Le Folklore wallon (Monseur)/Texte entier

Charles Rozez (p. vii-135).

On a l’habitude de sauter les préfaces.

Je prie le lecteur de faire exception pour celle-ci.

Ce petit livre se compose de deus parties bien distinctes.

La première, l’introduction intitulée : Qu’est-ce que le Folklore, est un remaniement d’une causerie où j’essayai de faire saisir à un public étranger aus détails de science la portée et l’intérêt des recherches sur les traditions populaires. Elle a sa raison en elle-même.

La seconde, c’est-à-dire le gros du volume, est une refonte d’un autre livre et ne sera bien intelligible que pour celui qui se donnera la peine de lire ce qui suit :

Vers la fin de 1889, quelques personnes, dont j’étais, après avoir longtemps travaillé isolées à la récolte des traditions populaires de la Wallonie, résolurent de mettre leurs efforts en commun et fondèrent une nouvelle société sous le titre de Société du Folklore wallon.

La première publication qu’elles entreprirent fut un Questionnaire de Folklore qui fut distribué par feuilles détachées aus membres de la Société à titre de bulletin pour 1890[1]. Je ne puis mieus faire comprendre le caractère de cette publication, — première forme de ce livre —, qu’en reproduisant une partie de la préface que j’y ai mise :

« Ce questionnaire, disais-je au nom de notre Société, se distingue en deus points de tous ceus qui ont paru jusqu’à ce jour ; il est complètement adapté au folklore qu’il a pour but de recueillir et les questions y sont entremêlées de documents de ce folklore.

On comprendra de suite les avantages de ce système.

Peu de gens ont le courage de lire cinquante pages de questions à point d’interrogation continu.

Des documents intercalés dans les questions font saisir au lecteur non préparé la nature des choses que l’on recherche et lui apprennent indirectement à noter avec exactitude ce qu’il observe.

C’est la vraie méthode à employer pour tirer des gens simples ce qu’ils savent de folklore. Demandez trop sèchement à quelque bonne vieille : « Que dit-on de la lune ? Que dit-on des sorcières ? », elle se défiera, croira que vous voulez vous moquer d’elle et ne vous dira rien. Racontez-lui d’abord ce que vous savez sur tel ou tel point ; elle prendra confiance et vous défilera tout ce qu’elle sait ; vous aurez à peine besoin de lui poser des questions.

Enfin, c’est la meilleure œuvre que puisse entreprendre, en premier lieu, une société dont le but est de recueillir le folklore d’une région. En ce qui nous concerne, nous sommes loin de regretter notre travail. Nous y avons établi le cadre de nos recherches, nous y avons appris à les faire avec plus d’ordre, plus de précision et en nous assistant perpétuellement. Nous avons pu, du même coup, offrir aus savants étrangers quelques documents du Folklore wallon, en attendant que certains d’entre nous publient quelques monographies complètes.

. . . . . . . . . . . . . . .

Quelques mots sur la composition même de ce questionnaire sont encore indispensables. C’est l’œuvre impersonnelle des membres effectifs de la Société, et nous avons travaillé si fraternellement, qu’il est bien difficile de dire si telle page appartient beaucoup plus à l’un qu’à l’autre. Toutefois, pour être aussi juste que possible, il faut dire ce qui suit : M. J. Simon est l’auteur du chapitre Chansons ; M. O. Colson, des chapitres Enfantines et Blason, MM. P. Marchot et G. Willame ont activement collaboré au chapitre Contes ; M. G. Doutrepont, au chapitre Mœurs ; M. Delaite, aus chapitres Plantes et Médecine ; M. J. Defrecheux, au chapitre Animaus. Enfin, M. J. Feller m’a prêté le concours le plus actif et le plus désintéressé dans la correction de nombreuses épreuves et la rédaction de la moitié des chapitres.

Ces messieurs m’ayant laissé pendant tout le travail pleins pouvoirs sur les manuscrits qu’ils me communiquaient, je termine en me déclarant responsable, soit comme auteur, soit comme directeur, de toutes les imperfections de l’ouvrage. S’il y a des taches, ou elles sont de moi, ou j’ai eu le tort de ne pas les effacer. »

Le livre que je viens de décrire avait à peine paru que l’on me demanda de préparer pour la Bibliothèque des connaissances modernes un petit volume sur le folklore du pays wallon. Je n’avais pas le temps de faire œuvre nouvelle. Je crus plus simple et beaucoup plus profitable de refondre l’ancienne, afin de pouvoir de suite faire pénétrer dans le grand public le goût des recherches de folklore et apprendre aus amateurs qu’elle pouvait faire naître, comment ces recherches devaient être conduites. Mon sentiment fut partagé par la Société du Folklore wallon et il fut décidé que je rééditerais seul l’œuvre commune, au mieus des intérêts de nos études.

En quoi le volume actuel diffère-t-il du Questionnaire, c’est ce qu’il reste à voir.

Les questions seules ont disparu. L’ancien ouvrage n’est donc plus aujourd’hui qu’un simple instrument de travail. J’ai toutefois conservé dans la marge, en manchette, les numéros portés par les documents dans le Questionnaire, et cela, pour deus raisons : d’abord, afin de faciliter toute recherche éventuelle, notamment de pouvoir contrôler dans la seconde édition une citation faite sur la première ; en second lieu, pour bien montrer au lecteur non prévenu qu’il ne faut pas chercher de transition bien étroite entre les différents alinéas d’une même page. C’est une manière de faire comprendre à tout instant que je n’ai pas cherché à lier des choses qui sont actuellement détachées.

À part cela, je n’ai fait au texte que très peu de modifications.

Je n’ai pas voulu intercaler de nouveaus numéros. Je me suis contenté, par ci par là, de corriger les anciens, soit dans la forme, soit dans le fond. Les alinéas qui ont subi le moindre changement de fond ont leur numéro imprimé en italiques.

L’ordre arithmétique des numéros a été modifié dans quelques pages pour les raisons qui suivent : dans le Questionnaire, composé au jour le jour, nous avions dû couper un chapitre en deus morceaus que j’ai réunis ici dans un chapitre premier ; enfin, quand la clarté de disposition de l’ouvrage m’a paru l’exiger, j’ai corrigé certaines erreurs de classement du premier ouvrage. L’index final permettra de se retrouver malgré celles qui subsistent encore.

Le lecteur qui voudra bien se rendre compte de l’histoire de ce petit livre me pardonnera, j’espère, quelques-uns de ses défauts, comme, par exemple, ceus-ci.

Aucun sujet n’est épuisé ; non seulement, parce que dans certains cas je manquais de documents autres que ceus que je donne, mais parce que, dans le Questionnaire, nous ne pouvions, et même, nous ne devions pas donner plus. Des paragraphes comme 1269-1271 étaient avant tout destinés à provoquer le lecteur à nous écrire : « Mais on fait encore ceci ; on fait encore cela ». Puissent-ils dans ce volume produire chez quelques-uns les mêmes effets !

D’autres sujets sont à peine effleurés, parce que le Questionnaire s’adressait à des personnes qui, ayant une fois bien compris en quoi consistait l’art de la récolte, pouvaient aborder des points sur lesquels la dimension du livre ne nous permettait pas de nous étendre.

Beaucoup de détails de très mince valeur, à tous points de vue, se trouvent dans le volume, uniquement parce qu’ils figuraient dans le Questionnaire où ils étaient utiles pour attirer l’attention sur des catégories de faits que l’on aurait pu croire sans cela totalement dénués d’intérêt.


Quelques explications sur la disposition typographique de l’ouvrage sont encore indispensables.

Tous les textes wallons sont accompagnés de traductions françaises munies de guillemets. Les textes sans guillemets (ex. 657) ou sans original wallon en regard (ex. 1309) n’existent qu’en français.

Sauf indication contraire dans le contexte, les mots wallons sont toujours cités sous leur forme liégoise.

Orthographe wallonne.

En ce qui concerne leur orthographe, je dois faire la remarque que suit. La Société du Folklore wallon a adopté pour ses publications un système graphique qu’elle a justifié en ces termes dans la préface du Questionnaire précité :

« Jusqu’à ce jour, il n’y a pas eu de transcription vulgaire du wallon, réellement digne du nom d’orthographe. Les différents systèmes employés par les personnes qui écrivent ce dialecte sont tous plus ou moins basés sur la graphie française des mots correspondants, c’est-à-dire sur des modèles qui sont presque toujours détestables. Beaucoup écrivent des cendres, comme en français, ce que nous écrivons, avec plus de souci de la phonétique, dè sint’ ; de même, plusieurs écrivent pîd avec un d à cause de « pied » et hureux avec h et x à cause d’« heureux »[2].

Innover était pour nous un droit et une nécessité.

Un droit, parce que les systèmes d’orthographe actuellement usités, notamment ceus de la Société liégeoise de Littérature wallonne, ne sont pas consacrés définitivement, quelques auteurs wallons y étant peut-être habitués, mais le public pouvant tout aussi bien comprendre notre façon d’écrire que la leur.

Une nécessité, parce que si nous n’avions pas adopté une orthographe un peu phonétique, applicable à toutes les variétés du dialecte wallon, nous aurions pu très difficilement établir le sens ou la métrique de textes qui nous seraient parvenus de certaines localités éloignées de Liége, ou nous aurions dû les donner tous sous une forme qui les aurait rendus inutilisables dans les études de philologie romane.

Notre système d’orthographe n’a d’ailleurs rien de radical. Il se borne à donner aus lettres et groupes de l’alphabet français leur valeur la plus logique, par exemple, à rendre toujours la spirante alvéolaire sonore par z comme dans lézard et jamais par s comme dans raison. »

Voici d’ailleurs un exposé complet de ce système tel qu’il a été publié dans le Bulletin de Folklore 1, 8-11[3].

« Nous écrivons les textes comme ils sont prononcés dans les localités où ils ont été recueillis, en nous servant de l’alphabet suivant. Cet alphabet, sauf huit exceptions signalées par des astérisques, ne comprent que des caractères ou des groupes de lettres de l’alphabet français. Le son est rappelé ou indiqué entre parenthèses : 1o par des mots appartenant, sauf indication contraire, au wallon de Liége et imprimés en italiques de notre alphabet ; 2o par des mots français imprimés en caractères ordinaires et dont l’orthographe, bonne ou mauvaise, doit être actuellement conservée. Le signe d’égalité = entre un mot français et un mot wallon indique qu’ils sont identiques pour le sens et pour le phonème comparé.


