Le Jardin des dieux/Sous l’œil des hublots/Massilia

Le Jardin des dieuxEugène Fasquelle (p. 266-269).



MASSILIA



Ô vieux port embrouillé de fils comme pelote,
            Où les clairs mouchoirs de l’adieu
Devant les yeux blasés et calmes des pilotes
            Flottent si blancs dans l’air plus bleu,

Vieux port qui sens le sel, les algues et les huîtres,
            Toi qui branlant, ridé, bruni,
Chaque soir en rêvant mêles aux vieilles vitres
            Tant de cuivre et tant d’infini,


Voici la rue ombreuse et fraîche où tu roucoules
            — Mandolines, accordéons —
Tandis que, séculaire, au clocher des Accoules
            L’heure sonne sur tes balcons.

Voici devant tes seuils où les vieillards se taisent
            Plus boucanés que leur culot,
Ton œillade espagnole et tes grâces maltaises,
            Ton tambourin et tes grelots.

Que la mer secouant ton vieux môle déferle…
            Ici, c’est en gilet à fleurs
Derrière son rideau de bambou et de perles
            Le barbier, ce gras enjôleur.

C’est l’oiselier qui traite avec les capitaines,
            C’est le soutier nègre ou chinois
Qui dans le bar puant boit des liqueurs lointaines
            En pensant à ses dieux de bois.


C’est le jeune gabier vendant sa pacotille
            Pour aller voir dans les tripots
La fille aux bas flambants dont l’œil brûle et pétille
            Et qui montre toute sa peau.

Ce sont tes vieux hôtels derrière les platanes
            Où, sur les dauphins familiers,
La sirène accoudée a l’air d’une sultane
            Lourde de fruits et de colliers…

Là, tu pinces pour moi tes ronflantes guitares,
            Là, tu laisses sur l’indigo
Flotter, rouges ainsi que des drapeaux barbares,
            Les mantilles du fandango.

Une main sur la hanche, en silence, tu tangues ;
            Tes jupons gonflent leur ballon.
Je t’entends renforcer à tes appels de langue
            Le claquement de tes talons.


Ton écharpe s’allume à travers les fumées
            Où je vois ta peau se rosir
Et les tambours chauffés aux paumes animées
            Semblent le pouls de ton plaisir !

Puis, tu rêves au fond de tes fraîches ruelles
            Contre le store où tu posas
D’une main paresseuse aux grâces sensuelles
            Le citron sur l’alcarazas,

Guettant en récitant ton chapelet d’olives,
            Toute tremblante de ton vœu,
Celui qui va tigrer tes prunelles pensives
            De son maillot rayé de bleu.