Le Jeu de l’amour et du hasard/Acte II

Théâtre, volume I, Texte établi par Émile Faguet, Nelson (p. 377-408).
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ACTE II


Scène première

LISETTE, MONSIEUR ORGON.
Monsieur Orgon.

Eh bien, que me veux-tu Lisette ?

Lisette.

J’ai à vous entretenir un moment.

Monsieur Orgon.

De quoi s’agit-il ?

Lisette.

De vous dire l’état où sont les choses, parce qu’il est important que vous en soyez éclairci, afin que vous n’ayez point à vous plaindre de moi.

Monsieur Orgon.

Ceci est donc bien sérieux ?

Lisette.

Oui, très sérieux. Vous avez consenti au déguisement de Mlle  Silvia ; moi-même je l’ai trouvé d’abord sans conséquence ; mais je me suis trompée.

Monsieur Orgon.

Et de quelle conséquence est-il donc ?

Lisette.

Monsieur, on a de la peine à se louer soi-même ; mais malgré toutes les règles de la modestie, il faut pourtant que je vous dise que, si vous ne mettez ordre à ce qui arrive, votre prétendu n’aura plus de cœur à donner à mademoiselle votre fille. Il est temps qu’elle se déclare, cela presse ; car, un jour plus tard, je n’en réponds plus.

Monsieur Orgon.

Eh ! d’où vient qu’il ne voudrait plus de ma fille, quand il la connaîtra, te défies-tu de ses charmes ?

Lisette.

Non ; mais vous ne vous méfiez pas assez des miens. Je vous avertis qu’ils vont leur train, et je ne vous conseille pas de les laisser faire.

Monsieur Orgon.

Je vous en fais mes compliments, Lisette. (Il rit.) Ah ! ah ! ah !

Lisette.

Nous y voilà ; vous plaisantez, monsieur ; vous vous moquez de moi ; j’en suis fâchée, car vous y serez pris.

Monsieur Orgon.

Ne t’en embarrasse pas, Lisette ; va ton chemin.

Lisette.

Je vous le répète encore, le cœur de Dorante va bien vite. Tenez, actuellement, je lui plais beaucoup ; ce soir, il m’aimera ; il m’adorera demain. Je ne le mérite pas, il est de mauvais goût, vous en direz ce qu’il vous plaira, mais cela ne laissera pas que d’être. Voyez-vous ? demain, je me garantis adorée.

Monsieur Orgon.

Eh bien, que vous importe ? S’il vous aime tant, qu’il vous épouse.

Lisette.

Quoi ! vous ne l’en empêcheriez pas ?

Monsieur Orgon.

Non, foi d’homme d’honneur, si tu le mènes jusque-là.

Lisette.

Monsieur, prenez-y garde. Jusqu’ici je n’ai pas aidé à mes appas, je les ai laissé faire tout seuls, j’ai ménagé sa tête : si je m’en mêle, je la renverse ; il n’y aura plus de remède.

Monsieur Orgon.

Renverse, ravage, brûle, enfin épouse ; je te le permets, si tu le peux.

Lisette.

Sur ce pied-là, je compte ma fortune faite.

Monsieur Orgon.

Mais dis-moi : ma fille t’a-t-elle parlé ? Que pense-t-elle de son prétendu ?

Lisette.

Nous n’avons encore guère trouvé le moment de nous parler, car ce prétendu m’obsède ; mais, à vue de pays, je ne la crois pas contente ; je la trouve triste, rêveuse, et je m’attends bien qu’elle me priera de le rebuter.

Monsieur Orgon.

Et moi, je te le défends. J’évite de m’expliquer avec elle : j’ai mes raisons pour faire durer ce déguisement ; je veux qu’elle examine son futur plus à loisir. Mais le valet, comment se gouverne-t-il ? ne se mêle-t-il pas d’aimer ma fille ?

Lisette.

C’est un original ; j’ai remarqué qu’il fait l’homme de conséquence avec elle, parce qu’il est bien tourné ; il la regarde et soupire.

Monsieur Orgon.

Et cela la fâche ?

Lisette.

Mais… elle rougit.

Monsieur Orgon.

Bon ! tu te trompes ; les regards d’un valet ne l’embarrassent pas jusque-là.

Lisette.

Monsieur, elle rougit.

Monsieur Orgon.

C’est donc d’indignation.

Lisette.

À la bonne heure !

Monsieur Orgon.

Eh bien, quand tu lui parleras, dis-lui que tu soupçonnes ce valet de la prévenir contre son maître, et si elle se fâche, ne t’en inquiète point : ce sont mes affaires. Mais voici Dorante, qui te cherche apparemment.



Scène II

LISETTE, ARLEQUIN, MONSIEUR ORGON.
Arlequin.

Ah, je vous trouve, merveilleuse dame ; je vous demandais à tout le monde. Serviteur, cher beau-père, ou peu s’en faut.

Monsieur Orgon.

