Le Japon, ses institutions, ses produits, ses relations avec l’Europe

LE JAPON
SES INSTITUTIONS, SES PRODUITS
SES RELATIONS AVEC L’EUROPE

Quoique les rapports de quelques États européens avec le Japon aient pris, depuis plusieurs années, une extension relativement considérable, le pays du soleil naissant est encore mal connu des Occidentaux. L’importance des échanges et la fréquence des ambassades successives ont, sans doute, appelé l’attention sur ces îles lointaines, longtemps fermées au commerce européen ; mais le résultat obtenu a été une connaissance plus ou moins exacte des ressources commerciales du Japon, plutôt qu’une saine appréciation du régime politique et des mœurs sociales de cette curieuse contrée. Un long séjour au Japon, et, depuis notre retour en France, des relations suivies avec des indigènes intelligents et instruits, jointes à la communication des documents officiels, nous ont permis de redresser un grand nombre d’erreurs trop facilement accréditées ; nous continuons donc notre œuvre en présentant ici au lecteur, à la place du Japon fantastique auquel on l’a trop habitué, le Japon tel que nous l’avons vu et tel qu’il est.

C’est surtout dans l’ordre politique que nous aurons à relever les plus graves inexactitudes. Il est vrai que les erreurs qui se sont propagées sont le résultat d’événements qui nous ont fait illusion. Les étrangers, en traitant avec un prince japonais, l’ont d’abord considéré comme le souverain du Japon. Plus tard, l’évidence leur a montré ce prince soumis, dans l’ordre général, à un pouvoir supérieur. Alors est née l’invention d’un empereur spirituel dominant un empereur temporel. Enfin une observation prolongée a révélé l’action de princes indépendants de celui avec lequel les traités avaient été faits. En ramenant cette dernière observation à la première erreur commise, à celle qui admettait l’existence d’un empereur temporel, on arriva à conclure à l’existence de grands vassaux révoltés. Cet échafaudage est très ingénieusement construit ; mais, en réalité, le Japon est une confédération d’États souverains dont les chefs sont groupés autour du Mikado. Toute l’organisation politique sera donc résumée par l’exposé de la situation du Mikado et de celle des daïmios souverains. On désigne ordinairement les grands du Japon par daïmios mais ce titre est vague, car il désigne la haute noblesse en général, et s’applique à des personnages très différents ainsi les chefs d’États indépendants sont des daïmios, et leurs officiers supérieurs partagent avec eux cette même appellation. Le titre distinctif des chefs d’États est kokoushi[1], kokshi ou taïshiou pour ceux du premier ordre, et touzama pour ceux que leur territoire, moins étendu, oblige à se grouper autour d’un centre plus puissant. Ces princes remontent directement, par leurs aïeux, à des époques très reculées dans l’histoire. Les premiers descendent, la plupart, de fils cadets de Mikado, et ceux-ci créèrent à leur tour les États des touzamas, au profit d’enfants qu’ils voulurent favoriser.

Tel est l’ordre politique. Nous nous occuperons donc successivement du chef de la Confédération japonaise, des souverains confédérés, des mœurs sociales et des ressources industrielles et commerciales du Japon. Ensuite, nous passerons en revue les derniers événements, et de toutes ces prémisses nous tirerons la conclusion finale.

I

Le Mikado ou daïri, dont le vrai titre est téneshi, était, à une époque reculée, l’unique souverain du Japon. Aujourd’hui, sans puissance par lui-même, il représente le lien respecté de l’union japonaise. Il réside à Kioto, que les étrangers désignent le plus souvent par Miako. Cette désignation vague, dont le sens est palais, résidence, capitale, est appliquée à toute grande ville par les habitants des environs, et, sur le territoire de chaque État, la capitale est appelée Miako par les sujets de la principauté.

Le Mikado est le descendant des dieux créateurs du Japon. Ces dieux, issus d’un premier principe mystérieux, mais actif, comme centre divin et primordial, ont, dès le commencement des choses, créé et organisé le monde terrestre. De ces dieux sont nées des divinités qui ont régné chacune plusieurs milliers d’années sur la terre japonaise. Toute la famille des kouguès descend de ces divinités, et le Téneshi en est le chef auguste.

Cette généalogie explique suffisamment son caractère divin, et rend compte de cette malencontreuse qualification de souverain spirituel qui a été donnée au Téneshi en dehors de son pays. Cette qualification est doublement erronée dans la bouche des étrangers, car, par elle, ils opposent le souverain prétendu spirituel à une autre personnalité qu’ils décorent eux-mêmes du titre de souverain temporel.

Le caractère religieux du Mikado s’explique par sa fabuleuse origine. De même que, chez les peuples idolâtres, les dieux président directement à l’invention des arts, des sciences, de l’industrie, du commerce au développement moral et matériel de l’homme et de la société ; au culte, à l’expression de la formule religieuse ; de même, le Mikado préside, comme descendant des dieux, au développement social, sous l’influence de l’idée morale, religieuse, artistique et scientifique. Le Mikado appartient donc à l’idée religieuse, non comme ministre d’un culte, mais comme autorité divine supérieure à tous les cultes. Il n’est pas le chef d’une religion spéciale mais il domine toutes les religions qui existent ou peuvent exister au Japon, et se soumettent à sa suprématie. C’est dans cette acception supérieure qu’il protège les divers clergés Bouddhistes, quoiqu’il fasse, pour ainsi dire, partie de la révélation nationale du Sineto ou religion des Kamis, qui confond sa formule religieuse avec l’expression des droits souverains du Mikado.

Le Sineto se résume en un monothéisme obscur, d’où sortent les dieux dont la succession et les actes appartiennent à la genèse du monde aussi bien qu’à l’histoire de la famille du Téneshi. Le Sineto enseigne encore que la divinité se manifeste dans les grandes personnalités de génie ou de vertu qui ont dominé leur époque pendant leur vie et que celles-ci conservent, après la mort, une influence sur les destinées de leur pays. Ces croyances remarquables impriment au peuple japonais un caractère pratique qui ne se sépare pas d’un idéal constant.

Malgré le lien qui relie le Sineto à la personnalité du Mikado, celui-ci protège les autres cultes et les rattache tous à lui en donnant à ses enfants puînés les premières dignités ecclésiastiques. Les uns reçoivent des emplois de cour, les autres prennent place parmi les grands prêtres du Sineto ou parmi les bonzes bouddhistes. L’église du Sineto est soumise à un collège supérieur nommé Sinetono-Kashira. Les prêtres de cette religion se marient, tandis que les prêtres de Bouddha se vouent au célibat. Ceux-ci prennent au Japon le nom de Bouppo suivant la prononciation koïé, et Otoké suivant la prononciation yomi. (Le koïé est l’expression chinoise dégénérée, l’yomi est la traduction japonaise.) Les filles du Mikado sont recherchées en mariage par les grands daïmios, les prêtres supérieurs du Sineto, ou restent dans le célibat, revêtues de dignités ecclésiastiques.

Quoiqu’un grand nombre de sectes religieuses et philosophiques existent au Japon, le Sineto et le bouddhisme réunissent la grande majorité des Japonais. Ces deux religions, loin de se combattre, exercent simultanément leur influence vis-à-vis des mêmes individus : les prières, les intercessions, les fêtes religieuses rapprochent les populations des mias ou yashiras, qui sont les temples du Sineto, tandis que les cérémonies funèbres réclament les bonzes bouddhistes auprès des défunts, et remplissent leurs temples qui se nomment téras. La coexistence des deux cultes est si complète que le Mikado lui-même est livré, après sa mort, aux prêtres de Bouddha. Son apothéose est prononcée par son successeur.

La divinité du Mikado le lie donc intimement à la religion nationale, mais sans cependant en faire un pontife. Il ne peut être prêtre qu’après avoir abdiqué ; ce cas s’est présenté plusieurs fois. Le Daïri désigne alors son successeur, abandonne même son nom et devient prêtre du Sineto. Quelques-uns, dans ces circonstances, sont même devenus Ho-ouo, c’est-à-dire se sont fait consacrer prêtres de Bouddha.

C’est au caractère divin du Mikado, aussi bien qu’à sa dignité souveraine, que sont adressés les honneurs, les hommages et le cérémonial minutieux dont il est entouré : déférences qui s’étendent même aux objets dont il se sert ainsi, la vaisselle en bois laqué dans laquelle il prend ses repas ne doit jamais avoir servi, et dès que lui-même a fait usage d’un objet, celui-ci est aussitôt brisé et brûlé ; il en est de même pour ses vêtements. La toilette de ses cheveux, de sa barbe et de ses ongles se fait pendant son sommeil véritable ou supposé.

Comme souverain, le Mikado a près de lui de hauts dignitaires : des conseillers d’État et des ministres qui centralisent tout ce qui a rapport à l’ordre général. Tous ces hauts fonctionnaires résident à Kioto, autour du Mikado, qui ne se révèle que par cet entourage.

C’est par eux que la nation apprend la mort et le nom du souverain décédé, en même temps que l’avènement de son successeur anonyme, car tout Mikado perd, en parvenant au trône, le nom qu’il portait jusqu’alors, pour prendre la simple dénomination d’empereur régnant. Son nom impérial n’est connu qu’à sa mort.

Les Kouguès rédigent alors les annales de son règne. Pour établir leur chronologie, ils se servent de trois moyens différents. Ils ont une ère qui commence en l’an 660 av. J.-C., avec le règne du Daïri Shiou-djine-Mou-Tène-Hoo fondateur de la dynastie encore régnante. En outre de cette époque fixe, ils comptent par cycles de soixante années et par séries de cycles plus petits et de durée variable, qui se nomment nengo. Les Daïris déterminent arbitrairement le nom et la durée de ces nengo, qui se suivent sans interruption. Un nengo ne finit que lorsque la cour de Kioto fait savoir qu’un autre commence. Un même règne peut posséder plusieurs de ces divisions.

Le successeur d’un Daïri est ordinairement l’aîné de ses fils ; cependant des femmes ont régné, des ascendants ont succédé à des princes plus jeunes, des cadets à leurs aînés. Comme nous l’avons déjà dit, le Mikado régnant désigne ordinairement son successeur. En tout cas, aucun étranger n’intervient dans les décisions de la famille, et l’acte par lequel elle détermine son chef devient un acte social pour la confédération japonaise. Ce mode d’élection par la famille, sans autre reconnaissance légale nécessaire, l’anonymat du souverain et le droit d’adoption que possède sans réserve tout père de famille au Japon, expliquent la persistance et la fixité de la dynastie actuelle. Les annales des Daïris donnent l’an 660 av. J.-C. comme première date historique, et depuis ce temps il n’y a pas eu de changement dynastique.

Aux besoins du Mikado et de sa cour sont affectés les recettes de la ville de Kioto et les présents des princes japonais. Le Mikado trouve encore des revenus dans ses dignités de cour, dont il décore les princes les plus puissants ce qui donne lieu à des envois considérables de cadeaux de toutes sortes.

