Le Jour du Triomphe

Le Jour du Triomphe
Revue des Deux Mondes6e période, tome 52 (p. 703-710).

LE JOUR DU TRIOMPHE


14 juillet.

Ce jour, attendu si longtemps, ce jour que nous n’avons jamais cessé d’apercevoir dans nos rêves d’avenir, même aux plus sombres heures de cette terrible guerre, ce jour de gloire est arrivé.

L’Arc de Triomphe, tout doré par les feux de l’aurore naissante, offre au soleil levant ses grandes lignes monumentales et le magnifique appareil de ses pierres héroïques. Paris matinal envoie de tous côtés, vers cette porte de gloire, les innombrables foules de tous ses quartiers et de tous ses faubourgs. Du fond des plus lointaines provinces, les trains bondés ont fait affluer sur notre capitale une population diverse et compacte où nos divers accents de terroir s’harmonisent dans l’unanimité du patriotisme français. Combien de braves gens, ne trouvant point de place dans les hôtels pleins à craquer, ont pris le parti de passer la nuit à la belle étoile ! Ce fut d’ailleurs la meilleure façon de retenir les premières places pour assister au défilé triomphal. On voit des spectateurs patients qui sont là depuis la veille, et qui, pour un empire, ne quitteraient pas le rang où ils ont installé leurs sièges pliants, leurs couvertures, tout près de la barrière. On les regarde d’un œil d’envie. Des familles entières, groupées autour d’un panier de provisions, prennent, pour se réconforter, après une nuit fraîche, leur petit déjeuner du matin. Les arbres des Champs-Elysées supportent des grappes humaines, accrochées aux branches les plus hautes, qui plient et quelquefois rompent sous le poids. Sur la ferraille des canons allemands, entassés en pyramides, grimpent des gamins prompts à l’escalade. Et sans cesse le flot des nouveaux arrivants multiplie les difficultés qu’éprouve le service d’ordre à endiguer un pareil courant. À certains moments, la chaussée est submergée par des remous de foule. N’importe. À l’instant voulu, et sans que les dragons à cheval, lance au poing, aient besoin d’insister, chacun aura repris sa place, et l’avenue, dégagée de toute intrusion, sera complètement libre, pour le retour des vainqueurs.

On les attend avec impatience mais sans fièvre, sans tumulte, avec cette sagesse volontaire que le public, chez nous, sait s’imposer par une discipline consentie. On se dit qu’ils sont là, qu’ils vont venir, et cette fois pour rester parmi nous, ayant fini leur héroïque ouvrage. Mais combien de frères d’armes, hélas ! Ils ont laissés, sur l’immense champ de bataille, au cours de la lutte tragique, et si longue, où les vicissitudes d’une guerre sans précédent ont suscité des vertus sans exemples ! Ceux que la France pleure ne seront pas oubliés. Une vision superbement évocatrice de gloire et de douleur fait planer sur toute la magnificence de cette fête, dans la splendeur de ce matin d’été, leur présence invisible et réelle. C’est à eux d’abord que sont dus les honneurs de cette journée dont leur sacrifice a préparé le lumineux avènement. Aussi la célébration du culte que la France et la civilisation universelle doivent rendre à leur mémoire sacrée va précéder le défilé de leurs compagnons de victoire. Sur le monument votif qui est dédié à leur immortel souvenir, auprès de l’Arc de Triomphe, on lit ces mots, gravés en lettres d’or : Aux morts pour la patrie. C’est par eux que se manifeste, en ce jour de reconnaissance nationale et de solennelles actions de grâces, la vertu miraculeuse du sacrifice. C’est à eux que vont nos plus chères pensées, nos meilleures tendresses, les élans de nos cœurs animés d’une invincible espérance. En l’honneur de nos soldats, tombés au champ de gloire, la garde assemblée autour du monument funéraire présente les armes. On entend la sonnerie des clairons, le roulement des tambours, éveillant sous la voûte triomphale les échos de l’appel qui, au moment du départ, a convoqué le ban et l’arrière -ban des braves. Alors, au nom de la nation, le Président de la République, descendant les degrés de sa tribune, traversant à pied le rond-point de l’Étoile, offre aux bien-aimés que nous voyons avec les yeux de l’âme une gerbe de fleurs épanouies, des couronnes, des palmes, tribut symbolique, où se résume en images consolatrices la fierté de notre douleur. Geste plus éloquent, dans sa muette simplicité, que les paroles humaines. Rite traditionnel, aussi ancien que notre culte des morts et que notre espérance d’immortalité glorieuse, et dont l’accomplissement, à cette heure, en ce lieu, confère, tout de suite, une gravité religieuse à cette fête de la Victoire.