Serviteur. Adieu, mes enfants ; je vous laisse ensemble ; il est bon que vous vous aimiez un peu avant de vous marier.

Arlequin.

Je ferais bien ces deux besognes-là à la fois, monsieur.

Monsieur Orgon.

Point d’impatience ; adieu.



Scène III

LISETTE, ARLEQUIN.
Arlequin.

Madame, il dit que je ne m’impatiente pas ; il en parle bien à son aise, le bonhomme !

Lisette.

J’ai de la peine à croire qu’il vous en coûte tant d’attendre, monsieur ; c’est par galanterie que vous faites l’impatient ; à peine êtes-vous arrivé ! Votre amour ne saurait être bien fort ; ce n’est tout au plus qu’un amour naissant.

Arlequin.

Vous vous trompez, prodige de nos jours ; un amour de votre façon ne reste pas longtemps au berceau ; votre premier coup d’œil a fait naître le mien, le second lui a donné des forces et le troisième l’a rendu grand garçon ; tâchons de l’établir au plus vite ; ayez soin de lui, puisque vous êtes sa mère.

Lisette.

Trouvez-vous qu’on le maltraite ? Est-il si abandonné ?

Arlequin.

En attendant qu’il soit pourvu, donnez-lui seulement votre belle main blanche, pour l’amuser un peu.

Lisette.

Tenez donc, petit importun, puisqu’on ne saurait avoir la paix qu’en vous amusant.

Arlequin, en lui baisant la main.

Cher joujou de mon âme ! cela me réjouit comme du vin délicieux. Quel dommage de n’en avoir que roquille !

Lisette.

Allons, arrêtez-vous ; vous êtes trop avide.

Arlequin.

Je ne demande qu’à me soutenir, en attendant que je vive.

Lisette.

Ne faut-il pas avoir de la raison ?

Arlequin.

De la raison ! hélas, je l’ai perdue ; vos beaux yeux sont les filous qui me l’ont volée.

Lisette.

Mais est-il possible, que vous m’aimiez tant ? je ne saurais me le persuader.

Arlequin.

Je ne me soucie pas de ce qui est possible, moi ; mais je vous aime comme un perdu, et vous verrez bien dans votre miroir que cela est juste.

Lisette.

Mon miroir ne servirait qu’à me rendre plus incrédule.

Arlequin.

Ah ! mignonne, adorable ! votre humilité ne serait donc qu’une hypocrite !

Lisette.

Quelqu’un vient à nous ; c’est votre valet.



Scène IV

DORANTE, ARLEQUIN, LISETTE.
Dorante.

Monsieur, pourrais-je vous entretenir un moment ?

Arlequin.

Non ; maudite soit la valetaille qui ne saurait nous laisser en repos !

Lisette.

Voyez ce qu’il nous veut, monsieur.

Dorante.

Je n’ai qu’un mot à vous dire.

Arlequin.

Madame, s’il en dit deux, son congé sera le troisième. Voyons.

Dorante, bas à Arlequin.

Viens donc, impertinent[1].

Arlequin, bas à Dorante.

Ce sont des injures, et non pas des mots, cela… (à Lisette.) Ma reine, excusez.

Lisette.

Faites, faites.

Dorante, bas.

Débarrasse-moi de tout ceci ; ne te livre point ; parais sérieux et rêveur, et même mécontent ; entends-tu ?

Arlequin.

Oui, mon ami ; ne vous inquiétez pas, et retirez-vous.



Scène V

ARLEQUIN, LISETTE.
Arlequin.

Ah ! madame, sans lui j’allais vous dire de belles choses, et je n’en trouverai plus que de communes à cette heure, hormis mon amour qui est extraordinaire. Mais à propos de mon amour, quand est-ce que le vôtre lui tiendra compagnie ?

Lisette.

Il faut espérer que cela viendra.

Arlequin.

Et croyez-vous que cela vienne bientôt ?

Lisette.

La question est vive ; savez-vous bien que vous m’embarrassez ?

Arlequin.

Que voulez-vous ? Je brûle et je crie au feu.

Lisette.

S’il m’était permis de m’expliquer si vite…

Arlequin.

Je suis du sentiment que vous le pouvez en conscience.

Lisette.

La retenue de mon sexe ne le veut pas.

Arlequin.

Ce n’est donc pas la retenue d’à présent ; elle donne bien d’autres permissions.

Lisette.

Mais, que me demandez-vous ?

Arlequin.

Dites-moi un petit brin que vous m’aimez. Tenez, je vous aime, moi ; faites l’écho ; répétez, princesse.

Lisette.

Quel insatiable ! Eh bien, monsieur, je vous aime.

Arlequin.

Eh bien, madame, je me meurs ; mon bonheur me confond, j’ai peur d’en courir les champs. Vous m’aimez ! cela est admirable !

Lisette.

J’aurais lieu à mon tour d’être étonnée de la promptitude de votre hommage. Peut-être m’aimerez-vous moins quand nous nous connaîtrons mieux.

Arlequin.

