Le Jardin des dieux/Sous l’œil des hublots/Nostalgie

Le Jardin des dieuxEugène Fasquelle (p. 259-262).



NOSTALGIE



Oh ! ne plus rêver, mais vivre,
Mais sortir de ce sommeil ;
Comme la bête se livre
Offrir sa chair au soleil !

Là-bas, un grand port balance
Des mâts, du feu, des couleurs.
Écoute dans son silence
Jaillir l’appel des ailleurs.


Laisse-toi prendre à la toile
Que tendent sur l’horizon
Les cordages pleins d’étoiles.
— Dis, là-bas, que de frissons !

Ô berceuse des mâtures,
Odeur des vieilles Ceylan !
Nous dénouerons la ceinture
Du Zodiaque brûlant.

Là-bas, c’est le risque immense,
Le sang plus vite bondi,
Ce sont les chaudes démences
Et le démon de midi.

Ce sont d’autres simagrées
Plus redoutables encor…
Ô solitudes tigrées
Où l’Amour cherche la Mort !


Là, plénitudes physiques,
Loin des comptoirs et des bars
Nous trouverons des musiques
Plus fortes que des regards,

Et, dans les nuits de phosphore,
Sous les caoutchoucs cuivreux,
Elles brasseront, sonores,
Notre sang riche et fiévreux.

Allons, l’ennui s’effiloche…
Entends-tu le cri que font
Les sirènes et les cloches
Au bord des risques profonds ?

Signe au bas de cette feuille
Tes congés et tes adieux,
Vois comme la mer t’accueille
De ses gongs mélodieux.


N’hésite plus à la porte
Des horizons enchantés,
Et que le diable t’emporte
Vers de noires voluptés !