?

— Du secours ! monsieur ; du secours !

Frédéric se pencha pour l’aider à redresser le corps immobile ; elle voulut soulever la tête ; mais à peine l’eut-elle touchée, qu’elle poussa un cri horrible…. elle venait de sentir cette tête brisée céder sous ses doigts !

— Qu’avez-vous ? demanda Garnier.

— Mort ! murmura la jeune femme. Et, ouvrant les bras, elle se laissa retomber sur le cadavre. Tout cela s’était passé en quelques secondes. Frédéric était hors de lui.

La vue de ce sang et de cette femme folle de désespoir lui donnait le vertige ; il regardait avec épouvante, ne sachant à quoi se décider, lorsqu’un pas régulier se fit entendre au loin ; il tourna la tête et aperçut, à la clarté de la lune, deux gardes qui se dirigeaient de son côté.

La pensée d’être surpris près de ce cadavre, de se trouver peut-être mêlé à quelque crime, le glaça : son premier mouvement fut de fuir ; puis il eut honte d’abandonner une femme, dont le hasard l’avait fait le protecteur. Il l’enleva dans ses bras à demi évanouie, et voulut retraverser l’allée, mais il eut à peine le temps de se jeter derrière le socle de la statue ; les gardes étaient à quelques pas !

Il y eut alors pour lui un affreux moment d’attente, les deux vétérans causaient paisiblement ; le plus jeune s’arrêta pour atteindre des branches de lilas, et Frédéric sentit son front caressé par le feuillage agité.

— Voilà un bouquet pour Louise, dit le soldat en respirant le parfum des fleurs qu’il venait de cueillir.

— Une belle nuit, ajouta son compagnon ; il fait bon vivre ici.

Dans ce moment ils tournaient le socle de marbre et leurs pieds heurtèrent le cadavre.

— Qu’est-ce que cela, Pierre ? Pierre se baissa.

— Dieu me pardonne ! c’est un homme assassiné.

— Pas possible. — Vois plutôt.

— C’est donc le coup de pistolet que nous avons entendu tout à l’heure.

— Peut-être.

— Cours au poste pour avertir, moi je resterai, dépêche.

L’un des gardes s’éloigna en courant.

Garnier n’osait respirer, ne pouvant plus fuir ; il regrettait de s’être caché, et sentait pourtant qu’il était trop tard pour se montrer. Il entendit bientôt, du côté du palais, des voix et un bruit de pas ; le gardien, qui s’était assuré que le cadavre n’avait plus aucun reste de vie, alla au-devant de ceux qui arrivaient ; Frédéric comprit qu’il n’avait qu’un moment et qu’une chance de salut. Serrant dans ses bras la jeune femme, il abandonna le piédestal dont l’ombre l’avait jusqu’alors caché, traversa l’allée, atteignit la porte de son atelier et s’y précipita.

Son premier soin, après avoir déposé l’étrangère sur le divan, fut de courir à la fenêtre pour s’assurer qu’il n’avait été ni aperçu ni poursuivi ; mais tout était calme dans le jardin : il distingua seulement, à travers les arbres et du côté de la statue, des lumières qui s’agitaient.

Il se hâta de revenir près de la jeune femme, qui commençait à reprendre ses sens.

L’embarras de Garnier était extrême : il y avait dans tout ce qui venait de se passer un mystère trop incompréhensible pour lui permettre de hasarder aucune parole. Il demeura donc debout, à quelques pas de l’inconnue, gardant le silence et semblant attendre ses ordres.

Cependant, comme elle continuait à promener autour d’elle des regards effarés, il lui dit doucement :

— Vous êtes en sûreté, madame.

Elle attacha sur lui des yeux fixes, garda quelque temps le silence, puis se mit à murmurer tout bas des paroles sans suite. Bientôt sa voix devint plus haute ; elle se redressa d’un air égaré, en appelant Frantz avec des cris. Frédéric, effrayé, voulut en vain la calmer ; son délire alla croissant jusqu’à ce que, brisée par tant d’émotions violentes, elle se laissa retomber sans force et presque évanouie.

Le jeune peintre saisit ses mains ; elles étaient glacées ; il toucha son front et le trouva brûlant. Quelques gouttes de sang coulaient entre les dents serrées de la jeune femme, et tout son corps était agité d’une convulsion d’agonie.

Une profonde terreur s’empara de Garnier ; tout ce qui venait de se passer lui avait ôté sa présence d’esprit habituelle. Jeté subitement au milieu d’une aventure bizarre, son imagination s’était exaltée, et depuis quelques instants il croyait tout possible, excepté une chose ordinaire.

Aussi, la pensée que cette femme allait mourir chez lui et le laisser sous le poids d’un mystère dont on pourrait lui demander compte fut-elle la première qui le frappa. De prompts secours pouvaient peut-être la sauver ; mais où en trouver ? Il n’avait pas de voisins, le portier lui-même était absent, et n’avait laissé à la loge que son père, vieillard infirmé et idiot… Tout à coup le souvenir de Leblanc lui revint ; l’Odéon n’était qu’à quelques pas, et il était sûr de l’y trouver. Il n’y avait point à hésiter : il jeta encore un coup d’oeil à l’étrangère qui était toujours dans le même état, et courut au théâtre.

Il connaissait heureusement la place où Henri avait l’habitude de se tenir ; il arriva jusqu’à lui en escaladant les stalles de l’orchestre au milieu des injures ; le saisit par le bras et le força à le suivre.

— À qui diable en as-tu ? lui demanda Leblanc, une fois sorti de la foule.

— Tu le sauras, répondit Garnier en prenant sa course sans lui lâcher le bras ; viens, viens vite.

— Mais où me conduis-tu ?

— Chez moi.

— Est-ce qu’il est arrivé quelque chose ?

— Oui.

— Un accident ?

— Oui.

— Il y a quelqu’un de blessé ?

— Oui.

