Le Grand voyage du pays des Hurons/02/04

Librairie Tross (p. 230-237).

Des fruicts, plantes, arbres et richesses du pays.

Chapitre IIII.


E n beaucoup d’endroicts, contrées, isles et pays, le long des riuieres et dans les bois, il y a si grande quantité de Bluës, que les Hurons appellent Ohentaqué, et autres petits fruicts, qu’ils appellent d’un nom general Hahique, que les Sau-327||uages en font seicherie pour l’hyuer, comme nous faisons des prunes seichées au soleil, et cela leur sert de confitures pour les malades, et pour donner goust à leur Sagamité, et aussi pour mettre dans les petits pains qu’ils font cuire sous les cendres. Nous en mangeasmes en quantité sur les chemins, comme aussi des fraizes, qu’ils nomment Tichionte, auec de certaines graines rougeastres, et grosses comme gros pois, que ie trouvois tres-bonnes ; mais ie n’en ay point veu en Canada ny en France de pareilles, non plus que plusieurs autres sortes de petits fruicts et graines incogneuës par deçà, desquelles nous mangions comme mets delicieux quand nous en pouuions trouuer. Il y en a de rouges qui semblent presque du Corail, et qui viennent quasi contre terre par petits bouquets, avec deux ou trois fueilles, ressemblans au Laurier, qui luy donnent bonne grace, et semblent de tres-beaux bouquets, et seruiroient pour tels s’il y en auoit ici. Il y a de ces autres grains plus gros encore vne fois, comme i’ay tantost dict, de couleur noirastre, et qui viennent en des tiges, hautes d’vne coudée. Il y a aussi des arbres qui semblent de l’Espine328||blanche, qui portent de petites pommes dures, et grosses comme auelines, mais non pas gueres bonnes. Il y a aussi d’autres graines rouges, nommées Toca, ressemblans à nos Cornioles ; mais elles n’ont ny noyaux ny pépins ; les Hurons les mangent crues et en mettent aussi dans leurs petits pains.

Ils ont aussi des Noyers en plusieurs endroicts, qui portent des noix vn peu differentes aux nostres, i’en ay veu qui font comme en triangle, et l’escorce verte exterieure sent un goust comme Terebinte, et ne s’arrache que difficilement de la coque dure. Ils ont aussi en quelque contrée des Chastagniers, qui portent de petites Chastaignes ; mais pour des Noisettes et des Guynes, qui ne sont qu’vn peu plus grosses que Grozeilles de tremis, à faute d’estre cultiuées et antées, il y en a en beaucoup de lieux, et par les bois et par les champs, desquelles neantmoins on faict assez peu d’estat : mais pour les Prunes, nommées Tonestes, qui se trouuent au pays de nos Hurons, elles ressemblent à nos Damas violets ou rouges, sinon qu’elles ne sont pas si bonnes de beaucoup ; car la couleur trompe, et sont aspres et rudes au329||goust, si elles n’ont senty de la gelée : c’est pourquoy les Sauuagesses, après les auoir soigneusement amassées, les enfoüyent en terre quelques sepmaines pour les adoucir, puis les en retirent, les essuyent et les mangent. Mais ie croy que si ces Prunes estoient antées, qu’elles perdroient cette acrimonie et rudesse, qui les rend des-agreables au goust, auparauant la gelée.

Il se trouue des Poires, ainsi appellees Poires, certains petits fruicts vn peu plus gros que des pois, de couleur noirastre et mols, tres-bons à manger à la cueillier comme Bluës, qui viennent sur des petits arbres, qui ont les feuilles semblables aux poiriers sauuages de deçà, mais leur fruict en est du tout different. Pour des Framboises, Meures champestres, Grozelles et autres semblables fruicts que nous cognoissons, il s’en trouue assez en des endroicts, comme semblablement des Vignes et Raisins, desquels on pourrait faire du fort bon vin au pays des Hurons, s’ils auoient l’inuention de les cultiuer et façonner ; mais faute de plus grande science, ils se contentent d’en manger le raisin et les fruicts.

