Le Fondement de la morale/Note du traducteur

Traduction par Auguste Burdeau.
Germer Baillière et Cie (p. iii-v).

NOTE DU TRADUCTEUR


Le mémoire de Schopenhauer sur le Fondement de la Morale est de 1840 : il fut écrit en vue d’un concours ouvert par la Société Royale de Danemark. L’auteur avait alors cinquante-deux ans ; depuis vingt et un ans, il avait fait paraître son ouvrage capital : Le Monde comme volonté et comme objet de représentation. Ce n’est d’ordinaire ni à cet âge, ni après de pareils livres, qu’un philosophe commence à prendre part aux concours : mais Schopenhauer alors n’avait plus d’autre moyen de se faire connaître. Son grand ouvrage n’avait point été lu : la première édition n’en était pas encore épuisée (la 2e est de 1844). Or l’auteur n’était pas de ces philosophes « de vieille race », comme aurait dit Leibniz, à qui il importe peu de faire du bruit dans le monde, et qui estiment plus un seul disciple, mais digne d’eux, qu’une foule de lecteurs. Son système même, dirigé tout entier vers la pratique, et qui pour se réaliser a besoin du consentement de l’univers entier, légitimait à ses yeux son désir de popularité. Aussi pour la conquérir, jamais il ne négligea rien. En 1822, en 1825, il avait essayé, en vain, d’y arriver par l’enseignement, se faisant privat docent à l’Université de Berlin[1] : il n’y avait alors d’auditeurs que pour Hegel et Schleiermacher. Schopenhauer sortit de ces deux tentatives sans avoir rien gagné pour son système, sinon de s’être fortifié dans son mépris contre l’humanité, et surtout contre les professeurs de philosophie. Il n’avait toutefois pas renoncé à son ambition. On le vit bien en 1839, quand on apprit qu’il n’avait pas dédaigné de concourir pour un prix offert par l’Académie de Drontheim (Norwège) : la question proposée était celle de la Liberté. Le mémoire de Schopenhauer fut couronné[2] : et ce fut là son premier pas vers la célébrité. L’année suivante, l’Académie des sciences de Copenhague ayant mis au concours : le fondement de la morale, Schopenhauer lui envoya le présent mémoire ; mais il n’eut pas le prix : on trouvera à la fin du volume l’arrêt de l’Académie. Schopenhauer en fut outré : avec cette souplesse propre aux vaniteux, pour qui une défaite n’est jamais l’occasion d’un retour sur eux-mêmes, il se fit gloire de son insuccès. Il réunit en 1841 les deux mémoires sous le titre : Les deux problèmes fondamentaux de l’Éthique (Die beiden Grundprobleme der Ethik). Le présent volume complète la traduction de cet ouvrage et forme ainsi une introduction, la plus naturelle peut-être, à la philosophie de Schopenhauer ; en général, dans un système, la morale est la partie la plus accessible à la fois et la plus essentielle : cela est bien plus vrai encore du système de Schopenhauer que d’aucun autre.

Le présent écrit n’est pas celui où apparaît le moins clairement le caractère de Schopenhauer : son style n’est nulle part ni plus vigoureux, ni plus dédaigneux des convenances. L’auteur évidemment est de ces esprits qui ont à la fois la force et la brutalité, et qui confondent l’une avec l’autre. Après quelques hésitations, le traducteur s’est décidé à rendre crûment ce qui est cru dans le texte, pensant même que ces grossièretés de langage ne sont pas un des traits les moins essentiels de l’auteur et du système.

Les notes du traducteur sont, sans exception et quelle qu’en soit l’importance, désignées par les lettres (TR.), afin qu’elles ne puissent être confondues avec le texte. Les citations et expressions latines, qui abondent dans Schopenhauer, sont mises en français dans des notes : une traduction française doit être fidèle à son titre. Pour la même raison, les traductions de citations grecques ou sanscrites sont en français, au lieu d’être, comme dans le texte, en latin.

A. B.

  1. En 1825, il se fit porter sur les affiches de l’Université : toutefois il paraît qu’il ne monta pas en chaire cette année-là.
  2. C’est celui qui a été traduit sous le titre : Le libre arbitre, Germer-Baillière, 1878.