Ces dignités règlent dans les cérémonies publiques les préséances, et, à ce titre, le prince reconnu Shiogoune est obligé, même chez lui, de céder le pas à plusieurs personnages de la cour de Kioto.

Ces titres n’ont pas toujours été pour le Mikado une source de revenus, car c’est la dignité shiogounale qui lui fit perdre son domaine particulier. Le Shiogoune, que les étrangers nomment plus communément Taï-koune, est le général commandant les troupes fictives du Mikado. Cette dignité n’était autrefois effective que dans certaines circonstances seulement, dans le temps où le Mikado avait encore un territoire. Depuis bien des années, elle n’est plus qu’honoraire c’est cependant ce titre que les étrangers ont traduit par la qualification arbitraire d’empereur temporel.

Le mot Taï-koune n’est pas japonais, à plus forte raison n’y a-t-il jamais eu de Taï-koune du Japon. C’est une désignation d’étymologie chinoise. Le titre porté par les derniers princes de Yedo est, comme nous l’avons dit, Shiogoune ou mieux Séïshiogoune, qui veut dire littéralement général chargé de refouler les étrangers. Il est curieux de constater ici le véritable sens du mot, en opposition avec le sens que se plaisent à lui donner les occidentaux.

Le 10e Mikado Shiou-djine-Tène-Hoo, qui régna soixante-sept ans et mourut en l’an 30 av. J.-C., créa pour la première fois quatre Shiogounes, qui devaient se partager le commandement militaire. Jusque dans la seconde moitié du XIIe siècle, cette charge est oubliée, ou reste relativement effacée mais alors commence une époque agitée, dans laquelle le noble Yori-Tomo s’éleva en puissance. Il fut créé Shiogoune, en 1181, par le Mikado Taka-Koura, dont il absorba le domaine particulier. Plus tard, à la fin du XVIe siècle, trois Shiogounes, Nobounaga, Hidé-Yoshi, Héas, suivirent l’exemple de Yori-Tomo, et se servirent de leur charge pour prendre rang, au détriment des Mikados, parmi les grands princes indépendants.

II

Depuis cette époque, le Téneshi n’a plus de domaine propre, et, sous son autorité fictive, règnent les dix-neuf Kokoushis ou Taïshious et les Touzamas. Ces souverains possèdent dans leurs États une complète indépendance. Ils sont maîtres chez eux, administrent sans aucune immixtion étrangère, gouvernent par des ministres spéciaux, qui portent le nom de Rodjos ou de Karos, lèvent leurs impôts, commandent et recrutent leurs armées de terre et de mer, exercent chez eux toute justice et possèdent à la cour de leurs pairs, comme à celle du Mikado, des agents accrédités.

Les Kokoushis ont sous leurs ordres des capitaines qui comptent parmi la principale noblesse. Ces officiers tiennent garnison sur les domaines de leur seigneur, l’entourent dans ses voyages et font alternativement un service de garde autour de lui dans ses résidences.

Les Touzamas, au nombre de quatre-vingt-deux, maîtres sur un petit territoire, n’ont aucune importance individuelle. Ils remontent généralement à des frères cadets de Kokoushis, en faveur desquels ces fiefs ont été créés.

Parmi les grandes principautés, les plus puissantes sont celles de Kwanto, de Kaga et de Satsouma.

La principauté de Kwanto comprend les pays de Kwanto et de Gokinaï dans Nippoune et quelques enclaves éparses, comme Nagasaki dans l’île de Kioushiou et Hakodadé dans le sud de Yesso. La capitale des États de Kwanto est Yedo. La principauté de Kaga, dont la capitale est Kanasaoua, comprend les provinces de Kaga, Noto, Etjou et Hida. La principauté de Satsouma a pour capitale Kagosima. Elle comprend les provinces de Satsouma, Osmi et Shiouga et l’île de Tanégasima. Cet État puissant, dont les chefs se sont succédé sans interruption de famille, remonte au 56me Mikado, mort en 880 après J.-C. et qui fut la tige de la famille Guénedji. Ces princes ont, depuis 1587, une position toute spéciale au Japon, car ils appartiennent à la confédération japonaise par leurs États situés dans l’île de Kioushiou et sortent de cette confédération comme rois de l’archipel des Liou-Kiou, dont un de leurs ancêtres devint souverain par conquête en 1587.

Dans la principauté de Yedo existe un morcellement féodal qui ne se retrouve pas dans les autres États. Ce vice remonte à l’origine même de la principauté, née en l’an 1600, à la suite de la bataille de Sékigahara, qui consacra la trahison de Tokougaoua-Minomato no Héas. Après le combat ce fondateur de la dynastie actuelle des Kokshis de Kwanto, résidant à Yedo, s’empressa de reconnaître les services de ses partisans par le partage des États qu’il avait conquis avec eux. Il créa 344 Kovdaïs Daïmios ou nobles vassaux, auxquels il donna des fiefs héréditaires, et 80,000 Hattamottos ou guerriers nobles. Par la création des Kovdaïs, Héas minait d’avance le pouvoir de ses successeurs ; le mal était grand ; Héas l’augmenta en créant les huit grands fiefs Gokamongkés en faveur de huit de ses enfants. Ces fiefs sont aujourd’hui réduits à sept. Leurs chefs portent le titre de Kami. Shidé-Tada, fils et successeur d’Héas, continua l’œuvre de dissolution par la création de trois fiefs gosangkés. Le morcellement ne s’arrêta pas sous les princes suivants. Le troisième successeur d’Héas fonda, pour chacun de ses fils, trois fiefs considérables, portant le nom de Gosankios.

C’est l’existence de ces grands vassaux du prince de Kwanto, et la simultanéité du titre de Shiogoune accordé à ce prince par le Mikado qui firent croire aux étrangers que les princes japonais sont vassaux d’un monarque dont le signe distinctif réside dans cette dignité shiogounale dont le décore le Mikado. Nous savons maintenant que le shiogoune a des vassaux non comme Shiogoune, mais comme Kokoushi de Kwanto et, par cela même, les traités que nous avons signés avec ce prince sont bons, valables et réguliers, non à cause du titre shiogounal dont se trouve décoré ce prince mais par son caractère de chef de l’État de Kwanto, qui lui donne la libre disposition des ports qu’il nous a ouverts. Mais il faut également remarquer que si ce prince peut ainsi disposer de son territoire, il est complètement impuissant à ouvrir chez les autres Kokoushis japonais les ports situés sur leurs domaines. Malheureusement la division féodale de la principauté de Kwanto annule le pouvoir du chef de cet État. Ses ennemis ne sont pas parmi les princes souverains, ses pairs mais parmi ses vassaux, qu’on a vus dans ces derniers temps, en diverses circonstances, prendre les armes et lutter contre leur seigneur.

Les Kovdaïs sans avoir l’importance individuelle des autres grands vassaux, Gosankés, Gosankios et Gokamoukès, forment par leur nombre et par leur position, une force souvent dangereuse pour l’autorité de leur suzerain. Ces Kovdaïs sont des chefc militaires d’inégale puissance, qui transmettent leur pouvoir à leurs descendants. Ils ont reçu dans l’origine les fiefs sur lesquels ils résident, mais ils peuvent être mobilisés avec les hommes qu’ils commandent.

Dans la hiérarchie civile, les Kovdaïs Daïmios forment une pépinière d’hommes d’État destinés au gouvernement supérieur. C’est principalement parmi eux que le prince de Kwanto choisit ses ministres, en les rapprochant successivement de sa personne par plusieurs grades hiérarchiques. De commandants de places, ils peuvent devenir Oshosia. Ils sont alors préposés à la garde directe du souverain dans ses résidences ou ses voyages, et font le service régulier de sa maison militaire par séries qui se remplacent alternativement. À la suite des fonctions à Oshosia, le Kovdaï peut être promu au grade de Kioto-Shoshidaï, c’est-à-dire ambassadeur du prince auprès du Mikado, ou, comme rang analogue, il peut être nommé Wakadashiori, ou directeur immédiat des grands fonctionnaires. Ces derniers grades conduisent au ministère.

Tous les hommes qui suivent ces Kovdaïs peuvent aussi s’élever aux plus hautes fonctions, dont chacune embrasse confusément toutes sortes d’attributions civiles et militaires. La hiérarchie se compose de trois classes : Gokanine, Hattamotto, Daïmio. Chacune de ces classes compte plusieurs degrés.

Par cette organisation, se trouve à côté du privilège aristocratique qui donne, par le fait acquis, un point de départ supérieur, l’égalité démocratique, qui fournit aux plus humbles une voie régulière d’ambition justifiée par le mérite. Du grade inférieur accessible à tous, les échelons montent sans interruption jusqu’au ministère. Aucune barrière n’est opposé au mérite.

Pour terminer cet exposé de la situation politique du Japon, si peu connue des Européens, il nous faudrait donner ici une nomenclature complète des principales familles qui constituent une féodalité analogue, à certains égards, à celle que la conquête germanique substitua en Europe au régime impérial romain ; nous craindrions que cette liste, nécessairement un peu longue, ne dépassât les bornes de cette étude. Toutefois, pour prouver à nos lecteurs que cette unité, que l’on a trop volontiers prêtée au gouvernement japonais, est purement imaginaire, il nous faut indiquer sommairement les principales maisons qui se partagent soit l’autorité morale, soit le pouvoir territorial, dans les îles du Japon.

À leur tête se trouve, nous l’avons déjà dit, le Téneshi, descendant honoré, mais sans puissance personnelle, des anciens souverains du Japon. À côté de la famille immédiate du Téneshi sont placées les quatre familles Shiu’nogata ; viennent ensuite les cinq familles Goséké, dont les droits remontent au 39me Mikado. C’est toujours parmi les Gosékés que le Téneshi choisit son kwampakou ou premier ministre. Toutes ces familles sont très honorées, mais le pouvoir territorial et souverain réside chez les Taïshious et les Touzamas. En dernier lieu, viennent les grands vassaux.

III

À propos de la hiérarchie des grades, le lecteur aura remarqué les principes de démocratie de cet édifice d’aspect aristocratique. Cette conciliation est certainement un symptôme de force et d’avenir. L’activité domine dans cette société, où les classes sont distinctes, mais ne forment pas castes ; où la vie sociale n’est pas étouffée ; où la noblesse acquise, constamment en concurrence avec l’activité d’hommes nouveaux, conserve ce profond respect qu’on a, au Japon, pour toute personnalité. La liberté individuelle rencontre ainsi, dans la forme hiérarchique de la société japonaise, un cadre directeur et non pas une prison. La noblesse n’étant pas exclusive et restreinte à la naissance, chacun a le droit d’y prétendre en s’élevant par son mérite. Les Japonais paraissent persuadés que l’aristocratie libre est le développement naturel de l’égalité démocratique. Celle-ci donne à tous les mêmes droits ; celle-là constate la variété des efforts réalisés par chacun.