La Victoire, en chantant, peut maintenant apparaître sans risquer de raviver par l’éclat de ses fanfares l’intime blessure des cœurs affligés. Les trois couleurs sont hissées au sommet de l’Arc de Triomphe, dans un ciel bleu dont la limpidité rayonnante fait vibrer l’azur, l’argent et la pourpre de notre drapeau. On voit briller au-dessus de la haute corniche le jaillissement d’une fusée. Le canon tonne. C’est le signal du défilé. On a voulu qu’après les morts, la première place fût donnée aux grands blessés, aux mutilés, à des hommes qui, pendant toute leur vie, conserveront dans leur chair crucifiée les stigmates du douloureux calvaire qu’ils ont noblement gravi. Un colonel aveugle marche en avant, soutenu et guidé par deux simples soldats, ses camarades de combat et ses rivaux de gloire. D’autres viennent ensuite, beaucoup d’autres... Combien ? On ne sait. Un millier, peut-être. Ce n’est qu’une « délégation » des mutilés de France, si nombreux, hélas ! que la journée entière ne suffirait pas à les faire passer tous sous l’Arc de Triomphe.

Les trompettes de la garde annoncent les maréchaux de France, que précède un escadron de magnifiques cavaliers en casques chevelus, sabre au clair. Le maréchal Foch, commandant en chef des armées alliées, apparaît, sous la voussure de la porte de gloire. Le grand capitaine à qui nous devons la libération de notre territoire envahi, conserve, pour ce beau jour, la simplicité de la tenue de campagne. Tel il était, l’an dernier, à pareille époque, au moment où il préparait en son quartier général les opérations décisives et foudroyantes, tel il nous apparaît, aujourd’hui, dans le décor d’histoire et de légende, où rayonne, comme éclairée en dedans par le reflet intérieur d’une grande âme, sa figure empreinte d’une mâle résolution et d’une sereine gravité. Il s’avance au pas de sa monture, déjà pareil, dans l’immortalité commençante, à une statue équestre. Auprès de lui chevauche l’autre grand chef, celui qui a écrit, à force de circonspection intrépide, les premiers chapitres de l’épopée dont voici la définitive conclusion. Le maréchal Joffre a mérité, lui aussi, les honneurs du triomphe. Il est celui qui, par la première victoire de la Marne, arrêta les Allemands en marche sur Paris.

Tous deux, ces grands chefs dont Plutarque eût aimé à raconter les vies parallèles dans sa biographie des hommes illustres, tous deux, réunis par une émouvante fraternité d’armes, acclamés ensemble par l’unanimité de la reconnaissance publique, ils représentent la diversité harmonieuse des vertus françaises, la ténacité unie à la fougue, l’élan joint à la patience, l’action rapide qui achève et justifie les lentes préparations. Ils tiennent de la main droite le bâton de commandement, étoile d’or. Et le premier usage qu’ils font de cet insigne de la dignité suprême, c’est de l’abaisser en un geste de salut, infiniment respectueux et tendre, devant le monument des morts.

Ils s’éloignent, suivis d’un état-major étincelant. Le cortège triomphal, qui vient par l’avenue de la Grande-Armée, va, entre deux rangées de spectateurs innombrables, sous des millions d’yeux extasiés, au milieu des applaudissements enthousiastes de tout un peuple, parcourir l’avenue des Champs-Elysées, traverser la place de la Concorde et sentir partout, sur nos boulevards pavoises, dans nos rues jonchées de fleurs la généreuse et puissante pulsation du cœur de Paris.

