Le Jardin des dieux/Le Chapelet de jasmin/Le Doreur de coffres

Le Jardin des dieuxEugène Fasquelle (p. 61-62).



LE DOREUR DE COFFRES



Humble magicien, maigre doreur de coffres,
La lampe fait brûler les trésors que tu m’offres
Sous la voûte où j’ai vu lorsque tu t’es courbé
Sous l’énorme turban luire ton front bombé.
Tout le jour, ô vieillard accroupi, tu révèles
Des œillets monstrueux et des roses nouvelles
Et dans l’ombre vivante éblouie à jamais
Tu ne t’étonnes pas des fleurs que tu commets.
Ta main s’ouvre et voici qu’un rossignol se pose,
Extasié, devant la plus ardente rose,

Ta main s’ouvre et voici que tombe de ta main
Je ne sais quel énorme et fabuleux jasmin.
L’arabesque s’anime et court comme une folle
Et la couleur épaisse où ton pinceau se colle
Se change tout à coup sous tes doigts enjôleurs
En oiseaux vêtus d’or, en feuillages, en fleurs.
Tu vis à la lueur de tes coffres barbares
Et l’on dirait alors, vieillard, que tu prépares
Le cercueil peint de fleurs où tu déposeras
— Ô cadavre lavé, cadavre au crâne ras,
Roulé dans les drapeaux à la pourpre ternie —
L’Orient dont tes mains soutiennent l’agonie.