Voyelles.

ou (pyou = pou) ;

(djoû = jour) ;

* ó ( « coup », beau, tôt) ;

ô (côte, pôf « pauvre ») ;

o (sot = sotte) ;

*  (loge, pṑs « pâte ») ;

a (batizé = baptiser) ;

â (dyâl = diable, pâs = pâte, à Ans) ;

è (bèl = belle, tronpèt = trompette, modèle) ;

ê (être, = laid ; mês = maître) ;

œ (œil, je, bœu, fœm « femme ») ;

* œ̄̀ (cœur, sœur, peur, jeune, dœ̄̀r « dur » à Vottem) ;

(é fermé long : idée, pḗr « père ») ;

eu (peu, pleu « pli ») ;

(Meuse, peûr « poire ») ;

i (gri = gris) ;

î (bîh = bise) ;

u (pu = plus) ;

û (bûz = buse) ;

an (vent, emplir, kwan = quand) ;

on (don = donc, ombre) ;

in (fin = fin, indû, main, imbu) ;

un (a djun = à jeun).

En wallon comme en français, les voyelles nasales sont longues devant une consonne (pint = pinte).

Consonnes.

b,d, j, k, l, m, n, p, r, t, z, ch, comme en français.

s est toujours dur : pasé = passer, Lusèy = Lucie ;

* tch transcrit le son initial de l’anglais Chester ; cp. en français Tchèque ;

* dj transcrit le son initial de l’anglais John ;

gn représente le même son qu’en français dans digne : wall. arègn « araignée » ;

w représente le son intermédiaire du français dans bois et ouate, en wallon bwè et wat ;

y représente le son intermédiaire écrit par y dans yole, yeus et Bayard, par i dans pied et bien, par ill dans bouteille, wall. botèy.

g est toujours dur : gḗr = fr. guerre ;

* représente le son final de mots anglais comme meeting ; il se trouve notamment à Verviers, où l’on dit pèho-ꬻ = liég. pèhon « poisson » ;

h est toujours fortement aspiré ;

* ɦ représente le son des mots allemands comme ich, mich, son qui se retrouve par exemple à Hannut : ouɦ = liég. ouh « porte ».

1. Les tirets dans le corps des mots séparent des lettres qui, réunies, pourraient s’interpréter comme exprimant un seul son : des mots communs au français et au wallon, ainsi bon et bonne, seront écrits bon et bo-n. Nous écrirons de même mohon « moineau », mais moho-n « maison » ; long vôy « longue voie (chemin) » et plonk « plomb », mais verviétois pèho-ꬻ « poisson », maryolin-n « marjolaine » et Madlin-n « Madeleine ».

2. Lorsque la finale d’un mot diffère selon qu’il se trouve au singulier ou au pluriel ou selon que le mot suivant commence par une voyelle ou par une consonne, ainsi dans le cas où son correspondant français est suivi d’une lettre qui se réveille, exemples : ils ont et ont-ils, nous n’écrivons cette lettre que lorsqu’elle existe en réalité et nous la détachons par un seul tiret : i-z on vnou, on-t i vnou ? i-l a vnou, dè bèl-è djôn-è fêy. »

Je me suis conformé au système graphique qui précède, sauf sur les points et pour les raisons qui suivent :

La plupart de ceus qui liront ce livre ne me paraissant pas pouvoir supporter la même dose de radicalisme que les membres d’une société scientifique, j’ai fait trois concessions à leurs habitudes : 1) j’ai rendu le son se entre deus voyelles par ss ou c en suivant l’analogie des mots français correspondants ; 2) j’ai mis un u après le g dur comme en français ; 3) j’ai ajouté des apostrophes après quelques lettres finales que le lecteur aurait pu croire muettes.

L’imprimeur de ce livre n’ayant pas dans ses casses les caractères marqués d’un astérisque dans le tableau que je viens de reproduire, j’ai dû me résoudre aus modifications suivantes : 1) rendre par le même signe œ le phonème qui en français est bref dans je et long dans jeune. Exemples : fœm, où œ a la même valeur que dans œil, et dœr (no 902), où œ est long, le seul cas de tout le volume ; 2) rendre par â (exemple Mârtin 1831), comme c’est l’habitude des écrivains liégeois, l’ ouvert long (en français dans loge) qui se rencontre comme équivalent de â liégeois dans la plus grande partie de la province de Liège ; 3) rendre par é l’é fermé bref (en français dans été) et l’é fermé long (en français dans les mots féminins comme idée). Exemples ; ostè « été » dont l’é est bref et pér « père » dont l’é est long.

Orthographe française.

Je terminerai par quelques mots sur l’orthographe française de ce volume.

Je suis un partisan convaincu de la réforme de l’orthographe et je tiens à prêcher d’exemple.

Ce n’est pas ici le lieu d’exposer toutes les raisons que l’on peut invoquer à l’appui de cette réforme. Qu’il me suffise de développer en quelques mots, pour ceus qui pourraient me trouver, ou trop hardi ou trop timide, les principes adoptés par la section belge de la Société de réforme orthographique qui vient de se fonder.

Nous croyons : 1o que la réforme est nécessaire ; 2o qu’elle doit être modérée ; 3o qu’elle est aisément réalisable.

La réforme est nécessaire, parce que notre manière d’écrire actuelle, vilaine bigarrure de notations contraires à toute philologie sérieuse, embarrasse tout le monde et fait perdre au moins deus ans de sa vie à tout enfant qui étudie notre langue. Rappelez-vous les lettres doubles sur lesquelles vous hésitez chaque jour et les ennuyeuses dictées qui vous ont inculqué, je ne dis pas la règle, mais le sot usage qui prescrit d’écrire landaus et je meus avec une s, mais chevaux et je veux avec une x.

Elle doit être modérée. L’idéal serait certainement de rendre le même son par le même signe ; mais cela est tout à fait irréalisable. Notre manière d’écrire est à ce point vicieuse qu’une réforme phonétique radicale rendrait notre langue complètement méconnaissable. Si, par exemple, pour rendre le son ke qui est actuellement noté de sept manières dans coq, qui, acquérir, choral, kilo, block, nous choissisions le k, nous devrions écrire : kok, ki, akérir, koral, kilo, blok, ce qui me plairait fort à moi, mais choquerait toutes les habitudes des yeus trop conservateurs. Or, tous les sons de la langue sont aussi mal notés que le son ke et si l’on voulait simplement généraliser l’emploi le plus logique de certaines lettres de notre alphabet, le public ne s’y retrouverait pas. Une tentative de réforme phonétique immédiate est donc impossible, sauf naturellement, ainsi qu’on l’a vu plus haut, pour des patois qui n’ont pas encore d’orthographe. Tout ce que nous pouvons faire, c’est, — dans l’intérêt de la culture des masses, — de nettoyer un peu les mots français : enlever les lettres doubles sur lesquelles tout le monde hésite, mettre des accents exacts sur les é et les è, supprimer les bizarreries qui compliquent le plus la grammaire, comme l’usage de l’x muet après u pour s dans chevaux, deux, choux, etc.

Enfin, nous croyons qu’une réforme modérée est réalisa ble si l’on observe la tactique suivante :

1o Faire diminuer l’importance des exercices orthographiques à l’école primaire, et pour cela, obtenir de tous ceus qui ont pouvoir sur l’enseignement public des décisions semblables à la circulaire où M. Léon Bourgeois, le ministre français, interdit de compter comme fautes dans les dictées et examens un certain nombre de graphies raisonnables et qui même prouvent pour l’intelligence de l’enfant ; ainsi, duplicatas comme agendas, restraindre comme contraindre, entrouvrir sans apostrophe, portemonnaie comme portemanteau, chevaus comme landaus, je répons comme je plains, etc., ou les graphies contraires.

2o Introduire effectivement dans l’usage privé, dans les livres quand on le peut, et à l’école quand on le pourra, un très petit nombre de simplifications dans le but de détruire le dogme de l’invariabilité absolue de l’orthographe et de prouver par l’exemple qu’il suffit d’un peu de bonne volonté et de courage pour arriver au but. Ces modifications une fois admises feront passer le reste. Tous les réformistes, quels que soient leurs désirs sur certains points, ont adopté celles qu’a proposées M. L. Clédat, professeur à la Faculté des lettres de Lyon, soit :

1. Remplacer par s tout x final valant s (dis, chevaus), sauf dans les noms de personnes et de lieus.

2. Écrire indifféremment par s ou z tous les substantifs et adjectifs numéraus : deusième, troisième, sisième,

disième, disaine ou mieus deuzième, etc.

INTRODUCTION


QU’EST-CE QUE LE FOLKLORE ?

Une chose qui, bien sûr, a dû étonner quelques lecteurs, c’est le mot d’allure étrange que j’ai mis en tête de ce volume.

Je l’explique.

D’abord, c’est un mot anglais.

Il n’y a rien là de très subversif. Nous employons chaque jour un nombre plus considérable de mots anglais, et c’est inévitable. Lorsqu’on emprunte à un peuple une chose qu’il a créée, perfectionnée, ou qu’il conçoit mieus que les autres, on doit bien lui prendre en même temps l’étiquette, le vocable dont il se sert pour la désigner. Si nous disons rail et wagon, c’est que les Anglais ont les premiers tracé des chemins de fer. De même, c’est d’eus que nous avons appris à déjeuner en cinq minutes d’une tranche de bœuf à peine roussie et nous leur devons bien, ne fut-ce que par reconnaissance, d’appeler biftek cette petite chair saignante.

Mais, direz-vous, avons-nous d’aussi bonnes raisons d’accueillir le mot folklore que nous en avons eu d’accepter le mot biftek ? Le folklore est-il une invention anglaise comme les chemins de fer ?

En un certain sens, non.

Le folklore est un ensemble de phénomènes qui, on le verra tantôt, se retrouvent partout, et si nous employons le mot anglais, c’est pour deus autres motifs.

D’abord, ce sont des savants anglais qui ont le plus contribué à répandre le goût de la récolte et de l’étude de ces phénomènes, et ont ainsi mis leur mot à la mode. Ensuite, c’est le plus commode qu’on puisse trouver, et cela suffit.

