Le Fondateur du socialisme moderne - Saint-Simon

Le Fondateur du socialisme moderne - Saint-Simon
Revue des Deux Mondes, 3e périodetome 14 (p. 758-786).

LE FONDATEUR
DU
SOCIALISME MODERNE


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SAINT-SIMON
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Œuvres de Saint-Simon et d’Enfantin, publiées par les membres du conseil institué par Enfantin, Paris 1866-1875.
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Le premier en date de nos réformateurs contemporains est celui de tous dont les doctrines sont le moins connues. L’éclat même de son école l’a rejeté dans l’ombre, et les disciples ont fait oublier le maître. Les meilleurs historiens du socialisme, M. Louis Reybaud, M. Thonissen, le savant professeur de Louvain, M. A. Sudre[1], sont riches en détails sur le saint-simonisme, mais incomplets et courts sur Saint-Simon lui-même. La cause de ce silence était dans la rareté des documens. Les écrits de Saint-Simon, très nombreux, mais disséminés à tous les vents, publiés au jour le jour, commencés souvent sans être finis, tirés à un petit nombre d’exemplaires, composés la plupart du temps en collaboration, étaient devenus presque introuvables. Le seul recueil connu et à la portée, de tous, consulté par les auteurs que j’ai nommés, était le choix d’écrits publiés en 1832 par Olinde Rodrigues, choix qui contient bien, si l’on veut, l’essentiel des idées de notre prophète, mais ne nous apprend nullement le détail de ces idées, l’enchaînement systématique qui les unit, et les phases diverses qu’elles ont parcourues. Aujourd’hui, grâce à une publication importante et encore en voie d’exécution, les principaux documens de l’œuvre sont entre nos mains et rendent facile un travail qui eût été autrefois des plus compliqués. Cependant, même dans cette nouvelle collection, due au zèle et à la foi des derniers survivans de la célèbre secte, c’est encore l’étoile d’Enfantin qui a fait pâlir celle de Saint-Simon.

C’est en effet M. Enfantin qui, conservant jusqu’après sa mort son rôle de grand-prêtre et de grand chef dans la petite église saint-simonienne, a été par son Testament l’inspirateur de cette édition nouvelle. C’est lui qui a institué pour cette œuvre une commission composée des membres les plus dévoués et les plus fidèles, dont quelques-uns ont déjà disparu. C’est lui qui a laissé des fonds pour faire les frais de cette publication. Ajoutons qu’il a légué à la Bibliothèque de l’Arsenal toute sa bibliothèque, tous ses papiers et les archives les plus secrètes de l’église, archives encore fermées aujourd’hui à la curiosité, mais qui permettront plus tard aux savans d’en reconstruire avec la dernière précision l’histoire intérieure. Enfantin étant donc le véritable auteur et, quoique mort, l’inspirateur toujours vivant de la publication récente, il n’est que naturel qu’il s’y soit fait une place importante. Le principal but qu’il paraît s’y être proposé a été de donner une grande idée de son rôle, non-seulement par la réimpression de ses discours, de ses articles du Globe, de ses opuscules, mais surtout par la publication de sa correspondance, correspondance volumineuse dont l’intérêt n’est pas égal à l’étendue. Il a voulu, selon toute apparence, laisser cette impression, que depuis 1831, époque où il paraissait avoir disparu de la scène, il n’a pas cessé de gouverner son école, et par elle, d’influer sur l’histoire du monde. On y reconnaît son habileté à tirer parti de tout, à tourner à lui tout ce qui se passait au dehors, à interpréter dans le sens saint-simonien tous les événemens, et à transformer l’isolement réel où il était en une sorte d’influence occulte, d’autant plus efficace qu’elle était plus cachée. Tandis qu’en réalité l’église saint-simonienne était vraiment dissoute, et s’était noyée dans le mouvement général de la société, tandis que la foi positive des saint-simoniens avait disparu, ne laissant après elle qu’une vague disposition d’humanitarisme et de religiosité commune à beaucoup d’écoles, tandis que le lien étroit et précis qui constitue une secte s’était relâché, chacun de son côté allant où l’appelait son goût et son génie, — en un mot, tandis que le saint-simonisme était mort et bien mort, Enfantin croyait ou faisait semblant de croire, et voudrait encore nous faire croire aujourd’hui qu’il était l’oracle caché d’où tout partait, que tout ce qui se passait dans le monde était la réalisation de ses prophéties et l’œuvre lointaine ou prochaine de son influence. Le vénérable Laurent de l’Ardèche, l’éditeur infatigable et le plus fidèle disciple d’Enfantin, celui qui s’est chargé de cette publication, ne paraît pas trop éloigné de la même opinion : à chaque tome nouveau qu’il publie, il ajoute une préface où il parle à la société actuelle au nom du saint-simonisme, comme au nom d’une loi vivante et présente ; il interprète tout avec ses souvenirs de néophyte dévoué. Il pleure comme les prophètes sur l’aveuglement d’une société qui ne l’écoute pas. Il est persuadé que les malheurs qui ont fondu sur la France eussent été évités si la France s’était faite saint-simonienne. C’est ainsi que toute église interprète dans le sens de sa foi et de ses dogmes les circonstances où nous sommes, et que chacun, au lieu de chercher à s’éclairer soi-même, tire parti des malheurs publics pour se persuader qu’il a seul raison.

Il nous est difficile aujourd’hui, malgré les nombreux monumens que nous possédons de sa parole et de sa plume, de nous faire une idée exacte de la puissance exercée par M. Enfantin. Ses écrits, qui transportaient autrefois ses disciples, sont morts aujourd’hui pour nous ; mais, d’après le témoignage unanime de tous ceux qui ont été touchés par lui, son influence était prodigieuse. Ce n’était pas un professeur, c’était un prêtre, un apôtre. Il avait un don particulier de fascination, de magnétisme. Il agissait par la voix, par le regard, par la beauté même de son visage, et par une sorte de calme extatique qui produisait un effet surprenant sur des jeunes gens mondains ne connaissant rien de la vie des cloîtres et tout prêts à recevoir cette action mystique qui se développe dans les communautés religieuses sous l’empire d’une contagion presque maladive. Les lettres et les prédications d’Enfantin se caractérisent par une sorte de mysticité sensuelle analogue à celle que l’on attribue à Molinos, et que l’on retrouverait sans doute dans les écrits de Mme Guyon ou d’Antoinette Bourignon. Il est presque impossible de dégager de ses écrits une doctrine nette, suivie, rigoureuse : c’est une éloquence voilée, mystérieuse, abondante, souvent inintelligible, qui caressait, enveloppait, engourdissait les volontés individuelles, en même temps que, par une sorte d’électricité morale, elle les stimulait, les exaltait, les entraînait à toutes les folies de la dévotion. Tel a été Enfantin dans la grande crise saint-simonienne. Plus tard, il est revenu à un ton plus humain et plus terre-à-terre. Le politique l’emporta sur le mystique ; mais celui-ci n’a jamais abdiqué, et le ton de prédicateur a subsisté jusqu’à la fin, comme il s’est communiqué du reste à la plupart de ses disciples, qui ont toujours conservé quelque chose du missionnaire et du voyant.

Quelque curieuse étude que puissent fournir la personne et la figure de celui qu’on a appelé le père Enfantin, nous répétons que ce qu’il y a de moins connu dans le saint-simonisme, c’est Saint-Simon ; et il est à regretter que ses disciples n’aient pas saisi l’occasion qui leur était offerte d’élever à leur premier maître, au vrai fondateur de l’école, un monument durable dans une publication tout à fait complète de ses œuvres. Celui d’entre eux qui s’était chargé du travail nous dit lui-même qu’il n’a pas voulu donner cette édition, qu’il s’est borné à en préparer les matériaux. Se retrouvera-t-il jamais quelqu’un pour une telle entreprise ? Il faut reconnaître cependant que le nouvel éditeur aura singulièrement facilité la tâche par les recherches bibliographiques auxquelles il s’est livré, et par le travail critique dont il accompagne sa publication, travail d’une abondance et d’une précision de détails des plus méritoires quand on songe à la difficulté de l’œuvre : il mentionne, il paraît avoir recueilli et même posséder encore entre les mains la moindre feuille d’impression sortie de la plume de Saint-Simon ou de celle de ses collaborateurs : c’est là une collection précieuse qui, nous l’espérons, ne sera pas perdue, et pourra rejoindre un jour les archives saint-simoniennes. Cependant, malgré tous ces matériaux, on n’a cru devoir nous donner encore qu’une édition choisie, beaucoup plus riche, je le reconnais, qu’aucune des précédentes, mais qui ne laisse pas de présenter de notables lacunes. C’est ainsi que les écrits de Saint-Simon relatifs à la philosophie générale et aux sciences et qui l’ont occupé pendant tout le temps de l’empire, écrits intéressans en ce qu’on peut y trouver le point de départ de la philosophie positive, ne nous sont donnés qu’en résumé[2]. C’est ainsi que le Catéchisme industriel, déjà réimprimé sans doute, mais en partie seulement, avait été omis par l’éditeur, et vient seulement d’être publié à la suite des lettres d’Enfantin, séparé ainsi des autres œuvres de Saint-Simon par toute l’œuvre de celui-là[3]. C’est ainsi encore que l’éditeur ne nous a pas donné la troisième partie du Système industriel, ni dans la seconde, la Lettre à messieurs les Ouvriers, très significative, car elle indique le moment où Saint-Simon a commencé à se tourner vers le prolétariat : on peut signaler encore d’autres lacunes. Enfin il semble qu’une édition de ce genre devait comprendre non-seulement ce que Saint-Simon avait écrit lui-même, ce qui du reste est très difficile à constater[4], mais encore tout ce qui avait été publié sous sa direction et fait par conséquent partie de son œuvre, par exemple les Opinions littéraires et philosophiques, où rien n’est de sa main, mais où se trouve une exposition large et élégante de ses principales idées. Comme les plus vieux philosophes de l’antiquité, Saint-Simon est un nom et un mythe qui embrasse plusieurs personnes diverses, les unes dont il a emprunté la plume en leur suggérant ses idées, les autres dont il empruntait les idées en fournissant la plume : il s’appelait légion. Comme Pythagore, on ne sait au juste ce qui lui appartient en propre dans sa doctrine, sauf le souffle inspirateur ; mais par cela seul il a mérité d’être la raison sociale de ses collaborateurs : les plus grands, les plus célèbres, Augustin Thierry et Auguste Comte, ne sont encore que lui-même tant qu’ils ont écrit sous sa direction. Ils n’ont eu de personnalité, et n’ont droit à leur propre nom que lorsqu’ils l’ont eu quitté.