Ah ! madame, quand nous en serons là, j’y perdrai beaucoup ; il y aura bien à décompter.

Lisette.

Vous me croyez plus de qualités que je n’en ai.

Arlequin.

Et vous, madame, vous ne savez pas les miennes, et je ne devrais vous parler qu’à genoux.

Lisette.

Souvenez-vous qu’on n’est pas les maîtres de son sort.

Arlequin.

Les pères et mères font tout à leur tête.

Lisette.

Pour moi, mon cœur vous aurait choisi, dans quelque état que vous eussiez été.

Arlequin.

Il a beau jeu pour me choisir encore.

Lisette.

Puis-je me flatter que vous soyez de même à mon égard ?

Arlequin.

Hélas ! quand vous ne seriez que Perrette ou Margot ; quand je vous aurais vue, le martinet à la main descendre à la cave, vous auriez toujours été ma princesse.

Lisette.

Puissent de si beaux sentiments être durables !

Arlequin.

Pour les fortifier de part et d’autre, jurons-nous de nous aimer toujours, en dépit de toutes les fautes d’orthographe que vous aurez faites sur mon compte.

Lisette.

J’ai plus d’intérêt à ce serment-là que vous, et je le fais de tout mon cœur.

Arlequin se met à genoux.

Votre bonté m’éblouit et je me prosterne devant elle.

Lisette.

Arrêtez-vous ; je ne saurais vous souffrir dans cette posture-là, je serais ridicule de vous y laisser ; levez-vous. Voilà encore quelqu’un.



Scène VI

LISETTE, ARLEQUIN, SILVIA.
Lisette.

Que voulez-vous, Lisette ?

Silvia.

J’aurais à vous parler, madame.

Arlequin.

Ne voilà-t-il pas ! Eh ! m’amie, revenez dans un quart d’heure ; allez. Les femmes de chambre de mon pays n’entrent point qu’on ne les appelle.

Silvia.

Monsieur, il faut que je parle à madame.

Arlequin.

Mais voyez l’opiniâtre soubrette ! Reine de ma vie, renvoyez-la. Retournez-vous-en, ma fille. Nous avons ordre de nous aimer avant qu’on nous marie ; n’interrompez point nos fonctions.

Lisette.

Ne pouvez-vous pas revenir dans un moment, Lisette ?

Silvia.

Mais, madame…

Arlequin.

Mais ! ce mais-là n’est bon qu’à me donner la fièvre.

Silvia, à part.

Ah le vilain homme ! (Haut.) Madame, je vous assure que cela est pressé.

Lisette.

Permettez donc que je m’en défasse, monsieur.

Arlequin.

Puisque le diable le veut, et elle aussi… patience… je me promènerai en attendant qu’elle ait fait. Ah ! les sottes gens que nos gens !



Scène VII

SILVIA, LISETTE.
Silvia.

Je vous trouve admirable de ne pas le renvoyer tout d’un coup et de me faire essuyer les brutalités de cet animal-là.

Lisette.

Pardi ! madame, je ne puis pas jouer deux rôles à la fois ; il faut que je paraisse ou la maîtresse ou la suivante, que j’obéisse ou que j’ordonne.

Silvia.

Fort bien ; mais puisqu’il n’y est plus, écoutez-moi comme votre maîtresse. Vous voyez bien que cet homme-là ne me convient point.

Lisette.

Vous n’avez pas eu le temps de l’examiner beaucoup.

Silvia.

Êtes-vous folle avec votre examen ? Est-il nécessaire de le voir deux fois pour juger du peu de convenance ? En un mot je n’en veux point. Apparemment mon père n’approuve pas la répugnance qu’il me voit ; car il me fuit et ne me dit mot. Dans cette conjoncture, c’est à vous à me tirer tout doucement d’affaire, en témoignant adroitement à ce jeune homme que vous n’êtes pas dans le goût de l’épouser.

Lisette.

Je ne saurais, madame.

Silvia.

Vous ne sauriez ? Et qu’est-ce qui vous en empêche ?

Lisette.

Monsieur Orgon me l’a défendu.

Silvia.

Il vous l’a défendu ! Mais je ne reconnais point mon père à ce procédé-là !

Lisette.

Positivement défendu.

Silvia.

Eh bien, je vous charge de lui dire mes dégoûts et de l’assurer qu’ils sont invincibles ; je ne saurais me persuader qu’après cela il veuille pousser les choses plus loin.

Lisette.

Mais, madame, le futur, qu’a-t-il donc de si désagréable, de si rebutant ?

Silvia.

Il me déplaît, vous dis-je, et votre peu de zèle aussi.

Lisette.

Donnez-vous le temps de voir ce qu’il est ; voilà tout ce qu’on vous demande.

Silvia.

Je le hais assez, sans prendre du temps pour le haïr davantage.

Lisette.

Son valet, qui fait l’important, ne vous aurait-il point gâté l’esprit sur son compte ?

Silvia.

Hum ! la sotte ! son valet a bien affaire ici !

Lisette.

