Le Géranium ovipare/Le banquet Paul Verlaine


LE BANQUET PAUL VERLAINE


De la douceur, de la douceur, de la douceur !
P. V.


Or donc les Amis de Verlaine
pour commémorer son trépas
se sont offert et lon lon laine !
dimanche un bon petit repas ;

d’abord au maître qu’environne
leur amour d’un geste furtif
ils jetèrent une couronne :
ça leur servit d’apéritif.

(Avant que de se mettre à table
rien ne vaut un tour de jardin.)
Sans nul incident bien notable
on bouffa hors-d’œuvre, boudin,


gigot, tripes, saucisses, nouilles
et chou-fleur à la père Ubu,
tête de veau plus force andouilles
mais quand un chacun fut bien bu

sonna l’heure de la palabre…
Alors !… ô mes petits chéris,
par les poux de saint Benoît Labre
ce furent de beaux hourvaris !

D’abord un monsieur Alexandre
qu’on patronyme Nathanson
sur un mode rêveur et tendre
entonna la Bonne chanson

des monacos : — « J’ai la galette
« et Verlaine avait le talent,
« modulait-il, ça se complète :
« disons mieux : c’est équivalent ! »

Vacillant un peu sur son socle
monsieur Edmond Lepelletier
dans l’œil ajuste son monocle
et regarde d’un air altier ;


un monsieur au nom exotique
brandit sa carte : on n’en veut point !
Pour le coup, c’est épileptique :
on hurle, on se montre le poing !

— « Va donc mufle ! va donc tapette ! »
— « Tas de marlous ! tas d’avachis ! »
— « Ta gueule est mon cul quand je pète ! »
Les dames perdent leurs chichis,

en une débandade folle
plats, couteaux, saladiers, couverts
assiettes, allez donc ! tout vole !…
Calme, Paul Fort disait des vers.

Et je te poche la paupière,
et je te cogne et je te mords
et je te griffe ! — Sous sa pierre
le bon Verlaine est toujours mort.

Mais le plus chauve des esthètes
dressait son crâne monacal
(qui veut Phalange fait la bête,
proclamait feu Blaise Pascal).


Que chantait-il, ce Jean Royère ?
En vérité je ne sais pas
car on apportait le gruyère
et ce fut la fin du repas.

Charmé de la petite fête
chacun alla panser ses gnons.
Mais tout de même ces poètes
sont de bien gentils compagnons !


1919