Malgré ce qui peut manquer à l’édition nouvelle pour satisfaire la curiosité de l’érudit, reconnaissons que ce qui est publié constitue la partie la plus notable de l’œuvre de Saint-Simon, œuvre presque ignorée, et fournit amplement de quoi nous former aujourd’hui une idée complète et fidèle de la philosophie sociale de ce réformateur, et lui restituer sa véritable part, trop confondue dans les additions et exagérations de son école. Autre chose est la doctrine de Saint-Simon, autre chose est le saint-simonisme. C’est cette philosophie sociale de Saint-Simon que nous essaierons de dégager dans les pages qui suivent, avec la même fidélité et le même désintéressement que s’il s’agissait d’une philosophie du moyen âge ou de l’antiquité.


I

En 1817, époque où Saint-Simon a publié ses premiers écrits de réforme sociale, il n’y avait que deux écoles en présence : d’un côté, l’école aristocratique et théocratique, l’école de Bonald, De Maistre, l’abbé de Lamennais, de l’autre, l’école libérale et philosophique, celle de Benjamin Constant, des écrivains de la Minerve. La première défendait la société de l’ancien régime et du moyen âge ; la seconde, le XVIIIe siècle et la révolution. Pour les uns, la société la meilleure et la plus parfaite est celle qui est fondée sur la hiérarchie sociale et l’unité de croyance : d’une part la protection des faibles par les forts, organisée dans le régime féodal ; de l’autre, la paix, l’union des âmes, la charité représentées par l’église. Selon l’école libérale, au contraire, la domination féodale n’était qu’oppression, et l’empire de la foi chrétienne, superstition. Le moyen âge avait été une période de barbarie et d’anarchie. Voltaire était le philosophe de cette école, et Condorcet lui-même, tout en défendant le principe de la perfectibilité, partageait sur ce point les vues de Voltaire. L’antiquité grecque et latine, selon les mêmes philosophes, avait été un temps de culture et de lumières, d’indépendance politique et de gloire littéraire bien supérieur au moyen âge.

Saint-Simon essaya de s’élever au-dessus de ces deux écoles, et tout en empruntant à la première ses prémisses, il en tira d’autres conséquences. Ce qu’il reprochait au XVIIIe siècle, et notamment à Condorcet, c’était d’avoir dit que les religions avaient toujours été un obstacle au bonheur de l’humanité. « L’histoire au contraire, écrit-il en 1811 à M. de Redern, constate que c’est au moyen des institutions religieuses que les hommes de génie ont civilisé l’espèce humaine[5]. » Il n’hésitait pas à soutenir la supériorité du moyen âge sur l’antiquité grecque et latine[6]. Il faisait remarquer que le servage était un progrès sur l’esclavage antique, que le clergé du moyen âge était pris dans toutes les classes de la société, et par conséquent faisait une large part au mérite individuel. Il insistait sur les services rendus par le clergé à la civilisation : défrichement des terres, conservation des monumens, trêve de Dieu, etc. Il soutenait encore avec Joseph de Maistre que la papauté avait servi de lien moral entre toutes les parties du monde civilisé, que la société était alors une véritable république chrétienne[7] ; que, si le moyen âge n’avait pas été supérieur scientifiquement aux siècles passés, c’était lui cependant qui avait préparé le développement scientifique des temps modernes. Enfin une société, disait-il, n’est véritablement une société que lorsqu’elle a des idées communes, un système commun, un but d’activité, lorsqu’elle sait où elle va, et qu’elle marche à ce but avec confiance, sous la direction du pouvoir social. Tel était le grand mérite de la société du moyen âge.

Jusque-là Saint-Simon semblait marcher d’accord avec les chefs du parti rétrograde ; il s’en séparait dans ses conclusions. Il se Contentait de louer leur système dans le passé ; il reconnaissait qu’aujourd’hui ce système était caduc, car il était fondé d’une part sur la guerre, de l’autre sur la foi : c’est-à-dire sur la force dans l’ordre temporel et sur l’hypothèse et la conjecture dans l’ordre spirituel. Ce système avait du tomber devant deux faits nouveaux : d’une part le travail, de l’autre la science. Il n’y a que deux manières de s’enrichir : la conquête ou le travail, — deux manières d’atteindre la vérité, la conjecture ou la science. Le moyen âge était organisé pour la conquête et dirigé par la foi. La société moderne doit être organisée par le travail et dirigée par la science. Il ne suffit pas de détruire une société, il faut la remplacer : « Il faut un système pour remplacer un système. » Or il n’y a que deux systèmes possibles : le système féodal et théocratique, et le système industriel et scientifique. Le premier a été l’œuvre du moyen âge ; le second est la nôtre. C’est en 1819, dans l’Organisateur[8], que Saint-Simon a développé ces vues historiques avec le plus de force et de talent. Il les a plus tard reprises et développées ou fait développer dans le Système industriel et dans les Opinions ; car aucun écrivain ne s’est moins soucié de se répéter, et l’on ne peut guère ouvrir un de ses écrits sans retrouver quelques idées analogues à celles que nous indiquons ici.

Il n’y a donc que deux systèmes, et le problème est de substituer le second au premier, le système industriel et scientifique au système féodal et théologique ; mais, pour qu’un système se substitue à un autre, il faut que celui-ci ait disparu. C’est ici la part, faite à l’école libérale : celle-ci a eu pour rôle de dissoudre l’ancien système ; elle a compris la nécessité de cette destruction, c’est en quoi elle a eu raison ; mais elle s’y attarde, et c’est là son tort.

C’est au sein même de la société féodale et théologique du moyen âge que le nouveau système a pris naissance, d’abord sous la forme la plus modeste, bientôt sous une forme plus hardie et plus menaçante. D’une part, l’établissement des communes, de l’autre l’introduction des écrits scientifiques des Arabes : tels sont les deux faits qui signalent l’apparition du travail et de la science dans la société militaire et religieuse du moyen âge ; mais ces faits grandissent : de subordonnées d’abord, les forces nouvelles deviennent prépondérantes et destructives. Copernic, Luther, Voltaire déracinent la théocratie, la papauté, la domination ecclésiastique. Les révolutions modernes, la philosophie du XVIIIe siècle, la révolution française, ont détruit l’aristocratie et la royauté.

Ce travail de dissolution et de destruction était nécessaire, mais il est fini. C’était une œuvre négative et transitoire ; c’était l’œuvre révolutionnaire. La nôtre est toute différente. « La philosophie du XVIIIe siècle avait été révolutionnaire ; celle du XIXe doit être organisatrice. » Cette antithèse perpétuelle entre l’esprit critique du siècle dernier et l’esprit organisateur que doit avoir le siècle présent, voilà la vue dominante de Saint-Simon. C’est lui qui a popularisé et répandu dans les écoles socialistes ce terme « d’organisation, » devenu depuis le symbole caractéristique de toutes ces écoles. S’il a une idée, c’est celle-là. C’est en se plaçant à ce point de vue qu’il se rencontre si souvent avec les écoles rétrogrades dans ses critiques du libéralisme : comme elles, il lui reproche de nier sans affirmer, de détruire sans rien fonder, de manquer de système, de plans, de vues positives. Il lui reproche ses défiances excessives envers l’autorité ; lui-même, bien loin de partager ces défiances, c’est au pouvoir, c’est à la royauté qu’il s’adresse pour opérer ses réformes, lui rappelant l’antique alliance du roi et des communes contre le régime féodal, et demandant à Louis XVIII de se mettre à la tête du système industriel[9].

C’est un fait important à signaler que le socialisme du XIXe siècle, à son origine, n’a eu aucune accointance avec l’esprit révolutionnaire, et même s’est présenté en opposition avec lui. Nulle liaison en effet entre Saint-Simon et les démagogues de 93 : pendant la révolution, on ne voit pas qu’il ait été préoccupé de théories sociales ; il a manqué même d’être une des victimes de la terreur[10]. Si on lui eût dit que certaines de ses idées pouvaient bien aboutir un jour ou l’autre à quelque chose de semblable au babouvisme, il en eût été fort étonné, et certainement révolté. On peut trouver dans ses écrits des rêves, des conceptions hardies, mais pas un mot d’esprit de révolte, de haine sociale, de passion démagogique. C’est au contraire le sentiment de l’ordre social, de la hiérarchie et des nécessités du pouvoir qui l’inspire partout, et c’est parce que ce sentiment ne trouve à se satisfaire ni dans les idées anarchiques, suivant lui, du libéralisme, ni dans les idées rétrogrades du parti théologique qu’il essaie de découvrir un système nouveau.

En outre, le socialisme de Saint-Simon se distingue de celui du XVIIIe siècle, celui de Jean-Jacques, de Mably, de Saint-Just. Le communisme du XVIIIe siècle était né d’une admiration mal éclairée des républiques de l’antiquité et en particulier des institutions de Sparte. Il était porté à considérer la richesse comme un mal, comme un principe corrupteur et désordonné, par conséquent l’industrie et le commerce comme des institutions plus ou moins funestes. Montesquieu lui-même semble donner raison à ces préjugés lorsqu’il nous dit que les républiques doivent reposer sur la frugalité, lorsqu’il loue les impôts somptuaires, et approuve les mesures antiques qui avaient établi l’égalité des biens. En un mot, l’idée d’un certain âge d’or antérieur à la civilisation, le rêve d’une vie patriarcale, agricole, sans arts, sans luxe, sans industrie, sans commerce, voilà ce que Saint-Just dans ses Institutions républicaines appelait « le bonheur commun, » et, quoique grossièrement interprétées par le dernier disciple de l’école, Babœuf, c’étaient bien là cependant les idées favorites de ses deux maîtres, Rousseau et Mably.