Comme conséquence de l’initiative individuelle, l’honneur possède un grand empire sur les Japonais. C’est sous l’influence de ce sentiment que l’homme qui mérite la mort et meurt de sa main est préservé de la honte et de la déchéance qu’entraînait son crime. En acceptant la responsabilité de son acte, il lègue à sa famille le souvenir de son courage et de sa dignité en balance exacte avec le souvenir de sa faute ; par là, il conserve à son nom la position morale qui lui appartenait et le respect dont il était entouré.

Malgré l’erreur d’une fausse application, le sentiment de l’honneur indique une volonté appliquée à bien faire. Sous ce rapport, les heureuses dispositions des mœurs sociales, au Japon, permettent de pressentir un développement de société puissante. L’élément occidental apporte aux Japonais des conquêtes dont ils n’auront pas à payer l’expérience, et l’indication des dangers dont ils auront à éviter l’écueil. L’action de cette force nouvelle ne doit cependant pas fausser l’originalité des germes heureux que renferme leur civilisation. La politesse des mœurs, le respect de l’individu, libre dans la vie civile, libre dans son travail, apte à toute carrière, mais respectant les droits acquis, l’absence des charges militaires obligatoires, la modicité de l’impôt, l’intervention gouvernementale qui ne se produit parmi les individus que par des actes de répression et jamais par réglementation préventive ; l’union des classes sociales dans un mouvement solidaire, tous ces faits, malgré de grandes imperfections qui peuvent être corrigées, représentent des avantages sérieux et d’une remarquable originalité.

Le peuple jouit d’une grande liberté individuelle et collective. L’ordre municipal qui le régit repose sur une organisation toute démocratique. Dans les villes, chaque rue représente un rudiment de commune ayant ses chefs et ses gardes. Les chefs sont élus par les administrés, parmi les propriétaires de la rue. Ils sont acceptés sur la présentation des habitants et choisissent à leur tour plusieurs d’entre eux pour former près du gouvernement un conseil d’administration. En dehors des villes, l’organisation est la même pour chaque groupe d’habitations.

C’est l’administration locale qui maintient l’ordre. Les contestations qui s’élèvent ou les crimes commis donnent lieu à l’intervention municipale, qui, d’abord, instruit l’affaire, juge dans les moindres cas, ou bien en réfère à l’autorité supérieure dans les cas plus importants. Le gouverneur, à son tour, juge ou renvoie l’affaire au ministère, auquel il est toujours permis d’en appeler.

Les faits de la vie civile, le mariage, la naissance, l’adoption, la mort et le divorce sont des événements de famille dont on donne simplement connaissance au gouvernement, qui les consigne. Dans quelques États du Japon, ce sont les prêtres des Téras qui sont les intermédiaires officiels de ces communications auprès d’un bureau central, nommé Foudaho dans quelques autres, ce sont des agents particuliers du pouvoir qui lui transmettent ces renseignements.

La famille japonaise possède sans réserve tous droits de reconnaissance, d’adoption, et de libre disposition de fortune. Ces droits résident dans le chef de famille. L’adoption détermine au Japon une filiation sans dissonance avec un passé différent, qui disparaît devant l’autorité de l’acte nouveau. Par lui, s’établit un équilibre entre des familles de même rang, dont les unes sont surchargées d’enfants, et dont les autres manquent de postérité. C’est encore un trait d’union par lequel s’effacent, dans un intérêt de mariage, par exemple, des distinctions de classes qui pourraient être un obstacle de libre action. Grâce à ces droits largement pratiqués, les familles s’unissent dans leurs éléments les plus actifs l’horizon s’élargit, la concorde remplace l’antagonisme, la solidarité s’étend et la famille se consolide.

L’adoption est fréquente au Japon, et son caractère particulier est de se confondre entièrement avec la naissance régulière. Malgré les relations qui parlent des différentes femmes des Japonais, la monogamie existe dans ce pays. Dans les classes supérieures, il est même d’usage de ne pas se remarier en cas de veuvage. L’épouse peut mourir sans enfant ou vivre stérile. Le chef de famille choisit alors son héritier ou prend une concubine. Si une naissance survient, l’enfant est élevé à regarder comme sa mère l’épouse légitime, qui seule est la maîtresse et seule peut être la mère des enfants de son mari, même après sa mort. L’enfant adopté par un célibataire n’a pas eu de mère.

L’héritier succède directement à son père il en prend les charges et les privilèges, soutient toute sa famille de sa fortune et de son influence, aide chaque membre à conquérir une position indépendante ou lui donne participation directe à la vie commune. Les femmes n’apportent pas de dot à leurs époux si une terre, un revenu, une fortune quelconque leur est donnée par le chef de leur maison, c’est un simple usufruit, qui revient à la famille dès que l’usufruitière a cessé de vivre.

Cette simple substitution de l’un des enfants, ordinairement l’aîné, au père défunt, n’est pas un acte obligé. La loi, c’est la volonté du chef de famille, qui partage à son gré, ou maintient l’indivision de son héritage. Dans ce dernier cas, il transmet sa fortune à l’aîné de ses enfants ou choisit pour lui succéder le plus intelligent d’entre eux, et, s’il le veut, un étranger qu’il regarde comme plus capable de continuer son œuvre. Il le reconnaît alors pour son fils, et celui-ci se substitue simplement a son père.

À côté de ces actes d’indivision l’existence des grands chefs d’États, issus des Mikados l’existence des Touzamas, issus de ces premiers princes indépendants ; l’existence des grands vassaux de la principauté de Kwanto, issus de Héas, sont autant d’exemples d’un partage complet de fortune et même de droits et de souveraineté.

Les mœurs sociales sont, plus que les institutions, l’expression d’une société ; car, c’est en réalité le caractère des mœurs qui détermine le caractère d’un peuple, et c’est dans ses mœurs que nous devons rechercher sa véritable physionomie. À ce compte, les Japonais possèdent des éléments sérieux d’avenir et de progrès, malgré les grandes imperfections de leurs institutions. Parmi ces imperfections, les plus fâcheuses sont la confusion des pouvoirs, le manque de lien défini dans les rapports généraux des gouvernements et l’arbitraire administratif tempéré, il est vrai, par des mœurs sociales pleines de justice et de respect pour l’individualité. Ces imperfections seront facilement effacées par l’expérience qui résultera nécessairement du contact de la civilisation occidentale.

IV

La population du Japon paraît être de 40 millions d’habitants, répandus sur les quatre grandes îles de Kioushiou, Sikokou, Nippoune, Yesso, et sur un grand nombre d’îles latérales. Ce groupe s’étend entre le détroit de Van-Diémen et celui de La Pérouse, sur 14° de latitude nord, du 31e au 46e. Au-dessus du 46e degré, une partie de l’île Saghaline dépend encore du Japon.

L’aspect du sol est essentiellement plutonique. La nature est accidentée, et l’eau, qui circule partout en abondance, aide à la fertilisation d’une terre pourvue de puissants éléments de production. Dans ce milieu volcanique, il n’y a pas lieu de s’étonner des gisements considérables de soufre que l’on rencontre au Japon.

L’or y est très abondant, et si l’on en croit ce que disent à cet égard les indigènes, aucun pays n’en posséderait autant. Il se présente surtout sous forme de quartz aurifère, quelquefois à l’état d’argile aurifère et disséminé dans le sable. L’argent se rencontre également en de très riches minerais, sous forme de plomb argentifère. On sait depuis longtemps que la plus grande partie des bénéfices que faisaient autrefois les Hollandais relégués à Décima étaient réalisés par l’exportation du cuivre, dont le Japon possède de grandes quantités. Les minerais de cuivre sont des carbonates mêlés d’oxyde et abondamment parsemés de rognons de cuivre natif. À côté de ces richesses se place l’étain, très répandu sous forme d’oxyde dans une gangue de quartz gris, très friable et dont la masse renferme de nombreux rognons de métal natif. Les gouvernements, loin d’encourager l’exploitation de ces métaux, semblent considérer leurs gisements comme un trésor qu’il faut ménager. Le contact européen suffira pour convertir les Japonais aux idées économiques d’échange, de travail et de production, qui leur feront exploiter tous les éléments de richesse qu’ils ont entre les mains. On trouve encore au Japon du mercure à l’état de cinabre, du fer en abondance et du charbon de terre. Enfin, d’après tous les renseignements, le Japon paraît être un pays exceptionnel sous le rapport du nombre et de la richesse de ses mines.

Du sein d’une terre aussi abondamment minéralisée, s’élèvent des eaux chaudes et froides chargées de principes divers, dont les vertus curatives sont employées sous forme de bains et de boissons. Les entrailles de la terre japonaise recèlent encore un autre genre de richesses, car on y trouve de magnifiques pierres de construction, que les habitants n’osent pas employer par crainte des tremblements de terre, mais dont une science plus parfaite pourrait certainement tirer parti, même dans ces circonstances défavorables. Si les Japonais ont besoin d’ingénieurs, ils n’ont pas besoin de professeurs pour l’emploi du kaolin, de la précieuse terre à porcelaine, qu’ils savent travailler d’une façon remarquable. Le sol japonais renferme encore du cristal de roche, du jaspe et des agates. Il est très probable qu’une étude scientifique de la minéralogie de ce pays mettrait au jour bien des corps utiles que les Japonais ne savent pas isoler.

En tous cas, la part est belle ; les divinités ténébreuses semblent avoir entassé pour les Fils du Soleil naissant leurs principales richesses, et si nous quittons leur empire pour rechercher dans les profondeurs des mers quels trésors recèlent leurs eaux, nous trouvons, sans compter la baleine dans le nord, la perle, le corail, l’ambre gris et une grande quantité de poissons délicats. Cette abondance est précieuse pour les Japonais, qui se nourrissent, comme les autres peuples de l’extrême Orient, presque exclusivement de poisson et de riz.

Parmi tous ces éléments de richesses, la surface du sol apporte sa précieuse part ; il fournit les produits les plus variés : les fruits, les céréales de nos climats, à côté de ceux qui mûrissent sous les ardeurs d’un soleil plus intense. La principale production agricole est le riz. La culture de cette plante donne à la campagne un aspect particulier par la formation des compartiments inondés qui divisent le terrain. Une autre source de richesse, qui procure au commerce extérieur un précieux élément d’échange, réside dans la double vaiété des vers à soie de chêne et de mûrier, dont la rusticité et la vigueur sont aujourd’hui connues.

Les vers de chêne fournissent la soie des crépons et la variété des mûriers donne, au dire des experts, une qualité de soie qui est la plus belle de l’Orient. Depuis la maladie des vers en France, nous sommes tributaires nécessaires du Japon, car ses graines échappent à l’épidémie. Parmi les autres productions végétales, on remarque le thé, le coton, le camphre, le tabac, la cire végétale, la noix de galle et le sucre dans le sud. Les thés naturels du Japon sont expédiés en Chine, pour y recevoir les préparations auxquelles les Chinois ont habitué les consommateurs étrangers. Les Japonais donnent à la culture un soin et une intelligence qui provoquent l’admiration même des Chinois, maîtres en ce travail. Ils connaissent parfaitement l’emploi des engrais et sont jardiniers aussi habiles qu’agriculteurs intelligents. Les fleurs et les arbustes rares sont l’objet d’un commerce intérieur très actif. Au milieu de la campagne japonaise, l’étranger est frappé du travail minutieux qui n’oublie aucun coin de terre, et qui tire de tout site accessible une utilité ou un agrément.