330||Les racines que nous appelons Canadiennes, ou pommes de Canada, qu’eux appellent Orasquanita. sont assez peu communes dans le pays ; ils les mangent aussi tost crues que cuites, comme semblablement d’vne autre sorte de racine, ressemblant aux Panays, qu’ils appellent Sondhratates, lesquelles sont à la verité meilleures de beaucoup : mais on nous en donnoit peu souuent, et lors seulement que les Sauuages auoient receu de nous quelque present, ou que nous les visitions dans leurs Cabanes.

Ils ont aussi de petits Oignons nommés Anonqne, qui portent seulement deux fueilles semblables à celles du Muguet, ils sentent autant l’Ail que l’Oignon ; nous nous en seruions à mettre dans nostre Sagamité pour luy donner goust, comme d’vne certaine petite herbe, qui a le goust et la façon approchante de la Marjoleine sauuage, qu’ils appellent Ongnehon : mais lorsque nous auions mangé de ces Oignons et Ails crus, comme nous faisions auec vn peu de pourpier sans pain, lorsque nous n’auions autre chose, ils ne vouloient nullement nous approcher, ny sentir nostre haleine, disans que cela sentoit trop331||mauuais, et crachoient contre terre par horreur. Ils en mangent neantmoins de cuits sous la cendre, lorsqu’il sont en leur vraye maturité et grosseur, et non iamais dans leur Menestre, non plus que toute autre sorte d’herbes, desquelles ils font tres-peu d’estat, bien que le pourpier ou pourceleine leur soit fort commun, et que naturellement il croisse dans leurs champs de bled et de citrouilles.

Dans les forests, il se voit quantité de Cedres, nommez Asquata, de très-beaux et gros Chesnes, des Fouteaux, Herables, Merisiers ou Guyniers, et vn grand nombre d’autres bois de mesme espece des nostres, et d’autres qui nous sont incogneus : entre lesquels ils ont vn certain arbre nommé Atti, duquel ils reçoiuent et tirent des commoditez nompareilles.

Premierement, ils en tirent de grandes lanieres d’escorces, qu’ils appellent Ouhara : ils les font bouillir, et les rendent enfin comme chanvre, de laquelle ils font leurs cordes et leurs sacs, et sans estre bouillie ny accommodée, elle leur sert encore à coudre leurs robbes, et toute autre chose, à faute de nerfs d’Eslan ; puis leurs plats et escuelles d’escorce de Bouleau, et aussi332||pour lier et attacher les bois et perches de leurs Cabanes, et à enuelopper leurs playes et blesseures, et cette ligature est tellement bonne et forte qu’on n’en sçauroit désirer vne meilleure et de moindre coust.

Aux lieux marescageux et humides, il y croist vne plante nommée Ononhasquara, qui porte vn tres-bon chanvre ; les Sauuagesses la cueillent et arrachent en saison, et l’accommodent comme nous faisons le nostre, sans que i’aye peu sçauoir qui leur en a donné l’inuention autre que la necessité, mere des inuentions. Apres qu’il est accommodé, elles le filent sur leur cuisse, comme i’ay dict, puis les hommes en font des lassis et filets à pescher. Ils s’en servent aussi en diuerses autres choses, et non à faire de la toile : car ils n’ent ont l’vsage ny la cognoissance.

Le Muguet qu’ils ont en leur pays a bien la fueille du tout semblable au nostre, mais la fleur en est toute austre : car outre qu’elle est de couleur tirant sur le violet, elle est faicte en façon d’Estoille grande et large comme petit Narcis : mais la plus belle plante que i’aye veuë aux Hurons (a mon aduis) est celle qu’ils appel-333||lent Angyahouiche Orichya, c’est à dire, Chausse de Tortuë : car sa fueille est comme le gros de la cuisse d’vn Houmard, ou Escreuice de mer, et est ferme et creuse au dedans comme vn gobelet, duquel on se pourroit servir à vn besoin pour en boire la rosée qu’on y trouue tous les matins en Esté, sa fleur en est aussi assez belle.