La langue anglaise a le privilège de posséder un grand nombre de petits mots, très courts, télégraphiques, d’une admirable complexité de sens ; ainsi, ce mot sport, qui, de ces cinq lettres, désigne l’ensemble de tous les exercices en plein air : chasse, pêche, équitation, canotage, etc. Le mot folklore mérite de même d’entrer dans notre langue, parce qu’il permet, lui aussi, de dire en bloc une foule de choses.

Analysons-le et nous verrons ce qu’il contient.

Littéralement, le mot folklore est composé de deus autres[4] : le premier, folk ; signifie « petites gens, classes populaires » et est identique pour la forme à l’allemand volk, « peuple » ; le second, lore, signifie « savoir, science ». Folklore est donc « la science des classes populaires » et l’on entent par là tout ce que le peuple sait en quelque sorte par lui-même, sans qu’aucune élite intellectuelle récente, — prêtres, instituteurs, poètes, écrivains —, soit venue directement le lui apprendre, c’est-à-dire les fables, les contes, les légendes, les vieilles chansons, les devinettes, les rimes et les jeus des petits enfants, les remèdes superstitieus, les usages de certaines fêtes, les proverbes, les dictons météorologiques, les croyances sur la lune, les étoiles, les loups garous, les sorcières, etc., toutes choses que le peuple se transmet de génération en génération par une tradition orale, sans, et, presque toujours, malgré l’intervention des classes cultivées. Ce que nous appelons folklore, ce n’est donc pas une science, ce n’est qu’un ensemble de documents. Est folklore toute la vie populaire ou sauvage en tant qu’elle se développe à côté ou en dehors de l’action des aristocraties civilisatrices. Il cesse là où apparaît la science positive des laboratoires, la spéculation du philosophe, le prêtre porteur d’un évangile ou d’une théologie, l’instituteur avec son livre de lecture, le législateur armé d’un code ou l’artiste distinct de la foule.

Y a-t-il dans la langue française un mot permettant de réveiller par un petit nombre de syllabes toutes les idées que je viens de développer ?

Aucun, malheureusement[5], et voilà pourquoi nous devons emprunter le mot dont se servent les savants anglais et le considérer désormais comme tout aussi indigène dans la langue cultivée que rail, wagon, biftek et sport dans la langue de tous les jours.

Le mot étant expliqué, je viens à la chose.

Pourquoi s’occuper de ces veilleries de folklore ou, pour employer un bien joli mot de nos paysans wallons, de toutes ces anciennités ?

Voici. Toutes ces anciennités sont souvent bien intéressantes en elles-mêmes. Plus d’un paysan sait des contes aussi bien faits que ceus de Perrault ; nos petites filles chantent des rondes ravissantes et certains vieus usages sont pour nous pleins de charme, tout cela a un frais parfum de campagne, rappèle le beau temps d’enfance et les bonnes grand’mères. On y découvre même je ne sais quelle saveur de terroir, venant de ce que les contes, les usages, etc., au fond à peu près partout les mêmes sur les différents points du globe, ont acquis cependant, grâce aus patois, un certain cachet local qui, au premier abord, fait croire qu’ils sont l’expression du tour d’esprit particulier de telle ou telle province, et ils finissent même en un sens par le devenir, quand on les oppose à la banalité étriquée de notre civilisation de rues toutes droites, d’habits en queue de morue et de chapeaus en tuyau de poêle.

Eh bien ! toutes ces veilles choses, elles sont en train de disparaître, broyées par les machines à vapeur, foudroyées par l’électricité des télégraphes, mises hors la loi par nos codes. Notre système actuel d’instruction populaire, même quand il ne les combat pas ouvertement et avec aigreur, les mine par la base, et pour toujours, en déplaçant la façon de raisonner du peuple. Le vieil Ardenais hirsute, au casque à mèche de toile bleue, contant le soir, dans son cabaret, des fables aus jeunes garçons, devient un personnage de plus en plus rare.

Que de fois, en passant par un village, alors que je demandais, s’il y avait encore des gens qui, à la veillée, al sîz, racontaient des histoires, j’ai obtenu cette réponse : « Oh ! il y avait une vieille femme, fort vieille, qui en savait tant, et tant ; même qu’on disait qu’elle était un peu « makral » ; mais elle est morte l’année passée. »

Il ne faut pas laisser se dissiper, sans en conserver de bribes, le patrimoine intellectuel de ceus qui ne savent pas lire. Dans vingt ans, il sera trop tard, et voilà la raison pour laquelle, partout en Europe, il se crée et des sociétés et des revues dont le but est de recueillir ce qui nous reste de folklore.

Mais après, après, dira le lecteur sceptiques ? Lorsque vous aurez encombré les bibliothèques de fascicules et de livres, à quoi tout cela pourra-t-il bien servir ? C’est parfois très amusant, vos contes, c’est même très drôle, mais après ? Les enfants s’amusent fort à collectionner des timbrepostes ; cela peut les aider quelquefois à retenir un peu de géographie politique ; mais après. Après, c’est tout. Votre folklore, est-ce plus intelligent que les timbrepostes ? Je comprens assez pourquoi on perce d’inoffensifs papillons de méchantes épingles, pourquoi on étiquète de petits caillous dans des tiroirs, pourquoi l’on écrase de pauvre petites fleurs fraîches entre des feuilles de papier gris. Mais des contes, des chansons, des superstitions, cela vaut-il réellement la peine d’être recueilli, surtout quand ce n’est pas beau ?

Pour répondre comme elle le mériterait à cette question de très philosophique impertinence, il faudrait tout ce volume. Je me contenterai de quelques aperçus rapides.

Les soirs de mai, lorsque les petits garçons de Liége secouent les jeunes arbres du square d’Avroy, pour en faire tomber les hannetons, ils engagent les pauvres bestioles à se laisser prendre en leur adressant cette petite prière :

Abalow, viné dlé mi ;
Vo-z âré dè pan rosti.
« Hanneton, venez près de moi ;
Vous aurez du pain rôti[6]. »

Essayons d’expliquer cette formulette, Avez-vous parfois remarqué un enfantelet trébuchant contre une chaise ?

Que fait-il ?

Il se met à battre la chaise de sa menotte et, avec une mine renfrognée de colère et de larmes, il lui crie : « méchante chaise. »

Pourquoi ?

Parce qu’il pense que la chaise l’a fait exprès, que la chaise est animée d’une petite volonté toute semblable à la sienne. De même, il parle à tous les animaus, parce qu’il s’imagine que les animaus peuvent le comprendre, qu’ils ont les mêmes passions que lui, qu’ils se décident pour les mêmes motifs.

Aujourdhui l’enfant abandonne très tôt ces manières de sentir. Petit à petit, sous l’influence des personnes plus âgées, son intelligence s’éveille et aperçoit une foule de différences qui ne l’avaient pas frappé d’abord entre la chaise, le chat et lui-même.

Mais il y a eu une époque où les parents n’étaient guère plus avancés que leurs bambins, où les hommes veillissaient sans sortir de l’enfance, et certaines portions de l’humanité, les sauvages ou les peu civilisés de l’Amérique, de l’Afrique et de l’Océanie, en sont encore là. Aussi voyons-nous ces sauvages parler comme nos petits chasseurs de hannetons et, bien plus, agir d’une manière conforme à leurs paroles :

Au Brésil, les femmes des Toupinambas se placent devant l’entrée d’une fourmillière et appèlent les fourmis en leur promettant des noisettes.

Chez les Dakotas, règne cette croyance, que, si l’on tuait un serpent à sonnettes, on serait mordu par tous les autres. Aussi, lorsque l’on en rencontre un, on engage la conversation avec lui, on le prie de négocier la pais entre la tribu et les serpents de sa famille et on lui offre du tabac ou un objet quelconque.

La première fois que des indigènes de la province de Victoria, en Australie, virent un bœuf, la tribu toute entière se rendit auprès de lui, tandis qu’il paissait, et le plus hardi des guerriers le pria de lui faire présent des deus tomawacs qu’il portait sur la tête[7].

La conclusion, c’est que les sauvages sont de grands enfants et qu’en un sens, les gamins de Liége sont de petits sauvages. Est-ce à dire qu’ils pensent aujourdhui : 1° que les hannetons aiment le pain rôti ; 2° qu’il suffit de leur en promettre pour les faire venir ? Non pas. Mais au fort vieus temps passé, les enfants ont dû certainement le croire ; car, sans cela, ils n’auraient jamais eu l’idée de le dire. Or, c’est d’un très vieus temps passé que vient, plus ou moins transformée, toute la littérature enfantine.

Il n’est donc pas indifférent de recueillir une petite rime comme Abalow, viné dlé mi. C’est un des mille faits qui peuvent nous permettre de saisir comment l’intelligence se développe dans l’individu et dans l’espèce. L’inévitable tendance des enfants et des sauvages à « animifier » toutes les réalités de la nature est la racine profonde des végétations superstitieuses. Si l’homme n’avait pas cru que le soleil avait une volonté comme la sienne, il ne lui aurait jamais rendu de culte.

Après les formulettes, prenons les jouets et les jeus.

Aujourdhui les petits garçons s’amusent avec de petits chemins de fer ou de petits fusils. Les petites filles jouent à se rendre des visites et à se faire des révérences. Je n’insiste pas : il est banal que les jeus et les jouets inventés de notre temps sont pure et simple imitation enfantine de la vie des grandes personnes. Or, il est bien légitime de croire qu’il en a toujours été ainsi. S’il existe donc des jeus et des jouets qui ne s’expliquent, ni par les mœurs, ni par les armes et les ustensiles de maintenant, on peut a priori admettre comme vraisemblable que ce sont des restes, maintenus par tradition, des usages et des instruments des grandes personnes d’autrefois et, par une étude attentive, restituer ainsi plus d’une réalité disparue. Quelques faits déjà éclaircis à ce point de vue prouveront l’exactitude de cette thèse.

On donne parfois encore des arbalètes aus petits garçons. La raison est simple : les hommes se sont réellement servis d’arbalètes un peu avant l’invention des fusils. Il y a quatre cents ans, les gamins ont joué au soldat avec de minuscules arbalètes comme de nos jours, pour le même jeu, ils se servent de fusils en miniature. L’arme de guerre a disparu et le jouet est resté. Si, au lieu de l’arbalète, nous prenons ou l’arc, ou la fronde, ce n’est plus à la fin du moyen âge que nous penserons, c’est à la forêt primitive où nos ancêtres nus, comme les sauvages de maintenant, n’avaient guère d’autres armes pour se détruire entre eus ou se procurer de la viande fraîche.