Ils arrivèrent, toujours courant, au numéro 18 de la rue d’Enfer. Frédéric frappa, la porte s’ouvrit ; il s’élança vers sa chambre : l’étrangère n’y était plus !…

Il courut à la loge du portier.

— Est-il sorti quelqu’un pendant que j’étais dehors ? demanda-t-il.

— Personne, monsieur.

Il revint éperdu, monta le grand escalier jusqu’au dernier étage, redescendit à son logement, ouvrit les armoires, dérangea les meubles, écarta les rideaux : il n’y avait personne.

— Mais, de par tous les diables ! que cherches-tu ? s’écria Leblanc, qui l’avait suivi dans toutes ses excursions sans y rien comprendre.

Frédéric se laissa tomber sur le divan sans répondre ; la disparition de l’inconnue mettait le dernier sceau aux mystères de cette étrange soirée.

Le lendemain du jour où Frédéric Garnier s’était trouvé le témoin de la scène que nous avons racontée, les journaux annoncèrent que le cadavre d’un jeune homme dont on ne connaissait ni le pays ni le nom avait été trouvé dans le jardin du Luxembourg.

Le jeune peintre espéra en vain de plus amples renseignements : cette affaire parut bientôt oubliée.

Mais elle avait laissé dans l'âme du jeune homme un souvenir profond. Jusqu’alors il avait séparé le monde des livres du monde pratique, et n’avait regardé comme possibles que les faits vulgaires qui se répétaient chaque jour. Ce fut pour lui un nouvel aspect de l’existence, une réapparition de l’extraordinaire dans ce monde qu’il avait cru soumis aux seuls calculs de la nécessité ou de l’habitude.

Or, une fois cette porte ouverte, tous les rêves de son imagination prirent leur volée. Dès qu’il put croire au romanesque, il ne voulut plus songer à rien d’ordinaire ; converti au culte du merveilleux, il y porta toute la ferveur d’un nouveau fidèle, et rappela à lui toutes les chimères qui l’avaient charmé au collège, alors que ses nuits se passaient à lire à la lueur d’une lampe soigneusement cachée.

Il lui sembla impossible que l’aventure dans laquelle il avait été acteur en restât là : c’était, à ses yeux, le commencement d’un livre qu’il se mit à continuer en imagination, bâtissant dans le vide de longs drames dont il faisait le dénouement heureux ou terrible selon l’humeur du jour.

Du reste, cette crise poétique releva son âme abattue ; c’était, après tout, l’espérance qui revenait au logis, déguisée en héroïne de roman. Frédéric reprit avec courage ses travaux, sûr que quelque grand changement se préparait dans sa destinée.

L’événement ne tarda pas à justifier ses prévisions.

Un matin, qu’il travaillait avec ardeur à un tableau, Leblanc arriva, accompagné d’un visiteur que Garnier n’avait jamais vu.

— Ne te dérange pas, s’écria le médecin en entrant ; c’est devant sa toile qu’il faut voir un peintre. Je te présente M. Vertman, de Munich.

Frédéric, embarrassé, salua.

— Un admirateur enthousiaste de ton talent !

Frédéric, plus embarrassé, salua de nouveau.

— Un amateur dont tu as dû entendre citer là galerie.

Frédéric salua une troisième fois.

Pendant tout ce temps, M. Vertman était demeuré debout et appuyé sur sa canne, dans l’attitude d’un chevalet qui attend une toile. Garnier l’engagea à s’asseoir ; mais l’Allemand jeta les yeux autour de lui et s’arrêta devant deux paysages que Frédéric regardait comme ses deux meilleures peintures. Après les avoir examinés assez longtemps, il se détourna vers le jeune peintre.

— Cela est-il vendu ?…. demanda-t-il.

— Non, monsieur.

— J’en offre cent louis.

Frédéric leva brusquement la tête.

— Pouvez-vous les donner à ce prix !

— Sans doute.

Vertman tira son portefeuille.

— Je les ferai prendre aujourd’hui, dit-il, en remettant à Garnier la somme proposée.

Celui-ci regarda Leblanc pour savoir s’il n’était point victime d’une mystification ; mais Leblanc semblait aussi étonné que lui.

— Je voudrais avoir également de vous, reprit l’Allemand, quatre vues de Rome, mais prises sur les lieux. Avez-vous vu l’Italie ?

— Je la verrai sous peu, monsieur.

Vertman rouvrit son portefeuille.

— Je paierai mille francs chaque tableau, dit-il.

Et il présenta à Garnier deux billets de banque. Garnier voulut refuser.

— Ce sont les arrhes, dit l’Allemand. J’ai toujours eu l’habitude de m’assurer ainsi les œuvres que je commandais.

Le jeune peintre fut obligé de se conformer à cet usage et d’accepter l’argent. Il signa un reçu à M. Verlman, qui prit congé de lui presque aussitôt.

À peine fut-il parti, que Frédéric sauta au cou de Leblanc.

— J’irai en Italie ! j’irai en Italie ! Comment, s’écria-t-il, je pourrai voir les fresques de Raphaël et de Michel-Ange !…. Regarde, je suis riche ; j’ai là de quoi attendre, de quoi devenir peintre !…

Il agitait ses billets de banque comme des castagnettes, et dansait autour de son atelier en renversant les tabourets.

— Et dire, ajouta-t-il tout-à coup, que le bonheur, la gloire, tout, enfin, peut dépendre de quelques chiffons de papier comme ceux-ci !…. Penser qu’avec 4,500 francs on peut faire un grand homme !… Oh ! mes beaux billets de banque, mes protecteurs, mes bons génies, mes dieux !… Et il les embrassait.

Honnête M. Vertman !… et moi qui ne pouvais pas souffrir les Allemands !.. la première nation du monde pour acheter des tableaux !… Désormais je veux faire ma prière, les yeux tournés vers le Rhin, comme les vrais croyants vers la Mecque ; je veux apprendre à fumer et à aimer la choucroute ?… Mais où diable, Leblanc, as-tu déterré ce vertueux amateur ?