Tout autres et profondément différentes dans leur principe sont les idées de Saint-Simon. Ce n’est pas dans la littérature classique mal entendue, c’est dans l’économie politique qu’il faut chercher l’origine de son socialisme. Ce sont les économistes, c’est Adam Smith et Jean-Baptiste Say, dont il se déclare le disciple, qui lui ont inspiré ses vues sur le rôle prépondérant de l’industrie. Bien loin de faire la guerre au luxe et à la richesse, c’est au contraire l’accroissement de la richesse publique qu’il se propose : son idéal n’est pas une république militaire comme celle de Sparte, c’est une république industrielle et commerçante, l’agriculture n’étant elle-même à ses yeux qu’une industrie. On peut dire que le saint-simonisme n’a été une utopie que comme l’a été la république de Platon, c’est-à-dire en exagérant et en idéalisant les conditions réelles de la société au sein de laquelle il s’est produit.

Entrant plus avant dans l’analyse de ce que doit être une société organisée, Saint-Simon faisait remarquer, toujours l’exemple du moyen âge sous les yeux, qu’il doit y avoir dans toute société deux pouvoirs : un pouvoir spirituel et un pouvoir temporel. Au moyen âge, le pouvoir temporel était aux mains des guerriers, c’est-à-dire des nobles, et le pouvoir spirituel entre les mains des prêtres. Par analogie, dans le système nouveau qu’il s’agit de fonder, il y aura un pouvoir temporel qui appartiendra aux industriels, et un pouvoir spirituel qui appartient de droit aux savans. Ce système n’existe pas encore, et la société depuis deux ou trois siècles est dans un état provisoire, qui n’est plus celui du moyen âge, et qui n’est pas encore celui des temps nouveaux ; mais ce système intermédiaire n’a pas pu durer lui-même sans deux pouvoirs : le pouvoir temporel entre les mains des légistes, le pouvoir spirituel entre les mains des métaphysiciens[11]. Les uns et les autres ont rendu de grands services. Les légistes ont introduit une meilleure justice, un ordre matériel plus régulier ; les métaphysiciens ont obtenu la liberté de conscience.

Cependant les uns et les autres ont eu le tort de prendre la forme pour le fond, et c’est ici surtout que s’accuse la séparation de Saint-Simon et de l’école libérale. Cette école tout entière, selon lui, ne se compose que de légistes et de métaphysiciens. Ce qui la caractérise, c’est de ne pas se demander quel est le but de l’activité sociale. Toute association doit avoir un but. « Légiférer, ce n’est pas un but, ce n’est qu’un moyen. » Les hommes ne se sont pas réunis pour se donner des lois les uns aux autres, « Ne semblerait-il pas voir des hommes qui se réuniraient gravement afin de tracer de nouvelles conventions pour les échecs, et qui se croiraient des joueurs ? » De même la liberté, selon Saint-Simon, n’est pas un but : « On ne s’associe pas pour être libres. » Autant vaudrait rester isolés. On s’associe pour la chasse, pour la guerre, pour une œuvre déterminée. C’est à quoi l’école libérale ne pense pas. La liberté en réalité n’est ni un but, ni un moyen ; elle est un effet. Elle résulte du développement progressif de l’humanité ; chacun est plus libre à mesure qu’il est plus puissant et qu’il a plus de moyens d’action sur la nature[12].

Quel est donc le but social ? C’est, dit Saint-Simon, « la production des choses utiles à la vie. » L’espèce humaine tout entière tend vers ce but, et « tout homme doit se considérer comme engagé dans une compagnie de travailleurs[13]. » L’ancien système consistait à agir sur les hommes ; le nouveau système doit agir sur la nature. En un mot, le but final de l’activité sociale est a l’exploitation du globe par l’association. » C’est ce but que les saint-simoniens opposèrent plus tard « à l’exploitation de l’homme par l’homme, » formule devenue célèbre. Une fois la production proposée comme but final à l’activité humaine, Saint-Simon se trouva amené à diviser les hommes en deux classes : les producteurs et les non-producteurs, « les abeilles et les frelons[14], » ou encore « les travailleurs et les oisifs. » Au nombre des premiers, il rangeait les agriculteurs, les artisans ou les manufacturiers, les savans, les artistes, ceux des avocats qui défendent les intérêts industriels, et le petit nombre de prêtres prêchant la saine morale. Dans l’autre camp, il comptait les nobles, les prêtres faisant consister la morale dans la crédulité aveugle, les propriétaires d’immeubles vivant noblement, c’est-à-dire sans rien faire, les juges qui soutiennent l’arbitraire, les censitaires qui lui prêtent leur appui, en un mot tous ceux qui s’opposent à l’établissement du système industriel. C’est cette opposition des producteurs et des non-producteurs que Saint-Simon a exposée de la manière la plus piquante dans un morceau célèbre, le meilleur qui soit sorti de sa plume et qui a reçu le nom de Parabole de Saint-Simon, publication qui lui valut un procès, un acquittement et la célébrité[15].

Le fond des idées précédentes n’était pas très différent, à l’origine du moins, de celles qui vers le même temps s’étaient développées dans une certaine branche de l’école des économistes, issue de Jean-Baptiste Say, et dont les deux représentans principaux étaient MM. Charles Comte et Dunoyer, les fondateurs d’une publication célèbre au commencement de la restauration, le Censeur européen. Le régime militaire de l’empire et ses terribles conséquences avaient du développer par réaction l’idée, peut-être exagérée, de l’importance prépondérante des travaux productifs et pacifiques sur les travaux destructifs et militaires. Ainsi naquit l’idée de l’industrialisme, commune alors à plusieurs groupes de penseurs.

C’est, nous dit M. Charles Dunoyer dans un curieux écrit sur l’industrialisme ?[16], d’une phrase de Benjamin Constant que serait née la conception fondamentale de l’école industrielle. « Le but unique des nations, disait Benjamin de Constant en 1813, c’est le repos, avec le repos l’aisance, et, comme source d’aisance, l’industrie. » Cette pensée avait été, paraît-il, très remarquée. M. de Montlosier, de son côté, par son opposition même, n’avait pas peu contribué à mettre en relief cet aspect nouveau de la société. « Nous allons voir, écrivait-il avec une sorte d’indignation, s’élever au milieu de l’ancien état un nouvel état, au milieu de l’ancien peuple un nouveau peuple… Les propriétés mobilières se balancent avec les propriétés immobilières, l’argent avec les terres, les villes avec les châteaux. » Enfin Jean-Baptiste Say avait été amené, dans son économie politique, à faire de l’industrie l’objet fondamental de la société. Cependant aucun de ces écrivains n’avait tiré parti de ces idées, et n’en avait fait une application sérieuse à la politique. Ce fut là l’œuvre et la pensée principale de MM. Comte et Dunoyer. Ces deux écrivains, alors tout jeunes, avaient publié en 1814 un journal exclusivement politique sous le titre de Censeur. Ce journal, très hostile à la restauration, fut supprimé par les Bourbons. Ce fut pendant les loisirs que leur procura cette interruption violente de leurs travaux, que nos jeunes libéraux furent amenés à des réflexions qui firent une révolution dans leurs idées. Ils se demandèrent « si l’opposition libérale, si la politique constitutionnelle avait un objet bien déterminé. » Ils furent obligés de convenir « que le parti libéral ne savait pas et ne se demandait même pas où la société doit tendre, et en vue de quel objet général d’activité elle devait être constituée. » Ils s’appliquèrent donc à découvrir « le but d’activité sociale, » et reconnurent que c’était « l’industrie. » De l’aveu de M. Dunoyer lui-même, « le Censeur avait été un ouvrage de pure polémique et de politique acerbe, » sans aucune préoccupation économique. Ils comprirent enfin que ce qu’il fallait attaquer, c’étaient « les passions révolutionnaires, militaires, ambitieuses, dominatrices, » et que c’était vers « le travail » qu’il fallait diriger l’activité des intelligences. On voit que la pensée fondamentale du Censeur européen était exactement la même que celle de Saint-Simon dans les premiers temps. M. Charles Dunoyer fait remarquer cette analogie sans méconnaître du reste l’originalité des vues de Saint-Simon, qui, disait-il, avait été conduit « de son côté » aux mêmes résultats. Ce fut d’ailleurs la même année, en 1817, que le Censeur européen d’une part, et de l’autre, quelques mois après, l’Industrie, de Saint-Simon, posèrent les principes de cette nouvelle doctrine politique.