C’est que je me méfie de lui, car il est raisonneur.

Silvia.

Finissez vos portraits ; on n’en a que faire. J’ai soin que ce valet me parle peu, et dans le peu qu’il m’a dit, il ne m’a jamais rien dit que de très sage.

Lisette.

Je crois qu’il est homme à vous avoir conté des histoires maladroites pour faire briller son bel esprit.

Silvia.

Mon déguisement ne m’expose-t-il pas à m’entendre dire de jolies choses ? À qui en avez-vous ? D’où vous vient la manie d’imputer à ce garçon une répugnance à laquelle il n’a point de part ? Car enfin, vous m’obligez à le justifier ; il n’est pas question de le brouiller avec son maître ni d’en faire un fourbe, pour me faire une imbécile, moi, qui écoute ses histoires.

Lisette.

Oh ! madame, dès que vous le défendez sur ce ton-là, et que cela va jusqu’à vous fâcher, je n’ai plus rien à dire.

Silvia.

Dès que je vous le défends sur ce ton-là ! Qu’est-ce que c’est que le ton dont vous dites cela vous-même ? Qu’entendez-vous par ce discours ? Que se passe-t-il dans votre esprit ?

Lisette.

Je dis, madame, que je ne vous ai jamais vue comme vous êtes et que je ne conçois rien à votre aigreur. Eh bien, si ce valet n’a rien dit, à la bonne heure ; il ne faut pas vous emporter pour le justifier ; je vous crois, voilà qui est fini ; je ne m’oppose pas à la bonne opinion que vous en avez, moi.

Silvia.

Voyez-vous le mauvais esprit ! comme elle tourne les choses ! Je me sens dans une indignation… qui… va jusqu’aux larmes.

Lisette.

En quoi donc, madame ? Quelle finesse entendez-vous à ce que je dis ?

Silvia.

Moi, j’y entends finesse ! moi, je vous querelle pour lui ! j’ai bonne opinion de lui ! Vous me manquez de respect jusque-là ! Bonne opinion, juste ciel ! bonne opinion ! Que faut-il que je réponde à cela ? Qu’est-ce que cela veut dire ? À qui parlez-vous ? Qui est-ce qui est à l’abri de ce qui m’arrive ? Où en sommes-nous ?

Lisette.

Je n’en sais rien ; mais je ne reviendrai de longtemps de la surprise où vous me jetez.

Silvia.

Elle a des façons de parler qui me mettent hors de moi. Retirez-vous, vous m’êtes insupportable ; laissez-moi ; je prendrai d’autres mesures.



Scène VIII

SILVIA, seule.

Je frissonne encore de ce que je lui ai entendu dire. Avec quelle impudence les domestiques ne nous traitent-ils pas dans leur esprit ! Comme ces gens-là vous dégradent ! Je ne saurais m’en remettre ; je n’oserais songer aux termes dont elle s’est servie, ils me font toujours peur. Il s’agit d’un valet ! Ah ! l’étrange chose ! Écartons l’idée dont cette insolente est venue me noircir l’imagination. Voici Bourguignon, voilà cet objet en question pour lequel je m’emporte ; mais ce n’est pas sa faute, le pauvre garçon ! et je ne dois pas m’en prendre à lui.



Scène IX

DORANTE, SILVIA.
Dorante.

Lisette, quelque éloignement que tu aies pour moi, je suis forcé de te parler ; je crois que j’ai à me plaindre de toi.

Silvia.

Bourguignon, ne nous tutoyons plus, je t’en prie.

Dorante.

Comme tu voudras.

Silvia.

Tu n’en fais pourtant rien.

Dorante.

Ni toi non plus ; tu me dis : je t’en prie.

Silvia.

C’est que cela m’est échappé.

Dorante.

Eh bien, crois-moi, parlons comme nous pourrons ; ce n’est pas la peine de nous gêner pour le peu de temps que nous avons à nous voir.

Silvia.

Est-ce que ton maître s’en va ? Il n’y aurait pas grande perte.

Dorante.

Ni à moi non plus, n’est-il pas vrai ? J’achève ta pensée.

Silvia.

Je l’achèverais bien moi-même, si j’en avais envie ; mais je ne songe pas à toi.

Dorante.

Et moi, je ne te perds point de vue.

Silvia.

Tiens, Bourguignon, une bonne fois pour toutes, demeure, va-t’en, reviens, tout cela doit m’être indifférent, et me l’est en effet ; je ne te veux ni bien ni mal ; je ne te hais, ni ne t’aime, ni ne t’aimerai, à moins que l’esprit ne me tourne. Voilà mes dispositions ; ma raison ne m’en permet point d’autres, et je devrais me dispenser de te le dire.

Dorante.

Mon malheur est inconcevable. Tu m’ôtes peut-être tout le repos de ma vie.

Silvia.