— Mon Dieu, un hasard… je l’ai rencontré à l’Odéon ; nous avons parlé art, je t’ai cité ; il avait vu des toiles de toi chez les marchands, et il m’a demandé à te voir.

— Merci : c’est toi qui as ouvert ma porte à la bonne fortune ; tu auras été mon Mercure ! Je veux te peindre en gilet de flanelle, le caducée à la main, et les ailes rivées aux talons de tes bottes.

— Tu deviens fou…

— De joie, c’est possible ; quand on n’en a pas l’habitude !… À propos, tu restes avec moi !… Je ne veux pas que ce jour finisse comme un jour ordinaire : nous dînerons chez Véry, et je loue une loge à l’Opéra.

— Tu ferais mieux de te faire soigner et de boire de la tisane de laitue.

— Eh ! au nom de Dieu, laisse-moi le temps de cuver ma joie ; tu ne comprends pas que je jouais mon avenir contre le diable, et que je viens de gagner la partie. Aujourd’hui, vois-tu, j’ai foi en moi ; je me sens fort, puissant ; le roi de France ne me vient pas au coude. Partons. Je vais acheter une boîte de voyage, un chapeau de paille et un passeport.

Cinq jours après, Frédéric Garnier était sur la route de Marseille, où il allait s’embarquer pour l’Italie ; sa folle joie s’était calmée ; il en avait pris possession, et un sentiment de bonheur grave en avait pris la place. Près de voir les chefs-d’oeuvre dont la pensée avait occupé si longtemps ses rêves d' artiste, il éprouvait une sorte de sentiment inquiet comparable à celui de la jeune fille qui marche vers l’autel où l’attend son fiancé. Aussi, lorsqu’on lui montra Gênes sortant des brumes du matin, ne put-il retenir un cri : l’Italie était enfin devant lui ! Il visita successivement Florence, Pise, Naples, Venise et Rome, retrouvant partout, dans les musées, dans les églises, dans la campagne, dans l’air, les sublimes traditions de l’art. Les premiers mois de son voyage furent consacrés à l’admiration ; mais bientôt le besoin d’imiter le saisit au milieu de ces oeuvres de choix et de cette nature d’élite ; il se mit à peindre, et s’aperçut de l’influence que l’aspect du beau avait déjà exercée sur lui. Son œil était devenu plus intelligent, sa main plus ferme ; je ne sais quelle incarnation de tout ce qui l’entourait l’avait pénétré à son insu : il acheva en trois mois un tableau plus important que tous ceux qu’il avait essayés jusqu’alors, et l’expédia en France pour l’exposition qui allait s’ouvrir.

Bien qu’il sentît vivement tout ce quimanquait à son œuvre, il espérait qu’elle serait remarquée et lui vaudrait quelques encouragements. Il attendit donc avec une fiévreuse impatience l’ouverture de cette espèce de concours où le public était appelé à juger. Il reçut enfin de Leblanc la lettre suivante :

« Voilà huit jours que les galeries sont ouvertes ; mais, avant de t’écrire, j’ai voulu savoir ce que le public déciderait de ton œuvre.

« Sois heureux, frère, le public t’a compris ! le génie a forcé l’ignorance elle-même à l’admiration.

« Frère, bénie soit la mère qui t’a donné le jour, car la patrie lui devra une de ses gloires, et son fils sera grand parmi les hommes.

« Déjà une acclamation unanime s’élève sur ton passage ; monte au Capitule, triomphateur, sans t’occuper des injures que quelques soldats ivres chantent à la suite de ton char !

« Adieu, te voilà victorieux et tout-puissant ; mais n’oublie point, César, que le premier j’ai su découvrir l’auréole autour de ton front !

« HENRI LEBLANC.

« Postscriptum. — N’oublie pas de m’expédier, par Livourne, les cordes de violon et la pâte de macaroni que je t’ai demandées. » Sauf le postscriptum qui était fort clair, Frédéric ne comprit pas grand chose à ce que lui écrivait son romantique ami. Il s’aperçut seulement, à la ponctuation étrange de sa lettre, divisée en versets comme une épître aux Corinthiens, que Leblanc venait de lire le Dernier jour d’un condamné et donnait pour le moment dans le dithyrambe.

Par bonheur, quelques autres lettres d’un style moins élevé et les journaux qu’il reçut lui confirmèrent le succès métaphoriquement annoncé par Henri. Il apprit que son tableau l’avait placé, d’un seul coup, à côté des maîtres les plus illustres et avait suffi pour rendre son nom populaire ! Le prix élevé qui lui fut proposé et les demandes qui lui arrivèrent de toutes par achevèrent de le persuader.

Frédéric ne se sentit point étourdi, mais fortifié d’un succès aussi subit. Les âmes bien faites savent tout supporter, même la prospérité. Il comprit que sa célébrité précoce n’ajoutait rien à son talent et lui imposait de nouveaux devoirs ; il se promit, en conséquence, de se montrer d’autant plus sévère envers lui-même que le public serait plus indulgent, et de faire en sorte de mériter toujours plus qu’il ne lui serait accordé. Mais il ne se laissa point aveugler par l’orgueil ; il acquit une juste confiance en lui-même et s’avoua sa force, qu’il avait jusqu’alors discutée.

Après avoir achevé d’étudier l’Italie, il résolut de revenir en France, où l’appelaient sa réputation nouvelle et des travaux importants qu’il avait acceptés. Il remonta donc jusqu’à Milan et entra en Suisse pour gagner le Rhin vers Bâle, puis Paris.

Il s’attendait à de sublimes spectacles, à de puissantes et douces émotions ; il espérait trouver dans ces nids d’aigle de vrais descendants de Guillaume Tell !… il ne vit que de petits peuples sur de grandes montagnes, et la sublime opulence de la création faisant honte à l’avaricieuse rapacité des hommes ! La Suisse qu’il avait espérée n’existait plus ; celle qu’il parcourut n’était qu’un panorama magique où l’on payait tout, depuis le fromage des chalets jusqu’aux avalanches des montagnes ; depuis la bonne mine de la fille d’auberge jusqu’au point de vue de la cascade. Partout il lui sembla contempler de gigantesques décorations peintes par quelque Titan, élève de Daguerre, pour l’amusement des touristes.