I’ai veu en quelque endroict sur le chemin des Hurons de beaux Lys incarnats, qui ne portent sur la tige qu’vne ou deux fleurs, et comme ie n’ay point veu en tout le pays Huron aucuns Martagons ou Lys orangez comme ceux de Canada, ny de Cardinales, aussi n’ay ie point veu en tout le Canada aucuns Lys incarnats, ny Chausses de Tortuës, ny plusieurs autres especes de plantes que i’ay veuës aux Hurons (il y en pourroit neantmoins bien auoir sans que ie le sceusse). Pour les Roses, qu’ils appellent Eindauhatayon, nos Hurons en ont de simples, mais ils n’en font aucun estat, non plus que d’aucunes autres fleurs qu’ils ayent dans le pays : car tout leur deduict est d’auoir des parures et affiquets qui soient de durée.

De passer outre à descrire des autres plantes qui nous ont esté monstrées et ensei-334||gnées par les Sauuages, ce seroit chose superflue, et non necessaire, comme de parler de la richesse et profit qui prouenoit des cendres qui se faisoient dans le pays, et se menoient en France, puisqu’elles ont esté delaissées, comme de peu de rapport, en comparaison des fraiz qu’il y conuenoit faire, bien qu’elles fussent meilleures et plus fortes de beaucoup, que celles qui se font en nos foyers.

La misere de l’homme est telle, et particulierement de ceux qui n’ont pas la gloire de Dieu pour but et regle de leurs actions, qu’ils n’aspirent tousiours qu’aux choses de la terre qui peuuent seulement donner quelque assouuissement au corps, et non en l’esprit, que Dieu seul peut contenter.

Au retour de mon voyage, lors que ie m’efforçois de faire entendre la necessité que nos pauures Sauuages auoient d’vn secours puissant, qui fauorizast leur conuersion, et qu’il y auoit cent mille ames à gaigner à Iesus-Crist, plusieurs mal-deuots me demandoient s’il y avoit cent mille escus à gaigner aupres : voulans dire par là que la conuersion et le salut des ames ne leur estoit de rien, et qu’il n’y auoit335||que le seul temporel qui les peust esmouuoir à l’ayde et secours dudict pays. Voicy donc, ô mal-deuots, les thresors et richesses ausquelles seules vous aspirez avec tant d’inquietudes. Elles consistent principalement en quantité de Pelleteries, de diuerses especes d’Animaux terrestres et amphibies. Il y a encore des mines de Cuivre qui ne deuroient pas estre mesprisées, et desquelles on pourroit tirer du profit, s’il y avoit du monde et des ouuriers qui y voulussent trauailler fidellement, ce qui se pourroit faire, si on auoit estably des Colonies : car enuiron quatre-vingts ou cent lieuës des Hurons, il y a vne mine de Cuivre rouge, de laquelle le Truchement me monstra vn lingot au retour d’vn voyage qu’il fit dans le pays.

On tient qu’il y en a encore vers le Saguenay, et mesme qu’on y trouuoit de l’or, des rubis et autres richesses. De plus quelques-vns asseurent qu’au pays Souriquois il y a non seulement des mines de Cuivre rouge, mais aussi de l’Acier, parmy les rochers, lequel estant fondu on en pourrait faire de tres-bons trenchans. Puis de certaines pierres bleues transparentes, lesquelles ne vallent moins que336||les Turquoises. Parmy ces rochers de Cuyvre se trouuent aussi quelques fois des petits rochers couuerts de Diamans y attachez : et peux dire en auoir amassé et recueilly moy-mesme vers nostre Convent de Canada, qui sembloient sortir de la main du Lapidaire, tant ils estaient beaux, luisans et bien taillez. Ie ne veux asseurer qu’ils soient fins, mais ils sont agreables, et escriuent sur le verre.