Le Jardin des dieux/Le Clair de lune dans les ruines/Les Colonnes

Le Jardin des dieuxEugène Fasquelle (p. 213-214).



LES COLONNES



Irrespirable vent, solitude embrasée…
Là-bas, monte l’appel désespéré d’un treuil,
          Comme si le cri de l’orgueil
Persistait à travers tant de grandeur brisée !

Une fraîche statue à la clarté surgie
Semble sourire encore à l’azur retrouvé :
Oh ! cette aisselle bleue et ce beau bras levé…
Est-ce du sang des dieux que la terre est rougie ?

Le vent du Sud, le vent venu des gorges rudes
Et du désert perdu sous les sables brûlants,
          Le vent, d’un inlassable élan,
Remplit d’un bruit de mer l’immense solitude.


Il s’engouffre aux tombeaux où la Mort même est morte
Et sonne aux bains déserts où nous nous réfugions.
Un épervier lointain plane au-dessus des portes :
          Ô Rome, où sont tes légions ?

Et, tièdes d’un passé grandiose, accablées,
Toutes, de leur pâleur tragique d’ossement,
Immobiles, là-bas, dans leur isolement,
— Ô douloureux cortège, ô livide assemblée —

Les colonnes debout en face de la nuit,
          Contre l’azur impérissable,
Dans ce cirque où le vent seul exalte son bruit
          Mêlé de lumière et de sable,

Tes colonnes partout, ô Timgad, se levant
Du forum au théâtre et du temple au prétoire,
Taciturnes témoins que délègue l’histoire,
Laissent leurs pierres d’or me parler dans le vent.