Le Jardin des dieux/Le Clair de lune dans les ruines/Timgad

Le Jardin des dieuxEugène Fasquelle (p. 203-205).



TIMGAD



Ami, te souviens-tu ? Déjà, depuis longtemps,
Du haut de nos chevaux harcelés par les mouches,
Nous regardions tourner cette plaine farouche
Où s’allumaient encor des restes éclatants.

La route s’étendait, large, nue et sans arbres
Et le bronze et la gloire entraient dans sa couleur
Et nous, de blanc vêtus et couverts de pâleur,
Sur nos chevaux obscurs étions tels que des marbres.


De longs cirrus rayaient le bas du ciel ainsi
Que court la pourpre au bord des toges consulaires
Tandis que d’une sourde et lointaine colère,
D’heure en heure, grondait l’horizon obscurci.

Qu’allions-nous rencontrer au delà de Lambèse
Dont le prétoire obscur fuyait derrière nous ?…
Et nos chevaux, pressés des talons aux genoux,
Sentaient leur sang brûler à notre obscur malaise.

Par moments, sur le seuil des campements épars
Où les bêtes tiraient sur le piquet des tentes,
Des vieillardes, debout, en robes éclatantes,
Nous indiquaient du doigt la route des Césars.

Ô voie inoubliable où la Soif et la Fièvre,
En croupe, nous serraient de leurs bras amaigris…
Un aigle tournoya sur nous, mais pas un cri
Pour saluer son vol ne sortit de nos lèvres.


À l’horizon fumant où son feu se cachait
Tel un héros vaincu qui cède et qui recule,
L’orage se mêlant au fauve crépuscule
Apprêtait au soleil un monstrueux bûcher.

Alors, sous ce ciel morne où l’air même somnole
Et que semble accabler un éternel remords,
Tu surgis, ô Timgad, blême comme la mort,
Pareille à quelque immense et triste nécropole.

Et comme, brusquement, sur ton cirque désert
Le tonnerre ébranla tes pierres les plus fortes,
Je compris, tout à coup, que je touchais tes portes
À ce rouge nuage où grondait Jupiter.