Le Jardin des dieux/Sous l’œil des hublots/Le Retour des marchands
LE RETOUR DES MARCHANDS
Nous t’acclamons, Marseille, assise sous ton arbre,
Le bel olivier argenté,
Blanche et pareille au fond de ta chaise de marbre
À la déesse de l’Été.
Tu domines du front le bronze des balustres
D’où, nous tes fils, nous t’exaltons,
Et l’émail de la mer timbre ta chaise illustre
D’une guirlande de tritons.
Pour te fêter, sur nous flotte l’azur arabe,
Le bleu des mers grecques, l’éclat
Des longues îles d’or peintes sur l’astrolabe
Et que notre course encercla.
Pensifs, nous t’apportons, rois de la mer foncée
Où l’aube allume les requins,
La suave couleur des printemps de Phocée
Avec les saphirs africains.
Devant toi, nous voici, nous, les marchands sagaces,
En bonnets d’or sur nos balcons ;
Et, fiers d’avoir dompté la trombe et les sargasses,
Taciturnes, nous débarquons.
Nous débarquons, fiévreux, sous nos lourdes pelisses,
Des pépites dans nos barils,
Las d’avoir affronté des mers rondes et lisses
Et plus brûlantes que des grils.
Nos yeux ont contemplé Byzance et Trébizonde
Et sur nos brigantins adroits
Nous avons pu toucher, ô Marseille, le monde
Aux plus secrets de ses endroits.
Il nous suffit, au fond de nos chambres de poupe,
De fermer les yeux pour revoir
Les pachas plus sanglants dans leurs coussins de pourpre
Que les grands nuages du soir.
Et pour goûter avec une âpre frénésie
Devant nos lits d’aventuriers
L’odorant souvenir des jardins où l’Asie
Mêle la colombe aux lauriers.
Maintenant, nous voici ; notre équipage danse
Autour de tes arbres fleuris
Et notre or alourdit tes cornes d’abondance
Et dans ta chaise tu souris.
La mer qui vient lécher ta sandale s’est tue
Autour de nos rouges vaisseaux ;
Les lanternes de poupe au poing de leurs statues
Attestent son suprême assaut.
Dans ton hôtel, déjà, l’intendant des galères
En habit brodé nous attend…
Vers toi, nous hausserons encor nos coupes claires
Avec un vivat éclatant,
Tandis que les valets de nos oiselleries
Feront crier et se bouffir
Et s’agiter dans l’or de leurs plumes fleuries
Les lointains oiseaux de saphir.
Voici. Les négrillons dont l’aigrette brandille
À chaque pas sur le turban
T’apportent la goyave avec la grenadille
Gonflés de soleil et flambant.
On débarque déjà la cargaison qui brille
Et nous, pieux, nous déposons
Les cartes, le compas et cette arbalestrille
Qui mesura tant d’horizons.
Et nos mains, pour prouver le péril de nos œuvres,
Ajoutent à notre butin,
Au milieu des joyaux et de l’or, cette pieuvre
Que nous trouvâmes, un matin,
Au sortir d’une mer fabuleuse et fétide
Où la poupe entière plongeait,
Collée aux seins dorés de la cariatide
Que sculpta le jeune Puget !