À peine s’il put rencontrer de loin en loin quelque ravine oubliée sous les pins, quelque mer de glace hors de la route des voiturins, quelques lacs encadrés de pitons bleuâtres, au bord desquels il lui fût permis de s’asseoir et de peindre sans craindre l’arrivée d’un Anglais en blouse grise ; car depuis quinze ans les Anglais se sont abattus sûr la Suisse comme les sauterelles sur les plaines dès Pharaons, avec cette différence pourtant que les sauterelles dévoraient l’Egypte, et que c’est la Suisse qui dévore les Anglais ; vous les coudoyez depuis Sion jusqu’à Berne. Partout où vous apercevez quelqu’un qui mange, consultez un Guide du voyageur vous pouvez chanter le God, save the queen avec l’assurance d’être compris.

Frédéric Garnier arriva donc à Bâle, un mois après son départ de Milan, ayant vu plus d’Anglais que de glaciers, fatigué de favoris blonds et de voiles verts, et prêt à chanter avec les jeunes premiers de M. Scribe :

Je suis Français, mon pays avant tout.

Au moment de son arrivée, il y avait grande foule à Bâle pour les élections ; les étrangers affluaient d’Alsace et d’Allemagne, si bien que toutes les auberges étaient pleines. Frédéric sollicita vainement de dix hôteliers une de ces couchettes de plumes ornées de deux serviettes auxquelles on donne le nom de lit en Suisse ; il fut partout repoussé, et il ne lui restait plus à visiter que les Trois Rois, hôtel en renom où il avait moins de chances que partout ailleurs de trouver un gîte ; aussi ne prit-il point la peine de descendre de son voiturin ; il se contenta de l’arrêter devant la porte, et, selon l’usage suisse, l’hôtelier accourut.

— Un lit, demanda Garnier.

— Je n’en ai plus, monsieur.

— Au diable les auberges et les élections ! Alors, je dîne, et je continue jusqu’à Saint-Louis.

— Vous allez être servi.

Frédéric se prépara à descendre du voiturin ; ses yeux, en se levant, tombèrent sûr un voyageur debout à la porte de l’hôtel, et qui causait avec une dame voilée ; c’était M. Vertman ! Il laissa échapper une exclamation de surprise et fit un geste ; mais au même instant la femme voilée rentra vivement en entraînant son interlocuteur.

Frédéric se hâta de régler avec le cocher et entra dans la salle des voyageurs pour les rejoindre. Il y avait beaucoup de monde. Il chercha quelque temps inutilement ; enfin il rencontra l’hôtelier et lui demanda M. Vertman.

— Il est parti, monsieur.

— Parti ?

— Il y a quelques minutes à peine.

— Et où va-t-il ?

— À Baden.

— Il était ici depuis longtemps ?

— Depuis deux jours seulement. J’ignorais qu’il dût quitter Bâle aujourd’hui.

— Alors vous pouvez disposer de la chambre qu’il occupait ?

— Je viens de la donner ; mais celle de sa nièce est à la disposition de monsieur.

— Je l’arrête.

Après avoir admiré le Rhin, visité la cathédrale et la bibliothèque, Frédéric fatigué, se fit indiquer sa chambre et y monta.

Elle était encore dans le désordre où l’avait laissée celle qui l’occupait quelques heures auparavant, et tout y prouvait la précipitation d’un départ inattendu : des papiers déchirés étaient épars sur le parquet ; une ceinture avait été oubliée sur un fauteuil, et un livre y était encore ouvert. C’était la Valérie de madame de Krudner !

Après avoir parcouru quelques pages de ce dangereux chef-d'œuvre, le jeune peintre revint vers la cheminée, où il avait vu briller un médaillon. À peine y eut-il jeté les yeux qu’il jeta un léger cri : il venait de reconnaître le portrait de l’inconnue du Luxembourg.

Il se rappela alors la femme qu’il avait vaguement entrevue causant avec Vertman, et il ne douta point que ce ne fût elle. Elle l’avait sans doute aperçu, et son départ subit n’avait eu d’autre but que de l’éviter. Mais comment se trouvait-elle la nièce de ce même M. Vertman qui avait fourni au jeune peintre les moyens de faire son voyage d’Italie ? C’était donc elle qui l’avait envoyé ? L’Allemand n’était-il venu qu’à son instigation, et cet achat de tableaux n’avait-il été qu’un détour adroit pour forcer Frédéric à accepter un bienfait, ou n’était-ce pas plutôt un moyen détourné pour l’éloigner de France ?

Garnier se perdait en conjectures ; mais, quel qu’eût été le motif de l’étrangère, il eût voulu à tout prix sonder cet incompréhensible mystère, et la rencontre fortuite qu’il venait de faire à Bâle avait ravivé toutes ses curiosités.

Bien des fois, en lisant la vie des maîtres, il avait envié leur existence aventureuse. Il lui sembla qu’il dépendait de lui de laisser aussi à ses biographes futurs l’occasion de quelque romanesque histoire. Il se trouvait d’ailleurs dans une de ces veines d’audace que donne la réussite ; il pensa qu’il touchait peut-être à la découverte de quelque étrange secret ; il se rappela la beauté de l’inconnue, réfléchit qu’il pouvait encore, sans inconvénient, retarder de deux mois son retour à Paris, et résolut enfin de partir dès le lendemain pour Baden, à la recherche de M. Vertman et de sa nièce.

Mais, lorsqu’il y arriva, tous deux étaient déjà repartis pour Vienne. Frédéric balança un instant à poursuivre ; mais ce qu’il venait de voir de l’Allemagne le ravissait. Il avait du temps, de l’argent ; il continua sa route, toujours précédé par l’oncle et la nièce, dont il ne perdit les traces qu’en entrant dans la capitale de l’Autriche.