Ce qui mérite encore plus de fixer l’attention, Ce sont les jeus, surtout les jeus des petites filles. Grâce à leur amour de la danse et du chant, les fillettes nous ont conservé dans leurs rondes la représentation de très vieus usages qui ne se retrouvent plus aujourdhui qu’à des étages inférieurs de civilisation : anciens rites funéraires, cérémonies de cultes préhistoriques, coutumes barbares de mariage. Un bel exemple du dernier cas nous est fourni par une ronde que l’on trouvera décrite au n° 1117, page 103 de ce volume. Cette ronde est répandue dans toute l’Europe, mais notre variante wallonne est peut-être la plus pure et la plus typique[8].

Il suffit de lire Bonjour, bonjour, Madame la Rose pour voir qu’il s’agit dans ce jeu de l’achat d’une femme. Les petites filles s’y partagent en deus groupes : le premier représente des prétendants qui viennent marchander des filles à leur mère ; l’autre, une mère accompagnée de ses filles et les cédant, une à une, sitôt qu’on lui en présente un pris convenable. Ce jeu est le dernier débris dans notre Occident d’un ancien mode de mariage, le mariage par achat. Une courte parenthèse sur ce que l’on sait actuellement de l’évolution de la famille servira à fixer des idées.

On admet aujourdhui comme une hypothèse excessivement vraisemblable dans sa généralité, — beaucoup de détails, toutefois, méritent encore une sérieuse étude[9] —, que primitivement toutes les femmes d’une tribu appartenaient à tous les hommes. Les enfants, issus d’unions plus ou moins éphémères, étaient avant tout les enfants de la tribu. Même constatée, la filiation maternelle et paternelle, paternelle surtout, produisait peu de conséquences juridiques. Avec le temps, il y eut bifurcation dans le développement de la famille.

Dans certaines tribus, la femme fut de plus en plus considérée comme le principal personnage de la triade familiale. De là, un état spécial de société que l’on désigne du nom de matriarcat, — il subsiste encore chez beaucoup de non civilisés —, et où l’ascendant féminin est le chef de la famille et les parents maternels, les cognati, les seuls vrais parents.

Dans d’autres tribus, bien probablement à cause de leurs mœurs plus sanguinaires, il se produisit le phénomène tout opposé. Les hommes se mirent à préférer à leurs cousines du même village des femmes qu’ils avaient volées à leurs ennemis et qui étaient devenues leur propriété au même titre que les bœufs de leur part de butin. Ainsi, par la force brutale, s’établit le système de famille, qui, plus ou moins mitigé, est encore considéré aujourdhui en Europe comme le seul mode légitime de l’union de l’homme et de la femme, le système dit patriarcal, où le chef de la famille est l’ascendant masculin, où il n’y a de vrais parents que les parents paternels (agnati) et où les enfants appartiennent au père, non parce qu’il leur a donné naissance, mais parce qu’il est le propriétaire de la femme ; le vieus droit indou le dit très crûment : le maître de la vache est le maître du veau.

Tous les rites de mariage des peuples vivant sous le régime patriarcal s’expliquent par le fait qui a donné naissance à ce régime. À un certain moment du passé, nos ancêtres n’ont connu que le mariage par rapt. Un peu plus tard, un certain progrès de civilisation le rendit moins aisé. Pour éviter des représailles, on dut offrir des compensations. L’homme, au lieu de voler sa femme, fut réduit à l’acheter à celui à qui elle appartenait, père, grand’père ou oncle paternel. Les coutumes du mariage par rapt ne furent pas pour cela abandonnées. Elles subsistèrent à titre de formes vides de sens et nous en retrouvons encore des traces dans notre civilisation : le voyage de noces n’est pas autre chose qu’un enlèvement simulé. Enfin, un nouveau progrès se produisit ; le père rendit, comme cadeau d’entrée en ménage, comme dot, le pris offert par l’épous qu’il agréait et les coutumes du mariage par achat devinrent elles-mêmes de simples rites.

Une étude récente que j’ai faite de la question m’engage à conjecturer qu’à l’époque où les ancêtres communs de la plupart des Européens et des Indous faisaient paître ensemble leurs bestiaus, il y a cinq ou sis mille ans, le mariage par achat dans toute sa crudité était la règle générale et que le pris moyen d’une épouse était de deus bœufs blancs, somme peu considérable pour des pasteurs. Certains peuples de notre race n’y ont pas encore renoncé. Les paysans grands-russiens vendent toujours leurs filles à leurs gendres et, il n’y a pas bien longtemps, la valeur matrimoniale d’une femme dans le gouvernement de Jaroslaw ne s’élevait pas à plus de 40 roubles[10]. Les autres Aryens ont abandonné plus tôt cette coutume. Ainsi, la transformation s’est faite, il y a près de 3000 ans, en Grèce et dans l’Inde. Aus temps homériques, les Grecs trouvaient encore tout naturel de trafiquer de leurs filles. Elles devaient être άλφεσίβοιαι, c’est-à-dire rapporter des bœufs, et elles en rapportaient parfois beaucoup. Un des bardes de l’Iliade[11] nous raconte qu’un héros, Iphidamas, paya sa femme cent bœufs et mille chèvres et moutons, ce que le vieus poète a l’air de trouver vraiment trop cher, sans quoi il ne nous l’aurait pas dit. Mais le progrès fut rapide : La coutume fut bientôt que le père devait rendre les cadeaus offerts par le fiancé et le mot ἕδνα, qui désignait à l’origine ce pris de la femme, devint par la suite le nom de la dot.

Notre jeu wallon est maintenant éclairci. À l’époque où l’on achetait les femmes, les enfants ont joué au mariage par achat. La coutume a disparu ; le jeu est resté, photographie encore bien nette d’une demande en mariage à l’époque, en somme assez récente, où depuis l’Islande jusqu’à la plaine du Gange, la femme était vendue par son père au mari dont elle devenait l’esclave.

Je passe aus contes.

Tous connaissent cette belle scène du plus puissant drame de Shakespeare, où le vieus roi de Bretagne, Lear, déjà atteint de sa folie, veut partager entre ses trois filles son royaume, comme un gâteau, en donnant la meilleure part à celle qui lui fera la meilleure caresse.

Le canevas de cette scène, il ne faut pas croire que Shakespeare l’ait inventé. Il ne s’est pas donné cette peine. Ici, comme dans plus d’un de ses drames, Shakespeare s’est borné à remettre sur pied, à transformer en chef-d’œuvre, une mauvaise pièce d’un de ses prédécesseurs. Et cette pièce avait pris cette scène avec le reste du drame à un chroniqueur qui l’avait pris à un autre, etc. Ce petit canevas a traîné, en effet, dans toute la littérature du moyen âge ; c’est un conte populaire et un de mes amis, M. Simon, l’a retrouvé l’autre jour, sous sa forme wallonne, à Châtelineau. Voici, en traduction littérale, comment racontent le roi Lear des gens qui ne connaissent pas Shakespeare, même de nom :

Il y avait une fois un roi qui avait trois filles. Il leur demande un jour comment elles l’aimaient. La première répont : « comme le pain ! » — La deuzième : « comme le vin ! » — La troizième : « comme le sel ! »

Pensant que celle-ci ne l’aimait pas, il l’a mise à la porte de son palais. Un autre roi en a été mécontent et a repris la fille de l’autre chez lui.

Un beau jour, ce roi a fait un grand banquet et a invité le père. Tout était fort riche, mais on n’avait mis de sel dans rien pour l’attraper. Quand on lui demandait si les plats étaient bons, il répondait toujours : « Oui, mais c’est dommage qu’il n’y a pas de sel ! » À la fin, il a bien vu ce que cela voulait dire et il a été bien heureus de reprendre sa fille dans son château.

Tout le canevas de Lear est dans ce petit conte. Nous y retrouvons le vieus roi capricieus, Regane, Goneril, Cordelia, et jusqu’au roi de France qui recueille la jeune fille maudite par son père. La même plante a produit notre humble fleurette de folklore et la belle et grande fleur sombre du théâtre anglais. Et il n’y a rien là qui puisse diminuer la gloire de Shakespeare.

C’est une idée toute contemporaine de croire que l’artiste doit tirer de lui-même la matière de son œuvre. Le sculpteur n’est pas obligé de faire son marbre ; le dramatiste n’est pas non plus obligé d’inventer son intrigue. Les sujets de drame et d’épopée sont comme ces boules de verre en fusion que le souffleur à la verrerie prent au bout de la canne. Le génie, alors, le génie ! il consiste à souffler dedans, et la morale de la comparaison que je viens d’établir, — et on en peut faire de semblables pour la plupart de ses œuvres —, c’est que de tous les verriers d’art du temps passé, Shakespeare est bien probablement celui qui a eu les poumons les plus solides.

L’exemple que je viens de donner n’est pas un cas unique. Lorsque l’on sonde toutes les littératures, on aboutit inévitablement à un sous-sol d’art populaire impersonnel, c’est-à-dire à de petites fables et à des formulettes rythmées, et celles qui circulent dans nos campagnes en sont des variantes parfois pures.

Qu’est-ce que c’est l’Iliade ? Un simple conte populaire qui s’est amalgamé aus souvenirs du siège d’une petite ville de la côte d’Asie et a servi de centre d’attraction à des chants composés en l’honneur des guerriers qui y avaient pris part.

De même pour l’épopée germanique. Brunhild, délivrée de son sommeil magique par Sigurd, est en réalité la Belle au bois dormant, condamnée par une méchante fée à rester cent ans endormie et qu’un jeune prince vient réveiller.

C’est bien, va s’écrier le lecteur à la fois impertinent et philosophe par lequel je me suis déjà fait apostropher tantôt, vous avez atteint le verre en fusion dont on a tiré de si fins cristaus, mais après ? Ce verre, d’où vient-il ? De quoi est-il composé ? Pourquoi est-il tantôt rouge, tantôt bleu, tantôt blanc ? Enfin, pourquoi les hommes ont-ils imaginé des histoires où l’on parle de bottes avec lesquelles on fait sept lieues d’un pas, de princesses qui dorment cent ans, de héros qui tuent des dragons à sept têtes, etc.