Quelle fantaisie il s’est allé mettre dans l’esprit ! Il me fait de la peine. Reviens à toi. Tu me parles, je te réponds ; c’est beaucoup, c’est trop même ; tu peux m’en croire, et, si tu étais instruit, en vérité, tu serais content de moi ; tu me trouverais d’une bonté sans exemple, d’une bonté que je blâmerais dans une autre. Je ne me la reproche pourtant pas ; le fond de mon cœur me rassure, ce que je fais est louable. C’est par générosité que je te parle ; mais il ne faut pas que cela dure ; ces générosités-là ne sont bonnes qu’en passant, et je ne suis pas faite pour me rassurer toujours sur l’innocence de mes intentions ; à la fin, cela ne ressemblerait plus à rien. Ainsi, finissons, Bourguignon ; finissons, je t’en prie. Qu’est-ce que cela signifie ? c’est se moquer ; allons, qu’il n’en soit plus parlé.

Dorante.

Ah ! ma chère Lisette, que je souffre !

Silvia.

Venons à ce que tu voulais me dire. Tu te plaignais de moi quand tu es entré ; de quoi était-il question ?

Dorante.

De rien, d’une bagatelle ; j’avais envie de te voir, et je crois que je n’ai pris qu’un prétexte.

Silvia, à part.

Que dire à cela ? Quand je m’en fâcherais, il n’en serait ni plus ni moins.

Dorante.

Ta maîtresse, en partant, a paru m’accuser de t’avoir parlé au désavantage de mon maître.

Silvia.

Elle se l’imagine ; et, si elle t’en parle encore, tu peux le nier hardiment ; je me charge du reste.

Dorante.

Eh, ce n’est pas cela qui m’occupe !

Silvia.

Si tu n’as que cela à me dire, nous n’avons plus que faire ensemble.

Dorante.

Laisse-moi du moins le plaisir de te voir.

Silvia.

Le beau motif qu’il me fournit là ! J’amuserai la passion de Bourguignon ! Le souvenir de tout ceci me fera bien rire un jour.

Dorante.

Tu me railles, tu as raison ; je ne sais ce que je dis, ni ce que je te demande. Adieu.

Silvia.

Adieu, tu prends le bon parti… Mais, à propos de tes adieux, il me reste encore une chose à savoir. Vous partez, m’as-tu dit ; cela est-il sérieux ?

Dorante.

Pour moi il faut que je parte ou que la tête me tourne.

Silvia.

Je ne t’arrêtais pas pour cette réponse-là, par exemple.

Dorante.

Et je n’ai fait qu’une faute ; c’est de n’être pas parti dès que je t’ai vue.

Silvia, à part.

J’ai besoin à tout moment d’oublier que je l’écoute.

Dorante.

Si tu savais, Lisette, l’état où je me trouve…

Silvia.

Oh ! il n’est pas si curieux à savoir que le mien, je t’en assure.

Dorante.

Que peux-tu me reprocher ? Je ne me propose pas de te rendre sensible.

Silvia, à part.

Il ne faudrait pas s’y fier.

Dorante.

Et que pourrais-je espérer en tâchant de me faire aimer ? Hélas ! quand même je posséderais ton cœur…

Silvia.

Que le ciel m’en préserve ! quand tu le posséderais, tu ne le saurais pas ; et je ferais si bien que je ne le saurais pas moi-même. Tenez, quelle idée il lui vient là !

Dorante.

Il est donc bien vrai que tu ne me hais, ni ne m’aimes, ni ne m’aimeras ?

Silvia.

Sans difficulté.

Dorante.

Sans difficulté ! Qu’ai-je donc de si affreux ?

Silvia.

Rien ; ce n’est pas là ce qui te nuit.

Dorante.

Eh bien ! chère Lisette, dis-le-moi cent fois, que tu ne m’aimeras point.

Silvia.

Oh ! je te l’ai assez dit ; tâche de me croire.

Dorante.

Il faut que je croie ! Désespère une passion dangereuse, sauve-moi des effets que j’en crains ; tu ne me hais, ni ne m’aimes, ni ne m’aimeras ; accable mon cœur de cette certitude-là. J’agis de bonne foi, donne-moi du secours contre moi-même ; il m’est nécessaire, je te le demande à genoux.

(Il se jette à genoux. Dans ce moment, M. Orgon et Mario entrent et ne disent mot.)



Scène X

MONSIEUR ORGON, MARIO, SILVIA, DORANTE.
Silvia.

Ah ! nous y voilà ! il ne manquait plus que cette façon-là à mon aventure. Que je suis malheureuse ! c’est ma facilité qui le place là. Lève-toi donc, Bourguignon, je t’en conjure ; il peut venir quelqu’un. Je dirai ce qu’il te plaira ; que me veux-tu ? je ne te hais point. Lève-toi ; je t’aimerais, si je pouvais ; tu ne me déplais point ; cela doit te suffire.

Dorante.

Quoi ! Lisette, si je n’étais pas ce que je suis, si j’étais riche, d’une condition honnête, et que je t’aimasse autant que je t’aime, ton cœur n’aurait point de répugnance pour moi ?