Vienne est le Paris de l’Allemagne. La vie y est facile, le peuple gai et les plaisirs nombreux. Garnier n’était pas tellement préoccupé de son inconnue qu’il oubliât tout le reste ; il visita les monuments et les musées dans le plus grand détail. Un soir, en entrant au théâtre, il entendit parler français et se retourna : c’était Henri Leblanc.

Le médecin et le peintre s’embrassèrent comme deux, compatriotes qui se rencontrent à l’étranger.

— Je te croyais à Rome, dit Leblanc.

— Et moi, je te croyais à Paris.

— Que diable es-tu venu faire ici ?

— Me préparer une clientèle.

— Comment ! tu voyages en Allemagne pour te faire une clientèle à Paris ?

— Cela n’est pas plus étonnant que de retourner de Rome en France, en passant par Vienne.

— Tu te moques de moi.

— Nullement. On parle beaucoup, depuis quelque temps, d’un docteur allemand qui a trouvé le moyen de guérir par les infiniments petits.

— Je comprends, tu es venu étudier son système.

— Du tout ; je suis venu pour voir les musées de Munich, de Vienne et de Berlin ; mais à mon retour à Paris je me fais médecin homœopathe.On saura que j’arrive d’Allemagne ; on pensera que j’ai étudié la doctrine sur les lieux, et ma fortune est faite.

— C’est à dire que tu tromperas ce pauvre public.

— Des épiciers, murmura Leblanc, en haussant les épaules avec un superbe dédain. Mais où loges-tu ?

Garnier lui donna son adresse.

— J’irai te voir. Je veux te présenter dans les salons que je fréquente. J’avais des lettres d’introduction pour tout le monde ; on m’a reçu à bras ouverts, et, depuis quinze jours, je passe toutes mes soirées à manger des tartines de jambon dans les meilleures sociétés de Vienne.

Garnier accepta l’offre de son ami, espérant obtenir des personnes qu’il verrait quelques renseignements sur M. Vertman et sa nièce.

Pour faciliter cette recherche, il pensa à copier en grand la miniature que le hasard avait mise en sa possession, espérant faire plus facilement reconnaître celle qu’il cherchait. Il achevait ce travail, lorsque Leblanc entra.

— Ah ! ah ! dit-il, on sait donc déjà ton arrivée à Vienne ?

— Pourquoi cela ?

— Puisque tu fais des portraits !… Je connais cette dame.

— Toi ! s’écria Frédéric.

— Moi-même.

— Et sais-tu son nom ?

— On me l’a dit, mais c’est un de ces sobriquets barbares impossibles à retenir. Je l’ai vue plusieurs fois chez la comtesse de Rimber avec son mari.

— Elle est mariée ?

— Eh oui, avec un Hongrois à moustaches, qui ne ressemble pas mal à un chattigre empaillé… Tout le monde en a peur, y compris sa femme, qui l’a, dit-on, épousé de force.

— Comment cela ?

— Oh ! il y a toute une histoire ! Il paraît que c’était une fille d’un pauvre pasteur de campagne. Le Hongrois en est tombé amoureux, et, comme elle était promise à un autre, il a fait condamner le fiancé pour braconnage, puis il a épousé à sa place.

—- Et on reçoit ce misérable ?

— Comment donc ! c’est un seigneur riche et fort bien en cour… Il a été chargé de plusieurs missions secrètes.

Frédéric n’en demanda pas davantage, de peur d’éveiller les soupçons de Henri, dont il connaissait l’indiscrétion. Il le pria seulement de le présenter chez la comtesse de Rimberg. Mais le soir même, comme ils s’y rendaient ensemble, en passant par la rue de Leopoldstadt, Leblanc lui montra un équipage qui venait de s’arrêter devant un hôtel somptueux.

— Tiens ! dit-il, voilà le mari de ton beau modèle qui rentre chez lui.

Garnier se détourna vivement et aperçut un homme d’une taille élevée, qui descendait de voiture ; mais il était seul.

Le lendemain, Garnier habitait la rue de Leopoldstad, et des croisées de sa chambre élevée il pouvait apercevoir ce qui se passait dans l’hôtel que Henri lui avait désigné la veille. Quelques adroites questions faites à son hôtesse lui confirmèrent le récit de Leblanc, et il résolut de ne rien négliger pour savoir s’il avait réellement retrouvé son inconnue, et pour découvrir enfin le mot de cette curieuse énigme.

Parmi les fenêtres de l’hôtel donnant sur la rue, il en avait remarqué deux dont les stores étaient constamment baissés. Il pensa que ce devait être la chambre de la jeune femme. Deux jours s’écoulèrent sans qu’il pût vérifier sa supposition ; enfin le troisième jour, une des fenêtres s’ouvrit, et le seigneur hongrois vint s’accouder à la balustrade.

Les derniers rayons du soleil couchant jouaient dans les rideaux et jetaient jusqu’au fond de l’appartement une lueur mourante. Frédéric crut y apercevoir une femme vêtue de blanc étendue sur un canapé ; mais elle était trop loin et trop peu éclairée pour qu’il pût la reconnaître. Le Hongrois demeura assez longtemps seul au balcon, et la nuit commençait à venir, lorsque, tout à coup, il se retourna, et, à ses mouvements, Frédéric devina qu’il parlait. Alors l’ombre blanche et confuse que le jeune peintre avait distinguée au fond de l’appartement parut s’agiter ; elle se leva avec effort et s’avança lentement vers la fenêtre.

Frédéric avait soulevé le rideau derrière lequel jusqu’alors il s’était tenu caché ; la tête en avant, l’oeil fixe, et retenant son halein, il attendait que cette forme fût devenue plus, distincte. La jeune femme, qui s’était avancée le front baissé, releva tout à coup la tête ; ses yeux rençontrèrent ceux de Garnier !… Le jeune homme voulut se retirer ; mais, avant qu’il se fût replié en arrière, il la vit étendre les mains, et l’entendit pousser un cri.

