Le Géranium ovipare/Rêves de gloire
RÊVES DE GLOIRE
Moi, je voudrais que tout le monde
connût ma Négresse blonde
et malheureusement (je le sais) il est encore
des tas de gens qui l’ignorent :
malgré ce bel article de Pierre Mille
je ne tire pas à quatre cent mille ;
malgré la tant jolie
préface de Willy
je ne suis pas de ces littérateurs
qui encaissent de forts droits d’auteurs.
Mon Dieu ! que je sentirais de joie
si les gazettes parlaient de moi
autant que de Pierre Benoît !
Mon éditeur ne voit pas la nécessité
d’une intense publicité :
pourtant sacré nom de nom !
si je ne braille sur tous les tons :
— « J’ai beaucoup de talent ! » comment le saura-t-on ?
Madame, j’aurais tant d’allégresse
si vous achetiez ma Négresse !
Monsieur, je vous en dis autant :
je serais vraiment si content
de me vendre autant que Rostand
ou (si ce vœu est trop hardi)
autant du moins que Géraldy !
Je voudrais me faire connaître
afin d’être appelé « cher maître »
par madame Lagourde et ses amis, des messieurs très-
raseurs — mais si fins lettrés,
ma chère ! — et parfois même décorés.
Et je voudrais que tu me lusses,
boniche, petite sœur de sainte Luce,
je voudrais que vous me lussiez,
épiciers, calicots, clercs d’huissiers ;
dût-on me traiter d’hurluberlu,
en vérité, je voudrais être lu
jusque dans Honolulu.
Je voudrais être admiré de ma concierge,
de sa fille que l’on dit vierge
et de son fils qui est tourlourou
je ne sais où, du côté de Châteauroux ;
je voudrais qu’on trouvât mon bouquin dans les gares
avec les journaux et les cigares
(le public, d’ordinaire, achète
les livres offerts par la maison Hachette).
Je voudrais être admiré de mes fournisseurs,
du marchand de couleurs et de sa sœur
qui a sur les mains des taches de rousseur
et surtout de mon blanchisseur
(un ostrogoth qui me rend mes chemises
en loques après que je les ai mises
à peine trois
ou quatre fois).
Et si monsieur mon tailleur
disait se redressant de toute sa hauteur :
« — C’est moi que j’habille Fourest, le fameux auteur ! »
hein ! c’est ça qui serait flatteur !
Pensez si je m’en ferais accroire !
car enfin, n’est-ce pas ? c’est bien tout ça, la gloire ?
Qui sait ? peut-être un jour luira
où tout ce monde-là m’achètera,
me lira, m’admirera !
Ah ! ce jour-là qui jubilera,
qui dansera, qui chantera, qui sautera
plus haut que le mont Everest ?
Ben ! ce sera Georges Fourest !
Pourvu qu’alors je ne sois pas mort :
c’est ça qui serait un cochon de sort !