Silvia.

Assurément.

Dorante.

Tu ne me haïrais pas ? Tu me souffrirais ?

Silvia.

Volontiers. Mais lève-toi.

Dorante.

Tu parais le dire sérieusement, et, si cela est, ma raison est perdue.

Silvia.

Je dis ce que tu veux, et tu ne te lèves point.

Monsieur Orgon, s’approchant

C’est bien dommage de vous interrompre ; cela va à merveille, mes enfants ; courage !

Silvia.

Je ne saurais empêcher ce garçon de se mettre à genoux, monsieur. Je ne suis pas en état de lui en imposer, je pense.

Monsieur Orgon.

Vous vous convenez parfaitement bien tous deux ; mais j’ai à te dire un mot, Lisette, et vous reprendrez votre conversation quand nous serons partis. Vous le voulez bien, Bourguignon ?

Dorante.

Je me retire, monsieur.

Monsieur Orgon.

Allez, et tâchez de parler de votre maître avec un peu plus de ménagement que vous ne faites.

Dorante.

Moi, monsieur !

Mario.

Vous-même, monsieur Bourguignon ; vous ne brillez pas trop dans le respect que vous avez pour votre maître, dit-on.

Dorante.

Je ne sais ce qu’on veut dire.

Monsieur Orgon.

Adieu, adieu ; vous vous justifierez une autre fois.



Scène XI

SILVIA, MONSIEUR ORGON, MARIO.
Monsieur Orgon.

Eh bien, Silvia, vous ne nous regardez pas ; vous avez l’air tout embarrassé.

Silvia.

Moi, mon père ! et où serait le motif de mon embarras ? Je suis, grâce au ciel, comme à mon ordinaire ; je suis fâchée de vous dire que c’est une idée.

Mario.

Il y a quelque chose, ma sœur, il y a quelque chose.

Silvia.

Quelque chose dans votre tête, à la bonne heure, mon frère ; mais, dans la mienne, il n’y a que l’étonnement de ce que vous dites.

Monsieur Orgon.

C’est donc ce garçon qui vient de sortir qui t’inspire cette extrême antipathie que tu as pour son maître ?

Silvia.

Qui ? le domestique de Dorante ?

Monsieur Orgon.

Le galant Bourguignon.

Silvia.

Le galant Bourguignon, dont je ne savais pas l’épithète, ne me parle pas de lui.

Monsieur Orgon.

Cependant, on prétend que c’est lui qui le détruit auprès de toi, et c’est sur quoi j’étais bien aise de te parler.

Silvia.

Ce n’est pas la peine, mon père ; personne au monde que son maître ne m’a donné l’aversion naturelle que j’ai pour lui.

Mario.

Ma foi ! tu as beau dire, ma sœur ; elle est trop forte pour être si naturelle, et quelqu’un y a aidé.

Silvia, avec vivacité.

Avec quel air mystérieux vous me dites cela, mon frère ! Et qui est donc ce quelqu’un qui y a aidé ? Voyons.

Mario.

Dans quelle humeur es-tu, ma sœur ? Comme tu t’emportes !

Silvia.

C’est que je suis bien lasse de mon personnage, et je me serais déjà démasquée, si je n’avais pas craint de fâcher mon père.

Monsieur Orgon.

Gardez-vous-en bien, ma fille ; je viens ici pour vous le recommander. Puisque j’ai eu la complaisance de vous permettre votre déguisement, il faut, s’il vous plaît, que vous ayez celle de suspendre votre jugement sur Dorante, et de voir si l’aversion qu’on vous a donnée pour lui est légitime.

Silvia.

Vous ne m’écoutez donc point, mon père ? Je vous dis qu’on ne me l’a point donnée.

Mario.

Quoi ! ce babillard qui vient de sortir ne t’a pas un peu dégoûtée de lui ?

Silvia, avec feu.

Que vos discours sont désobligeants ! m’a dégoûtée de lui ! dégoûtée ! J’essuie des expressions bien étranges ; je n’entends plus que des choses inouïes, qu’un langage inconcevable ; j’ai l’air embarrassé, il y a quelque chose ; et puis c’est le galant Bourguignon qui m’a dégoûtée. C’est tout ce qu’il vous plaira, mais je n’y entends rien.

Mario.

Pour le coup, c’est toi qui es étrange. À qui en as-tu donc ? D’où vient que tu es si fort sur le qui-vive ? Dans quelle idée nous soupçonnes-tu ?

Silvia.

Courage, mon frère ! Par quelle fatalité aujourd’hui ne pouvez-vous me dire un mot qui ne me choque ? Quel soupçon voulez-vous qui me vienne ? Avez-vous des visions ?

Monsieur Orgon.

Il est vrai que tu es si agitée que je ne te reconnais point non plus. Ce sont apparemment ces mouvements-là qui sont cause que Lisette nous a parlé comme elle a fait. Elle accusait ce valet de ne t’avoir pas entretenue à l’avantage de son maître, et, « madame, nous a-t-elle dit, l’a défendu contre moi avec tant de colère que j’en suis encore toute surprise ». C’est sur ce mot de surprise que nous l’avons querellée ; mais ces gens-là ne savent pas la conséquence d’un mot.

