Le Jardin des dieux/Le Chapelet de jasmin/Le Corsaire
LE CORSAIRE
Alger, comme je goûte encore en te voyant
D’une ardeur qui, ce soir, touche à la volupté
L’implacable couleur de ton ciel flamboyant
Sur tes bazars, de pourpre et de cuivre irrités.
Tes terrasses de chaux descendent vers la mer…
Voici les canons turcs où s’est tant accoudé
Mon rêve empreint de sel et de souffles amers,
Et je revois flamber les longs jardins du dey.
Peu m’importe qu’avec une âpre autorité
Les sirènes, là-bas, croisent leurs cris ardents,
Je suis si bien devant ton golfe de clarté
À l’abri du brumeux et du vieil Occident.
Rien ici, désormais, qui me borne ou m’enserre
Et devant ton accueil d’azur et d’infini
Je suis lourd de ma proie, ainsi que ce corsaire
Qui regagne, apaisé, les chaleurs de son nid.
Tes grappes de jasmin pendent à mes oreilles.
Au milieu des jardins que la lune ennoblit,
Maigre d’amour, j’anime une flûte pareille
Aux pipes où la chair puise un si vaste oubli.
Et faisant voisiner dans ma large ceinture
Le lourd chapelet d’ambre avec les crosses d’or,
Je suis bien le corsaire aux fameuses captures
Qui, dur seigneur des mers, favori de la Mort,
Oubliant le fracas des royales bombardes
Et le gémissement des captifs écorchés,
Descend à l’heure bleue où son harem se farde
Errer dans ses jardins sous la lune penchés,
Sans entendre gronder derrière lui, dans l’ombre
Où ses babouches font leur glissement léger,
La pesante clameur de ses crimes sans nombre
Que couvre la chanson d’un rossignol caché.