Envisagés comme industriels, les Japonais possèdent quelques spécialités de produits remarquables. Leurs objets de laque sont d’une beauté supérieure à tout ce qui se fait en ce genre. Leurs tissus de soie surpassent les produits similaires de la Chine, et les porcelaines japonaises peuvent soutenir toute comparaison pour la finesse de la pâte, l’élégance des formes, l’éclat des couleurs et l’harmonie des dessins. Les Japonais sont de véritables artistes en bronze ; ils savent ciseler avec une perfection et une patience incroyables. Ils travaillent, en général, parfaitement les métaux, et leurs sabres, quoique lourds, sont remarquables par la dureté de l’acier, la finesse du poli, le tranchant de la lame et le travail artistique de la poignée et du fourreau. Ce goût, qui se fait également sentir dans leur talent d’émailleurs, accuse chez les Japonais des besoins de civilisation élégante en contraste avec la simplicité de leurs mœurs. Ceci n’est pas un des côtés les moins intéressants du caractère japonais, qui trouvera, dans les relations étrangères, l’occasion de s’affirmer définitivement dans sa voie de civilisation comme individu et comme société.

Ce qui précède indique brièvement les principaux produits que nous pouvons demander aux Japonais ; par contre, nous en avons beaucoup à leur fournir. Dans la quantité, quelques-uns nous sont spéciaux, mais la plupart, sans nous être particuliers, sont obtenus dans notre civilisation à un prix contre lequel les Japonais ne peuvent lutter même chez eux.

Dans cette classe, dont les articles s’adressent aux nécessités les plus usuelles de la vie, rentrent les tissus de laine et de coton, les camelots, quelques soieries, des satins et des velours, qui sont réalisés à des prix avantageux tant pour les vendeurs européens que pour les acheteurs indigènes. Nos étoffes chaudes de laine et de velours commun présentent encore aux habitants du Japon une spécialité d’usage et d’économie qu’ils ne peuvent remplacer : car leur industrie ne leur fournit, pour s’abriter contre le froid, que des vêtements légers qu’ils multiplient sur eux, ou des étoffes ouatées qui leur reviennent, comme les premières, plus cher et durent moins longtemps. Ces articles, pour convenir aux indigènes, doivent naturellement reproduire les conditions de mesures, de couleurs et de dessins auxquelles les Japonais sont habitués. Ils trouvent alors au Japon un débouché dont l’importance deviendra chaque jour plus grande par suite des habitudes contractées et de l’usage qui se propage sous l’impulsion des avantages réalisés. Les articles de mercerie, le fil, les aiguilles, les boutons, dont les Japonais ignoraient l’usage, les objets de fabrique connus sous le nom d’articles de Paris, les cuirs travaillés entrent aussi dans la consommation japonaise, ainsi que les glaces, les vitres et les verreries.

Le commerce étranger fournit encore au Japon : des médicaments, des produits chimiques et pharmaceutiques, des matières colorantes, des instruments de chirurgie, de science et de précision, des livres scientifiques, de la coutellerie, de la quincaillerie ainsi que des armes, des machines industrielles et des navires. L’horlogerie donne lieu à un commerce actif entre les indigènes et les Européens.

Dans les produits d’un autre genre, se trouvent : l’eau-de-vie, les vins doux, les liqueurs sucrées, le vin de Champagne, d’un intérêt tout français, les huiles, les épices et les drogues asiatiques qui, sans provenir d’Europe, peuvent intéresser la navigation européenne, de même que tous les produits alimentaires dont les Chinois sont friands et que les Japonais recherchent également ; ce sont surtout : le poisson sec, les huîtres salées, les herbes marines, les champignons, les pois, la colle de poisson, les ailerons de requins, les nids de salanganes, etc.

Ces principales indications suffisent pour montrer l’importance des échanges qui intéressent l’industrie, le commerce et la navigation. Si les métaux précieux, qui forment l’une des principales richesses du Japon, ne prennent pas aujourd’hui, comme objets d’échange, le rôle important que leur assigne leur valeur, ce fait devra changer à la suite de l’impulsion nouvelle provoquée par les étrangers dans la production et le commerce. Les Japonais s’apercevront qu’il y a là, en définitive, profit à livrer une marchandise qui leur coûte moins qu’aux autres peuples, et dont ils sont abondamment pourvus. Mais, pour arriver à ce but, il faut activer l’importation de nos produits et de nos services, et rendre ainsi le travail des mines nécessaire pour solder les achats. Nous croyons avoir indiqué les sérieux avantages que l’Europe politique, industrielle et commerciale doit trouver dans cette partie reculée de l’extrême Orient, en secondant avec loyauté le développement d’une civilisation spontanément progressive. Il nous reste à examiner les rapports si fréquents, dans ces dernières années, du Japon avec la civilisation européenne.

V

Dès le 23 octobre 1865, le Taïshi de Satsouma, qui est, en dehors de la confédération japonaise, roi des îles Liou-Kiou, faisait connaître à la Commission impériale son désir de prendre part à l’Exposition de Paris en 1867. Ce fut par suite de l’influence de cette initiative première que, plus tard, le gouvernement de Kwanto adhérait officiellement à l’Exposition.

Ce double fait posé, le commissaire du premier souverain, par égard pour l’ignorance générale qui enveloppait la situation politique du Japon, réclama la reconnaissance de ses fonctions au nom de S. M. le roi des îles Liou-Kiou. Il ne pouvait guère agir autrement, car, jusqu’à ce jour, le mot Japon avait constamment servi à désigner officiellement le seul État de Kwanto ; et, tous les agents du chef de cet État, au lieu d’être simplement reconnus comme agents de leur gouvernement, étaient admis comme représentants de l’empire japonais. C’est donc en qualité de commissaire général de S. M. le roi des îles Liou-Kiou que fut accepté le commissaire général de Satsouma.

L’ambassadeur de Kwanto, en arrivant à Paris, au mois d’avril, engagé à profiter de sa position reconnue officielle, à l’exclusion de celle de tout autre fonctionnaire japonais, manifesta son désir de voir les armes de son prince dominer tout ce qui, de près ou de loin, pouvait être rattaché au Japon. Averti de ce fait, le commissaire de Satsouma se rendit, le 20 avril, chez l’ambassadeur de Yedo, qui lui demanda d’arborer partout les armes de Kwanto.

Le commissaire ne dissimula pas son étonnement d’entendre un langage si peu sérieux ; il pria l’ambassadeur d’observer que lui, commissaire de Satsouma, connaissait la situation ; que c’était au nom des pouvoirs japonais dont il était porteur qu’il entamait la conférence, et qu’en cette qualité il prenaît acte des paroles de Son Excellence. Celui-ci répondit alors que son langage était dicté par la situation officielle que les étrangers avaient faite à son prince exclusivement à tout autre prince japonais, car ceux-ci n’avaient traité qu’avec son gouvernement, et, pour eux, le Japon tout entier n’existait officiellement qu’à Yedo. Le commissaire de Satsouma revendiqua pour la France l’honneur d’être amie de la vérité, et, priant l’ambassadeur d’oublier les fictions, il lui donna rendez-vous au lendemain, pour constater officiellement les faits sur cette question de pavillons à l’Exposition universelle.

En conséquence, le lendemain, 21 avril, chez M. le baron Jules de Lesseps, fut signée, entre les représentants des deux gouvernements, une convention en triple exemplaire, qui établissait la distinction des deux États indépendants, réunis par la bannière de la confédération japonaise. Il fut convenu que les armes de chaque souverain couronneraient son exposition particulière avec les mots : gouvernement du Taï-koune, d’un côté, et gouvernement du Taïshiou de Satsouma, de l’autre. Get acte donne à la vérité le caractère officiel dont jusqu’à présent elle avait été privée aux yeux des étrangers.

Ce n’était pas la première fois que S. M. le roi des Liou-Kiou montrait sa libre volonté, dégagée de toute influence politique, de se mêler libéralement à la civilisation occidentale. Longtemps auparavant, il avait fait partir pour l’Europe des jeunes gens destinés à une éducation européenne. Ce fut à Londres que se rendirent les premiers. Depuis 1863, plusieurs élèves vivent à Paris, séparés au milieu de familles françaises. Déjà ils parlent, lisent et écrivent le français assez couramment, et bientôt, cette première éducation terminée, ils seront tous réunis dans un local spécialement destiné à servir de collège japonais. C’est donc le prince de Satsouma qui a ouvert la voie ; dans ce courant, il entraîne même plusieurs princes Kokshis du Japon, et, par ses actes intelligents, montre ce qu’on peut espérer de la libre autonomie japonaise.

Dans un ordre d’action différent, on retrouve chez le même prince ce sentiment de sympathie pour les nations d’Occident. Le 12 février 1866, on écrivait du Japon que trois canonnières, française, anglaise et américaine, étaient envoyées dans les eaux de Canton pour y combattre les pirates, qui faisaient de grands dégâts sur le littoral de Chine. Le Taïshi de Satsouma, qui venait de se rendre acquéreur de quatre nouveaux navires de guerre à vapeur, avait offert d’adjoindre aux canonnières des trois puissances une de ses nouvelles acquisitions, l’aviso à vapeur le Kin-Lin, dont le faible tirant d’eau permettait l’approche des côtes. Le pavillon de ce prince puissant devait ainsi combattre à côté des pavillons de France, d’Angleterre et d’Amérique, et sa démarche conserve sa complète signification.

En suivant l’ordre chronologique des faits, nous arrivons au 25 juin 1866, date de la convention conclue entre la France, l’Angleterre, les États-Unis d’Amérique et les Pays-Bas d’une part, et le gouvernement de Yedo d’autre part, pour l’établissement d’un nouveau tarif d’importation et d’exportation. Par cette convention, l’ancien tarif a été remplacé par un droit fixe de 5 p. 0/0 de la valeur de toutes marchandises d’importation et d’exportation. Ce nouveau tarif a été mis à exécution le 1er juillet suivant pour le port de Yokohama, le 1 août de la même année pour ceux de Nangasaki et de Hokodadé.

Par ce tarif, trois classes de marchandises ont été distinguées : les unes payent le droit fixe de 5 p. 0/0, les autres sont taxées à un droit mobile comme la valeur même de la marchandise ; quelques articles sont admis en franchise, d’autres sont prohibés. La première classe, taxée à un droit fixe, est la plus nombreuse. La seconde, comprenant les marchandises exemptes de droit, mentionne pour la sortie l’or, l’argent et le cuivre monnayés ou non ; pour l’entrée : les ancres et chaînes, les câbles, les graines alimentaires, les farines, le charbon, l’or et l’argent, les animaux de boucherie et de trait, et quelques autres produits. Les articles prohibés sont : l’opium à l’entrée ; et à la sortie : les farines, les graines alimentaires et le salpêtre. La quatrième classe comprend les marchandises dont la valeur mobile fait nécessairement varier la taxe de 5 p. 0/0 ad valorem, déterminée par la convention.