Voici nos alliés. Les Américains, en uniforme khaki, coiffés de leur casque de tranchée à forme plate, incliné sur l’oreille, jugulaire au menton, marchent d’un pas accéléré par la vive allégresse d’une musique entraînante. Le général Pershing, suivi de son fanion d’écarlate aux étoiles d’argent, est solide en selle, sur un alezan vigoureux et souple. Son profil énergique, sous la visière de cuir fauve, donne une impression de force intense, disciplinée par une constante maîtrise de soi. Il salue le monument des morts. On acclame au passage les délégations de l’armée américaine, les drapeaux qui là-bas, au delà des flots de l’Atlantique, chez nos amis des États-Unis, vont raconter aux générations avenir l’histoire de la croisade d’Occident.

La Belgique est représentée au défilé triomphal par le général Gillain et par quarante-huit drapeaux. Le martyrologe de la noble nation qu’ne conception cornélienne du devoir et de l’honneur a jetée tout de suite en pleine bataille contre un ennemi félon est présent à l’esprit de tous. Les soldats du roi Albert, chevalier sans peur et sans reproche, sont particulièrement chers à nos cœurs.

C’est toute l’histoire de la guerre qui se déroule devant nos yeux, chapitre par chapitre, sous les couleurs des drapeaux frissonnants. On entend des officiers démobilisés, repris par la nostalgie des cantonnements, expliquer à leurs voisins, au passage du maréchal sir Douglas Haig, les opérations victorieuses des troupes britanniques, ayant pour mission d’avancer entre l’Escaut et la Sambre, pour rejeter les armées ennemies sur le massif des Ardennes... Les drapeaux de nos alliés d’outre-Manche sont rehaussés de tons délicats et de couleurs somptueuses, chaque régiment d’infanterie, de cavalerie ou d’artillerie du Royaume-Uni et des dominions britanniques ayant ses enseignes distinctives, ses armoiries, comme autrefois les régiments de notre ancienne armée. On applaudit le costume pittoresque des Highlanders d’Ecosse, admirables soldats, comparables à nos alpins, et dont l’allure est rythmée par les chevrotements aigus d’une cornemuse pareille à notre biniou breton. Les hardis chasseurs du Somerset, les rifles des régiments d’York, de Lincoln, de Liverpool, de Dorset, les grenadiers du Northumberland, les fantassins du comté de Lancastre, tous les bons Tommies, célébrés par Kipling, ont leur part d’acclamations.

Une musique alerte, vivement cadencée. Le drapeau vert, blanc et rouge, avec l’écusson de Savoie. C’est un détachement du 2e corps de l’armée italienne qui, pendant la campagne de 1918, prit une part active aux opérations de la bataille de Champagne. On fait un accueil fraternel aux couleurs de l’Italie, présentées par les porte-drapeaux des brigades d’infanterie de Naples, de Brescia, de Salerne, que suivent les enseignes de deux régiments d’artillerie de campagne et d’un groupe de bataillons d’assaut.

Un étendard d’argent, irradié de pourpre par les rayons d’un disque solaire, accompagne les Japonais. Un beau détachement de l’armée hellénique, arborant le drapeau bleu, croisé de blanc, est accueilli par les cris de « Vive Venizelos ! Vive la Grèce ! » L’aigle blanc de Pologne, les enseignes de la République portugaise et du royaume de Siam, la bannière de saint Wenceslas, portée fièrement par les Tchéco -Slovaques en béret bleu, nous apportent tour à tour le touchant témoignage des amitiés groupées autour de nous, dans la guerre et dans la paix. Le jeune colonel qui conduit les Roumains montre un profil antique sous son casque de légionnaire du temps de Trajan. On salue le drapeau d’azur, d’or et de pourpre qui, chez nos alliés de Roumanie, a plané sur tant de misères, volontairement subies, courageusement acceptées. La Serbie décimée, ravagée par sept années de guerre, d’oppression, de famines, de dévastations, nous a envoyé, pour occuper la place qu’elle a méritée largement dans ce triomphe, une élite d’officiers et de soldats qui inclinent pieusement devant nos morts leurs drapeaux déchirés et leurs armes victorieuses.

