Le Jardin des dieux/Le Chapelet de jasmin/Au palais du dey

Le Jardin des dieuxEugène Fasquelle (p. 49-52).



AU PALAIS DU DEY



Belle nuit de nacre et d’argent
Plus douce qu’une matinée,
Comme je me sens diligent
Dans votre lumière étonnée !

Le palais a l’air enchanté
Et les heures, l’une après l’une,
Poursuivent leur rêve argenté
Dans le silence et dans la lune.


Je gravis un escalier bleu,
Je traverse une cour qu’embrase
D’un enchantement merveilleux
Le trapèze ardent de Pégase.

J’entends les crapauds, ces lourdauds
Assis sur les margelles claires,
Railler la danse des jets d’eau
Et la grâce des capillaires.

Oh ! dites, que vous me manquiez,
Palmes que l’air marin balance,
Fruits de neige des aréquiers,
Constellations et silence !

Voici les abîmes d’azur
D’où, ma jeunesse, nous surgîmes ;
Le ciel toujours immense et pur
S’amollit autour des régimes.


Hors votre splendeur, il n’est rien
Qui me touche et qui m’intéresse,
Ô bleu vertige aérien,
Nuit, voluptueuse caresse !

Les bananes ont sur leur peau
Des taches noires de pelage,
Ô sauvage, ô profond repos,
Calme tigré qui me soulage,

Frôlements de l’ombre et du vent,
Gonflement des lunes lointaines
Et sur ce marbre si vivant
L’ombre dansante des fontaines !

Il fait si clair que je puis voir
Dans les boudoirs profonds et calmes
Au clair de lune des miroirs
Le jardin balancer ses palmes.


Des heures tintent lentement
Sur le bord de la nuit sereine.
On dirait, clair enchantement,
Qu’un collier de verre s’égrène,

Et, laissant le jet d’eau mouiller
La grenade qui se desserre,
Je vais battre un rouge oreiller
Dans la chambre des janissaires.