Silvia.

L’impertinente ! y a-t-il rien de plus haïssable que cette fille-là ? J’avoue que je me suis fâchée par un esprit de justice pour ce garçon.

Mario.

Je ne vois point de mal à cela.

Silvia.

Y a-t-il rien de plus simple ? Quoi ! parce que je suis équitable, que je veux qu’on ne nuise à personne, que je veux sauver un domestique du tort qu’on peut lui faire auprès de son maître, on dit que j’ai des emportements, des fureurs dont on est surprise ! Un moment après un mauvais esprit raisonne ; il faut se fâcher, il faut la faire taire, et prendre mon parti contre elle, à cause de la conséquence de ce qu’elle dit ! Mon parti ! J’ai donc besoin qu’on me défende, qu’on me justifie ! On peut donc mal interpréter ce que je fais ! Mais que fais-je ? de quoi m’accuse-t-on ? Instruisez-moi, je vous en conjure ; cela est sérieux. Me joue-t-on ? se moque-t-on de moi ? Je ne suis pas tranquille.

Monsieur Orgon.

Doucement donc.

Silvia.

Non, monsieur, il n’y a point de douceur qui tienne. Comment donc ! des surprises, des conséquences ! Eh ! qu’on s’explique ! que veut-on dire ? On accuse ce valet, et on a tort ; vous vous trompez tous, Lisette est une folle, il est innocent, et voilà qui est fini. Pourquoi donc m’en reparler encore ? Je suis outrée !

Monsieur Orgon.

Tu te retiens, ma fille ; tu aurais grande envie de me quereller aussi. Mais, faisons mieux ; il n’y a que ce valet qui est suspect ici, Dorante n’a qu’à le chasser.

Silvia.

Quel malheureux déguisement ! Surtout que Lisette ne m’approche pas ; je la hais plus que Dorante.

Monsieur Orgon.

Tu la verras, si tu veux ; mais tu dois être charmée que ce garçon s’en aille ; car il t’aime, et cela t’importune assurément.

Silvia.

Je n’ai point à m’en plaindre ; il me prend pour une suivante, et il me parle sur ce ton-là ; mais il ne me dit pas ce qu’il veut, j’y mets bon ordre.

Mario.

Tu n’en es pas tant la maîtresse que tu le dis bien.

Monsieur Orgon.

Ne l’avons-nous pas vu se mettre à genoux malgré toi ? N’as-tu pas été obligée, pour le faire lever, de lui dire qu’il ne te déplaisait pas ?

Silvia, à part.

J’étouffe !

Mario.

Encore a-t-il fallu, quand il t’a demandé si tu l’aimerais, que tu aies tendrement ajouté : « volontiers » ; sans quoi il y serait encore.

Silvia.

L’heureuse apostille, mon frère ! Mais comme l’action m’a déplu, la répétition n’en est pas aimable. Ah çà, parlons sérieusement, quand finira la comédie que vous vous donnez sur mon compte ?

Monsieur Orgon.

La seule chose que j’exige de toi, ma fille, c’est de ne te déterminer à le refuser qu’avec connaissance de cause. Attends encore ; tu me remercieras du délai que je demande ; je t’en réponds.

Mario.

Tu épouseras Dorante, et même avec inclination, je te le prédis… Mais, mon père, je vous demande grâce pour le valet.

Silvia.

Pourquoi grâce ? et moi, je veux qu’il sorte.

Monsieur Orgon.

Son maître en décidera ; allons-nous-en.

Mario.

Adieu, adieu ma sœur ; sans rancune !



Scène XII

SILVIA seule ; DORANTE, qui vient peu après.
Silvia.

Ah, que j’ai le cœur serré ! Je ne sais ce qui se mêle à l’embarras où je me trouve ; toute cette aventure-ci m’afflige : je me défie de tous les visages ; je ne suis contente de personne, je ne le suis pas de moi-même.

Dorante.

Ah ! je te cherchais, Lisette.

Silvia.

Ce n’était pas la peine de me trouver, car je te fuis, moi.

Dorante, l’empêchant de sortir.

Arrête donc, Lisette ; j’ai à te parler pour la dernière fois ; il s’agit d’une chose de conséquence qui regarde tes maîtres.

Silvia.

Va la dire à eux-mêmes ; je ne te vois jamais que tu ne me chagrines ; laisse-moi.

Dorante.

Je t’en offre autant ; mais écoute-moi, te dis-je ; tu vas voir les choses bien changer de face par ce que je te vais dire.

Silvia.

Eh bien, parle donc ; je t’écoute, puisqu’il est arrêté que ma complaisance pour toi sera éternelle.

Dorante.

Me promets-tu le secret ?

Silvia.

Je n’ai jamais trahi personne.

Dorante.