Un temps d’arrêt. Un intervalle de silence. Les généraux, les délégations, les compagnies d’honneur, les drapeaux des armées françaises vont passer sous l’Arc de Triomphe. Quelle émotion nous étreint, à la vue de nos trois couleurs, toutes vibrantes et rayonnantes dans le matin clair ! L’Arc ensoleillé resplendit comme un tabernacle dans une auréole. Et voici que, dans le silence pathétique, en cet instant de grand souvenir et d’espérance infinie, tous les tambours d’une division d’infanterie, s’avançant sous la porte triomphale, roulent ensemble, tous les clairons sonnent. Et c’est comme un grondement de tonnerre, traversé par des cris de joie, tandis qu’aux accents de Sambre-et-Meuse apparaît, sous l’Arc de Triomphe, sur un grand cheval blanc, le maréchal Pétain, tel que nous l’avons vu lors de son entrée à Metz, vêtu de bleu horizon, comme les « poilus » qu’il commande, évoquant dans la mémoire des foules les heures critiques où, avec le général Nivelle que la reconnaissance du pays ne saurait oublier, il défendait Verdun et infligeait le plus dur des échecs au kronprinz devant la citadelle imprenable.

L’ordre du défilé appelle ensuite le général de Castelnau, celui qu’on voudrait saluer du titre de maréchal de France. Ici l’opinion populaire se prononce en public, à haute et intelligible voix, avec une franchise exempte de toute précaution oratoire. Si cette voix est écoutée, le décret de nomination paraîtra demain au Journal Officiel. L’instinct moral dis foules va tout droit aux solutions simples et justes. On ne comprend pas que le défenseur du Grand-Couronné, l’homme de guerre qui a sauvé Nancy, arrêté la ruée allemande sur notre frontière de l’Est, préservé Reims, conseillé l’expédition de Salonique et prévu les événements décisifs du front d’Orient, n’ait pas obtenu la récompense due à ses mérites.

L’attitude de la foule, en présence de nos soldats, de nos enfants, devenus des hommes assez grands, assez beaux pour être dignes de passer sous l’Arc de Triomphe, répond en tous points à la solennité de cette cérémonie. C’est un enthousiasme raisonné, recueilli, qui ne s’exprime qu’à bon escient, évite les manifestations inutiles et sait, à l’occasion , nuancer les gestes et les paroles avec un goût très renseigné.

Voici le général Debeney, le libérateur de Saint Quentin ; le général Degoutte, qui, dans la contre-offensive du 18 juillet de l’année dernière, a dirigé l’effort de notre 6e armée ; le général Hirschauer, gouverneur de Strasbourg... Le général Humbert, le svelte et juvénile commandant de la 3e armée, manie en parfait cavalier une jolie bête nerveuse et fine. Voici Gonraud, venu de son quartier général de Colmar. Sa haute et mince silhouette, la manche pendante de sa vareuse khaki, son visage sérieux et doux sont accueillis avec une admiration où se mêle quelque chose d’affectueux. Du haut de la tribune réservée aux délégations d’Alsace. et, de Lorraine, les Alsaciennes, agitant leurs mouchoirs blancs, lui font une gracieuse ovation, Parmi ce cortège de généraux, il n’en est pas un seul qui n’ait inscrit au livre de la guerre une page mémorable. Le général Mangin, récemment promu à la dignité de grand-croix de la Légion d’honneur, est acclamé au moment où il passe dans l’héroïque chevauchée, l’épée nue, le visage ferme et comme tendu par une indomptable volonté, le regard dirigé vers la voie triomphale. On salue en lui le chef d’armée qui, du 18 juillet au 26 octobre 1918, sans interruption, a su, par une série d’actions offensives, aboutir à la libération de Soissons, de Laon, et forcer l’ennemi à une retraite qui fut le commencement de la grande victoire. Il occupe aujourd’hui Mayence et surveille le Rhin.