On retrouve non-seulement dans le Censeur européen l’idée fondamentale du saint-simonisme à son origine, à savoir l’idée industrialiste, mais encore la distinction importante, et devenue plus tard si redoutable par les conséquences qu’on en a tirées, des producteurs et des non-producteurs. Cette opposition est même exprimée quelquefois en termes si énergiques qu’elle serait aujourd’hui facilement taxée de socialisme. C’est ainsi par exemple que, cherchant de quels élémens doit se composer un sénat, Charles Comte disait, comme le fera plus tard Saint-Simon, qu’il faut les chercher « parmi les hommes qui augmentent le plus la richesse nationale,… parmi les agriculteurs, les fabricans, les négocians, les banquiers ; » mais qu’il fallait éviter « les hommes inutiles,… qui ne vivent que sur les produits d’autrui, fussent-ils barons ou marquis,… ceux qui, possédant des terres considérables, les abandonnent à des fermiers pour vivre oisifs dans les grandes villes. Dans ce cas, il faudrait admettre plutôt le fermier que le propriétaire[17]. » Le même auteur disait encore plus énergiquement dans un autre passage : « Il n’existe dans le monde que deux grands partis : celui des hommes qui veulent vivre du produit de leur travail ou de leurs propriétés, et celui des hommes qui veulent vivre sur le travail ou sur la propriété d’autrui : celui des agriculteurs, des manufacturiers, des commerçans, et celui des courtisans, des gens à place, des moines, des armées permanentes, des pirates et des mendians. » M. Ch. Dunoyer, en général plus modéré et d’un esprit plus calme et plus sûr, opposait cependant aussi aux industrieux ceux a qui vivent noblement, » et il employait, comme Saint-Simon, la comparaison des abeilles et des frelons[18].

il y a donc eu à l’origine une frappante analogie de vues entre Saint-Simon et les disciples de J.-B. Say, et il est très digne de remarque que le socialisme, qui s’est plus tard posé en adversaire déclaré de l’économie politique, n’en a été d’abord qu’une branche dissidente. Cependant, dès ces premiers temps, des différences notables qui allèrent toujours en s’accusant davantage, séparaient les idées de Saint-Simon de celles des économistes. Ceux-ci ne demandaient après tout pour l’industrie que la liberté, et ils réduisaient le gouvernement à son rôle de « producteur de sécurité. » Saint-Simon allait plus loin, il tendait, comme nous le verrons, à la constitution de la classe industrielle, à titre de classe privilégiée. Tandis que les uns réduisaient de plus en plus l’action gouvernementale, Saint-Simon au contraire faisait de l’industrie une fonction sociale et lui mettait entre les mains le gouvernement. Il faut remarquer en outre que le Censeur européen, dans sa guerre aux non-producteurs, entendait surtout combattre deux choses : le militarisme et le fonctionnarisme. Dans Saint-Simon, l’opposition des travailleurs et des oisifs allait plus loin : parmi les oisifs, il rangeait expressément les rentiers, c’est-à-dire ceux qui reçoivent un revenu sans travailler, sans se préoccuper d’ailleurs de savoir si cette rente était faible ou forte, si elle était la récompense d’un travail antérieur et le prix d’un repos mérité. Néanmoins il est juste de reconnaître que malgré ses attaques contre les oisifs, Saint-Simon n’a jamais en la pensée de proscrire ce qui a été depuis l’objet. de si violentes attaques, à savoir le capital. Il n’a jamais appelé du nom d’oisifs ceux qui, étant à la tête d’une industrie, d’une banque, font valoir eux-mêmes leurs capitaux. Bien au contraire, ce sont toujours les principaux capitalistes, comme il les appelle, les principaux banquiers qu’il met à la tête de la société, et son système n’était en réalité qu’une ploutocratie ; mais c’est assez en esquisser le trait général, le but final et les tendances caractéristiques. Il est temps de passer aux moyens d’application : c’est ici que l’on touchera du doigt le caractère utopique et chimérique de ses conceptions.


II

Après avoir fixé le but de l’activité sociale, il s’agit de trouver les moyens d’atteindre ce but et de procéder à l’organisation du système ; il s’agit de trouver le mécanisme qui assurera la prépondérance définitive du système industriel et scientifique sur le système féodal et théocratique.

Nous rencontrons dans les œuvres de Saint-Simon trois plans différens d’organisation sociale[19] : le premier dans l’Industrie (1818), le second dans l’Organisateur (1819), le troisième dans le Système industriel (1821), reproduit plus tard dans le Catéchisme industriel (1823). Le premier de ces systèmes est une sorte de révolution sociale : Saint-Simon y attachait une si grande importance qu’il en envoyait d’avance le plan au Journal général de France, afin de prendre date et de s’assurer la priorité de l’invention[20]. Ce système touchait d’une manière grave à l’organisation de la propriété. Saint-Simon ne se le dissimulait pas ; mais il faisait remarquer que, si la propriété est la base fondamentale de la société, il appartient cependant à la société de fixer les conditions de cette loi fondamentale. « Ce qui est nécessaire, disait-il, c’est une loi qui établisse le droit de propriété, et non une loi qui l’établisse de telle ou de telle manière… Cette loi dépend elle-même d’une loi supérieure et plus générale qu’elle, de cette loi de la nature, en vertu de laquelle l’esprit humain fait de continuels progrès, loi dans laquelle toutes les sociétés politiques puisent le droit de modifier et de perfectionner leurs institutions, — loi suprême, qui défend d’enchaîner les générations à venir par aucune disposition, de quelque nature qu’elle soit[21]. » C’est en partant de ce principe que l’école saint-simonienne a cru plus tard pouvoir modifier d’une manière bien autrement profonde le système de la propriété. Ici, il ne s’agit encore que d’une mesure moins grave sans doute et même assez modeste en apparence, et qui cependant touchait en réalité aux fondemens de notre organisation sociale.

Ce qui avait suggéré à Saint-Simon l’idée de la réforme proposée était la comparaison faite par lui entre le rôle des propriétaires fonciers ou agriculteurs, et celui des bailleurs de fonds ou commanditaires dans l’industrie. Saint-Simon montrait combien, dans l’état actuel des choses, ces deux rôles sont différens, et il essayait de prouver qu’ils doivent être identiques. En industrie, les commanditaires ne sont pas en nom dans l’entreprise ; la raison sociale est prise de la maison de commerce. C’est le négociant, c’est le fabricant qui est en titre, soit qu’il opère avec ses propres capitaux ou avec ceux des autres ; il est le principal personnage. En agriculture, il en est tout autrement. Le fermier n’est qu’un subalterne, le propriétaire est son maître. Dans l’industrie, le travailleur peut engager les fonds du commanditaire, il est associé, dans l’industrie agricole, le fermier n’est que locataire. Dans l’une, le bailleur est compromis pour la totalité de ses fonds ; dans l’autre, le propriétaire ne l’est que pour une année de ses revenus. Enfin, si le propriétaire cultive lui-même, il doit la considération dont il jouit non à son rôle de travailleur, mais à celui de propriétaire. Il en est tout différemment dans le commerce. De là vient la supériorité de l’industrie commerciale et manufacturière sur l’industrie agricole. En conséquence, Saint-Simon proposait ce projet de loi : « Les propriétaires fonciers seront à leurs fermiers dans les mêmes rapports que les commanditaires aux commerçans et aux fabricans. » Cette réforme devait s’exécuter de ces deux manières : 1° à chaque commencement et à chaque fin de bail, on dresserait un état de la terre, afin de partager les bénéfices et les pertes, ainsi que cela a lieu en Angleterre ; 2° droit serait reconnu au fermier d’emprunter sur la terre qui lui est fournie, après arbitrage.

Quelle que pût être en elle-même la valeur d’une telle mesure, Saint-Simon, en la proposant, méconnaissait l’une des lois fondamentales de l’économie politique, dont cependant il invoquait les principes. Il ne réfléchissait pas que, si dans le fait le commanditaire engage ses fonds dans une industrie, c’est qu’il le veut bien : aucune loi ne lui en fait l’obligation ; c’est par l’espérance de plus gagner qu’il se fait bailleur de fonds au lieu de se borner au rôle de simple prêteur ; mais il peut, s’il le veut, se contenter de ce dernier rôle ; il peut faire valoir lui-même ses capitaux, il peut même les consommer improductivement. Or il en est absolument de même du propriétaire foncier. S’il plaît à celui-ci de commanditer son fermier en s’associant avec lui, en partageant les bénéfices et les pertes, en lui permettant d’emprunter sur la terre, il en est libre ; la loi ne s’y oppose pas ; mais elle ne pourrait le lui commander sans faire pour la terre ce qu’elle ne fait pas pour le capital industriel, ce qui détruirait précisément la parité que Saint-Simon veut établir entre l’une et l’autre. Que ces mesures soient bonnes ou mauvaises, c’est une autre question ; mais en supposant qu’elles soient bonnes, et qu’elles n’aient d’autre obstacle que le préjugé et l’habitude, ce sont les propriétaires fonciers qu’il faudrait persuader, et il est inutile d’armer pour cela le gouvernement d’une loi nouvelle et de compromettre le principe de la propriété.

De cette réforme sociale, Saint-Simon tirait en outre une réforme politique qui ne serait plus d’aucune importance aujourd’hui, mais qui en avait une grande à cette époque., Il faisait payer les impôts fonciers aux travailleurs, c’est-à-dire aux fermiers, et par là leur assurait les droits politiques au détriment des propriétaires. C’était un des moyens qu’il comptait employer pour assurer la prépondérance politique à la classe des producteurs.

Enfin un troisième projet de loi avait pour objet la mobilisation du sol. Saint-Simon, toujours plus généralisateur que praticien, n’entrait dans aucun détail sur cette réforme : il se contentait de signaler le rôle important que devaient jouer, disait-il, les banques foncières et territoriales, les banques, à la vérité, avaient été déjà expérimentées sans succès ; mais la cause de cet échec était, suivant lui, dans les obstacles opposés par notre législation au transfert des propriétés : obstacles que la nouvelle législation aurait précisément pour but d’aplanir. Par cette mobilisation du sol et par la faculté accordée aux fermiers d’engager les fonds, Saint-Simon voyait 30 milliards versés dans la circulation et une immense impulsion donnée aux affaires. En résumé, son système consistait à transformer la propriété territoriale en propriété industrielle, la propriété immobilière en propriété mobilière.

Une des conséquences de ce changement devait être de porter un coup décisif à l’influence des légistes, dont toute l’importance repose sur la propriété foncière, la seule dont les jurisconsultes se soient occupés. En effet, le changement dans la nature de la propriété amènerait un changement dans la juridiction. Toutes les affaires devenant industrielles ne ressortiraient plus qu’à des tribunaux spéciaux, à savoir aux tribunaux de commerce. Ces tribunaux, qui sont plutôt des arbitres que des juges, devaient se substituer peu à peu aux tribunaux ordinaires : par là, la classe industrielle prenait dans l’ordre civil la place des légistes, comme dans l’ordre politique la place de l’aristocratie militaire et territoriale.