Cette convention porte en outre la singulière déclaration que les princes japonais et leurs sujets sont libres de se rendre à l’étranger et de traiter ou négocier. Ceux-ci n’avaient pas attendu cette naïve déclaration pour user d’une liberté qui ne relève que d’eux-mêmes.

Cinq semaines après cette rénovation des tarifs, le 1er août 1866, fut signé à Yedo un traité d’amitié, de commerce et de navigation entre la Belgique et la principauté de Kwanto. Il a pour base le traitement de la nation la plus favorisée, tant pour l’avenir que pour le présent. L’entrée en vigueur fut fixée par les parties contractantes au 1er janvier 1867. Le gouvernement de Yedo traita également avec l’Italie le 25 du même mois. Cet acte diplomatique devint effectif à la même époque que le traité précédent.

Deux jours après ce dernier acte, le prince de Kwanto mourait à Osaka. On dit qu’il avait au pied un mal qui fut cause d’une violente inflammation à laquelle il succomba. Le Gosankio Stoutsbashi fut son successeur. Ancien général du prince défunt, il est connu comme un homme intelligent, d’un caractère irrésolu et malheureux à la guerre. Il fut battu par l’armée du Kokshi de Tshoshio, qui s’empara des trois forts de Koukoura, de Tsouano et de Hamada, avec une portion des provinces de Bouzène et de Jouami. Le vainqueur annexa ces conquêtes à ses États, au détriment de la principauté de Yedo.

Le courrier du Japon, arrivé en janvier 1867, nous apprend que le nouveau prince de Kwanto s’est présenté dernièrement à la chambre fédérale réunie à Osaka. En face des chefs d’États ses pairs, il protesta de son respect pour l’ordre fédéral et pour une loyale alliance avec l’étranger. Il donna l’assurance à la noble assemblée que les traités que les étrangers avaient demandés à son gouvernement, et par lesquels ceux-ci avaient accès sur son territoire privé, n’étaient nullement une cause de sollicitation de leur part à un changement de politique intérieure. Cette attitude légale servira les intérêts du prince de Kwanto plus que les conseils d’ambition illégale donnés par l’ignorance étrangère qui fait de ce prince l’empereur temporel du Japon. Ceux qui sont encore persuadés de l’existence de cet empereur ont été grandement étonnés d’apprendre, par le London and China Telegraph, en date de Londres, 15 mars 1847, que le Hotènetosama, appartenant au kokshi de Tshoshio, ayant à son bord une ambassade de ce prince au taïshiou de Satsouma, était entré dans le port de Nangasaki, pavoisé des armes de Satsouma. Certes il y avait de quoi s’étonner pour ceux qui croient que le kokshi de Kwanto est empereur du Japon. Aussi ne pouvaient-ils expliquer ce fait que par la terreur qu’inspire le prince de Satsouma. En réalité, le fait est normal dans le sein d’une fédération de princes souverains.

Parmi les faits survenus en janvier 1867, nous avons à enregistrer la mort du Mikado, et, ce qui est plus intéressant, l’inauguration, par le Colorado, d’une ligne de paquebots à vapeur de San-Francisco à Yokohama et Hong-Kong. La première classe paye 250 dollars pour la destination japonaise et 300 dollars pour la destination chinoise. L’affranchissement d’une lettre posant une demi- once est fixé à 10 cents.

En février, nous avons à signaler la mission du kokshi de Satsouma, roi des îles Lion-Kiou, arrivé à Marseille le 1er du mois. Le chef de l’ambassade est Iwashta Sagiyémonh, autrefois ambassadeur de son souverain à la cour de Yedo.

Deux mois plus tard, le 3 avril, débarquait à Marseille l’ambassade du kokshi de Kwanto, présidée par Moukoyama Haïatonotcho, ministre plénipotentiaire, ayant pour secrétaire général Tanabé Taïtshi, qui remplissait déjà les mêmes fonctions à Paris, lors de l’ambassade de Ikéda. À côté du ministre se trouve le 21e enfant du vassal Gosangké de Mito, Tokougaoua Mimboutayou, jeune homme de quinze ans, entouré de jeunes gens destinés, comme lui, à une éducation européenne. Ce jeune Japonais se prépare à l’étude, au milieu des honneurs princiers qu’il reçoit ici, comme frère du Taïkoune de Yédo. Nous sommes heureux de voir l’exemple de Satsouma porter ses fruits, et la marche tracée en cela par le gouvernement de ce prince, depuis 1865, aujourd’hui suivie par le gouvernement de Yédo.

Le résultat de ces éducations européennes sera certainement utile aux relations du Japon et de l’Occident. Ces relations ne sont nouées aujourd’hui que par un commerce superficiel et incomplet. Le mouvement commercial extérieur n’a pas encore pris, au Japon, les allures franches d’intérêts particuliers libres dans leur expansion. Ce mouvement représente cependant une importance déjà considérable. Le seul chiffre accusé officiellement, avec quelques détails, dans les annales du commerce extérieur, remonte à 1862. Pour cette année, le total était de 52 253 240 fr., dont 15 423 580 à l’importation, et 36 829 660 à l’exportation. Le chiffre total est rendu douteux par une contradiction que les documents officiels constatent sans l’expliquer ; car, après avoir indiqué dans un tableau général l’exportation des soies pour une valeur de 32 528 000 fr., ils notent 20 000 balles de soie à 2 500 fr. en moyenne, exportées dans cette seule année ; ce qui représente, pour l’exportation seule de ce produit, une valeur de 50 millions. La part de la France, en 1852, était de 703 000 fr. à l’importation, et 1 569 000 à l’exportation.

Le total de 1863 se montait à 88 millions, dont 63 de marchandises exportées. Il paraît que, pour l’année 1865, le mouvement général d’exportation et d’importation a considérablement augmenté. La progression est croissante l’année en année ; mais les transactions commerciales sont encore loin de ce qu’elles devraient être, car le Japon ne pourra réaliser tout ce qu’il renferme d’activité dans cet ordre que le jour où les intérêts privés seront librement en présence.

Examinons donc, d’après les faits, la voie dans laquelle ces intérêts peuvent se rencontrer dégagés de tout mélange.

VI

L’exposé qui précède n’a pas seulement pour nous un intérêt de curiosité ; de plus graves intérêts sont en jeu dans la question japonaise.

Le Moniteur universel du 11 septembre 1866 disait, dans sa correspondance étrangère, que, malgré le débouché croissant que l’extrême Orient offre aux produits de l’industrie britannique, il faut toujours acquitter en métaux précieux une partie notable des marchandises provenant de ces régions lointaines. On sait combien l’argent afflue de l’Europe dans l’Asie. Southampton est le port principal d’où s’expédie ce métal pour l’Inde, Singapoor et la Chine. Pendant les dix dernières années, de 1806 à 1865, il en est sorti à cette destination pour une valeur totale de près de 92 millions de livres sterling.

Indiquer la possibilité de changer ce mouvement mérite certainement l’attention du monde commercial fit financier. Or, le jour où, par la netteté d’une politique d’intérêt exclusivement commercial, nous aurons fait tomber la défiance d’un peuple de 40 millions d’habitants, qui désire pouvoir manifester librement sa volonté de posséder nos produits, nos instruments et notre travail, il est évident que ce jour-là nous trouverons, chez ce peuple, un large débouché dont la consommation pourra balancer une partie de ce solde que nous payons en numéraire.

Ce résultat serait déjà suffisant pour qu’on en recherchât activement la réalisation. Ce n’est cependant pas tout ; car alors, par l’accord intime de notre activité avec l’action d’hommes intelligents et énergiques comme le sont les Japonais, qui seuls, dans l’extrême Orient, possèdent la conviction profonde qu’un progrès considérable est à réaliser par l’adoption des produits et des moyens de travail de l’industrie occidentale, et qui, de plus, possèdent tous les principes de la civilisation chinoise, nous aurons des agents d’influence intime sur une population de 300 millions de Chinois dont nous ne pouvons nous rapprocher nous-mêmes que par un contact superficiel. Ce résultat serait pour nous un marché d’échange mieux équilibré, et peut-être même un solde numéraire en notre faveur.

Si, jusqu’à présent, nous paraissons si loin du but, c’est que nous ne sommes pas dans la voie qui vient directement y aboutir, et que nous compliquons la question en agissant en dehors de la connaissance exacte de l’état social du Japon.

La France, qui a dépensé du sang et des trésors en Chine et en Cochinchine, qui paye d’une subvention de 10 millions par an, pendant douze ans, la ligne des messageries à vapeur de Marseille à Yokohama, possède, par le seul fait de ces dépenses, un intérêt considérable dans l’extrême Orient.

À côté de cette considération, s’en place une autre non moins importante. Le commerce direct de la France avec l’extrême Orient est de 25 millions à peine, tandis que l’Angleterre fait pour plus d’un milliard d’affaires dans ces mêmes contrées. L’énorme différence de l’action commerciale de ces deux pays n’est causée ni par une infériorité d’aptitude, ni par une infériorité des produits d’importation car, dans tous les autres pays, le mouvement commerce français est supérieur. Pour l’Europe, l’Afrique, l’Amérique, le mouvement direct est de plus de 3 milliards pour la France, et représente un peu moins pour l’Angleterre.

La raison du peu de développement du commerce français dans l’extrême Orient gît simplement dans l’absence de relations directes. L’importance générale de cet état de choses est évidente, parce que la puissance d’une nation étant en raison directe du développement de son industrie et de son agriculture, ce développement ne pouvant être provoqué que par la consommation, et la consommation se trouvant représentée, à sa plus haute puissance, par le commerce extérieur, il en résulte que ce commerce se pose immédiatement devant les gouvernements comme un sphinx dont ils doivent deviner l’énigme.

En France, le gouvernement de l’Empereur a compris l’importance capitale de cette question, dans laquelle plusieurs considérations particulières réclament des encouragements spéciaux. Ainsi, l’industrie séricicole représente une part considérable des intérêts généraux de l’industrie française. Le pays achète, chaque année, pour plus de 250 millions de soie à l’étranger. La plus grande partie de ces soies viennent de Chine et du Japon. Or, quel est le résultat de l’absence de relations directes ? C’est que ces soies arrivent sur le marché de Lyon inutilement grevées de frais que la France pourrait économiser. Il faut rémunérer l’importateur étranger, le spéculateur étranger qui achète de l’importateur, les commissionnaires qui sont les intermédiaires de tout ce mouvement, jusqu’au négociant français, qui, lui-même, transmet la matière première au manufacturier. D’autres frais grèvent encore inutilement la marchandise, car celle-ci traverse la France pour se rendre au marché de Londres, supporte des frais de roulage, de transbordement et d’emmagasinage, pour revenir sur ses pas et être finalement consommée à Lyon. Cet exposé dispense de tout commentaire.