Il demeura quelques instants immobile, n’osant relever le rideau, qu’il avait laissé retomber devant lui, mais bientôt retentit le bruit d’une fenêtre qui se refermait avec violence ; il avança la tête… Le Hongrois et l’inconnue avaient disparu, et les stores étaient baissés de nouveau.

Le soir même, son hôtesse lui apprit que l’on était venu demander des renseignements à son sujet ; que l’on s’était informé de son nom, de son pays, de ses habitudes, et du motif de son séjour à Vienne. Frédéric devina sans peine la cause de toutes ces questions : on l’avait reconnu ! Il comprit tout ce qu’il avait à craindre dans un pays étranger où il se trouvait sans protection et en possession d’un secret que certaines gens pouvaient vouloir étouffer à tout prix ; il résolut, en conséquence, d’agir avec la plus grande circonspection.

Quelques jours s’écoulèrent sans événements ; les fenêtres de l’hôtel hongrois ne s’étaient point rouvertes, et Garnier commençait à craindre que l’inconnue ne fût partie. Un soir, Leblanc arriva avec deux billets pour l’Opéra.

— Hâtons-nous, lui dit-il, c’est une pièce nouvelle, et il y aura foule aujourd’hui. Ils eurent en effet beaucoup de peine à se placer. Après une assez longue attente, le rideau se leva. Frédéric reconnut, dès les premières scènes, un opéra français dont il avait vu les premières représentations à son départ de Paris ; rien n’avait été changé à l'œuvre française, c’était le même dialogue, les mêmes chants, la même instrumentation ; si l’on eût entendu les acteurs chanter juste et l’orchestre jouer en mesure, on se fût cru au théâtre de la Bourse, à Paris.

Déjà les deux premiers actes avaient été joués et le rideau allait se lever pour la troisième fois, lorsque Garnier sentît un papier se glisser sous ses doigts ; une main furtive disparut au même instant dans la loge voisine, et, avant qu’il eût songé à ce qu’il devait faire, il entendit la porte de cette loge se refermer.

— Le billet ne contenait que ces mots tracés au crayon :

« Jeudi, trouvez-vous au bal masqué de la duchesse de Remberg, en costume albanais ; si l’on vous demande ce que vous cherchez, vous répondrez : Que sais-je ? ».

L’écriture du billet était d’une main de femme, et Frédéric ne douta pas un instant qu’il ne vînt de son inconnue.

Leblanc l’avait justement présenté la veille à la duchesse de Remberg, et celle-ci l’avait invité à la fête qu’elle donnait, rien ne s’opposait donc à ce qu’il s’y trouvât ; il résolut de se rendre au bal et de tout essayer pour pénétrer le mystère qui le préoccupait depuis si longtemps.

Le jour venu, il revêtit le déguisement indiqué et se présenta chez la duchesse. Son empressement lui avait fait devancer l’heure ordinaire ; il y avait encore peu de monde dans les salons.

— Après-avoir examiné tous les invités déjà venus, Frédéric se plaça près de la porte pour voir entrer ceux qui arrivaient, espérant qu’un hasard pourrait lui faire reconnaître la femme qu’il attendait ; mais la foule le força bientôt à quitter cette place ; repoussé peu à peu vers le haut des salons, il renonça à une recherche impossible, et se décida à attendre.

Cependant nuit s’avançait ; les danses avaient été déjà plusieurs fois interrompues et reprises ; l’orchestre venait de se taire de nouveau, et les invités se portaient vers la salle du banquet que l’on venait d’ouvrir. Fatigué de la lumière et du bruit, Garnier laissa passer les flots riants des danseurs ; il aperçut une porte entr’ouverte, la poussa doucement et se trouva dans une petite bibliothèque à peine éclairée.

Il se laissa tomber sur un canâpé en poussant un soupir de lassitude et d’ennui ; il y était à peine depuis un instant qu’un pas léger se fit entendre, il se retourna, une femme en riche costume espagnol était debout derrière lui.

— Que cherchez-vous ? lui demandet-ele à voix basse.

— Que sais-je ?…

— Elle fit un mouvement, et regarda de tous côtés.

— Plus bas, monsieur, murmura-t-elle.

— Nous sommes seuls, madame. Elle s’approcha davantage.

— Qu’êtes-vous venu faire à Vienne, monsieur ?

— Vous chercher.

La jeune femme recula.

— Me chercher, et pourquoi ?…

— Pour la seconde fois, je vous dirai : « Que sais-je, madame ? » Votre apparition a été un événement si extraordinaire dans ma vie, qu’en retrouvant vos traces j’ai été saisi d’une inquiétude curieuse, et qu’à tout prix j’ai voulu vous revoir.

— Qu’avez-vous à me demander ?

— Tout, madame, car je n’ai rien deviné au drame dont vous m’avez fait le témoin et presque l’acteur. Je ne sais ce que je dois croire, et ce secret me pèse comme un remords. Ah ! vous avez l'âme trop ferme, madame, pour ne pas comprendre que mon impatience de connaître est autre chose qu’une vaine curiosité. C’est je ne sais quel espoir romanesque d’aider à quelque grande réparation, de vous être utile !… c’est le besoin de vous parler de ce que vous avez fait pour moi ; car, je le sais maintenant, ce M. Vertman, qui m’a rendu subitement assez riche pour que je pusse visiter l’Italie, était envoyé par vous ; ce que j’avais cru un hasard heureux n’était qu’un bienfait caché ; mais ce bienfait, madame, je dois savoir à quel titre il m’a été accordé et quelle obligation il m’impose. De quoi cet argent était-il le prix, dans votre pensée ? payait-il mon silence ou un service rendu ?

— L’un et l’autre, monsieur.

— Alors je le refuse, madame, s’écria Frédéric vivement : je ne vends ni mes service, ni ma discrétion.

