H. Simonis Empis, éditeur (p. i-iv).

PRÉFACE

Mon cher confrère,

Je viens de lire en épreuves le roman que vous m’avez fait l’amitié de m’envoyer, et sur lequel vous m’avez demandé mon avis.

Vous avez choisi là un sujet bien scabreux : l’amour d’une sœur pour son frère, qui la paie de retour. Mais il est vrai de reconnaître que vous avez pris toutes sortes de précautions pour en adoucir l’horreur, pour ne pas effaroucher les scrupules, ou, si vous préférez le mot, les préjugés de ceux qui vous liront.

Vous avez eu soin de choisir deux types d’exception que vous avez placés dans des conditions exceptionnelles. Votre Hélène a été élevée dans la solitude, n’ayant connu dans sa triste enfance que son frère pour qui elle s’est prise d’une ardente affection, qui était toute naturelle entre frère et sœur. Ce frère Robert a fait son chemin, il a épousé une jeune fille qu’il a beaucoup aimée et qui n’a pas tardé à mourir. Helène a conçu de ce mariage un vif chagrin, mêlé d’un dépit qu’elle ne s’explique ras. Elle a, sans trop savoir ce qu’elle faisait, accordé sa main à un vieillard, qui avait été son tuteur. Il l’a laissée veuve.

Les voila tous deux libres, riches, unis par une communauté d’intérêts, puisque leurs biens sont restés indivis, heureux de se retrouver ; elle, plus passionnée mais ne s’étant pas encore interrogée à fond sur la nature de sa tendresse ; lui, trouvant que sa sœur est charmante de visage, et supérieure aussi par les qualités de l’esprit, mais a cent lieues encore de soupçonner les sentiments qu’éveillera chez lui le commerce de tous les jours entre deux êtres que séparent la loi, la religion, et par-dessus tout le préjugé mondain.

Vous les amenez lentement l’un à l’autre, leur faisant peu à peu voir clair dans leur cœur, aplanissant ou tournant les obstacles qui se dressent entre eux. C’est à mon avis la meilleure et la plus attachante partie de votre ouvrage. Elle est d’une psychologie attentive, subtile, mais juste. Vous ayez voulu — et je crois qu’en cela vous êtes dans le vrai — que le frère fût à la fois plus emporté par la passion et plus épouvante de cette horrible idée de l’inceste. L’homme est plus froid et résiste mieux ; mais quand une fois il a cédé, c’est lui qui envisage la situation avec un esprit plus philosophique ; qui discute le préjugé, qui cherche à montrer l’inanité.

Et il faut bien avouer que dans la position que vous leur avez faite, un mariage entre eux deux ne serait pas plus abominable qu’entre un cousin par exemple et une cousine. Si la société a établi entre un frère et une sœur l’infranchissable barrière d’un si puissant préjugé, c’est que le jour où un frère pourrait lever sur sa sœur un regard chargé de désir et d’espoir, il n’y aurait plus de famille possible, et toute notre société repose sur la famille organisée telle qu’elle est.

Mais, à se placer à un point de vue purement philosophique, on n’aperçoit pas trop quelle règle d’éternelle morale violent deux êtres qui sont jeunes, indépendants, que le hasard et les circonstances ont réunis sous le même toit, qui s’aiment et se le disent et se le prouvent. La convention sociale se dressera contre eux, irritée, implacable ; mais s’ils s’en moquent !… s’ils sont décidés à vivre l’un pour l’autre !.…

Et cependant, telle est la force du préjugé social, que vous avez bien senti vous-même que vous ne pouviez pousser cette situation jusqu’au bout, et unir à jamais ces deux amants, relégués loin du monde, dans un pays lointain, comme deux parias dans leur cabane. Vous avez laissé entrevoir à la femme que l’homme se lasserait d’elle. et que l’enfant qu’elle portait dans son sein, loin de resserrer leur affection, exaspérerait ses regrets et son chagrin. Elle ensevelit dans.un étang où elle se noie volontairement ses remords et son désespoir, et du même coup elle nous délivre d’un grand malaise.

Si j’avais a exprimer un souhait, c’est que vous eussiez passé, d’une plume moins appuyée et moins minutieuse, sur les délices que goûtent les deux amants, dans les premières heures de la possession. Mais, après tout, il y a même dans ces descriptions un fond de tristesse grave qui les sauve et qui les excuse.

FRANCISQUE SARCEY.