Pénétrons davantage dans la question, et nous verrons le dépérissement de la production de la soie, qui était autrefois la fortune du paysan dans le midi de la France. On néglige aujourd’hui les plantations de mûriers ; non-seulement on ne plante plus, mais on détruit les vieilles plantations, parce que la maladie qui frappe le ver rend inutile la culture du mûrier. Or, le Japon possède une race de vers rustiques et robustes qui ne sont pas atteints par le mal et peuvent régénérer les races françaises. Pour avoir cette graine dans d’utiles conditions, nous aurions besoin de la liberté des rapports directs avec les producteurs. Nous aboutissons donc encore à la même conclusion, à cette liberté qui met en présence les individus et qui leur permet ainsi de chercher des amis, des producteurs ou des consommateurs, suivant l’exigence des besoins réciproques. C’est la liberté de ces rapports directs que réclament notre commerce de la soie, les besoins croissants de débouchés pour les produits de notre industrie et la nécessité de réagir contre l’absorption monétaire de l’Europe par l’extrême Orient.

La question s’élargit encore quand on considère les nombreux éléments de richesse que renferme la terre japonaise. La soie, le coton, le thé, l’or, le cuivre, l’argent et l’étain peuvent abondamment fournir à l’exportation. Par contre, les Japonais ont besoin de nos produits, de notre travail, de nos machines industrielles. Le plus grand nombre de leurs objets de consommation sont obtenus par eux à un prix supérieur à la somme totale représentée par l’envoi de leurs matières premières en Europe, la main-d’œuvre européenne, le retour au Japon, et par les frais et bénéfices auxquels donnerait lieu ce mouvement.

Il y a donc, dans ces circonstances économiques, une situation des plus intéressantes pour l’avantage réciproque du Japon et de l’Occident. Les Japonais ont besoin de notre travail, car, seuls, ils ne pourraient parvenir à un résultat aussi prompt que celui qui leur est facilité par la présence de l’expérience européenne. Les progrès de notre civilisation représentent des siècles de tâtonnements et d’études. Nous leur apportons le progrès réalisé, l’avantage est donc réciproque. Pour que ce double intérêt puisse passer de la théorie dans la pratique, il faut, avant tout, posséder la liberté des relations : or cette liberté nous est offerte par les Japonais ; aucune barrière ne nous arrête, si ce n’est l’indolence des gouvernements de l’Europe à continuer l’œuvre commencée au Japon en 1854. Sous prétexte de ne pas compliquer la question, l’administration reste dans ce premier sillon tracé, au grand détriment du commerce, de l’industrie et des rapports sociaux des peuples entre eux.

Pour profiter de la disposition intelligente des Japonais, nous avons à suivre une route bien facile, c’est de rechercher simplement vis-à-vis d’eux notre intérêt industriel et commercial ; dans cette voie, les Japonais savent qu’ils auront plus à profiter que nous-mêmes. Aussi sont-ils prêts à nous recevoir partout, dès qu’ils seront persuadés que nous n’avons pas d’autre intérêt. En définitive, aucun autre but ne peut nous solliciter. Il ne nous serait pas utile d’affaiblir ce pays pour le livrer à la Russie. Nous ne pouvons y désirer une conquête violente, qui nous apporterait plus de pertes que de bénéfices, et qui serait injustifiable envers un peuple qui représente tous les éléments d’action que réclame notre civilisation.

Dans ces considérations, comme dans l’appréciation de nos intérêts, comme dans l’étude des ressources puissantes du Japon, tout nous montre le but, qui doit consister simplement en ceci : Aider au développement naturel de cette nation dans son génie spécial, et retrouver chez elle de nouveaux éléments d’activité pour nous-mêmes en respectant son organisation politique.

Non-seulement l’intérêt de l’Occident est d’accord avec l’intérêt du Japon, mais les Japonais le savent, et l’examen des faits nous montre les esprits dans les hautes régions des pouvoirs indigènes, entièrement disposés à une alliance intime et progressive. Dans ce sens, nous voyons se produire au Japon un mouvement intelligent et matériellement puissant, qui réunit les pouvoirs et les individualités privées dans le même courant.

Ne contrarions pas cette disposition, comme cela eut lieu à une autre époque. En 1542, les Japonais avaient déjà ouvert les bras aux premiers représentants de l’Occident qui foulèrent alors le sol de leur terre lointaine. Le christianisme se développa chez eux jusqu’en 1638 ; mais, à cette date, éclata la rébellion chrétienne de Arima et de Sima-Barra, et ce soulèvement, provoqué par l’étranger, mit un terme à la considération dont les chrétiens étaient entourés ; ils furent massacrés, et la religion du Christ fut prohibée.

De 1638 à 1854, les Japonais s’isolèrent complètement. Humbles témoins des anciennes relations, quelques Hollandais furent relégués à Decima.

En 1854, survint l’initiative des Américains, qui s’adressèrent à Yedo pour traiter avec le Japon. Ils réussirent, c’est-à-dire qu’ils furent admis sur quelques points des domaines dont Yedo est la capitale. Le premier traité des États-Unis eut lieu le 31 mars 1854. Trois ans après, le 17 juin 1857, une convention fut faite. Enfin, une alliance commerciale fut définitivement conclue entre les deux peuples, le 29 juillet 1858. Les Anglais suivirent leur exemple par une première convention le 14 octobre 1854, et par un traité signé le 29 août 1858. La Russie ne resta pas longtemps en arrière. Elle traita d’abord le 28 janvier 1855, puis le 7 août 1858. À la suite de cette triple action, vinrent les Pays-Bas, le 30 janvier 1856 ; la France, le 9 octobre 1858 ; le Portugal, le 3 août 1860. Enfin, la route fut ouverte à toutes les nations qui demandèrent à Yedo les mêmes privilèges.

D’après ces traités, Hakodadé, Kanagawa et Nangasaki furent désignés comme premiers postes d’admission pour les étrangers. Ces villes ne sont pas ouvertes dans l’empire japonais, suivant le sens général que l’on donne d’habitude au mot empire, mais seulement sur les territoires dépendant des princes de Kwanto avec lesquels les étrangers ont traité. Outre ces trois stations d’échange et de contact superficiel, l’ouverture de quatre autres ports et villes devait être faite par le gouvernement de Yedo sur son territoire, à des époques déterminées. Le dernier terme était 1863. Malgré les conventions, nous voici, en 1867, admis seulement dans les trois premières villes ouvertes : Nangasaki, Yokohama, échangé contre Kanagawa, et Hakodadé. Les rapports restent superficiels nous avons trois stations dans une des principautés du Japon mais le Japon politique, industriel et commercial ne nous est pas ouvert.

En résumé, la situation actuelle s’exprime par l’accord naturel des intérêts de l’Europe avec ceux du Japon par la conscience qu’ont les Japonais de cet accord par leur mouvement d’autonomie vers l’alliance véritable ; par leurs dispositions généreuses et intelligentes déjà manifestées, il y a plus de trois cents ans, dans un courant brusquement arrêté à la suite de l’injustice et de la violence des prétentions étrangères. Aujourd’hui, le même courant s’est reformé l’alliance d’abord imposée est maintenant le mot d’ordre de l’autonomie japonaise. Malgré cela, certaines appréhensions s’interposent entre les Japonais et les étrangers. Telle est la situation qui nous présente ce curieux phénomène de prémisses concluant à l’accord parfait et aboutissant au contraire. Les étrangers auraient-ils donc commis de nouveau la faute dont ils ont été les victimes en 1638 et semé la défiance dans une terre disposée à produire l’union confiante de deux courants, dont l’un doit être le complément de l’autre ? C’est l’examen des faits qui doit nous répondre.

Au début de la question, on s’adressa au gouvernement de Yedo ; là n’était pas le mal. Le chef de ce gouvernement est un prince particulier, maître dans ses États, et qui, par lui-même, pouvait commencer à donner satisfaction aux étrangers. Cependant, au-dessus de la question de fait particulier, il y avait une question de droit général ; car le pays tout entier avait accepté l’expulsion perpétuelle des étrangers en 1638. Il fallait abroger ce décret, et la chambre fédérale seule, se manifestant par la décision du Mikado, était apte à légitimer une nouvelle admission des étrangers sur le sol japonais. C’est pour cela que les traités conclus avec le prince de Kwanto furent faits au nom du Mikado, qui devait les ratifier. Les Américains n’attendirent pas la décision de Kioto ; ils crurent à un prétexte de la part du gouvernement de Yedo et non pas à un fait légal. Par là, ils mirent ce gouvernement dans une fausse position vis-à-vis des autres gouvernements du pays.

Malgré cette faute, le mal n’était pas grand à cause des nombreuses adhésions que rencontrait l’alliance étrangère. Ce premier pas fait, l’essentiel était de rester logique et de poursuivre dans le sens de la démarche accomplie. Les étrangers s’étaient adressés à un prince particulier, au lieu de recourir à la chambre fédérale et directement au Mikado ; la logique leur indiquait donc l’alliance des plus puissants chefs d’États, en provoquant entre ces princes une concurrence de concessions en leur faveur. Cette marche complétait, ainsi, vis-à-vis du Japon, l’action commencée vis-à-vis de Yedo. Les puissances étrangères, en constatant que les traités conclus avaient une entière valeur dans la principauté contractante, pouvaient justifier leur politique et se contenter d’avoir traité avec une autorité locale, à la condition de demander une même alliance aux autres localités.

Le contraire fut fait. Les étrangers s’arrêtèrent au début. Cette seconde faute fut plus grave que la première car cet acte signifie, aux yeux des Japonais, mépris pour leur ordre social, volonté de ne rechercher par la politique d’exclusion qu’un prétexte d’immixtion intérieure, enfin, masque pour couvrir les mêmes prétentions que celles contre lesquelles ils ont eu à lutter en 1638. Devant ces convictions, auxquelles les faits semblent malheureusement donner raison, il n’y a pas lieu de s’étonner de voir quelque défiance entourer les étrangers au Japon, même chez le prince que leur politique favorise à l’exclusion des autres.

Ce dernier résultat est naturel, car le rayonnement de vanité dont nous entourons notre allié, le prince de Kwanto, se traduit à l’intérieur par désaffection et déconsidération. Il se sent dominé par nous ; il voit notre politique le séparer de ses pairs et favoriser, même parmi les vassaux de ses domaines, l’espérance de se rendre indépendants le jour où nous serions disposés à nous montrer ouvertement protecteurs d’un prince japonais contre la nation japonaise. Avouons que, dans ces circonstances, notre protégé n’est pas le plus heureux des princes et qu’il est bien excusable de ne pas trop chérir ses protecteurs. La politique étrangère lui persuadera certainement qu’elle l’élève au-dessus de ses pairs, qu’elle ne veut que son intérêt exclusif, qu’elle travaille pour lui, décide pour lui, même contre lui et pour son bien malgré tous ces avantages, le prince de Kwanto se sent isolé dans son pays et dominé par la politique d’exclusion adoptée par les étrangers. Il en résulte pour le chef de l’État de Kwanto une position très difficile ; son gouvernement indécis et troublé devant le Mikado, devant la puissance de ses pairs, devant l’envahissement de ses propres vassaux, voudrait, contenter les étrangers en conservant la position exclusive que ceux-ci lui ont infligée, et se rattacher à l’ordre intérieur auquel il ne peut échapper.

