Le Jardin des dieux/Le Golfe entre les palmes/Les Jardins de la mer

Le Jardin des dieuxEugène Fasquelle (p. 127-130).
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LES JARDINS DE LA MER



Jardins qui vous gonflez comme une chevelure
Sous les bleus diamants du Lynx et des Gémeaux,
Je vous revois, j’aspire enfin votre salure,
Voici l’argent furtif de vos pâles émaux.

Des lichens étalant leurs glauques broderies
Allument sous la mer les blêmes escaliers,
Ô marbres submergés, ô terrasses d’où crie
La Chimère vaincue enlevant ses colliers…


Vos palmes, mollement, comme des fruits multiples
Bercent d’un vent lointain les constellations
Tandis que, parmi vous arrêtant mes périples,
J’avance, seul et triste, avec mes passions.

Vais-je enfin, pur silence, immobile rivage,
Parmi tant de splendeur et de sérénité
Contenir les appels de leur meute sauvage
Dont le tumulte en moi ne cesse de monter ?

Ici, rien n’a changé de l’horizon que j’aime,
Des phosphores sur l’eau commencent à frémir
Et la mer beylicale est une immense gemme
Où je revois brûler le trésor des émirs.

Par moments, un éclair traverse la soirée
Comme si, tout chargé de l’extase des nuits,
Le Silence entr’ouvrant sa robe déchirée
Montrait son corps stellaire aux jardins éblouis.


— Ô mes jardins marins, parterres dont les plantes
Sont de tranchants couteaux cachés parmi les fleurs,
Vous êtes devant moi la coupe étincelante
Où je veux boire encore un philtre ensorceleur.

La mer qui vous habite et qui vous rend sonores
Me parle, en argentant vos marbres éloquents,
De Jason qui chemine à côté du Centaure
Et des conques sonnant aux bouches des bacchants.

Sous l’averse de fleurs qui tombe des lianes
Pour sacrer de parfums la danse des jets d’eau,
Les tigres bleus de lune entourent Ariane
Dont la mélancolie est un royal fardeau.

La brise naxiote en suaves bouffées
M’apporte une musique où mon ennui faiblit,
Et d’un tillac lointain j’entends la voix d’Orphée
Répandre sur la mer un somptueux oubli.


Ainsi parmi vos fleurs toute ma chair s’allège.
Les buccins de Bacchus sonnent, stridents d’amour,
Ils mêlent à la nuit leur puissant sortilège
Et les harpes d’Armide enchantent mon retour.