La Revue blancheTome XXVII (p. 173-175).

LE GREC


La Grèce ! Une sensualité lourde et léthargique, se résolvant toute en gaz dans le sentiment esthétique. La matière vaincue par ce qu’elle irradie — de la beauté ! De la beauté libérée, rendue au mouvement et qu’un charme a transformée en grâce !

Il était assis dans un parc. Autour de lui, sur les chemins, dans les allées, des êtres lourds et pesants... des créatures humaines !

Une robe de batiste blanche s’approche en volant... Des cheveux blond cendré, longs, lâches, des cheveux de soie. Des jambes délicates et élancées qu’enferment des bas noirs. Elle a treize ans. On voit, au-dessus du genou, passer les petits pantalons blancs. Elle vole sur le chemin avec son cerceau. Des ailes partout. Les jeux olympiques...

    1. s

Son œil fixe la suit. Elle oblique et passe en volant.

— Ah ! soupire-t-il, c’est beau !... Tu es une créature humaine, tu. te meus.

En faisant des courbes, elle revient lentement. Le cerceau danse... danse.

— Ah ! te voir nue, toute nue, jouer au cerceau dans une prairie de satin odorante, dans les ombres du soir et voler... Voler ! Et puis alors tu rejetterais pur un mouvement arrondi tes cheveux blonds en arrière, et nous boirions avec les yeux, cet organe amoureux d’une âme d’artiste. ton corps blanc et svelte... pour l’amour de la beauté !

Il dit :

— Mademoiselle, le cerceau est un noble instrument...

— Comment cela ! demanda la Vierge-Enfant ; un bois recourbé... c’est très facile.

Il la regarda comme on contemple un sapin résineux dans la haute futaie, le vol magnifique de l’autour qui plane en un point au-dessus du bois sur qui tombe le soir, un cygne sur un lac, ou le visage d’un artiste, quand la pensée est sur lui. Il la regarda comme on contemple ce qui est libre, beau, naturel... en amour de la Beauté.

Elle vola autour de la grande prairie et revint près de lui.

La fatigue l’avait gagnée. Charmante, elle restait là, doucement appuyée sur son cerceau... et elle le regardait.

Diane...

Il dit :

— Vous allez prendre froid ; vous êtes en nage et toute pâle d’avoir couru.

— Je suis toujours pâle, dit-elle.

— Et, cependant, le mouvement semble être votre nature.

— J’aime le mouvement, dit-elle.

Elle s’assit sur le banc à son côté.

Il sentait :

— Tu es une chose en puissance de devenir. Il était abîmé dans l’amour de la beauté.

Il buvait des yeux la beauté de cette créature humaine et il s’enivrait.

Sa robe avait le parfum d’un corps chaud et puéril. Ses cheveux embaumaient...

Sa douce haleine nagea vers lui. Des tilleuls descendait le parfum des fleurs jaune-vertes. Deux haleines de la nature.

Elle restait là, sans mouvement...

Il l’attira contre lui et l’embrassa sur le front.

Elle restait là, sans mouvement.

Puis elle se leva et dit :

— Adieu. Revenez-vous demain ?

Et la Grèce disparut sur les prairies, dans le brouillard gris...

Il la suivit du regard :

— Toi, toi, te voir nue, toute nue, jouer au cerceau sur une prairie parfumée, dans les ombres du soir, et voler... voler et, quand tu serais lasse, m’asseoir à côté de toi, à la lisière du bois, dans les ombres du soir, et alors aspirer le parfum de la terre du bois mouillée et de la prairie et de ton corps, et absorber en soi la beauté du monde ; et croître, grandir grâce à ces forces de beauté qui pénètrent dans l’œil par mille rayons, dans le cerveau par mille atomes, en devenir tout plein, et se sentir riche de ces forces de tension latentes et concentrées ; et cette richesse, la transformer en amour, en pensée, et faire produire à ces forces réduites en mouvement une force nouvelle — inépuisable... voilà ce qui s’appelle « vivre » !

Mais nous — nous ne vivons pas !!