Donner des réponses complètes à cette avalanche de questions, serait impossible ici ; d’abord, ce serait bien long ; ensuite, il faut l’avouer, l’on est encore très loin de les avoir trouvées toutes.

Je veus toutefois, à titre d’exemples pour tout le problème, présenter deus explications.

Vous vous souvenez du Petit Poucet et de l’Ogre qui voulait le manger, lui et ses frères ? Pourquoi imaginer des êtres qui mangent les petits enfants ? On ne mange pas les petits enfants. C’est vrai ; mais on en a mangé. On a même mangé de grandes personnes et c’est resté la très vilaine habitude de quelques sauvages de plus en plus rares. Or, les contes, cela ne fait plus aujourdhui l’objet du moindre doute, se sont forgés et répandus à une époque où il y avait un peu plus de cannibales que maintenant, où, de peuplade à peuplade, on se tuait et on se mangeait, tandis qu’à l’heure actuelle, par un certain progrès, très relatif, on ne se tue plus guère que de peuple à peuple et sans se manger. L’ogre du Petit Poucet est un fait-divers préhistorique.

Un conte populaire dont on retrouve des variantes partout, notamment en Belgique, débute comme ceci :

Il y avait une fois un pauvre homme qui planta une fève dans son jardin. Il poussa un haricot qui grandit, grandit jusqu’au ciel. Le pauvre homme grimpa sur son haricot et arriva jusqu’au paradis. Il toqua à la porte ; saint Pierre vint ouvrir, etc.

Ce haricot montant jusqu’aus étoiles nous étonne. Pour ceus qui ont imaginé le début de ce conte, rien n’était plus naturel. Longtemps l’homme a cru que le ciel était une calotte solide[12], peu distante de la terre, soutenue par les arbres ou les montagnes et qu’une plante un peu élevée pouvait aisément atteindre. Cette conception sauvage apparaît d’ailleurs spontanément chez l’enfant. Un petit garçon de cinq ans me disait un soir en me montrant une étoile : « (Re)garde donc un peu cette belle lumière au plafond de la rue. » Notre formule usée de la voûte céleste n’est pas une comparaison. C’est le débris fossile d’une antique croyance que, tous, nous partagerions encore, si quelques astronomes de génie n’avaient fait sauter de la dynamite de leurs calculs le dôme au-dessus duquel habitaient les dieus.

De simples dictons peuvent être aussi intéressants à étudier que des contes.

En voyant une averse cinglée d’un coup de soleil, on dit, et pas seulement en Belgique, « c’est le diable qui marie sa fille »[13].

D’où vient cette manière de s’exprimer ?

Plusieurs mythologies, du moins parmi les peuples de notre race, parlent du mariage de divinités ou de génies du ciel. Dans l’Inde, c’est l’union mystique du dieu Soma avec Sûryâ, la fille du soleil ; en Grèce, c’est le mariage sacré (ἱερὸς γἀμὀς) de Zeus et de Hêrê, vulgairement connus sous leurs noms latins de Jupiter et de Junon. Notre expression wallonne est un dernier reste de mythes semblables. Le diable ici ne doit pas effrayer. La conquête du Christianisme au commencement du moyen âge a été, en bien des endroits et pour bien des choses, presqu’entièrement nominale, se bornant à débaptiser ce qu’elle ne pouvait détruire. Pour les légendes, par exemple, l’homme du peuple à qui un moine venait dire que le dieu dont il contait l’histoire était un démon, changeait simplement le nom des personnages, mais ne cessait ni de la raconter, ni d’y croire. Beaucoup de choses très vieilles se sont ainsi conservées sous des étiquettes d’apparence chrétienne qu’il est très aisé de décoller. L’expression : Li dyâl marèy si fey suffit donc à nous reporter aus époques lointaines où il n’y avait ni traités de physique, ni manuels d’astronomie, où, pour expliquer tous les phénomènes qui l’entouraient, l’homme, — et il n’aurait pu penser autrement —, supposait dans tous les êtres des volontés semblables à la sienne, voyant en réalité une noce céleste dans la gaîté d’un rayon de soleil au milieu d’une averse, une dispute plus ou moins conjugale dans quelques grondements de tonnerre, une bataille dans chaque orage et un pont divin dans l’arc-en-ciel.

Nous pouvons maintenant répondre à la question : « Qu’est ce que le Folklore ? » Amas de débris de tous les âges, comme des empreintes de plantes sur des morceaus de houille ou des os de monstres antédiluviens, il nous fait revivre toute la vieille humanité. Ces débris, il faut les recueillir et les étudier ; les recueillir, parce que, si nous ne nous empressons de les cataloguer dans des vitrines, il n’en restera plus rien dans quelques jours ; les étudier, parce que dans une sotte superstition de village comme dans un conte de noir d’Afrique peut se trouver la solution de quelque obscur problème de l’histoire morale de l’homme.

Et maintenant, le lecteur peut aborder ce petit livre.

Et il ne voudra ni rire ni s’indigner.

Il ne rira pas, car il saura désormais que toutes ces vétilles ont dû avoir une raison d’être, qu’à tel ou tel moment de l’évolution, les croyances qui nous semblent les plus absurdes, comme celle aus revenants, ont été aussi inévitables, aussi bien raisonnées, que le sont aujourdhui nos convictions scientifiques.

Il ne pensera pas non plus à s’indigner trop de voir encore tant de vieilleries dans notre xixe siècle. La civilisation ne date que d’hier ; le sol est toujours encombré des ruines de l’ancien édifice, et quand on songe au peu de temps qu’il a fallu pour le renverser, certain de l’invincible marche en avant de l’homme, on ne peut que regarder avec un sourire, plein à la fois de scepticisme et de sympathie, les pauvres vieilles choses que nous détruisons, rien qu’en les expliquant.

On ne rit pas de la petite fille qui emmaillote sa poupée. On ne lui défent pas de continuer. On la laisse grandir.




ABRÉVIATIONS BIBLIOGRAPHIQUES.


Hock = A. Hock. — Croyances et remèdes populaires au pays de Liège. — 3e édition. Liège, Vaillant, 1888. — Un volume in-12.
Defrecheux Enfantines = J. Defrecheux. — Les enfantines liégeoises. — Liège, Vaillant, 1888. — Une brochure in-8o (= Bulletin de la Société de Littérature wallonne, 2e série, t. XI).
Defrecheux Comparaisons = J. Defrecheux. — Recueil des Comparaisons populaires wallonnes. — Liège, Vaillant, 1886 — Un volume in-8o (= Bul. Soc. Lit. wal., 2e sér., t. IX).
Defrecheux Faune populaire = J. Defrecheux. — Vocabulaire de la Faune wallonne dans Bul. Soc. Lit wal. 2e sér., t. XII.
Pimpurniaux = Jérôme Pimpurniaux. — Guide du Voyageur en Ardenne. — 2 volumes in-12. — Bruxelles, 1856 (I) et 1858 (II).



TABLE.
I. 
Êtres merveilleus 
 1
II. 
Animaus 
 9
III. 
Agriculture 
 18
IV. 
Plantes 
 20
V. 
Médecine populaire 
 22
VI. 
Mœurs et coutumes 
 32
VII. 
Contes et fables 
 42
VIII. 
Astronomie et météorologie populaires 
 59
IX. 
Chansons 
 68
X. 
Sorcellerie, Magie, Divination 
 83
XI. 
Enfantines et Jeus 
 96
XII. 
Blason 
 111
XIII. 
Coutumes diverses 
 115
XIV. 
Calendrier 
 121
  
Index 
 136


I. — Êtres merveilleus.


Esprits des eaus.

14 À Saint-Hubert, on dit aus enfants : « N’allez pas jouer près des abreuvoirs ; Marie Crochet vous y attirerait. » À Huy, on leur parle d’un « homme au crochet » qui se tient dans les rivières.

15 À Souverain-Wandre, on recommande aus enfants de ne pas s’approcher de la Meuse en leur disant :

  L’om â rodj din « L’homme aus dents rouges
Vi hyèrtchrè dvin. Vous tirera dedans. »

Le char infernal.

19 Au commencement de ce siècle, on racontait qu’il passait 19. à minuit un carosse de feu sur la crête des collines qui entourent la ville de Liège. C’était, croyait-on, un entrepreneur des boues du siècle passé, qui, en punition de ces débauches, était condamné à revenir dans cet équipage. (Hock 5-6).

24 Le chasseur sauvage (li sâvatch tchèsseu).

À Bohan (Semois), on parlait, il y a vingt ans, d’un seigneur du siècle dernier qui fut en procès avec les habitants pour des bois communaus et l’on racontait qu’en expiation de ses rapines, il revint chasser dans la forêt de la Fargne jusqu’au jour où celle-ci fut abattue. On citait même des gens qui l’avaient vu. Un jour, un habitant de Sugny s’attarda au cabaret, à Bohan, disant qu’il n’avait pas peur du revenant et que, s’il le rencontrait, il le ramènerait chez lui boire le petit verre. Lorsque, vers onze heures, il entra dans la forêt de la Fargne, il entendit le son d’un cor, puis des aboiements de chiens qui s’approchaient. Il prit peur et se jeta la face contre terre. Il vit alors des centaines de chiens arriver sur lui, suivis de chasseurs montés sur des chevaus, dont les naseaus lançaient des flammes, et au milieu du groupe était le seigneur de Bohan, la figure comme celle d’un cadavre et du feu sortant de ses orbites. Pendant une heure, cette partie de la forêt fut parcourue dans tous les sens et le malheureus, que la terreur clouait à terre, dut attendre que la chasse se fût éloignée. Il arriva chez lui meurtri et malade de frayeur et y resta plusieurs semaines entre la vie et la mort. Quand il put enfin se lever, ses cheveus étaient devenus blancs comme neige. (Jérôme Pimpurniaux Guide du voyageur en Ardenne 2, 229-234, dont nous résumons et élaguons le récit).

25. À Grivegnée, on croyait, il y a environ quarante ans, qu’il apparaissait un chasseur fantastique dans des bois qui sont aujourd’hui la propriété de M. de la Rousselière. Il passait, emporté dans un furieus galop, accompagné de deus chiens qu’il appelait d’une voix bien distincte Tah et Pouha.