— Par grâce, écoutez-moi, monsieur… Vous êtes Venu ici, dites-vous, poussé par une noble curiosité ; vous voulez me servir ; eh bien ! monsieur, qu’il vous suffise de savoir que tout ce qui s’est passé est irréparable ; que le malheur en pèse sur moi seule désormais ; que votre présence peut me perdre. Je suis une esclave enchaînée dans l’antre d’une bête féroce qui, à la moindre colère, me tuera… Le secret que vous me demandez me coûterait la vie, monsieur, s’il était connu… Oh ! je vous en conjure, quittez Vienne ; retournez en France… Vous ne savez pas quel danger vous courez ici… Vous avez déjà excité la jalousie du comte. On vous surveille ; on vous suit. Il a fallu le hasard et le tumulte de cette fête pour que je pusse vous parler. Il me cherche peut-être déjà.

En prononçant ces mots, la jeune femme regarda autour d’elle avec inquiétude. Tout à coup ses yeux s’arrêtèrent vers le fond du cabinet ; elle recula en faisant un geste d’épouvante. Frédéric, qui avait suivi son mouvement, aperçut dans une glace le reflet d’une tête penchée à la porte entr’ouverte. Il se leva avec une exclamation de surprise et fit un pas vers cette porte ; mais elle s’ouvrit brusquement, et un homme en costume d’Arménien, parut debout sur le seuil.

— Je vous dérange ? dit-il d’une voix sombre.

À cet accent, l’étrangère recula, chancelante et éperdue.

— Que voulez-vous, monsieur, et qui vous a permis de nous écouter ? demanda Frédéric.

Sans lui répondre, l’Arménien voulut s’avancer vers la jeune femme ; mais Garnier lui barra le passage : les deux hommes se regardèrent un instant en silence, dans une attitude de provocation et de haine. Enfin tout à coup l’Arménien arracha son masque, et montra au jeune homme la figure sauvage du seigneur hongrois.

— Me reconnaissez-vous ? demanda-t-il d’une voix terrible.

— Je n’ai point l’art de lire les noms sur les visages, répondit Frédéric froidement.

— Votre compagne sera plus habile.

— Arrière, monsieur !

— Bas ces masques !

—-Arrière ! vous dis-je.

Le Hongrois porta la main à son poignard, et Garnier à son yatagan. Mais dans ce moment la musique se fit entendre ; la foule venait de rentrer dans les salons, et une troupe de masques se précipita dans la bibliothèque en riant. Frédéric profita de ce moment de tumulte pour ménager à la comtesse les moyens de s’échapper, et lorsqu’il se retourna pour chercher l’Arménien, il ne le retrouva plus.

Le lendemain, il était seul dans sa chambre, occupé à ranger dans une malle quelques effets de Voyagé, quand le seigneur hongrois entra brusquement.

À sa vue, Frédéric tressaillit ; l’étranger s’avança vers lui, et demanda M. Frédéric Garnier.

— C’est moi, monsieur.

— Lisez.

Garnier, étonné, prit la lettre qui lui était présentée et reconnut, au premier coup d’oeil, l’écriture du billet qu’il avait déjà reçu ; il l’ouvrit et lut :

« Nous n’avons échappé que par miracle au comte ; une seconde entrevue nous perdrait. Si je vous ai jamais inspiré quelque intérêt, partez sur-le-champ : peut-être pourrai-je répondre quelque jour aux questions que vous m’avez adressées, mais il faudrait pour cela du temps et de la liberté. Partez donc sans rien attendre, sans me rien demander ; tâchez d’oublier une nuit dont je voudrais effacer le souvenir avec tout mon sang. MARGUERITE. »

— Vous avez lu ? demanda le comte à Garnier.

— Oui, monsieur.

— Quelles sont vos armes ?

— Je ne vous comprends pas, monsieur.

Le Bavarois leva les yeux sur Frédéric avec un étonnement farouche.

— N’avez-vous point lu l’adresse de cette lettre monsieur ?

— C’est la mienne.

— Et qui l’a écrite ?

— Je l’ignore.

— Allons, monsieur, la feinte est inutile, s’écria le comte en frappant du pied… Me croyez-vous donc aveugle et sourd ?… Je n’ai jamais laissé d’injure impunie, il faut qu’un de nous meure, vous le savez. N’espérez point m’échapper cette fois ; nous ne sommes plus chez madame de Remberg ; quelque temps qu’il vous faille pour retrouver votre courage, j’attendrai, car je ne veux sortir d’ici que pour recevoir satisfaction.

À ces mots, le comte s’assit, comme s’il eût voulu mieux témoigner de sa résolution ; mais en s’appuyant au marbre de la cheminée sa main rencontra le médaillon trouvé à Bâle par Frédéric ; il le prit avec distraction, le retourna et reconnut le portrait de la comtesse.

Il se releva avec un cri de rage.

— Monsieur, dit-il à Garnier, les dents serrées, je vais chercher des armes, dans une heure je serai ici. Et si vous refusez de vous battre… je vous tuerai !

Frédéric, resté seul, s’assit pensif. Ce qui s’était passé depuis quelques jours avait fait succéder à sa curiosité première une sorte de repentir. En cherchant à pénétrer le mystère qui se rattachait à la comtesse, il avait obéi à la fois à un caprice poétique et à une vanité romanesque de jeune homme. Il avait rêvé tout un drame, dans lequel il avait eu soin de se donner le plus beau rôle, et dont les péripéties étaient disposées d’avance à son avantage ; mais il vit bientôt que dans son enthousiasme, il n’avait tenu compte ni des difficultés, ni des ennuis, et il commença à comprendre que les grandes aventures étaient plus distrayantes dans les livres que dans la réalité. La scène qui avait eu lieu la veille, chez madame de Remberg, et dans laquelle la jalousie sauvage du Hongrois s’était révélée, l’avait déjà fait réfléchir, et il était bien résolu à la prudence lorsque la provocation du comte était venue tout déranger.