Tel est le premier système d’organisation sociale proposé par Saint-Simon en 1818. On peut y remarquer ce double caractère qui a été aussi celui de l’école : d’une part, l’esprit de chimère qui caractérise l’utopiste, et de l’autre un sentiment singulièrement juste des tendances nouvelles de la société. Toutes réserves faites sur le droit de l’intervention légale dans le régime des travailleurs, et tout en faisant la part des exagérations d’un inventeur, il faut en effet reconnaître que ce premier plan n’était pas en désaccord avec les faits généraux qui caractérisent l’état social de notre temps. Depuis Saint-Simon, nous avons vu les banques foncières ou territoriales prendre un crédit de plus en plus grand ; nous avons vu aussi les tribunaux de commerce agrandir leur sphère et prendre plus d’extension au détriment de la justice civile. Un grand esprit, publiciste et économiste à la fois en même temps que jurisconsulte, Rossi, dans un travail mémorable sur les rapports du code civil et de l’économie politique[22], avait également remarqué que nos lois civiles, faites par des jurisconsultes qui ne connaissaient que la propriété immobilière, devaient être modifiées en tenant compte de l’immense développement de la propriété mobilière et industrielle. Cependant, chose étrange, après avoir émis ces vues importantes, moitié chimériques, moitié judicieuses et prophétiques, au lieu de les éclaircir, de les développer ou de les rectifier, d’en poursuivre les conséquences et l’application, Saint-Simon les abandonne absolument pour n’en plus parler. Essentiellement improvisateur, comme l’ont été du reste presque tous les saint-simoniens. il jetait au vent ses idées et souvent les oubliait après les avoir le plus aimées. Très fidèle dans ses idées fondamentales, il en variait sans cesse les applications. Soit par prudence, soit par légèreté, ces plans de mobilisation du sol et de révolution dans la propriété disparaissent de ses écrits pour reparaître plus tard transfigurés et agrandis dans les écrits d’Enfantin. Pour lui, il abandonne le but social pour ne plus s’attacher qu’au mécanisme gouvernemental, jusqu’au moment où sa doctrine, prenant encore un nouvel aspect, aspirera à devenir le point de départ d’une révolution morale et religieuse. C’est dans l’Organisateur que nous trouvons le plan de constitution par lequel Saint-Simon compte organiser le pouvoir de la classe industrielle. Ce plan, d’un caractère tout à fait utopique, rappelle les rêves de l’abbé de Saint-Pierre. Comme c’était alors la mode du gouvernement parlementaire, Saint-Simon constitué, lui aussi, un gouvernement parlementaire. Bien plus, au lieu de deux chambres il en établit trois : une chambre d’invention, une chambre d’examen, une chambre d’exécution. Le but social étant, comme nous l’avons dit, la production, c’est-à-dire l’exploitation du globe pour la plus grande utilité des hommes, la chambre d’invention aura pour objet de découvrir et d’inventer des projets utiles, des plans de travaux publics sur une vaste échelle (canaux, voies de communication de toute nature, assainissemens, exploitations de mines, reboisemens, etc.). Tel sera dorénavant l’objet principal de la politique, le reste n’est qu’accessoire ; mais, comme l’utilité n’est pas tout pour l’homme et qu’il faut aussi faire la part du plaisir et de l’imagination, la chambre d’invention n’aura pas seulement à s’occuper des travaux publics : elle sera chargée en outre des fêtes publiques, elle en aura l’initiative et devra présenter également des projets à cette fin. Il devait t avoir deux sortes de fêtes, les fêtes d’espérance et les fêtes de souvenir. Cette singulière préoccupation des fêtes publiques est un des traits caractéristiques de l’utopiste, et l’on sait quel rôle important leur avait attribué pendant la révolution le parti républicain. Quant à la composition de cette chambre, Saint-Simon donnait dans le dernier détail le nombre et la qualité de ceux qui devaient en faire partie. C’est un des traits curieux de l’utopiste d’accuser avec une extrême précision les circonstances les plus insignifiantes, afin de donner par là l’illusion d’un plan pratique tout prêt à être exécuté[23].

La seconde chambre s’appelait chambre d’examen. Elle avait pour objet, comme son nom l’indique, d’examiner les projets de la première et devait être chargée en outre d’un plan d’éducation publique, et, ce plan une fois accepté, elle en surveillait l’exécution. Elle devait s’occuper aussi d’un projet de fêtes publiques ; on ne nous dit pas en quoi il différera de celui de la chambre d’invention, et quelles seront, relativement à ces fêtes publiques, les attributions respectives des deux chambres. Le noyau de cette seconde chambre est formé par l’Académie des sciences, et ses membres reçoivent également 10,000 francs de traitement.

Les deux premières chambres ne sont après tout que consultatives : celle qui tient les cordons de la bourse, et qui par conséquent est véritablement en possession du pouvoir, est la chambre d’exécution, laquelle n’est autre chose que la chambre des communes ou chambre des députés. Celle-là seule doit établir l’impôt et le percevoir. Les membres de cette chambre ne toucheront pas de traitement, car ils doivent tous être riches, et ne doivent être choisis que parmi les principaux chefs des maisons d’industrie. On voit que, dans cette première phase du socialisme contemporain, le capital, bien loin d’être proscrit et maudit, comme il le sera plus tard, est au contraire mis à la tête de la société nouvelle. C’était en effet aux premiers capitalistes, aux premiers financiers du temps que Saint-Simon s’adressait pour le succès de ses idées. C’est avec le concours des Laffitte, des Périer, des Ternaux, qu’il publiait ses premiers écrits : c’était eux qu’il avait en vue pour directeurs futurs de son entreprise réformatrice. Quant au but positif et effectif de cette entreprise, il n’en parlait plus, et se contentait de l’indiquer vaguement en ces termes : « La propriété devra être reconstituée et fondée sur les bases qui peuvent la rendre la plus favorable à la production[24]. » Enfin, comme mesure de transition, l’auteur demandait un emprunt de 2 milliards pour indemnité envers les personnes auxquelles le nouveau système aura causé quelque dommage.

Le plan précédent devait avoir pour effet d’établir le système industriel et scientifique, et de le substituer au système féodal et théologique pour mettre fin à la révolution. La classe industrielle, chargée d’une part d’inventer les projets par le moyen des ingénieurs, de l’autre de les voter par le moyen des chefs d’industrie, était véritablement mise en possession du pouvoir temporel de la nouvelle société. D’un autre côté, la classe savante, chargée du contrôle et de la-critique, et pouvant arrêter tout projet contraire aux principes de la science, avait véritablement par son veto le pouvoir spirituel ; mais un nouvel élément, peu indiqué jusque-là, était intervenu : c’était celui des artistes et des lettrés. A la vérité, Saint-Simon ne leur attribuait guère qu’un rôle assez secondaire, celui d’organiser des fêtes publiques ; mais en les rendant membres de la chambre d’invention et en les faisant participer au vote d’ensemble, sur tous les projets, il leur donnait en réalité une part d’action assez considérable. Aussi voit-on la formule primitive se modifier, et de dualiste devenir trinitaire. Entre les savans et les industriels, Saint-Simon continuera de nommer les artistes, et c’est cette formule trinitaire qui plus tard sera toujours celle de l’école.

Le troisième plan social de Saint-Simon est exposé dans le Système industriel. Sans entrer dans des détails fastidieux (que nous importent les différences entre des projets aussi inexécutables les uns que les autres !), signalons comme la principale de ces différences l’omission presque complète des savans et des lettrés dans ce nouveau plan, — et ce n’est pas, comme on pourrait le croire, un simple oubli qu’expliquerait la légèreté d’un esprit aventureux et mobile ; non, c’est volontairement et systématiquement qu’après avoir donné le pouvoir aux savans, Saint-Simon le leur enlève ensuite. Lui-même se fait l’objection, et il y répond d’une manière curieuse. C’est que « si malheureusement, dit-il, il s’établissait un ordre de choses dans lequel l’administration des affaires temporelles se trouvât placée dans les mains des savans, on verrait bientôt le corps scientifique se corrompre, et s’approprier les vices du clergé ; il deviendrait métaphysicien, astucieux et despote[25]. » Observation remarquable et en quelque sorte prophétique, par laquelle Saint-Simon semble condamner d’avance le caractère clérical et sacerdotal que prendra après lui sa propre école devenue église, et gouvernée, pour ne pas dire subjuguée, par un audacieux hiérophante.

Tous ces plans de réformes, par des combinaisons différentes, tendent tous au même but : organiser l’autocratie industrielle sous le patronage de la royauté.

C’est qu’en effet ce n’est pas contre la royauté, ni même en dehors d’elle, que Saint-Simon se propose de faire sa révolution. Ayant toujours devant les yeux le souvenir des communes du moyen âge et de leur alliance avec la royauté, c’est une alliance du même genre qu’il demande entre les industriels et les Bourbons. Deux intérêts doivent les rapprocher : la crainte des révolutions, la crainte de la guerre. Pour éviter les révolutions, la royauté doit se jeter dans les bras des industriels ; pour éviter la guerre, ceux-ci doivent se garantir des séductions du parti militaire, insidieusement uni au parti libéral, et se rallier au parti des Bourbons. Il invite le roi à se déclarer « le premier industriel du royaume, » et à consommer cette révolution par ordonnance royale. Le goût des saint-simoniens pour la dictature et pour le pouvoir absolu commence à se révéler très nettement dans les lettres de Saint-Simon adressées au roi. « Le progrès, dit-il, ne se fait que par deux moyens : les révolutions ou la dictature. Or la dictature vaut mieux que la révolution[26]. « Il ajoutait enfin que la royauté n’avait nullement à se préoccuper du prétendu dogme de la souveraineté du peuple, que ce dogme n’était qu’une antithèse à celui du droit divin ou de la grâce de Dieu, que ces deux dogmes étaient réciproques : « ce sont les restes de la longue guerre métaphysique qui a eu lieu dans toute l’Europe contre les principes du régime féodal. Une abstraction a dû provoquer une autre abstraction. La métaphysique du clergé a mis en jeu la métaphysique des légistes ; mais cette lutte est aujourd’hui terminée[27]. »