Tu ne dois la confidence que je vais te faire, qu’à l’estime que j’ai pour toi.

Silvia.

Je le crois ; mais tâche de m’estimer sans me le dire, car cela sent le prétexte.

Dorante.

Tu te trompes, Lisette ; tu m’as promis le secret ; achevons. Tu m’as vu dans de grands mouvements ; je n’ai pu me défendre de t’aimer.

Silvia.

Nous y voilà ; je me défendrai bien de t’entendre, moi ; adieu.

Dorante.

Reste ; ce n’est plus Bourguignon qui te parle.

Silvia.

Eh ! qui es-tu donc ?

Dorante.

Ah, Lisette ! C’est ici où tu vas juger des peines qu’a dû ressentir mon cœur.

Silvia.

Ce n’est pas à ton cœur que je parle, c’est à toi.

Dorante.

Personne ne vient-il ?

Silvia.

Non.

Dorante.

L’état où sont toutes les choses me force à te le dire, je suis trop honnête homme pour n’en pas arrêter le cours.

Silvia.

Soit.

Dorante.

Sache que celui qui est avec ta maîtresse n’est pas ce qu’on pense.

Silvia, vivement.

Qui est-il donc ?

Dorante.

Un valet.

Silvia.

Après ?

Dorante.

C’est moi qui suis Dorante

Silvia, à part.

Ah ! je vois clair dans mon cœur.

Dorante.

Je voulais sous cet habit pénétrer un peu ce que c’était que ta maîtresse, avant de l’épouser. Mon père, en partant, me permit ce que j’ai fait, et l’événement m’en paraît un songe. Je hais la maîtresse dont je devais être l’époux, et j’aime la suivante qui ne devait trouver en moi qu’un nouveau maître. Que faut-il que je fasse à présent ? Je rougis pour elle de le dire, mais ta maîtresse a si peu de goût qu’elle est éprise de mon valet au point qu’elle l’épousera si on la laisse faire. Quel parti prendre ?

Silvia, à part.

Cachons-lui qui je suis… (Haut.) Votre situation est neuve assurément ! Mais, monsieur, je vous fais d’abord mes excuses de tout ce que mes discours ont pu avoir d’irrégulier dans nos entretiens.

Dorante, vivement.

Tais-toi, Lisette ; tes excuses me chagrinent, elles me rappellent la distance qui nous sépare, et ne me la rendent que plus douloureuse.

Silvia.

Votre penchant pour moi est-il si sérieux ? M’aimez-vous jusque-là ?

Dorante.

Au point de renoncer à tout engagement puisqu’il ne m’est pas permis d’unir mon sort au tien ; et, dans cet état, la seule douceur que je pouvais goûter, c’était de croire que tu ne me haïssais pas.

Silvia.

Un cœur qui m’a choisie dans la condition où je suis est assurément bien digne qu’on l’accepte, et je le payerais volontiers du mien si je ne craignais pas de le jeter dans un engagement qui lui ferait tort.

Dorante.

N’as-tu pas assez de charmes, Lisette ? y ajoutes-tu encore la noblesse avec laquelle tu me parles ?

Silvia.

J’entends quelqu’un. Patientez encore sur l’article de votre valet ; les choses n’iront pas si vite ; nous nous reverrons, et nous chercherons les moyens de vous tirer d’affaire.

Dorante.

Je suivrai tes conseils. (Il sort.)

Silvia.

Allons, j’avais grand besoin que ce fût là Dorante.



Scène XIII

SILVIA, MARIO.
Mario.

Je viens te retrouver, ma sœur. Nous t’avons laissée dans des inquiétudes qui me touchent ; je veux t’en tirer, écoute-moi.

Silvia, vivement.

Ah vraiment, mon frère, il y a bien d’autres nouvelles !

Mario.

Qu’est-ce que c’est ?

Silvia.

Ce n’est point Bourguignon, mon frère ; c’est Dorante.

Mario.

Duquel parlez-vous donc ?

Silvia.

De lui, vous dis-je ; je viens de l’apprendre tout à l’heure. Il sort ; il me l’a dit lui-même.

Mario.

Qui donc ?

Silvia.

Vous ne m’entendez donc pas ?

Mario.

Si j’y comprends rien, je veux mourir.

Silvia.

Venez, sortons d’ici ; allons trouver mon père, il faut qu’il le sache. J’aurai besoin de vous aussi, mon frère. Il me vient de nouvelles idées ; il faudra feindre de m’aimer. Vous en avez déjà dit quelque chose en badinant ; mais surtout gardez bien le secret, je vous en prie…

Mario.

Oh ! je le garderai bien, car je ne sais ce que c’est.

Silvia.

Allons, mon frère, venez ; ne perdons point de temps. Il n’est jamais rien arrivé d’égal à cela.

Mario.

Je prie le ciel qu’elle n’extravague pas.



  1. L’acteur qui joue Dorante donne une coup de pied dans le derrière à son valet, pendant que Lisette ne les voit pas.