Le Jardin du Silence et la Ville du Roy/I/N’ayez souci de mon émoi…



IX


            N’ayez souci de mon émoi
            Et ne veuillez être que belle.
            Ce n’est votre cœur mais vos ailes
            Que je veux garder contre moi.

            Demande-t-on à la fontaine
            Plus que son eau vive ? Au jardin
            Plus que ses roses ? Au matin
            Plus que sa clarté ? De ma peine


            N’ayez souci. Mettez du fard
            À votre bouche qui m’emporte,
            Embaumez-vous comme une morte
            Dont l’âme n’a plus de regards.

            Aurais-je attendu les vendanges
            Pour ne pas cueillir les raisins ?
            J’ai vu battre vos jeunes seins,
            J’ai dépouillé la robe orange

            Que vous portiez dans cette nuit
            Si limpide et si tourmentée !
            Lorsque vous vous êtes levée
            Je n’avais que le goût d’un fruit.

            Ainsi restez puisque la vie
            Vous fit servante du plaisir ;
            N’ayez souci de devenir
            Autre chose que cette amie

            De l’ombre qui veut un flambeau.
            N’ayez souci que de vous même,
            N’ayez souci que l’on vous aime
            Plus profondément qu’il ne faut.


            Riez, fuyante courtisane,
            Messagère de volupté !
            Quand les temps auront emporté
            Votre jeunesse qui me damne,

            Vous vous souviendrez de mes bras
            Qui vous mentent et vous supplient
            Et vous songerez à Marie
            Que Pierre Ronsard célébra.