Tout en faisant appel à la dictature royale pour substituer le régime industriel au régime aristocratique et théologique, Saint-Simon, par une étrange contradiction, s’efforçait en même temps de rester fidèle aux principes de l’économie politique, en prouvant que son système a pour but de détruire les abus du gouvernementalisme. Il y a deux sortes de gouvernemens : le gouvernement sur les choses, le gouvernement sur les hommes ; le premier, fondé sur des principes scientifiques, est l’ennemi de tout arbitraire ; le second, fondé sur la volonté, est au contraire essentiellement arbitraire ; le nouveau système consiste à substituer le gouvernement des choses au gouvernement des hommes, le système administratif au système politique, les « capacités » aux « pouvoirs. » La fonction propre au gouvernement, qui est de maintenir l’ordre matériel, ne sera plus qu’une fonction « subalterne. » Saint-Simon se représente le gouvernement de la société nouvelle sur le modèle des grandes compagnies industrielles, de la Banque de France par exemple. Il emprunte encore un exemple remarquable à l’École polytechnique. Dans cette école, du moins à l’origine, les professeurs étaient en même temps administrateurs. Ceux qui travaillaient à produire (c’est-à-dire à répandre la science) étaient en même temps ceux qui gouvernaient, car c’était leur intérêt que tout allât le mieux possible ; quant à la tâche de maintenir l’ordre, elle était entre les mains d’un agent estimable, mais subalterne, car ce n’était en réalité qu’une fonction subalterne. Depuis, le despotisme de l’empire a tout changé : un état-major a remplacé le corps des professeurs. « L’ordre primitif et naturel a été interverti, la partie subalterne de l’établissement en est devenue la tête, et les fonctions vraiment importantes ne sont plus qu’en seconde ligne[28]. » Dans le nouveau système politique au contraire, les affaires seront dirigées par les capacités compétentes : les sciences, les beaux-arts, les arts et métiers. Il n’y aura plus de place pour l’arbitraire.

Qu’y a-t-il de moins arbitraire que la vérité ? or l’administration n’aura d’autre fonction que de déclarer la vérité. Donnons quelques exemples : il s’agit d’établir un système de poids et mesures. La science déclare que le meilleur système, le plus rigoureux, le plus simple, est le système métrique : quoi de moins arbitraire ? Cependant il faut appliquer le système et le faire exécuter : c’est ici le rôle de la police ou du gouvernement ; fonction très inférieure. S’agit-il de salubrité publique ? Qui doit décider ? qui doit diriger ? Ce sera un conseil d’hygiène. Il déclarera ce que la science nous apprend relativement à ce qui est salubre ou insalubre : la police n’a qu’à surveiller l’exécution. De même des grands travaux publics, des fêtes publiques, de l’éducation ; tous ces objets qui sont le véritable objet du gouvernement, parce que tous se traduisent en effets utiles, doivent être jugés par les hommes compétens ; la politique doit leur être subordonnée. Dans la réalité il en est tout autrement : c’est la politique qui est la maîtresse, et les objets utiles qui sont subordonnés. Il y a beaucoup de justesse dans ces considérations. Cependant Saint-Simon se fait illusion lorsqu’il croit détruire par son système le gouvernementalisme. Lorsque l’industrie en effet aura remplacé ce qu’il appelle le gouvernement, ce sera elle qui sera le gouvernement. Or ce n’est pas là un fait inconnu dans l’histoire. Il y a eu de grandes compagnies industrielles qui ont été des gouvernemens. On ne voit pas qu’elles aient laissé un souvenir d’équité et de douceur supérieur à celui des autres autorités. Il y a eu peu de pouvoirs plus tyranniques que ceux de la compagnie des Indes, soit en France, soit en Angleterre. Il est vrai que ce pouvoir était exercé en pays étranger et sur peuples conquis, mais rien ne prouve qu’il serait plus doux s’il était exercé sur des compatriotes. Saint-Simon a raison de dire : « Qu’on juge où l’on pourrait atteindre si les hommes, cessant de se commander les uns aux autres, s’organisaient pour exercer sur la nature des effets combinés ! » Mais pour s’organiser ainsi, il faudra toujours qu’il y ait des hommes se commandant les uns aux autres : car nulle association sans discipline. Le gouvernementalisme reviendrait donc par le système même qui prétendait l’abolir.

Jusqu’ici la doctrine de Saint-Simon nous a paru surtout une sorte d’industrialisme, et, pour la distinguer des doctrines analogues, on pourrait la caractériser comme un industrialisme centralisateur. Mais nous n’y avons encore signalé aucune trace des deux caractères qui feront plus tard le succès, l’originalité et la ruine de l’école saint-simonienne : d’une part, le caractère philanthropique, humanitaire, populaire ; de l’autre, le caractère religieux. Cependant ces deux caractères n’ont pas été étrangers à la doctrine du maître, et ils ont signalé la dernière phase de ses idées ; celle qui a eu le plus d’influence sur ses disciples, et qu’il a lui-même indiquée comme la plus importante ; celle enfin qui a été marquée par la publication du Nouveau Christianisme.


III

Le caractère philanthropique et populaire de la doctrine de Saint-Simon commence à paraître dans sa publication du Système industriel. « Le but direct de mon entreprise, disait-il dans une de ses lettres aux industriels, est d’améliorer le plus possible le sort de la classe qui n’a d’autre moyen d’existence que ses bras… Ce serait d’elle que les gouvernemens devraient s’occuper principalement, et au contraire c’est celle de toutes dont ils soignent le moins les intérêts ; ils la regardent comme essentiellement gouvernable et imposable, et le seul soin important qu’ils prennent à son égard est de la maintenir dans l’obéissance passive[29]. » Quels sont maintenant les besoins de cette classe si nombreuse et si intéressante ? Ils se réduisent à deux : le travail et l’instruction. L’un et l’autre seront le résultat du système industriel et scientifique : car d’une part les industriels chargés de faire le budget tendront à donner le plus d’extension possible aux entreprises industrielles qui occupent le plus de bras ; et de l’autre, les savans sont le plus en état de donner un bon système d’éducation populaire ; car ce qui est le plus utile au peuple dans ses travaux, ce sont les notions pratiques déduites des sciences positives. On voit à quoi se réduit jusqu’ici le socialisme de Saint-Simon. Il consiste dans une vaste entreprise de travaux publics et dans la prédominance de la classe industrielle ; mais il n’a jamais encouragé ni même soupçonné cet antagonisme de la classe possédante et de la classe ouvrière dont on a fait depuis un des dogmes du socialisme. Dans un autre écrit[30], la tendance philanthropique et réformatrice est plus marquée. Il donne pour but à la politique « de travailler directement à l’amélioration du bien-être moral et physique des travailleurs ; » nous reconnaissons déjà une partie de la formule saint-simonienne, qui ne deviendra complète que dans le Nouveau christianisme. Les moyens proposés pour arriver au but qu’il vient d’indiquer sont : de procurer du travail à tous les hommes valides (nous approchons, on le voit, de l’organisation du travail et du droit au travail), — de répandre le plus possible les connaissances positives dans la classe populaire, — de lui garantir enfin des plaisirs et des jouissances propres à cultiver son intelligence. Ailleurs, il signale l’aptitude des prolétaires à l’administration de leurs propriétés[31]. Enfin, dans les Ordonnances qu’il faisait porter par le roi dans son plan de révolution industrielle, il proclamait que « le budget devait tendre le plus directement possible à l’amélioration de l’existence du peuple, » et que « les deux premiers articles de dépenses seront : 1° celui relatif à l’instruction du peuple ; 2° celui ayant pour objet d’assurer du travail à ceux qui n’ont pas de moyens d’existence[32]. »

Cette prédilection pour les intérêts de la classe populaire prit peu à peu chez Saint-Simon un caractère sentimental et quasi-religieux. C’est lui-même qui caractérise ainsi cette nouvelle phase[33], et il interprète de cette manière les causes de sa rupture avec Auguste Comte ; c’est ici en effet le point de bifurcation du saint-simonisme et du positivisme. L’idée d’une forme religieuse nouvelle commence à prendre chez Saint-Simon des contours arrêtés. Il est intéressant de suivre les progrès de cette idée dans son esprit.