Il pouvait détruire sans doute l’erreur qui avait amené cette provocation : mais pour cela il fallait tout raconter, livrer un secret duquel dépendaient l’honneur, la vie d’une femme, et ce moyen de salut lui répugnait comme une lâcheté. D’ailleurs, quelle preuve donner à l’appui de ses paroles ? Le comte ne pouvait-il pas refuser de croire, ou même d’écouter ? Était-il même bien sûr, enfin, qu’il ignorât la vérité, et que sa jalousie ne fût pas un prétexte, et qu’il ne songeât pas à frapper un témoin sous l’apparence d’un rival ?

Frédéric ne savait à laquelle de ces suppositions s’arrêter ; cependant, à tout événement, il écrivit à Leblanc une lettre dans laquelle il lui racontait succinctement ce qui s’était passé, lui exprimait ses dernières volontés dans le cas où il succomberait.

Lorsqu’il eut achevé, il relut sa lettre lentement, et il se sentit pénétré d’une profonde tristesse. Cet adieu à la vie, pourquoi ne l’avait-il point écrit une année auparavant, lorsqu’il était encore pauvre et inconnu ? alors rien ne l’attachait à la terre ; mourir n’eût été pour lui que fermer les yeux et ne plus souffrir ; mais non, la fortune avait voulu lui montrer tout ce que l’existence a de doux, elle l’avait fait riche, heureux, admiré, puis maintenant, au milieu, de la joie de son triomphe, elle étendait la main pour le frapper, comme si le bonheur qu’elle lui avait d’abord donné n’avait eu pour bût que de lui faire mieux sentir l’amertume de mourir. Cette pensée fit venir une larme aux paupières du jeuûe homme, mais il maîtrisa son émotion, et plia la lettre. Comme il achevait, le comte entra : il portait à la main deux pistolets de combat.

— Je suis à vous, dit Frédéric.

Le comte déposa ses armes sur la cheminée.

Garnier cacheta la lettre destinée à Leblanc, mit l’adresse et se leva. — Avant de sortir, monsieur, dit-il, encore un mot : ce sera le dernier. Je jure sur l’honneur que je n’ai jamais aimé la comtesse, que je ne l’ai vue que deux fois, que j’ignore même son nom, que ce portrait dans lequel vous avez vu un gage d’amour a été trouvé par moi à Bâle où il avait été oublié.

— Mensonge ! mensonge !… et la lettre !

— La lettre… celle qui l’a écrite a seule le pouvoir et le droit de l’expliquer, monsieur.

— Et elle le fera, dit une voix calme.

Frédéric et le Hongrois se retournèrent en même temps. La comtesse était debout à la porte, qui venait de s’ouvrir.

— Marguerite ! s’écria le comte, que venez-vous faire ici ?

— Vous empêcher de commettre un crime.

— Sortez ! sortez !

— Je ne sortirai qu’avec vous, monsieur le comte.

— Ah ! vous avez peur pour votre amant !

Elle jeta au Hongrois un long regard de mépris et de colère. — Mon amant, dit-elle d’une voix tremblante, vous savez bien qu’il n’est point ici, monsieur le comte…

— Mais cette lettre… cette lettre, madame !

— Avez-vous oublié, monsieur le comte, un jeune homme auquel j’étais promise et que vous avez fait lâchement jeter dans les prisons pour m’arracher à lui ?

— Il ne s’agit point de Frantz, madame.

— Vous vous trompiez ; car celui-là je l’aimais ayant de devenir votre femme par violence, et après je l’aimai encore davantage. Vous l’aviez fait condamner comme un criminel avant de me conduire en France, et cependant il parvint à m’y rejoindre.

— Lui !… c’est impossible !…

— Vous étiez absent, monsieur le comte, oçcupé d’intrigues politiques à Londres : je pus le recevoir sans crainte…

Le Comte étendit la main vers ses pistolets.

— Pas encore, monsieur, dit la jeune femme avec un rire amer il faut que vous sachiez tout… Frantz était à Paris depuis plus de deux mois quand ; vous m’annonçâtes votre retour. Il me proposa alors de fuir avec lui… Mais j’avais encore mon enfant… J’étais sûre d’ailleurs, que nous ne pourrions échapper à votre poursuite, que cet enlèvement coûterait la vie à Frantz… je voulais le sauver ! Malheureuse !… je refusai… Je reçus alors une lettre de Frantz qui m’écrivait :

« Ce soir je serai sous vos fenêtres pour vous attendre ou pour mourir. »

J’étais à la campagne, j’arrivai à Paris éperdue ; le Luxembourg venait de se fermer ! je courus, chez mpnsieur, qui demeurait au-dessous de notre appartement ; il m’ouvrit une porte donnant sur le jardin, et quand j’arrivai… quand, j’arrivai… Frantz était mort, monsieur.

La jeune femme cacha son visage dans ses deux mains.

— Vous comprenez maintenant, reprit-elle après un long silence, pourquoi la présence de monsieur me troubla la première fois que je l’aperçus ; pourquoi j’ai voulu le voir et lui écrire pour l’éloigner.

Le comte avait tout écouté dans un calme terrible, un pistolet de chaque main, l’œil fixe et les lèvres serrées. Il s’avance enfin vers Garnier, qui était demeuré muet et épouvanté.

— Vous quitterez Vienne demain, monsieur, dit-il, d’un accent bref.

Le jeune homme fit un mouvement, mais la comtesse lui jeta un regard suppliant.

— Je partirai, monsieur, dit-il froidement.

Alors le comte saisit le bras de la jeune femme, qui frissonna sous cette étreinte, et tous deux disparurent.

Un mois après, Frédéric Garnier rencontra à Paris Leblanc, qui arrivait de Vienne. Les deux amis causèrent quelque temps. — À propos, dit tout à coup Henri, je sais le nom de ta Hongroise ; c’est la comtesse Marguerite de Cleswolter.

— Comment l’as-tu appris ?

— Je l’ai vu sur ses billets d’enterrement.

— Que dis-tu ? s’écria Frédéric épouvanté, la comtesse…

— Est morte le lendemain de ton départ !