Le Jardin des dieux/Le Golfe entre les palmes/Le soleil rouge entr’ouvre…

Le Jardin des dieuxEugène Fasquelle (p. 163-165).



LE SOLEIL ROUGE ENTR’OUVRE…



Le soleil rouge entr’ouvre une voûte élargie
Par où l’on voit flamber une autre immensité.
Jetant aux murs sanglants son cri répercuté,
Un clairon militaire heurte sa nostalgie
Aux canons turcs debout devant l’Amirauté.

Ô ville lumineuse, ô port bleu, tu t’enlises ;
Un suprême rayon te couvre de splendeur
Et les rouges steamers fument près des balises
Et les dragues, là-bas, le pâle transbordeur
Élèvent sur la mer des fantômes d’églises.


Quand le soleil s’abat sous son porche écroulé,
Tout s’embrase, les eaux ruissellent de phosphore,
Et tandis que le ciel d’étoiles se perfore,
Comme l’esprit dément du Silence installé
Des signes inconnus hantent le sémaphore.

Ils semblent appeler silencieusement
La nuit que leur attente anxieuse interroge…
Des rails luisent encore au fond d’un dock fumant,
Vers les gares, je ne sais où, sonne une horloge,
Une sirène souffre inexprimablement.

— Ports lointains, ports plus beaux que les plus beaux voyages
De quelle inévitable et forte anxiété
Atteignez-vous déjà ce cœur où n’est resté
Que le clair souvenir de vos appareillages
Et des pontons mordus d’iode et de clarté ?


Quand je reviens vers vous après ma longue absence,
Empire de la pourpre et des chaudes couleurs,
Toute votre splendeur fastueuse m’encense
D’orange, de goudron, de jasmin et d’essence,
Et vos horloges ont d’attirantes pâleurs.

Les ponts, les cabestans, les cordages, les voiles
Comblent mes yeux baignés d’un horizon vermeil,
Et pour m’atteindre alors au plus profond des moelles,
Une sirène élève aux premières étoiles
L’adieu désespéré de la mer au soleil !

Ah ! j’entendrai toujours gronder vos docks de fonte
Et la mer ébranler leurs murailles, tandis
Qu’au-dessus de vos mâts et de vos treuils brandis
— Comme aux soirs triomphaux de Tyr et d’Amathonte —
La lune lourde, jaune, énorme et lente, monte…