Déjà dans son premier ouvrage, Lettres à un habitant de Genève (1801), nous voyons se faire jour l’idée, d’une religion nouvelle : à la vérité, c’est une sorte de fantaisie demi-ironique, demi-chimérique (car on ne sait jamais ce que l’on doit croire de ces illuminés), mais c’est cependant une première indication. Ce nouveau culte n’était encore qu’un culte scientifique. Il devait s’appeler « la religion de Newton. » Il y aura un mausolée consacré à Newton « dont une moitié sera construite de manière à donner une idée du séjour destiné pour une éternité à ceux qui nuiront au progrès des sciences et des arts. » Ainsi, dans cette religion nouvelle, il y aurait un enfer pour les ennemis des lumières. Chaque année, tous les adeptes à proximité devaient faire des pèlerinages au tombeau de Newton, et ceux qui manqueraient à ce devoir seraient considérés comme « ennemis de la religion. » Enfin le grand-prêtre de cette religion aura le droit d’être enterré dans le tombeau de Newton. Tout cela n’est vraisemblablement qu’un jeu, mais un jeu qui finira par être pris au sérieux ; car la religion saint-simonienne a été ou devait être en partie un culte scientifique, et ce caractère se retrouve encore dans la religion positiviste qui en est sortie. Ces idées, toutes chimériques qu’elles sont, ont dû germer en silence dans l’esprit de Saint-Simon, plus ou moins étouffées par d’autres plus éclatantes, mais elles ont fini par reparaître à la fin de sa vie. Nous pourrons retrouver quelques traces çà et là de cette germination intérieure. Déjà nous l’avons vu en 1811, dans ses Lettres à M. de Redern, protester contre la fausse interprétation des religions donnée par Condorcet et par tout le XVIIIe siècle. Dans un autre morceau très remarquable, d’un assez beau style et dont nous ne savons pas la date[34], l’auteur (Saint-Simon ou tel autre sous son nom) explique l’origine et le développement du christianisme exactement comme le fera plus tard le saint-simonisme. Jouffroy a décrit de la même manière la même révolution dans le célèbre morceau : Comment les dogmes finissent. Ainsi Saint-Simon apportait dans l’appréciation des idées chrétiennes un esprit plus large et plus élevé que le parti philosophique, et il nous montrait le progrès religieux comme une condition du progrès social. Cependant ce n’est pas d’abord d’une nouvelle religion qu’il s’agit : les esprits étaient alors trop éloignés d’une telle conception. Il se contente de proposer « une morale nouvelle. » Il disait que le plus grand intérêt de la politique était la conservation de la propriété. « Or la seule digue que les propriétaires puissent opposer aux prolétaires, c’est un système de morale. » Ce nouveau système est ce qu’il appelle « la morale terrestre, » et il annonçait un prochain écrit sur « la morale au XXe siècle, » écrit qui n’a point paru[35]. Il revenait encore sur la même idée dans ses publications suivantes. Il faisait remarquer qu’il n’y a point de société possible « sans idées morales communes, » que l’ancien système de morale était plein de lacunes, et qu’il fallait en édifier un nouveau sur des bases nouvelles. Il y a deux lacunes principales : celle des rapports réciproques des gouvernans et des gouvernés, et celle des relations de peuple à peuple. Pour le premier point, le changement à opérer consiste à considérer le gouvernement non comme le « chef, » mais comme « l’agent, le chargé d’affaires » de la société. Sur le second point, il faut combattre l’erreur qui consiste à penser « que chaque nation ne peut prospérer que pour le malheur des autres : de là la prohibition, les guerres, etc. » Quant aux bases nouvelles de la morale, elles se ramènent à ceci : substituer une morale terrestre à la morale céleste ; et, comme on ne peut pas changer les institutions religieuses existantes, Saint-Simon voulait que le clergé fût tenu d’enseigner la morale « par des principes positifs, » et pour cela qu’il fût assujetti à un examen scientifique. Dans le Système industriel, il revenait encore sur la nécessité d’une « doctrine nouvelle appropriée à l’état des lumières. » Quant à la formation de cette doctrine, si nécessaire au régime industriel, il en excluait les lettrés, les artistes, les métaphysiciens, tout aussi bien que les théologiens[36] ; mais il en excluait également les savans, auxquels manque l’esprit de généralisation. Ce rôle devait appartenir essentiellement « aux philosophes positifs[37]. » Pour les métaphysiciens, les lettrés, les publicistes, leur rôle devait être non pas l’invention, mais la vulgarisation ; les théologiens eux-mêmes ne seraient pas exclus. Saint-Simon faisait remarquer l’analogie de notre temps avec celui « où la partie civilisée de l’espèce humaine a passé du polythéisme au christianisme. » La religion chrétienne a été organisée, disait-il, par les philosophes d’Alexandrie, et répandue par des hommes de toutes les classes. Ce fut une des idées fondamentales du saint-simonisme de comparer sans cesse la chute de la société du moyen âge à la chute du polythéisme, et, poursuivant l’analogie, de conclure à la nécessité d’un dogme nouveau.

Le rôle de réformateur religieux s’accuse de plus en plus dans les lettres qui suivent, et, chose étrange, c’est au roi lui-même que Saint-Simon s’adresse (à Louis XVIII !) pour opérer cette révolution religieuse qui commence à solliciter son esprit : « Sire, disait-il, le principe fondamental du christianisme commande aux hommes de se regarder comme des frères et de coopérer le plus complètement possible au bien-être les uns des autres[38]. » Mais lorsque Jésus-Christ a posé ce principe, la société était trop imparfaite pour qu’il pût servir à l’organiser comme principe dirigeant. Il ne put agir qu’indirectement, comme principe modificateur, sans en prendre la direction. En d’autres termes, le principe chrétien n’a jamais été qu’un principe moral et non un principe social proprement dit. Mais « le divin auteur du christianisme » n’a pas du vouloir borner son œuvre à n’être qu’une critique du système politique ; c’est aujourd’hui qu’il faut tirer les conséquences positives de ce principe. Ces conséquences sont : que le pouvoir temporel appartienne « aux hommes utiles, laborieux et pacifiques, » et le pouvoir spirituel aux hommes qui possèdent les connaissances utiles. Ainsi le système industriel et scientifique n’est autre chose que le christianisme lui-même devenu constitution politique, car la « doctrine de la fraternité ne peut pas être établie tant que le pouvoir restera entre les mains des guerriers et des théologiens, » puisque les guerres et les abstractions théologiques sont les causes les plus actives de haines parmi les hommes.

Enfin dans une « adresse aux philanthropes[39], » en rappelant que le but était de faire passer le christianisme de la spéculation à la pratique, il se demandait quelle était la force morale qui pouvait opérer ce changement. « Cette force, disait-il, c’est le sentiment moral, » dirigé par « les philanthropes » qui seront à la nouvelle doctrine ce qu’ont été les fondateurs du christianisme. Et quel sera le moyen employé par les philanthropes ? « La prédication, tant verbale qu’écrite. » Ils « prêcheront » les rois, les industriels et les peuples. Ils chercheront non pas à renverser les trônes, mais au contraire à rendre partout le pouvoir royal favorable aux nouvelles doctrines et à la complète organisation du « nouveau christianisme. » Enfin quel sera le but final de cette réforme ? Le voici : « organiser la société de la manière la plus avantageuse pour le plus grand nombre. »

On voit que le Nouveau Christianisme se trouvait déjà en germe dans les écrits de Saint-Simon, et l’éditeur a raison de dire que cet ouvrage n’est pas, comme où l’a écrit, le fait d’un affaiblissement intellectuel qui aurait suivi la tentative de suicide de 1822[40], puisqu’avant cette époque on en retrouve le fond et les idées principales dans de nombreux passages. Seulement ces idées se sont condensées et ont pris une forme plus accentuée et plus définie. Ce livre a été fort admiré par les saint-simoniens, et, avec l’Éducation du genre humain de Lessing, il a été en quelque sorte l’évangile de la nouvelle église. Saint-Simon lui-même, en mourant, le signalait à Olinde Rodrigues comme son œuvre capitale. Nous n’éprouvons pas aujourd’hui la même admiration ; car, quoique ce fût la prétention de Saint-Simon d’avoir substitué dans cet écrit la doctrine à la critique, ce qui y manque surtout c’est la doctrine, et il ne contient guère autre chose que de la critique. Critique du catholicisme, critique du protestantisme, voilà ce qui remplit la plus grande partie de l’ouvrage. On nous dit bien qu’il faut un nouveau dogme à une société nouvelle ; mais quel est ce dogme, c’est ce que nous n’apprenons pas. Sous forme religieuse, ce n’est encore qu’une morale résumée dans cette maxime célèbre : « Tous doivent travailler au développement physique, moral et intellectuel de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre. » On est donc porté à croire que, dans son Nouveau Christianisme, Saint-Simon n’avait rien de plus dans l’esprit que le système déjà tant de fois exposé. Cependant il est visible qu’il désirait rattacher sa nouvelle morale à quelque dogme religieux, puisque l’ouvrage commence par ces mots : « Croyez-vous en Dieu ? — Oui, je crois en Dieu. » C’est la première fois que Saint-Simon parle de Dieu dans ses écrits, et à moins de supposer que ce n’est là qu’un simple acquit de conscience, que rien n’expliquerait ni ne justifierait, on peut penser que ces mots indiquent une tendance à relever l’idée religieuse du discrédit où elle était tombée au XVIIIe siècle. C’est d’ailleurs la seule trace d’une tendance théologique à noter dans Saint-Simon ; on la signalerait à peine si elle n’avait pas été si brillamment et si hardiment développée par l’école qui, sur ce point ainsi que sur tant d’autres, a transformé, agrandi, en l’altérant presque toujours, la doctrine du maître.

C’est en effet un des caractères de l’école saint-simonienne d’avoir en elle-même une véritable originalité indépendamment du maître. C’est une des différences qui distinguent le saint-simonisme du fouriérisme. Dans cette seconde école, les disciples n’ont absolument rien ajouté à la doctrine de Charles Fourier : ils l’ont vulgarisée et simplifiée, ils ne l’ont modifiée en rien d’important. Il n’en est pas de même des élèves de Saint-Simon. Leur doctrine sociale, leur doctrine religieuse, est un développement inattendu et hardi du système de leur maître : c’est un dogme systématiquement élaboré, avec la prétention évidente de reproduire le travail organisateur du dogme chrétien. Saint-Simon avait bien désiré donner un caractère religieux à sa doctrine, mais il n’a jamais songé à constituer un dogme, une église et un sacerdoce. De même, au point de vue social, il a voulu une réforme qui fît passer le pouvoir et l’influence des oisifs aux travailleurs, et il aurait approuvé une modification du régime de la propriété foncière ; mais, quant à un changement radical des conditions économiques de la société, il ne l’a jamais rêvé, et avec ses tendances conservatrices il est fort probable qu’il eût désavoué les conséquences étranges de ses disciples ; enfin ses vues sur la hiérarchie sociale ne paraissent pas avoir été jusqu’à la suppression absolue du régime parlementaire et jusqu’à l’établissement d’une théocratie absolutiste, ce qui fut le caractère de la doctrine interprétée par ses disciples.

