Le Journal de Françoise, Vol 1 No 4/Causerie
Causerie
I vous le voulez bien, petits
amis, nous allons aujourd’hui
causer de patriotisme.
De nos jours, voyez-vous, il n’est plus
possible d’ignorer la signification du
mot, moins encore la chose elle-même.
Il faut savoir, même quand on est
jeune, que l’amour de la patrie vient
après l’amour de Dieu et l’amour du
foyer, et de ces trois sentiments découlent
les nationalités fortes et durables.
Le patriotisme est une plante qui doit être cultivée de bonne heure dans nos cœurs, car nous naissons tous avec l’amour du pays comme nous naissons avec le germe de nos défauts, mais avec cette différence que nous devons étouffer l’un et développer l’autre. À mesure qu’il grandît, l’enfant stimule ses sentiments patriotiques par la lecture des annales de son pays, et certes il y a de quoi enflammer vos jeunes imaginations, petits amis, dans l’histoire si chrétienne et si valeureuse de notre beau Canada.
De nos jours, heureusement, il n’est plus nécessaire pour servir son pays, de s’engager comme nos ancêtres dans des luttes parfois sanglantes. Il suffit, aujourd’hui, de travailler à être utile à la patrie dans le milieu où Dieu nous a placés.
Chacun a sa mission ici-bas, les hommes comme les femmes, les jeunes comme les vieux. Il n’y a personne qui soit trop petit, trop infime, pour aider à l’édification de l’œuvre patriotique ; la nationalité est un immense temple en construction qui a toujours besoin d’ouvriers, ainsi, ne vous dites pas : « Je suis trop jeune pour m’occuper de ces choses, ce sera pour plus tard, » vous vous trompez, c’est maintenant qu’il faut commencer à s’y intéresser.
Savez-vous, petits enfants, que de nos jours, on apprend mieux l’histoire de France que l’histoire du Canada ? Certes, il est nécessaire de connaître la première parfaitement puisqu’elle est l’origine de la nôtre, mais il ne faut pas oublier que notre vraie patrie est le pays dans lequel nous vivons, ce beau Canada où nous sommes nés et où nous espérons tous mourir.
À propos de patriotisme, laissez-moi vous raconter un fait dont j’ai été moi-même le témoin. Il y a pourtant quelques années de cela, mais son seul souvenir m’émeut encore aujourd’hui.
Nous étions à la campagne pendant la belle saison. J’étais sur la grève à la recherche de coquilles variées qui abondaient à cet endroit.
Mon attention fut soudain attirée par un bruit de voix qui semblait venir d’un creux de rocher tout près de moi. J’approchai. Deux petits garçons de dix à douze ans poursuivaient une conversation des plus animées.
— Tu as beau dire, disait un petit blond à l’œil vif, digne fils d’Albion dont la famille avait choisi ce village entre tous pour y passer la belle saison, les Anglais, quand ils font la guerre, ils la gagnent presque toujours, c’est papa qu’il l’a dit et il le sait, lui.
— Ça n’empêche pas, reprit l’autre, un gars du village qui instinctivement s’érigeait en champion de son pays, ça n’empêche pas qu’ils en ont bien perdu des batailles eux aussi. C’est notre maître d’école qui l’a dit et c’est lui qui en connait long sur le compte des Anglais.
— Puisqu’il est si savant ton maître de classe, reprit le petit citadin, il a dû te dire aussi que c’étaient les Anglais qui avaient rapporté la victoire sur vous autres les Canadiens, et que c’est depuis cette époque que le Canada leur appartient…
Gonflé, rouge comme une pivoine, le campagnard se lève brusquement. Il semble hésiter :
— Oui… ça… c’est vrai… puis se redressant fièrement : Mais si c’est arrivé, reprit-il, c’est parce que les Canadiens étaient trop fatigués…
Le pauvre petit n’avait pu, dans sa jeune imagination, trouver de meilleure raison pour excuser la défaite des siens sans que leur honneur en souffrit. Cela me fit plaisir que cette fierté instinctive de l’enfant et son ardeur à la défense de ses compatriotes.