Ce sont donc les effets de cette politique d’exclusion, protectrice d’un seul prince, qui nous arrêtent devant un peuple disposé a nous donner de grandes satisfactions sociales, industrielles et commerciales. Et quel reproche pouvons-nous faire au shiogoune lui-même à propos de la non-exécution du traité conclu avec lui ? C’est de plein gré que nous avons suivi cette voie, et c’est nous-mêmes qui apportons les complications qui entravent le résultat final. En réalité, cette attitude est dangereuse pour le prince de Kwanto, et de plus elle est nuisible aux intérêts de l’industrie et du commerce de l’Europe dont elle limite la sphère d’action. Cette politique prive l’Europe de relations nouvelles, arrête l’essor des premiers privilèges concédés et met les intérêts privés en face d’un monopole, au lieu de les laisser libres devant les besoins d’une nation intelligente, qui désire l’alliance étrangère, mais refuse de courber la tête devant un ordre factice, éclos dans le cerveau des Européens.

En dehors de ces considérations pénibles, la politique d’exclusion nous menace d’un véritable danger : ce serait de nous obliger à prendre un rôle d’immixion intérieure. Ce rôle, en désaccord avec l’intérêt de nos finances publiques, réprouvé par le sentiment de notre époque, condamné par l’expérience du passé, serait la conséquence naturelle du patronage exclusif que nous accordons au prince de Kwanto ; en outre, ce rôle serait particulièrement ingrat, parce que les intérêts du prince l’entraînant dans le courant national, nous serions alors au Japon des protecteurs sans protégé.

À toutes ces difficultés, le remède est facile c’est de considérer notre premier acte diplomatique au Japon comme le début d’une politique libérale et non comme le fait accompli d’une politique exclusive.

Au lieu de nous immiscer dans la question d’ordre intérieur, cherchons à donner satisfaction à nos intérêts moraux, scientifiques, industriels et commerciaux. Nous respecterons ainsi le droit des autres, en réalisant pour nous-mêmes les plus grands avantages. À l’abri de notre première alliance, se développe déjà un commerce important ; mais il dépend de nous de lui donner une importance plus considérable par un contact plus intime ; il dépend de nous d’obtenir l’introduction du travail européen dans le pays, d’entrer en alliance réelle avec la nation, et de franchir sans violence les limites tracées à la suite de nos premières relations. Nous nous trouverons alors directement en face d’un peuple capable d’imprimer un essor puissant a des intérêts légitimes de la civilisation occidentale, dont le concours loyal sera, pour les Japonais, une source de progrès véritable.

Ne nous endormons pas dans le premier sillon tracé ; ne nous arrêtons pas devant une portion d’un pays avec la volonté d’y voir le pays tout entier ; si nous voulons l’unité, laissons naître ce fait comme le résultat d’un équilibre naturel, mais ne nous obstinons pas à le voir avant qu’il ne se soit produit. Cette attitude légale et pacifique concilie l’intérêt japonais avec les intérêts industriels et commerciaux de l’Occident. C’est la seule politique que nous ayons suivre ; elle se résume ainsi : Constamment grandir notre action pacifique, en considérant le premier pas de notre diplomatie comme le début d’une politique libérale et non comme le fait accompli d’une politique d’exclusion.

De tout ce qui précède, il résulte que le peuple japonais se sépare des autres peuples d’Orient par son activité autonome, sa vitalité sociale, son intelligence à comprendre les progrès de notre civilisation et par son désir d’assimiler ces progrès. Du travail précédent, il résulte encore que le Japon possède de puissants éléments de production et d’échange, à la mise en valeur desquels l’Europe peut prendre une large part. La voie précise de l’intérêt européen se montre nettement définie dans la culture pacifique de ces forces, et aidant l’action locale et en respectant son autonomie puissante, loin d’entraîner cette évolution naturelle par une politique exclusive pleine d’interventions injustes et périlleuses. Cette ligne politique la plus facile à poursuivre, est en même temps la seule qui sert les intérêts des deux civilisations. Notre intérêt nous convie à emploi fécond de notre activité ; le peuple japonais nous désire et nous ouvre la porte. Ne résistons pas à ce double intérêt pour le plaisir d’ouvrir, par la violence, une brèche a côté d’une porte qui nous est largement ouverte.


APPENDICE

I
PRINCIPALES MAISONS JAPONAISES

Au sommet de la hiérarchie japonaise se trouve le Téneshi, descendant honoré, mais sans puissance personnelle, des anciens souverains du Japon.

À côté de la famille immédiate du Téneshi sont placées les quatre familles Shin’nogata.

Ce sont :

Foudjimi no Miya.

Arizou-gaoua no Miya.

Kadzoura dono.

Kéne-ine dono.

À la suite des Shin’nogata, viennent les cinq familles Goséké, dans lesquelles le Téneshi choisit toujours son kwampakou, ou premier ministre.

Les familles Goséké appartiennent à la tige Foudjiouara, dont les droits remontent à Tène-dji Tène-hoo, 39e mikado.

Les familles Goséké sont :

Konoé-dono.

Koudjio-dono.

Nidjiô-dono.

Yétijiô-dono.

Takadzou Kasa-dono.

Toutes les familles précédentes sont entourées d’honneurs et de respects, mais n’ont aucun pouvoir territorial.

Il en est autrement des 19 Kokoushis ; leurs membres se rattachent à cinq tiges dont les droits souverains ont été reconnus à différentes époques.

Ces tiges premières sont celles de :

Guenedji, qui date du 56e mikado, Séoua Tèue-hoo.

Sougaouara, du 11e mikado, Suï-nine Tène-hoo.

Foudjiouara, du 39e mikado, Tène-dji Tène-hoo.

Ohoé, du 51e mikado Héi-Séï Tène-hoo.

Héké, du 50e mikado Kam’mhou Tène-hoo.

Les Kokoushis sont :

Toukougaoua Minamoto, prince de Kwanto, de la tige Guène-dji.

Maïda Kaga, tiounagon dono, prince de Kaga, de la tige Sougaouara.

Shimadz Shirino-daïbou, prince de Satsouma, de la tige Guène-dji.

Daté, Mouts’-no-Kami, prince de Sène-daï, de la tige Foudjiouara.

Foso Kaoua, Ettiou-no-Kami, prince de Higo, de la tige Guène-dji.

Kouroda, Mino-no Kami, prince de Tikoudzène, de la tige Guène-dji.

Asano, Aki-no-Kami, prince de Aki, de la tige Guène-dji.

Moori, Daizène-daïbou, prince de Nagato, de la tige Ohoé.

Nabésima, Hitzène-no-Kami, prince de Hitzène, de la tige Foudjiouara.

Ikéda, Sagami-no-Kami, prince de Inaba, de la tige Guène-dji.

Ikéda, Koura-no-Kami, prince de Bizène, de la tige Guène-dji.

Toodo, Idsoumi-no-Kami, prince de Tsou, de la tige Foudjiouara.

Hakshiska, Aoua-no-Kami, prince de Aoua, de la tige Guène-dji.

Yama-no-outshi, Tosa-no-Kami, prince de Tosa, de la tige Foudjiouara.

Arima, Guèm’ba-no-Kami, prince de Kouroumé, de la tige Guène-dji.

Sataké, Woukigo-no-daïbou, prince de Akita, de la tige Guène-dji.

Nambou, Daïzène-daïbou, prince de Nambou, de la tige Guène-dji.

Oués’gui, Dandjio Daïsitsou, prince de Yonésaoua, de la tige Foudjiouara.

Sôho, Tsousima-no-Kami, prince de Tsousima, de la tige Héké.

Les principales familles Touzama sont les suivantes :

Tatibana, Hida-no-Kami, seigneur de Yanagaoua dans Tikougo (Guène-dji).

Nioua, Woukidjo-no-daïbou, seigneur de Nifon-mads’ (tige Foudjiouara).

Tsougale Ettiou-no-Kami, seigneur de Tsougale (Foudjiouara).

Mizogouti, Souzène-no-Kami, seigneur de Shibata, dans Etigo (tige Guène-dji).

Mats’woura, Iki-no-Kami, seigneur de Hirato et de l’île de Iki, dans les îles Hidzène (tige Guène-dji).

Kiho-gokou, Sado-no-Kami, seigneur de Madz’gam’, dans Sanoki (tige Guène-dji).

Kiho-gokou, Hida-no-Kami, seigneur de Tojo-oka, dans Tadjma (tige Guène-dji).

Hori, Tamba-no-Kami, seigneur de Mouramads’, dans Etigo (tige Foudjiouara).

Ota, Shiobou-no-daïbou (tige Héké).

Hodjiô, Sagami-no-Kami, seigneur de Sagama dans Kaouati (tige Héké).

Hakshiba, Kinos’ta, Bittiou-no-Kami (tige Touyotoni).

Parmi les familles vassales, les principales sont les suivantes :

Les trois familles de vassaux Gosangké.

Owari-dono, dans la province d’Owari.

Ki-dono, dans la province de Kishiou.

Mito-dono, dans la province de Mito.

Les huit vassaux Gokamongké :

Mats’daïra, Mikaoua-no-Kami, à Tsouyama, province de Mimasaka.

Mats’daira, Etshidzène-no-Kami, à Fkouyé, province de Etshidzène.

Mats’daïra, Déoua-no-Kami, à Matsoué, dans la province de Edzoumo.

Mats’daïra Yamoto-no-Kami, à Kaouâgoé, dans la province de Mouzashi.

Mats’daïra shiobou-daïbou, à Akashi, dans la province de Harima.

Mats’daïra, Aigo-no-Kami, à Aïzou, dans la province de Hoshio.

Mats’daïra, Simosa-no-Kami, à Oshi, dans la province de Mouzashi.

Mats’daira, Houkong-Shioguène, à Hamada, dans la province de Iouami.

Les vassaux Gosangkio au nombre de trois :

Stoutsbashi-dono.

Taïasou-dono.

Shimids’-dono.

Parmi les principaux vassaux Kovdaï ou Foudaï, nous mentionnerons :

Hy Kamon’-no-Kami, de Hikoné (Foudjiouara).

Sakaï, Wouta-no-Kami de Himédji dans Harima (Guène-dji).

Sakaï, Saïmonh-no-djo, de Sigonaï dans Déoua (Guène-dji).

Sakakibara, Sikibou-no-daïbou, de Takada, dans Etigo (Guène-dji).

Ogasaouara, Sina-no-Kami, de Kokoura, dans Bizène (Guène-dji).

Oho-Koubo, Kaga-no-Kami, de Odoouara (Foudjiouara).

