Le Grand voyage du pays des Hurons/00/04
AV ROY DES ROYS
’est à vous ô puissance et
bonté infinie ! à qui ie m’adresse,
et devant qui ie me
prosterne la face contre
terre, et les ioües baignées
d’vn ruisseau de larmes
qui affluent sans cesse de
mes deux yeux par les ressentimens et amertumes
de mon cœur vrayement navré et à
iuste titre affligé, de voir tant de pauures âmes Infideles et Barbares touiours
gisantes dans les espaisses tenebres de
leur infidelité. Vous sçauez (ô mon Seigneur
et mon Dieu), que nous auons porté
nos vœux depuis tant d’années dans la Nouuelle
France, et fait nostre possible pour
retirer les âmes de cet esprit ténébreux ; mais
le secours nécessaire de l’Ancienne nous a
manqué. Seigneur, nos prieres et nos remonstrances
ont de peu servy. Peut-estre, ô
mon tres-doux Jesvs, que l’Ange tutelaire
que vous luy auez donné, a empesché le
secours que nous en espérions pour la
nouuelle, coulant doucement dans le cœur
et la pensée de ceux qui auoient quelque affection
pour le bien du pays, que les tracas,
les distractions et les diuers perils qui suyuent
et sont annexez à la poursuitte d’vn si grand
bien, estoient souuent cause (aux âmes foibles
dans la vertu) d’en remporter des fruicts
contraires à la vertu. Si cela est, faites, ô mon
Dieu, s’il vous plaist, que l’Ange de la Nouuelle
France remporte la victoire contre
celuy de l’Ancienne ; car, bien que quelques
vns en fassent mal leur profit, beaucoup en
pourront tirer de l’aduantage, assisté de ce
grand Ange tutelaire, et principalement de vous, ô mon Dieu, qui pouuez tout, et de
qui nous esperons tout le bien qui en peut
reüssir ; il y va de vostre gloire et de vostre
seruice. Ayez donc pitié et compassion de
ces pauures âmes, rachetées au prix de
vostre sang tres-precieux, ô mon Seigneur et
mon Dieu, afin que retirées des tenebres de
l’infidelité, elles se conuertissent à vous, et
qu’apres auoir vescu iusques à la mort, dans
l’obseruance de vos diuins preceptes, elles
puissent aller iouyr de vous dans l’eternité,
auec les Anges bien-heureux en Paradis, où
ie prie vostre diuine Majesté me faire aussi la
grâce d’aller, apres auoir vescu icy bas par
le moyen de vos grâces, dans la mesme grâce,
en l’obseruance de mon Institut, et de vos
diuins commandemens.