Légendes relatives aus pierres.

12. Entre Verviers et Renoupré, il y avait une roche appelée lu gros’ rotch qui venait, disait-on, boire dans la Vesdre, la nuit de Noël, au coup de minuit.

26. Un bloc de pierre isolé et d’aspect extraordinaire est généralement appelé pierre du diable. Exemples : A) le dolmen détruit près de Namur (Pimpurniaux 2, 192) ; B) la grande pierre en forme de table à demi encastrée dans la route qui conduit du vilage de Sény à celui d’Ellemelle (Condroz) ; C) le fais du diable, bloc de grès d’environ 800 mètres cubes, isolé dans la bruyère entre Wanne et Grand-Halleux près de Slavelot ; D) les murs du diable à Pepinster, etc.

28. Le fais du diable de Stavelot a une légende que nous résumons d’après Pimpurniaux 1, 122-123 : Saint Remacle s’apprêtait à faire la dédicace de l’abbaye de Stavelot qu’il venait de bâtir, lorsqu’une nuit un ange envoyé par saint Martin lui fit savoir que le diable arrivait, chargé d’une grosse pierre dont il voulait écraser l’abbaye. Le saint envoya à la rencontre de Satan un de ses moines[14], qu’il avait chargé d’une hotte remplie de toutes les vieilles sandales du couvent. Le diable, arrivant à croiser le moine qui feignait la fatigue, lui demanda s’il était encore loin de Stavelot. Celui-ci, vidant sa hotte par terre, lui dit : Jugez-en vous-même, tout cela était neuf quand j’en suis parti. Le diable découragé laissa tomber sa pierre.

Les changelins.

33. On raconte à Laroche que des gens trouvèrent un jour, au bord du chemin, un enfant emmailloté et le rapportèrent au village. Une jeune femme en eut pitié et lui donna le sein. L’enfant se mit à téter, mais il tirait si fort qu’il fit mal à sa nourrice. Et elle l’arracha de sa mamelle en s’écriant : To m’ sètchreu l’âm foû do kwâr « Tu me tirerais l’âme hors du corps », ce à quoi l’enfant répliqua : O ! dji t’ tirreu k’â son « Oh ! je te tirerais jusqu’au sang ». Surpris d’entendre parler un si petit enfant, on le démaillota : il avait les pieds fendus ; mais il disparut à l’instant même.

Le feu follet.

34. Le feu follet s’appèle, dans la province de Liège, loumrot’ « petite lumière ».

36. Il est ordinairement considéré comme un esprit malfaisant qui cherche à attirer dans un marécage ou un étang.

38. Pour ne pas rencontrer de loumrot’. des sages-femmes, allant la nuit exercer leur métier, mettaient leurs bas ou leur jupon à l’envers (Herve).

Les femmes mythiques.

1614. Il y a à Liège un quartier appelé à la bonne femme. Ailleurs, ainsi à Bruxelles et à Huy, des cabarets portent l’enseigne à la bonne femme et la peinture de l’enseigne représente une femme sans tête[15].

1615. À Masy, près de Gembloux, les enfants creusent de grosses betteraves et les percent de trois trous. Le soir, après y avoir introduit des bougies allumées, ils vont les placer dans les haies et disent que ce sont les trois femmes blanches.

1616. On croyait jadis à Liège qu’une petite dame blanche, li ptit’ blank fœm, venait s’asseoir sur le seuil d’une maison, quand il devait y mourir quelqu’un dans la huitaine.

Revenants (spér).

1617. Un revenant qui hante une maison est conçu comme habillé de blanc et traînant des chaînes. On raconte généralement que c’est l’âme de l’ancien propriétaire.

1618. Le spectre revient pour demander des prières qui doivent améliorer le sort d’outre-tombe, soit de lui-même, soit d’une personne qu’il a assassinée. Exemples :

1620. Un homme revenant la nuit rencontra un bouc qui tourna et sautilla autour de lui.

« Que me veus-tu, demanda-t-il, j’ai prié pour toi. »

Le bouc répondit :

« Il me fallait encore deus paters pour me délivrer. »

— Tu les auras. »

On pria dans le village et le revenant disparut. (Hock 276.)

1621. Un revenant importunait les gens d’un village. Un chevalier alla passer la nuit, armé et en prières, pour savoir ce qu’il voulait. Le spectre arriva et dit qu’il était le portier d’un couvent voisin. Il avait étouffé une jeune fille qui ne voulait pas l’accepter pour amant et s’était pendu de désespoir. En enfer, il avait appris que la jeune fille était en purgatoire et il revenait pour demander des messes suffisantes pour la faire aller en paradis. Le chevalier promit les messes et le spectre se retira. (Résumé d’un rîmé de M. Gust. Magnée dans Bull. Soc. Liég. de Litt. wall. 1re série. 7, 53-59).

Trésors.

1626. Il n’est pas de ruine de vieus château à propos de laquelle on ne raconte qu’il s’y trouve au fond d’un souterrain un trésor enfermé dans un coffre de fer et gardé par une chèvre aus cornes d’or (gat’ d’ôr). La chèvre d’or est ordinairement considérée comme un revenant, ancien habitant du château, intendant infidèle ou châtelaine avare, qui revient sous cette forme en punition de ses péchés. Dans quelques villages, on croit que le trésor lui-même consiste en une chèvre d’or massif, ce qui est certainement une corruption de la donnée de la légende.

1627. Aus ruines de Franchimont, la chèvre d’or est remplacée par un bouc appelé vèrbo[16] et conçu comme un démon auquel le diable a confié la garde du trésor et qui se lient couché sur le coffre. À certains jours de l’année, il est relevé de sa faction pour une heure et c’est seulement pendant cette heure que l’on peut chercher à s’emparer du trésor.

1628. À propos de chaque trésor, gardé ou non par un animal merveilleus, on dit que l’on ne peut s’en emparer qu’à la condition de le ramener au jour sans prononcer une parole et l’on raconte presque partout à l’appui, qu’un jour des hommes étaient parvenus à retirer le coffre jusqu’à l’orifice du puits où il se trouvait, lorsque l’un d’eus ne put retenir une exclamation, comme : no l’avan ! « nous l’avons ! », ce qui le fit retomber au fond de l’abîme.

1789. La nuit de la Saint-Jean, les trésors cachés en terre se laissent voir à ceus qui passent à côté d’eus inocin-nmin « innocemment », c’est-à-dire sans les chercher. Un paysan de La Reid nous a conté : ” Mon grand-père revenait une fois avec un de ses amis pendant la nuit de la Saint-Jean. À minuit, ils aperçurent au pied d’un chêne un petit brasier presque éteint qui semblait avoir été allumé là par des vagabonds. L’ami de mon grand-père, ayant bourré sa pipe, prit un tison pour l’allumer. Il s’éteignit. Il n’eut pas plus de résultat avec deus autres. Un quatrième ayant réussi, il referma le couvercle de sa pipe en y laissant le morceau de charbon. Le lendemain matin, en secouant la cendre de sa pipe, il en voit tomber une pièce d’or. Il vient conter la chose à mon grand-père. Tous deus retournent au chêne au pied duquel était le feu et ils retrouvent dans le gazon trois autres pièces d’or. C’étaient les charbons qui avaient été essayés. « Que n’as-tu donné un coup de pied dans le feu », dit mon grand-père.„

Nains.

1629. Il n’est guère de grotte dont on ne raconte qu’elle a été jadis habitée par de petits hommes, hauts tout au plus de deus pieds, parlant une langue inconnue et d’un caractère tantôt serviable, tantôt farceur.

1630. Ces nains s’appèlent sotê (province de Liège), massotê (prov. de Liège et de Luxembourg), lûton (prov. de Luxembourg), nûton (province de Namur), lapon ou napon (environs d’Ath), sarazin (Hesbaye).

1631. On raconte partout que jadis on allait porter à l’entrée de leurs grottes des objets à racommoder, — il s’agit ordinairement de souliers dans les légendes de la province de Liège, d’outils en fer dans celles de la province de Namur —, en ayant soin de déposer avec ces objets de la farine, ou un petit gâteau, ou des fruits, — dans quelques villages, on dit même : une pièce de monnaie. Le lendemain, on retrouvait les objets remis en bon état.

1632. Le nûton de Tohogne. Jérôme Pimpurniaux Guide du voyageur en Ardenne 1, 209 fait raconter par un petit garçon qu’il dit avoir rencontré près de Durbuy et questionné sur les Nûtons : “ Je n’en ai jamais vu, et je tiens de mon père, qu’ils deviennent de jour en jour moins communs ; mais mon oncle Léonard en a rencontré un, l’année dernière, à la fête de Tohogne, et m’a fait son portrait. Il n’était pas plus haut qu’une botte de gendarme ; sa tête, couverte de cheveus aussi roides que les poils d’une brosse, était plus grosse que celle de notre bourrique : il avait un nez rouge et épaté, et quand il riait, sa bouche, fendue, jusqu’aus oreilles, montrait deus rangées de dents blanches et longues comme des noisettes franches, ce qui prouve l’habitude de manger de la chair humaine[17]. Comme on était à la saison des grosses nois, il y avait dans les rues du village des amas d’écales, hiv di djèy ; en les voyant, le petit homme ne put retenir une exclamation, et, les prenant pour des casseroles de terre à l’usage d’individus de son espèce, il s’écria : Hi ! lè bê pti potê [ « Oh ! les beaus petits pots » ].„

237. À Sinsin, province de Namur, on croit que des nains (soté) viennent voler le grain aus paysans dans les greniers.

Le cheval merveilleus.

1649. On appelle un bon et fort cheval on tchvâ kom Bayâ « un cheval comme Bayard » (Defrecheux Comparaisons 215).
À Remouchamps, Pepinster, Dinant (Roche à Bayard) et dans la forêt de Chiny, il y a sur un rocher une excavation que l’on dit être l’empreinte laissée par un pied de Bayard s’élançant au-dessus de la vallée (Pimpurniaux 1, 43. 89. 114. 348.)




II. — Animaus.


Voici quelques exemples des croyances, usages, proverbes, etc., où interviennent les animaus.