Midzouno, Idzoumi-no-Kami, de Iamagata, dans Deoua (Guène-dji).

Midzouno, Deoua-no-Kami, de Noumadzou, dans Sourouga (Guène-dji).

Naïto, Ky-no-Kami, de Nagaoka, dans Etigo (Foudjiouara).

Naïto, Sakon’-no-Shoguène, de Nabéôka, dans Hiwonga (Foudjioura).

Ando, Tsousima-no-Kami, de Ouwaki dans Mouts’(Foudjiouara).

Ohota, Séts’-no-Kami, de Kakégaoua, dans Tootoumi (Guène-dji).

Yaguiwou, Tadjima-no-Kami, de Yaguiwou dans Yamato (Sougaouara).

II
MONNAIES, POIDS ET MESURES JAPONAIS

Au Japon, les étrangers comptent par piastres, qui représentent un nombre plus ou moins grand d’une petite monnaie d’argent nommée bou, et plus vulgairement par les Européens itshibou, qui veut dire un bou. C’est une monnaie dont la surface représente un parallélogramme de 24 millimètres sur 15 ; son épaisseur est de 8 millimètres, et son poids de 8 grammes 900. D’après l’analyse, sa valeur est de 1 fr. 77 c. En contradiction avec cette valeur, le commerce, au Japon, échange 100 piastres contre 240 itshibous, La douane accorde par privilège aux employés des gouvernements étrangers le change de 100 piastres contre 311 itshibous. Ce privilège est limité par jour pour une somme qui varie suivant le grade.

Le bou vaut 16 tempos et 1 600 tsénis. Le tempo est une monnaie de cnivre d’une forme ovale et percée dans son milieu d’une ouverture carrée. Le tsénis est fait d’un alliage de cuivre et de fer ; sa forme est ronde ; cette pièce est percée comme le tempo. On trouve également des petites pièces d’argent d’un demi et d’un quart de bou. En fontes supérieures, il y a le nibou en alliage d’or et d’argent, de même forme que l’itshibou, pesant 2 gr. 900, et valant, d’après l’analyse, 2 fr. 7849. Le koban est en or et allié d’argent ; sa forme est ovale, son épaisseur très faible ; il pèse 3 gr. 500 et vaut, d’après l’analyse, 7 fr. 2089.

Toutes ces analyses, qui donnent au bou, au nibou et au koban une valeur très-différente de celle adoptée généralement, ont été faites avec un soin extrême en présence de l’auteur de ces lignes, à la Monnaie de Bruxelles, par la bienveillance du directeur de cet établissement.

En outre de ces pièces, on trouve encore au Japon de grandes plaques d’or de forme ovale. Ce sont les Hobans, qui ne sont presque plus dans la circulation marchande.

L’unité de poids est le mommé ou itshi mommé, qui pèse 3 gr. 75. Il se divise en poune, rine et mo, qui représentent le 1/10, 1/100, 1/1000 du mommé.

10 mommés équivalent à un tâl. 160 mommés — à un kine ou katti = 600 grammes. 1, 000 mommés — à un kouane mé ou ikkouanne mè.

Le thé se pèse généralement par poids de 200 mommés. Les métaux précieux ne se pèsent que par mommés.

L’unité de longueur est le shiakou ou isshiakou, ou kané shiakou, ou kané sashi ; sa mesure est de 0m,303.

Le dixième du kané shiakou est le soune.

Le centième est le bou.

Le millième est le rine.

1 hiro vaut 5 kané shiakou.

1 kène en vaut 6 et 3 dixièmes.

1 djoo en vaut dix.

Pour la mesure des étoffes, l’unité est le tsouné shiakou ou koudjira shiakou, ou tsouné sashi ; il vaut 0m,378. Il se subdivise aussi, aux dixième, centième et millième, en soune, bou, rine. Il se compose en unités supérieures, qui sont :

Le koudjira djoo, valant 10 koudjira shiakou.

Le tane — 26 —

Le hiki — 52 —

Les longueurs itinéraires sont comptées par tsho ou matshi de 60 kènes et par ri de 36 tshos.

Le tsho vaut 114 mètres 534.

Le ri — 4 023 — 224.

L’unité de superficie est le poo ou flotsbou, mesurant un kène carré ; il vaut 3 mètres carrés 634281. En unités supérieures : le ou issé est un rectangle de 30 poos par 6 sur 5. Le tane carré ou tsikakoï it tane représente 300 poos par 20 sur 15. Le tshoo carré ou isikakoi itshoo comprend 3,000 poos par 60 sur 50. L’unité de capacité est le shoo ou isshoo ou mass. C’est un cube de 15 centimètres de côté et 8 centimètres de profondeur ; il représente donc 1 800 centimètres cubes. Le 1/10 du shoo est le ngoo ; le 1/1000 du shoo est le ngoo ; le 1/1000 du shoo est le shiakou cube ou riou-fo-no-schiakou ; le 1/1000 du shoo est le saï ou issaï ; 10 shoos valent 1 to, ou itto, ou tomass, ou djyshoo ; 10 tos valent 1 kokou ou itshikokou, ou djitto. La valeur de cette dernière mesure est donc de 180 litres.

III
NOTE SUR LA CONVENTION PASSÉE LE 21 AVRIL, ENTRE LES REPRÉSENTANTS DU GOUVERNEMENT DE KWANTO ET CELUI DE SATSOUMA

La Liberté, du 26 avril 1867, apprécie dans les lignes suivantes la convention passée entre le représentant du gouvernement de Kwanto et celui de Satsouma :

Hier encore, à l’Exposition universelle on voyait accumulés, dans la section de l’extrême Orient, à côté des produits de l’empire du Milieu, ceux du Japon et du royaume de Liou-Kiou.

Aujourd’hui, l’exposition du Japon et celle des Liou-Kiou ont changé de nom. Elles se sont réunies sous le drapeau du Mikado, qui est celui de la confédération japonaise, restant toutefois séparées et distinguées par les pavillons qui flottent au-dessus de chacune d’elles d’un côté, les couleurs du gouvernement du Taïkoune ; de l’autre, celles du gouvernement du Taïshiou de Satsouma, roi des îles Liou-Kiou c’est-à-dire la preuve irréfutable que le Taïkoune n’est pas empereur du Japon, mais bien, comme le Taïshiou de Satsouma et les autres Daïmios Kokshis, un prince indépendant, souverain seulement dans ses États, l’égal et non le supérieur des autres Daïmios.

D’où provient un changement si subit ? Une lumière si vive éclairant d’un nouveau jour les ténèbres qui, jusqu’à présent, ont enveloppé lu Japon ?

Dimanche, 21 avril 1867, en présence de M. le baron de Lesseps et de M. Donnat, délégués par M. Le Phy, conseiller d’État, commissaire général de l’Exposition universelle, eut lieu une longue conférence entre Son Exc. l’ambassadeur du Taïkoune, représenté par son secrétaire général Tanabé Taïtshi, fondé de pouvoirs, et M. le comte des Cantons de Montblanc, chargé des pleine pouvoirs du Taïshiou de Satsouma, roi des îles Liou-Kiou.

À la suite de cette conférence, il a été décidé, d’accord avec les représentants des deux gouvernements, que les produits envoyés à l’Exposition universelle de Paris par chacun d’eux figureraient sous la bannière commune de la Confédération japonaise, et seraient distingués par les armes de chacun de ces deux chefs d’États, ainsi que par l’inscription de Gouvernement du Taïkoune, pour l’un ; gouvernement du Taïshiou de Satsouma, pour l’autre.

Les résultats importants de cette conférence ont été enregistrés à Paris, et signés en triple expédition, dont une, déposée entre les mains de la commission impériale ; la deuxième remise à l’ambassadeur du Taïkoune, et l’autre à M. le comte des Cantons de Montblanc.

a. réal.

Cet article est d’autant plus saillant qu’il succédait immédiatement, dans la même colonne, à un autre article inspiré par les erreurs qui règnent encore dans la plupart des esprits, au sujet de la constitution politique du Japon.

À cette même occasion, le journal la France parle de ce fait authentique et officiellement constaté, comme étant de nature à éclaircir quelques points obscurs dans l’ordre politique de la société japonaise.

Ai-je réussi à montrer que la question n’aurait jamais dû être obscure ? J’ose l’espérer. Au moins, j’ai aujourd’hui la satisfaction de n’être plus seul à défendre la vérité, qui paraissait si fantastique lorsque je la formulai pour la première fois.

Aujourd’hui 1er mai, dans le journal la France, a paru un article remarquable « extrait d’une note de M. Mermet de Cachon, interprète officiel de Sa Majesté pour la langue japonaise. »

On y lit :

Ce que nous avons appelé jusqu’à présent l’empire japonais est, en réalité, une grande confédération de princes héréditaires, dont le Taïkoune est membre au même titre que les Taïshious ou Taïkounes (deux mots qui ont le même sens) de Satsouma, de Nagato, de Fidjène, de Kaga, etc. Le Taïkoune ou Taïshiou de Yedo faisait autrefois trembler ses voisins ; aujourd’hui les plus puissants Taïshious sont ceux de Satsouma, de Nagato et leurs alliés ; à leur tour ils intimident le Taïkoune de Yedo.

On a attribué à ce Taïkoune une certaine autorité sur les autres Daïmios, sous prétexte qu’il était seul à recevoir l’investiture du Mikado, souverain spirituel du Japon. C’est une erreur.

Tout daïmio arrivant au pouvoir reçoit l’investiture religieuse du Mikado ; le Daïmio ou Taïkoune de Yedo comme les autres, mais pas plus que les autres.

Toutes les fois que les agents diplomatiques établis à Yedo ont demandé la punition des Japonais coupables d’avoir assassiné des Européens, on leur a opposé la même fin de non-recevoir. Les meurtriers étaient les sujets d’autres Daïmios, et le Taïkoune de Yedo n’avait pas juridiction sur eux.

Chaque Taïkoune ou Daïmio a son gouvernement particulier, ses finances, son armée, son escadre, ses arsenaux. Il est maître absolu chez lui. S’il doit hommage à quelqu’un, c’est au Mikado, et cet hommage est fort peu de chose en ce qui concerne les affaires de ce monde.

Il y a un an, le Taïkoune de Nagato battait celui de Yedo et demeurait maître du détroit de Chimonocheki ; les alliés du Taïkoune de Nagato l’ont prié d’épargner les Daïmios alliés au Taïkoune de Yedo.

Le Taïkoune de Yedo voudrait être l’intermédiaire obligé de tout le commerce entre l’Europe et le Japon. Les autres Taïkounes, au contraire, veulent entretenir des rapports directs avec les États européens…

Le Daïmio de Satsouma a pris l’initiative ; nous avons vu comment il a affirmé et fortifié, à l’Exposition universelle, ses droits de souverain indépendant.

  1. Nous avertissons le lecteur que nous avons dû choisir pour l’orthographe des noms et titres japonais celle qui représente la prononciation indigène ; car les bases des écritures japonaises rendent fantastique tout essai d’orthographe par traduction littérale.