On peut se rendre compte maintenant de ce qu’a été le célèbre fondateur du socialisme contemporain. Ce remarquable personnage nous paraît surtout un esprit facile et ouvert, d’une merveilleuse aptitude à s’assimiler les idées d’autrui en leur prêtant d’ailleurs une sorte d’éclat et de prestige, non par le style bien entendu, mais par un ton d’apostolat et de prosélytisme qui entraînait. On ne peut dire au juste ce qu’il a inventé, tant il a eu de collaborateurs et tant il a emprunté autour de lui ; mais n’eût-il rien découvert en particulier, c’est lui qui a inventé le tout, qui de toutes ces idées réunies a fait quelque chose de vivant, d’actif, de séduisant. Esprit léger et, au total, peu instruit malgré sa curiosité universelle, il avait de l’élévation et du brillant, quelque chose du grand seigneur qui vit à crédit et fait beaucoup avec rien. Peu précis, peu consistant, improvisateur plutôt que penseur, il a eu cependant un fonds d’idées durables qui se sont répandues partout, et que nous avons tous plus ou moins respirées dans l’atmosphère de notre temps. C’est entre les mains de ses disciples que ces idées ont pris une forme précise et se sont coordonnées réellement en système ; mais de lui seul on peut dire qu’il avait du génie : les autres, pleins de talent et d’imagination, n’ont travaillé qu’en sous-ordre. Il est le maître. À lui le souffle initiateur, la grande direction. Aventurier, agioteur, noble ruiné et mendiant, tout cela ne compose pas un caractère bien pur et bien digne de respect ; et cependant il excite l’intérêt par cette opiniâtreté de l’inventeur, tout entier à son idée, y revenant sans cesse, la reproduisant sous toutes les formes, mourant de faim et de froid sans y renoncer, se dépouillant de tout et faisant tous les métiers sans scrupule pour travailler à son rêve ; semblable à ce personnage dont Balzac, dans la Recherche de l’absolu, nous a laissé l’admirable portrait. Descendant de Charlemagne, croyait-il, et légitime héritier du trône de France, il traitait les Bourbons de petite noblesse, et vivait aux dépens de son valet de chambre enrichi, rappelant ce mot de Pascal qui semble fait pour lui : « Ce sont misères de grand seigneur, misères d’un roi dépossédé. » Utopiste et positif à la fois, un pied dans la réalité, l’autre dans la chimère, comptant sur Louis XVIII et M. Laffitte pour en faire les apôtres d’un nouveau christianisme ; homme d’esprit d’ailleurs quand il lui plaisait, ce qui donne à penser qu’il a pu quelquefois se moquer du monde ; médiocre écrivain, pauvre philosophe, savant frelaté, apprenti économiste, historien par occasion, amateur en tout, et avec cela ayant entraîné l’espèce humaine dans une voie nouvelle ; type étrange, supérieur même dans sa bassesse, et qui ne pourrait être peint dans toute sa vérité, dans toute sa crudité, que par un autre Saint-Simon.


Paul Janet.
  1. Tout le monde connaît les belles Études sur les réformateurs contemporains de M. Louis Reybaud. M. Thonissen a fait une Histoire du socialisme depuis l’antiquité jusqu’en 1852 (2 vol. in-8o, Louvain 1852). Voyez enfin l’Histoire du communisme de M. A. Sudre (Paris 1849).
  2. On trouvera ces écrits avec un portrait de Saint-Simon dans l’édition en trois volumes in-12, publiée à Bruxelles en 1859 par M. Lamonnier. L’éditeur y a ajouté une grande étude sur les doctrines de Saint-Simon. Quant aux rapports de Saint-Simon avec la philosophie positive, on peut consulter le livre de M. Littré, Auguste Comte et la philosophie positive, ch. V, p. 74.
  3. C’est M. Laurent de l’Ardèche qui a repris ici l’édition. Il a introduit avec raison dans son dernier tome le troisième cahier du Catéchisme industriel, qui est de la main d’Auguste Comte, et qui a été l’occasion de la rupture entre les deux philosophes, mais qui doit faire partie intégrante des œuvres de l’un et de l’autre.
  4. Par exemple, les Lettres à un Américain (t. II de Saint-Simon, XVIII de la collection) sont données par l’éditeur comme de Saint-Simon, tandis que M. Charles Dunoyer, très en mesure d’être bien informé, nous apprend qu’elles sont l’œuvre de M. Magnien, professeur de philosophie (Œuvres de Ch. Dunoyer, t. II, Notice d’économie sociale, p. 184).
  5. T. XV, p. 115. — Dans la même lettre, il critique encore justement dans Condorcet la théorie d’une perfectibilité indéfinie. Il montre que le progrès n’existe que dans les sciences et l’industrie, et non dans les beaux-arts. « Les facultés se remplacent, dit-il, mais ne se cumulent point. »
  6. Opinions littéraires, philosophiques et industrielles.
  7. C’est depuis la réforme de Luther, selon lui, que l’on voit commencer les grandes guerres ayant pour but la monarchie universelle. (Réorganisation de la société européenne, t. XX, p. 275.)
  8. Lettres VIII et IX, t. XX.
  9. Le Système industriel, Lettre au roi (Œuvres, t. XXII, p. 135).
  10. Michelet a fait remarquer dans un de ses derniers ouvrages qu’au 9 thermidor les trois fondateurs du socialisme moderne, Babœuf, Saint-Simon et Fourier, étaient en prison. Le fait n’est pas absolument exact pour Fourier, qui était sorti de prison depuis deux ou trois mois ; mais il est certain que tous les trois ont été en danger, ce qui nous montre bien la clairvoyance de la démocratie en fureur.
  11. Le Système industriel, préface. Cette préface est très remarquable. On y constatera l’analogie des idées avec celles d’Auguste Comte. Est-ce lui qui l’aurait rédigée ? Il était alors associé avec Saint-Simon depuis près d’un an.
  12. Cette théorie de la liberté, à peine indiquée dans une note de la préface du Système industriel (Œuvres t. XXI, p. 14), est très importante ; elle est à elle seule tout le socialisme. Pour le socialisme, la liberté consiste non pas dans le droit d’agir, mais dans la puissance d’agir. Le droit, sans moyens d’action, est une faculté nominale, un titre vide, comme une créance sur un débiteur insolvable. Celui qui n’a aucun moyen d’action, aucun instrument de travail, ces instrumens étant déjà appropriés par d’autres, celui-là n’est pas libre. De là vient qu’il n’y a pas de liberté sans égalité. Encore s’agit-il non pas d’une égalité abstraite, idéale, morale, mais d’une égalité réelle. C’est ainsi qua le problème de la distribution des instrumens de travail devient le problème fondamental.
  13. Lettres à un Américain, t, XV, p. 182.
  14. Œuvres, t. XIX, p. 211.
  15. C’est le petit écrit débutant par ces mots : « Nous supposons que la France perde subitement ses cinquante premiers physiciens, ses cinquante premiers chimistes, etc. » Le morceau est beaucoup trop long pour être cité ; mais il est charmant, et d’une insolence élégante digne de Beaumarchais. C’est du reste M. Olinde Rodrigues qui dans son édition des Œuvres de Saint-Simon (1832) a publié ces pages séparément et leur a donné le titre de Parabole. En réalité, ce sont les premières pages de la publication intitulée l’Organisateur (Œuvres, t. XX, p. 17). M. Louis Reybaud a donné cette parabole dans son livre des Réformateurs contemporains.
  16. Voyez ses Notices récemment publiées, p. 173. — Ce n’est pas seulement à cause de l’analogie des idées que Saint-Simon doit être rapproché des écrivains que nous venons de mentionner. Saint-Simon a eu en outre des relations avec le Censeur européen ; il y a publié quelques articles, et l’on peut supposer qu’il en a subi l’influence, (quoique ses premiers écrits soient à peu près contemporains des premières livraisons du Censeur européen. M. Ch. Dunoyer a signalé avec précision les rapports et les différences des deux écoles. Il est piquant que Saint-Simon se soit trouvé successivement en rapport avec deux écrivains du même nom, diversement célèbres, dont les idées ne sont pas sans analogie, Charles Comte, Auguste Comte, et qu’il se soit inspiré de l’un et de l’autre.
  17. Censeur européen, t. II, p. 38 (1817). — De l’Organisation sociale, etc.
  18. Ch. Dunoyer (Œuvres, t. II. — Notices, p. 43, 44).
  19. Œuvres, t. XIX, seconde partie, p. 73 et suiv. ; — ibid., t. XX, sixième lettre, p. 50 et suiv. ; — ibid., t. XIX, p. 236.
  20. Ibid., t. XIX, p. 43.
  21. Œuvres, p. 89.
  22. Mémoires de l’Académie des Sciences morales et politiques, t. II, 1839, p. 621.
  23. La chambre d’invention se composerait de trois sections : la première formée de 200 ingénieurs, et dont le noyau seraient les 86 ingénieurs en chef des départemens ; — la seconde, de 50 littérateurs, dont seront de droit les 40 de l’Académie française ; — la troisième de 25 peintres, de 15 sculpteurs et de 10 musiciens, choisis en partie parmi les membres de l’Institut. Le reste se compléterait ensuite par voie d’élection. Enfin Saint-Simon, qui, comme son école, n’a jamais négligé le côté solide des choses, décide que les membres de cette chambre auront 10,000 francs de traitement. On remarquera qu’ici encore l’utopiste est tombé juste, puisque nous avons vu s’établir le principe d’une indemnité pour les législateurs, et que le montant de cette indemnité est à peu de chose près celui qu’avait fixé Saint-Simon.
  24. Œuvres, t. XX, p. 59.
  25. Œuvres, t. XXI, p. 161.
  26. Œuvres, t. XXII, p. 254.
  27. Ibid., t. XXI, p. 211.
  28. Ibid., t. XX, p. 205.
  29. Œuvres, t. XXII, p. 81.
  30. Opinions philosophiques, p. 108 et suiv.
  31. Opinions philosophiques, p. 95. — Il signalait comme exemple les paysans, qui en 89 sont devenus propriétaires par l’achat des biens nationaux, et qui ont su parfaitement les faire valoir, et les ouvriers qui ont remplacé leurs maîtres dans beaucoup d’industries.
  32. Œuvres, t. XXII, p. 340.
  33. Catéchisme des industriels, troisième cahier, avec une double préface, l’une de Saint-Simon, l’autre d’Auguste Comte. La publication de ce troisième cahier est toute une histoire que l’on trouvera dans le livre de M. Littré sur Auguste Comte.
  34. Œuvres, t. XIX, p. 174. — Naissance du christianisme. L’éditeur croit pouvoir fixer la date de cet écrit entre 1818 et 1819.
  35. Industrie, lettres et prospectus (Œuvres, t. XVIII, p. 214).
  36. Système industriel, t. XXII, p. 31.
  37. Ibid., p. 58.
  38. Lettre au roi (Œuvres, t. XXII, p. 229).
  39. Œuvres, t. XXII, p. 85.
  40. Voir sur cette singulière tentative de suicide la Notice historique de l’éditeur (Œuvres, tome I, p. 104).