42. Abeilles (moh a l’ lâm « mouches au miel »). — Pour empêcher les abeilles de trop s’écarter des ruches, on parcourt la campagne, le jour de la Chandeleur, avec un cierge bénit et elles ne dépassent pas le cercle tracé (Saint-Nicolas-Tilleur). — 43. Un essaim qui s’établit dans une ruche le jour de la Fête-Dieu, dispose un des gâteaus en forme de Saint-Sacrement.

46. Anguille (anwèy). — Pour faire croître les cheveus d’un enfant, on les lui lie avec de la peau d’anguille (Eneille).

49. Araignée (arè’gn’). — À Mons, écraser une araignée le matin est un présage d’argent. Partout ailleurs, pensons-nous, les présages tirés d’araignées écrasées sont conformes aus petits vers :

Araignée du matin,
Grand chagrin,
Araignée de midi,
Grand dépit[18].
Araignée du soir,
Grand espoir.

50-51. Araignée-Faucheus (kaytrès’ « dentellière » klawtî, « cloutier », wèlin, arègn’ di tér). — Les enfants s’amusent à arracher les longues pattes des faucheus. Ces pattes continuant à remuer après avoir été coupées, ils s’imaginent que ces mouvements sont volontaires et indiquent une direction en réponse à une queslion qu’ils font à l’instant. Par exemple, ils disent à Vottem en tenant entre le pouce et l’index la patte arrachée : To wis’ è-st i l’gârchampèt’ ? « De quel côté est le garde-champêtre ? ». Et la convulsion de la patte est censée indiquer dans quelle direction il se trouve.

54. Blaireau (tèsson). — La graisse de blaireau est un des grands remèdes de la médecine populaire ; on l’emploie pour guérir engelures, brûlures, blessures, etc.

58. Bousier (byès a l’ ôl « bête à l’huile », marhâ « maréchal »). — Si l’on crache sur un bousier, en faisant le signe de crois, on croit que cet animal transpire du sang (Dinant).

60. Brochet (brotchè). — Le peuple compare les os de la tête du brochet aus divers instruments qui figurent dans les représentations du supplice de Jésus.

62. Caille (kway). — On interprète son cri :

Kwit’ po kwit’
Pây tè dèt’.
« Quitte pour quitte,
Paie tes dettes. »

63. Son cri est aussi considéré comme un présage de pluie :

Kwit’ po kwit’,
Sop di tchin
« Quitte pour quitte,
Soupe de chien[19]. »

66-67. Carabe doré (tchivâ d’ôr « cheval d’or », klâ d’ôr « clou d’or », kostir[20] « couturière »). — Quand on l’écrase, on attire la pluie.

69-71. Chat (tchè). — Quand le chat passe la patte derrière l’oreille, c’est signe de pluie. — S’il tourne le dos au feu, c’est signe de froidure. — S’il fait ronron, on dit qu’il fait 73. ses prières. — Pour empêcher un chat nouvellement acquis de quitter la maison, on lui frotte un peu de beurre sous les pattes, on le prent ensuite des deus mains et on lui fait faire trois fois le tour de la crémaillère, puis on le fait gratter avec les pattes de devant sur le contre-cœur (kont-koûr) de la cheminée. (Ce rite se pratique dans toute la province de Liège, mais dans beaucoup de villages, il se réduit, soit à faire gratter le chat dans la cheminée, soit à lui frotter du beurre sous les pattes.)

74. Chauve-souris (tchaw-sori). — Les enfants lui crient à Liège :

Tchaw-sori,
Viné ci,
Vo-z âré dè pan rosti,
Dè nokyon,
K’è fwêr bon,
Po v’ loumé,
Po v’ tchâfé,
A soûmî,
D’ nos’ tchèni.
« Chauve-souris.
Venez ici,
Vous aurez du pain rôti,
Un bout de chandelle,
Qui est fort bon.
Pour vous éclairer,
Pour vous chauffer,
A la poutre,
De notre étable. »

75. On croit qu’une fois empêtrée dans les cheveus, la chauve-souris ne peut être arrachée qu’avec les cheveus eus-mêmes.

75-78. Chenilles (halèn, houyinn’). — Moyen de faire disparaître les chenilles d’un jardin : lire l’évangile de Saint-Jean à trois coins du jardin, les chenilles se sauvent par le quatrième Verviers). — Autre moyen observé, il y a environ trente ans, à Ensival : une femme, pour débarrasser son jardin des chenilles, alla en cueillir quelques-unes sur ses légumes, les mit dans un sac en papier, attacha le sac à une corde de deus mètres de longueur et lia la corde à sa jupe, puis elle partit traînant les insectes et traversa la rivière (la Vesdre). Arrivée sur l’autre rive, elle les enterra.

81-84. Cheval. — On croit que le cheval qui a un long chanfrein et par conséquent le trempe dans l’eau en buvant, est d’un caractère ombrageus. — Si un cheval laisse son engrais devant votre porte, c’est signe d’argent. — Le cheval qui hennit annonce le beau temps. — Les jeunes filles disent à Liège :

Un cheval blanc,
Je verrai mon amant.
Un cheval gris,
Je le verrai lundi.
Un cheval noir,
Je le verrai ce soir.

(Defrecheux n° 248, p. 108).

85. Si une jeune fille compte cent chevaus blancs, elle épousera le premier jeune homme qui lui donnera la main (Verviers, Dînant), qui la regardera (Liège, Nivelles), qui lui adressera la parole (Charleroi, Anvers).

89-90. Chien. — Le chien qui hurle la nuit annonce une mort prochaine. — “ Le paysan croit qu’il arrive souvent à la chienne de s’accoupler avec le loup. Dans ce cas, dit-il, la portée contient toujours un chien-loup (on tchin-leu). On le reconnaît à ses instincts batailleurs et cruels. Il faut se hâter de le faire périr, sinon il finirait par étrangler son maître. „ (Defrecheux Faune wallonne). — Proverbe : bat’ lu tché dvan l’ liyon « battre le chien devant le lion » (Verviers).

95-96. Cloporte (poursê d’ kâv « pourceau de cave »). — Voir des cloportes est signe d’argent.

96bis-98. Coccinelle (vatch d’ôr, vatch d’Ardèn, vatch di sin Dj’han, byès’ a bon Dyu, byès’ di sin Dj’han, byès’ di sin Mârtin, pipou, pipwèr, sèpyeûr, kostîrèt’ di sin Mârtin). — En écraser une, c’est attirer la pluie. — Les enfants, pour savoir s’il fera beau, font courir sur la main une coccinelle. C’est bon signe, si elle s’envole après qu’ils ont dit la formulette :

Kostîrèt’ di sin Martin,
« Petite couturière de Saint-Martin,
Si vo n’ mi djo nin
K’i frè bya dmwin,
Dji v’ kop li tyès’ int’ deu fyèrmin
.
Si vous ne me dites pas
Qu’il fera beau demain.
Je vous coupe la tête entre
xxxxxxxxxx[deus haches. »
(Texte de Dinant.)

110-112. Corbeau (kwèrba, appelé aussi krahâ, kwâk (à cause de son cri), Kola « Nicolas » et Djâk « Jacques »). — ” Les campagnards pensent que ses œufs éclosent pendant la journée du Vendredi-Saint. „ (Defrecheux Faune wallone). — Les enfants crient à Herstal en voyant passer des vols de corbeaus :

Kwâk, kwâk,
Voleûr â djèy,
I-y a vos’ moho-n ki broûl
.
« Couac, couac,
Voleur aus (de) nois,
Il y a votre maison qui brûle. »

114. Corneille des clochers (kwèrbâ d’klokî, tchâw). — Au commencement de ce siècle, on racontait qu’il y avait dans la tour de l’église Sainte-Marguerite à Liège, une corneille qui, la nuit du Vendredi-Saint, allait pondre un œuf d’or dans le grenier d’un habitant de la paroisse. On expliquait ainsi certaines fortunes rapides et chacun se gardait de fermer cette nuit toutes ses fenêtres. (Gérard dans Bull. Soc. Litt. wall. 2e série. 11,266.)

116. Coucou (koukou). — On aura de l’argent toute l’année, si l’on en a en poche la première fois que l’on entent chanter le coucou au printemps. — Quand les enfants l’entendent chanter, ils font 117. un signe de crois, puis un cumulet et se croient alors certains de faire une trouvaille agréable, ordinairement un petit couteau (Provinces de Namur et de Hainaut).

119. Couleuvre (kolow). — On croit que la peau que la couleuvre a dépouillée guérit les clous si on l’applique sur la partie du corps opposée à celle où le clou se trouve (Defrecheux Faune wallone).

121. Crapaud (krapó, krapó vènin). — Les enfants sont persuadés que le crapaud est le mâle de la grenouille.

132. Grillon (krikyon. krityon, kritchon). — Pour débarrasser une maison des grillons, on en met trois dans une boîte qu’on tient derrière soi. Il faut ensuite passer trois fois une rivière et jeter la boîte à l’eau derrière soi, puis revenir par un autre chemin. Comparez Chenilles n° 78.

136. Hanneton (balow, bizaw, byès’ âbalow,âbalow). — Les enfants s’amusent à le faire voler retenu par un fil fixé au dernier segment en pointe de l’abdomen. Ils cherchent alors à saisir le hanneton par cette extrémité, sans interrompre son vol. En cas de réussite, ils disent que le hanneton prêche (prétch).

149-150. Libellule (mârtê d’ dyâl « marteau de diable », sizèt’, kok d’îl, makrê « sorcier », molinê, koûté). — On croit que si une libellule vous frappe au front, vous devez mourir dans l’année.

152-153. Lièvre (liv). — On frotte les gencives des enfants qui font difficilement leurs dents avec de la cervelle de lièvre. — On croit que le sang d’une hase pleine arrête les hémorragies.

156-157. Limace (lumson). — Écraser une limace, c’est amener la pluie. — Pour débarrasser un champ des limaces, on en transperce deus et on les fiche en crois sur le sol (Dînant).

159-160. Loup (leu). — On dit d’une personne enrouée qu’elle a vu le loup. — Réplique rimée : Dj’ê freu ! — Mous’ o kou do leu. « J’ai froid ! — Cache-toi dans le derrière du loup ». (Laroche).