Voici le drapeau du régiment colonial du Maroc, décoré de la médaille militaire. Ce régiment, composé de Français de toute la France, a pris part à toutes les batailles, depuis le commencement jusqu’à la fin de la grande guerre. Le drapeau des chasseurs à pied, escorté par une compagnie du 6e bataillon, est le drapeau d’Isly, de Sidi-Brahim, de Sébastopol, de Solférino, de Saint-Blaise, de Metzeral, des bois du Linge et des plaines de Belgique. Il porte à sa hampe la médaille militaire et la croix de la Légion d’honneur. La croix du drapeau, c’est la consécration suprême pour un régiment. C’est un surcroît de fierté pour tous ceux, officiers ou soldats, qui ont l’honneur de lui appartenir. Le 20e corps, que Foch commandait au moment de la déclaration de guerre, et qui eut successivement pour chefs les généraux Balfourier, Berdoulat, Paulinier, présente plusieurs drapeaux décorés de l’étoile des braves. Les zouaves qui ont battu la garde prussienne dans les marais de Saint-Gond, les tirailleurs du bois de Cumières, de Villers-Bretonneux, de Sorny, de Vauxaillon, les coloniaux de Craonne et du Moulin d’Herpy, défenseurs de Reims, passent avec leurs drapeaux parés de la plus belle gloire.

En l’absence de Franchet d’Esperey, retenu à Constantinople par les multiples conséquences de la victoire, les délégations de l’armée d’Orient sont conduites par le général Guillaumat, qui fut son prédécesseur à Salonique.

— Vive Fonck ! crie la foule, en voyant passer le porte-drapeau de l’aviation.

Et l’on fête celui qui est le plus aimé de nos « as, » depuis que Guynemer n’est plus.

Le fanion du général Poeymirau, qui revient de Meknès, rappelle qu’il y eut au Maroc sous la haute direction du général Lyautey, une guerre difficile et glorieuse, un « front de l’Atlas. »

La musique des équipages de la Hotte précède l’amiral Ronarc’h, qui s’avance à pied, en tête de la garde du drapeau des fusiliers-marins de Nieuport, de Dixmude, de Hangard-en-Santerre.

Fanfare. Ce sont les étendards de nos régiments d’artillerie, ornés de la fourragère aux couleurs de la croix de guerre, de la médaille militaire ou de la Légion d’honneur. Les batteries montées, les batteries lourdes, les batteries de montagne sont acclamées. Le 75 et le 155 court défilent sous des yeux qui savent la part que nos artilleurs ont prise à la grande œuvre de la victoire. Une sonnerie de trompettes, dont les notes stridentes sont répercutées par les voûtes sonores de l’Arc de Triomphe, annonce les cavaliers de Saumur et les étendards des chasseurs d’Afrique, des hussards, des chasseurs à cheval, des spahis, des goumiers algériens et marocains, des dragons, des cuirassiers qui souvent et longtemps, au cours de cette guerre, ont combattu à pied dans la tranchée.

Enfin, après tous ces tableaux d’histoire, pareils aux groupes d’un bas-relief antique ou aux strophes d’une ode triomphale, voici une vision qui mêle aux souvenirs des plus anciennes guerres les récentes inventions.de la science moderne. C’est le défilé des chars d’assaut, avec leurs fanions. Tel de nos jeunes porte-fanions s’appuie sur sa hampe avec un geste de triomphateur antique. Le général Estienne commande ce détachement, entouré d’une escorte choisie parmi les combattants qui, par l’avance irrésistible de leurs « tanks, » ont broyé les fils de fer barbelés et ouvert par la rupture des lignes allemandes le chemin de la victoire.

Et, maintenant que tous les drapeaux, toutes les épées, toutes les âmes, en ce triomphe, ont salué les morts et donné aux vivants, par l’évocation des plus hauts exemples, un renouveau de force morale pour le labeur de demain, mettons-nous à l’œuvre, tous, afin que soit digne de cette victoire la paix conquise par une merveilleuse émulation de vertus françaises. Si les yeux qui ont vu cela ne gardaient pas intacte l’impression de ces heures bénies et splendides, ils n’auraient plus qu’à se clore à la lumière du jour, car ils ne verront plus jamais rien d’aussi beau.


GASTON DESCHAMPS.