Le Gamin de Paris (Millet)

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Le Gamin de Paris
Cahiers de la quinzaine (1p. 100-102).

LE GAMIN DE PARIS


Air de Charlotte la Républicaine


Je suis le gamin de Paris,
Enfant de la sainte canaille ;
Bravant le fer et la mitraille,
Des tyrans je me ris.

 Lorsque de Février
 Brilla le jour magique,
 Sur la place publique
 On me vit le premier ;
 Je n’avais à la main
 Sabre ni carabine,
 Et j’offrais ma poitrine
 Au soldat incertain.

 Je suis, etc…

 Criant : Ne tirez pas !
 Devant vous sont des frères,
 Déposez vos colères
 Et venez dans leurs bras ;

 Marions en ce jour
 L’uniforme et la blouse,
 Que la haine jalouse
 Fasse place à l’amour !

 Je suis, etc…

 On entendit ma voix,
 On releva les armes ;
 Point de sang, ni de larmes
 Du moins pour cette fois.
 Mais les municipaux,
 À mes cris de « Réforme ! »
 Fondent en masse énorme
 Au galop des chevaux.

 Je suis, etc…

 Ces lâches, sans péril,
 Nous ont livré bataille !
 Ah, pour la représaille
 Armons-nous du fusil.
 Et que, de toutes parts,
 Les grandes barricades
 Contre leurs cavalcades
 Nous servent de remparts !

 Je suis, etc…

 Alors l’arbre géant
 Succombe sous la hache,
 Ce pavé qu’on arrache
 Se dresse triomphant.
 Mais sur le boulevard
 La fusillade éclate ;
 Nous accourons en hâte,
 Hélas, c’était trop tard !

 Je suis, etc…

 Aux marches du palais
 Où Guizot se prélasse,

 jusqu’au seuil de l’exil
 Des cadavres en masse
 Gisent amoncelés…
 Promenons aux flambeaux
 Cette horrible hécatombe ;
 Que tout ce sang retombe
 Sur les lâches bourreaux !

 Je suis, etc…

 À tous les carrefours
 Où le convoi s’avance,
 L’écho redit : Vengeance !
 De la ville aux faubourgs.
 Du peuple et des bourgeois
 La formidable armée,
 En un clin d’œil formée,
 Marche au palais des rois.

 Je suis, etc…

 En vain le vieux renard
 Qui gouverne la France
 Proclame la régence,
 On répond : C’est trop tard !
 À bas les endormeurs
 Du parti monarchique,
 Vive la République !
 Fut le cri des vainqueurs.

Je suis le gamin de Paris,
Enfant de la sainte canaille ;
Bravant le fer et la mitraille,
Des tyrans je me ris.