Le Fruit de la Douleur (RDDM)


POÉSIES.


I. — LE FRUIT DE LA DOULEUR.


Sur le versant pierreux d’un plateau du midi,
Respirant le soleil d’un hiver attiédi,
J’errais en longs détours ; les collines désertes
D’arbustes odorans étaient au loin couvertes.
Promeneur attentif, au plus humble arbrisseau
J’évitais en marchant de blesser un rameau.
J’avais déjà suivi tous ces sentiers des landes
Sans briser une tige, une feuille aux lavandes ;
Aussi, de leurs bouquets intacts et respectés,
Nul parfum ne montait dans l’air, à mes côtés.

À travers champs, bientôt, dans ma course plus prompte,
Je m’élance, et des fleurs je ne tiens plus de compte ;
Je marche au plus touffu des arbustes meurtris.
Et disperse à grands pas leurs feuilles en débris.
Alors jaillit, alors le vent à longs flots roule
Un doux torrent d’odeurs des plantes que je foule.
Et plus mon pied rapide, au penchant du coteau,
À coups précipités frappe comme un fléau.
Plus j’écrase, à pas lourds, feuilles, rameaux et tige,
Plus l’essaim des parfums rapidement voltige,
Et plus épais, dans l’air que j’entraîne en courant,
S’amasse et monte au loin un nuage odorant.

Vous, mon Dieu, parmi nous quand nos âmes sont mûres,
Vous cheminez ainsi, malgré nos vains murmures.
Faisant votre moisson ; et, lorsque vous voulez,
Respirer les parfums dans nos cœurs recelés,
La douleur vous précède ; elle vient, sans colère.
Ainsi que le coursier foulant le blé sur l’aire.
Et brise sous ses pieds, comme moi ces rameaux,
Nos fleurs et nos fruits mûrs et nos espoirs nouveaux.

Vous dirigez, Seigneur, tous les coups qu’elle porte ;
Les plus durs sont toujours pour l’ame la plus forte.
C’est vous, dans la douleur, qui nous êtes présent ;
Vous ne nous visitez, mon Dieu, qu’en nous brisant.

Mais c’est alors aussi qu’à travers ses blessures,
La fleur exhale au loin ses senteurs les plus pures ;
Alors, mon Dieu, le cœur brisé par le chagrin
Vous livre ses vertus comme l’épi son grain,
Et mille odeurs ont fui de ses veines subtiles.
Qui dormaient jusque-là dans la plante inutiles.
Alors enfin versant, de l’argile ou de l’or,
Le flot immaculé qui s’y gardait encor.
L’homme à vos pieds répand, comme fit Madeleine,
Les plus divins parfums dont son ame était pleine.


II. — À UN ENFANT.

Après vos sœurs et votre mère,
Enfant au cœur tendre et soumis,
Que la nature vous soit chère:
Les champs sont vos meilleurs amis.

L’air des champs donne avec largesse
Comme un autre lait maternel ;
Il fait croître en âge, en sagesse,
L’enfant placé là par le ciel.

C’est la voix du monde champêtre.
L’aspect des prés verts, du lac bleu.
Qui vous feront le mieux connaître
Et chérir la bonté de Dieu.

Aimez donc les bois, la fontaine,
L’étang bordé de longs roseaux,
Les petites fleurs, le grand chêne
Tout peuplé de joyeux oiseaux.

L’air parle sous sa fraîche voûte ;
Le nid chanteur, dès son réveil,
Au pieux enfant qui l’écoute
Donne toujours un bon conseil.

Enfant qui devez être un homme,
Les bois vous diront des secrets;
Venez ! il faut que je vous nomme
Les grandes vertus des forêts.

Préservant la paisible enfance
De nos désirs et de nos maux,

L’ombre, la fraîcheur, le silence,
S’éternisent sous ces rameaux.

Le chêne, aux jours d’ardeurs brûlantes,
— Pour que tout vienne en sa saison, —
Garde, à ses pieds, les jeunes plantes
D’une précoce floraison.

Aimez cet arbre aux fortes branches;
Voyez, sous son feuillage épais,
Comme l’œil bleu de ces pervenches
Dans l’ombre vous sourit en paix!

Sur le chêne essayant sa force,
L’enfant, jusqu’au nid du bouvreuil,
En s’aidant des nœuds de l’écorce,
Sait grimper comme l’écureuil.

Jouez sous le chêne robuste,
Et vous grandirez comme lui;
Et vous-même, d’un jeune arbuste
Quelque jour vous serez l’appui.

Ces chants que l’arbre fait entendre.
Cette ombre aux viriles douceurs,
Vous pourrez un jour les répandre
Sur votre mère et sur vos sœurs.

Imitez les grands bras du chêne
Luttant contre le vent du nord;
Endurcissez-vous à la peine :
Par elle vous deviendrez fort.

Loin de vous une enfance molle!
Du laboureur, du bûcheron.
Suivez, enfant, la rude école;
L’homme fort peut seul être bon.

Pour faire ainsi vos jours utiles
Et doux à ceux que vous aimez,
Profitez des leçons fertiles
Dont les champs sont partout semés.

Partout la nature sereine
Offre l’aide avec le conseil :
Cueillez, enfant, la bonne graine.
Dieu vous donnera le soleil.


III. — A UN POÈTE.


Beau lac, j’ai vu, de ce bois sombre,
Tes flots s’embraser au soleil;

Ils brillaient de couleurs sans nombre,
De bleu, d’orangé, de vermeil.

Mais cet azur, ces roses vives,
Cet or qui serpente là-bas,
Ces rayons qui baignent tes rives,
O lac, ne t’appartiennent pas!

Ce n’est pas de tes flots qu’émane
Ta clarté si douce à mes yeux;
L’azur de ton sein diaphane,
Beau lac, n’est qu’un reflet des cieux.

Sur ton lit de roc et de sable,
Tu n’as reçu pour don natal
Que ta transparence immuable
Et tes profondeurs de cristal.

Les couleurs dont ton eau rayonne,
Le soleil en toi répété,
Cet éclat qu’un beau jour te donne,
Tu les dois à ta pureté,

A tes ondes immaculées
Comme les neiges des sommets :
Dans la source et l’ame troublées
Les cieux ne se peignent jamais.

Toi donc, si tu veux, ô poète,
Vivant miroir de l’univers,
Qu’animant ton œuvre imparfaite,
Le vrai soleil brille en tes vers;

Si tu veux qu’à travers ses voiles,
Un meilleur monde, en souriant,
Reflète en ton sein les étoiles
Et les roses de l’Orient;

Que l’homme à ta voix se console.
Et, comme au bord de ce lac bleu.
Qu’il se penche sur ta parole
Pour voir passer l’esprit de Dieu,

Qu’enfin l’adorable nature
Respire et vive en tes tableaux,
— Garde ton ame toujours pure
Et profonde comme ces eaux.


VICTOR DE LAPRADE.