163. Mésange charbonnière (gros’ mazindj, sissideu). — On fait de son chant les vers qui suivent :

Si si deu,
Si si deu.
Pây tè dèt’,
Si tu deu.
« Si, si dois,
Si, si dois.
Paie tes dettes,
Si tu dois[21]. »

165. Moutons. — La jeune fille qui rencontre un troupeau de neuf moutons, épousera le premier jeune homme qui lui donnera la main (Liège).

172.174. Pie [aguès’ (Liège), agas’ (Luxembourg et Namur), pâkêt’ « communiante », Margo (Mons)]. — La pie qui chante à droite est de bon augure ; celle qui chante à gauche, signe de malheur.

177. Pigeon (kolon). — Pour qu’un pigeon que l’on a acquis ou volé ne retourne plus chez son ancien maître, on lui arrache la huitième penne d’une aile et on l’attache à une paroi du pigeonnier (Herve).

250. Porc (poursê). — Pour guérir les porcs de la congestion, on emploie le remède suivant : arracher trois soies à la place où le porc a mal et mettre une soie entre le pouce et l’index, une entre l’index et le majeur, une entre le majeur et l’annulaire ; dire alors cinq pater et cinq ave à saint Antoine en l’honneur des cinq plaies, puis jeter ces trois soies dans le feu (environs de Verviers).

183-184. Pou (pyou). — Rêver de pous est présage d’argent. — L’abondance des pous chez les enfants est considérée comme un signe de santé.

107. Poule et coq. — Question facétieuse : Pourquoi le coq ferme-t-il les yeus en chantant ? Réponse : Parce qu’il 105. sait sa musique par cœur. — Si le coq chante le matin entre quatre et cinq heures ou le soir entre dis et onze, le temps changera. 186-187. — Quand une poule chante comme un coq, cela signifie que le maître de la maison laisse porter les culottes par sa femme. Pour redevenir le maître, il n’a qu’à égorger la poule. 194-196. — Si les poules se nettoyent furieusement les plumes avec le bec, c’est signe de pluie. — On met les œufs à couver à une poule en nombre impair. — On dit à Laroche : Gn’ a sèt’ petchî môrtél divin o-n oû « Il y a sept péchés mortels dans un œuf ». — Le poulet né d’un œuf pondu le Vendredi-Saint change de couleur chaque année.

198-200. Punaises (wandyon). — Pour éloigner les punaises d’un lit, y mettre un os de mort. — Autre moyen. Lire l’Évangile de saint Jean aus trois coins de la chambre. Elles s’en vont par le quatrième (Verviers) ; cp. Chenilles. — Pour se délivrer des punaises, ou en met neuf dans une boîte qu’on tâche de déposer dans la poche d’un passant, voisin ou visiteur quelconque. Les punaises se transportent toutes dans la maison de ce dernier (Herve).

203. Rat. — Quand on est mordu par un rat, il faut chercher à le tuer, lui couper du poil et mettre ce poil sur la morsure.

206-207. Roitelet (róytê[22] houplé « roitelet huppé », piti róyté, ouhê dè bon Dyu). — S’ è lu k’ a-st apwèrté l’ feu so l’ mond’ « C’est lui qui a apporté le feu sur la terre ».

208-210. Rossignol de mur (rotch kow « rouge queue »). — On le considère comme de mauvais augure : oûhê d’ mwér « oiseau de mort ». — À Herve, on interprète son cri :

Kwan dj’ èn-n’a ralé, lè sina
xxxxxxxxxx[èstî plin
.
« Quand je suis, partie, les greniers
xxxxxxxxxx[étaient pleins.
A st’ eûr ku dj’ so ruvnâw, i
xxxxxxxxxx[n’a pu ré dvin.
À cette heure que je suis revenue,
xxxil n’y a plus rien dedans. »

212-186. Souris (sori). — On dit que pour guérir les enfants affectés d’une incontinence d’urine, il faut leur faire manger des souris, rôties. — Quand une personne est atteinte de dartres autour des lèvres, mal qui s’appèle mal de souris, on dit qu’elle a été « caressée par une souris » ou qu’elle a mangé « après une souris » (Herve).

221. Taupe (foyan, foyon). — On croit se guérir des transpirations aus mains en pressant dans les doigts une taupe vivante, jusqu’à ce qu’elle en meure.

225. Truite. — Comparaison : hêtèy kom i-n pitit’ treût’ « saine (et vive) comme une petite truite ».

226. Vache. — Une vache pleine mettra au monde un taureau, si la touffe de poils qu’elle porte entre les cornes est levée ; une génisse, si cette touffe est abaissée. 248. — On met du sel dans la gueule du veau qui vient de naître. 255. — Pour que le beurre se fasse vite, on emploie différents moyens superstitieus : quelques gouttes d’eau bénite sur le morceau d’étamine qui sert à bien fermer la bonde du tonneau qui sert de baratte (Hesbaye) ; une pièce de cinq francs dans la baratte (Louveigné) ; trois feuilles de buis bénit dans la baratte (Moha).

229. Verdière (djâzrèn). — On dit que c’est elle qui a fait découvrir le tombeau du Christ, et l’on traduit son cri par : Dizo, dizo sis’ pîr « Dessous, dessous cette pierre » (Luxembourg).



III. — Agriculture.

Plusieurs faits de folklore que l’on peut classer sous cette rubrique ont été donnés dans le chapitre précédent ; de même, d’autres seront mieus à leur place dans d’autres sections. Je réunis sous le titre spécial ceus qui suivent.

Labour et semailles.

258. Avant de labourer une terre, beaucoup de paysans se découvrent et disent une prière.

264. En Hesbaye, le semeur, en entrant dans le champ, jète une forte poignée de semence en disant : po lè mohon « pour les moineaus », ce qui doit garantir la moisson future de leurs pillages.

265. Pour que les oiseaus ne mangent pas les graines, on sème un jour de la semaine correspondant à celui de la Noël, par exemple, un vendredi en 1891 (Moha).

Moisson.

268. Avant de commencer la moisson, on célèbre une petite fête dite trinpèdj dè fâ « trempe des faus » dans laquelle on danse et on mange des œufs (Hesbaye).

270. Les premiers épis coupés sont placés le long d’une crois en bois et offerts au maître, si l’on fauche le seigle ; à la dame, si l’on fauche le froment (Moha).

272. On place dans la première gerbe des fleurs ramassées le jour de la Fête-Dieu sur le passage de la procession, ou un rameau de buis bénit, afin de préserver la moisson des souris.

273. Celui qui lie la dernière gerbe se marie avant deus mois. (Sinsin).

279. L’usage de se moquer de celui qui est le dernier à terminer sa moisson existe partout. Voici comment il se pratique dans deus villages :

À Sinsin, province de Namur, celui qui termine l’avant-dernier met au-dessus de son dernier char un mannequin de paille qui est appelé Dj’han l’nâhi « Jean le fatigué » et le char rentre au village suivi par les moissonneurs qui chantent sur un ton plaintif : N’âron-t jamê l’a-ou ? « N’auront-ils jamais fait l’août ? » ; puis ils vont planter le mannequin sur la terre du cultivateur en retard. À Paihle, près de Modave, ceus qui ont fini les premiers crient aus autres du haut d’une éminence en agitant un mouchoir au bout d’un bâton : Lè pôf piti-z ovrî dè tchèstya ! — N’âron jamé fê l’a-ou. — S’ sèron-t i ko magnî dè mohèt’ ! — Rimonté vo maro-n ! « Les pauvres petits ouvriers du château ! — Ils n’auront jamais fait l’août. — [Aus]si seront-ils encore mangés des moucherons. — Relevez vos culottes ! »


IV. — Plantes.

La récolte des superstitions relatives aus plantes ainsi que de leurs noms populaires est une œuvre très considérable que nous ne pouvons entreprendre ici. Nous nous contenterons de signaler quelques croyances générales ou spéciales à certaines plantes.

236. Beaucoup de personnes ne cueillent pas le dernier fruit d’un arbre, afin qu’il continue à porter.

281. Quand un homme meurt, tous les arbres qu’il a plantés périssent (sud-est de la province de Liége).

327. Les épis doubles sont des porte bonheurs.

304-306. Aubépine (ârdispèn, bèni-t-è ronh, blank sipèn, pètchalî). — On dit que les fleurs de l’aubépine sentent bon, parce que la Vierge y mettait sécher les langes de Jésus. — On croit que les baies de l’aubépine (lè pètchal) donnent des pous à ceus qui en mangent.

308. Aune (ónê). — Dans le pays de Louveigné, on pense que le vendredi la branche de l’aune peut se plier aisément et servir à faire des liens pour les fagots, tandis que les autres jours, elle se casse, si on veut la courber.

318. Buis (pâkî). — La branche de buis bénit protège de l’incendie. Cp. 965-966.

324. Camomille (kamamèl). — On brûle des fleurs de camomille quand il tonne. Cp. 966.

342-343. Coquelicot (pavwèr) (Liége), fleûr du tonîr (Verviers). — On attire le tonnerre en coupant des coquelicots (Laroche).

373. Lierre terrestre (ês’). — Il est employé dans un grand nombre de remèdes populaires : l’ès’ è-st a to mês’ « le lierre est maître à tout », c’est-à-dire guérit tout.

431. Marguerite (grande). — Sin-Dj’han, fleûr di sin Dj’han, lâdj mâgriyèt’). — On effeuille une marguerite et on en souffle les pétales pour savoir dans quelle direction se trouve quelqu’un. — À la Saint-Jean, on jète sur les toits des couronnes de marguerites pour préserver les maisons de la foudre.

385. Noyer (djèyî). — Le clou de la nois est un porte bonheur que l’on place dans le bas ou le soulier.

393. Persil (pyèrzin). — Quand on repique du persil, on fait mourir le plus proche de ses parents.

430. Pissenlit (sékorèy « chicorée », florin d’ôr, « florin d’or », pihot-è-lé). — Les pauvres gens mangent cette chicorée en salade. — Les enfants appellent « anges », les têtes de pissenlit chargées de ces graines soyeuses que le moindre vent disperse. — Ils devinent l’heure par le nombre de fois qu’ils doivent souffler pour disperser toutes les graines.



V. — Médecine populaire.


Voici un liste alphabétique des principales maladies que distingue le peuple avec l’indication de quelques remèdes populaires, presque tous purement superstitieus.


434.

Asthme (koûtrès’ d’alèn). — Infusion de baies de hous.

436-438.

Brûlures (broûleùr). — Laver la brûlure avec de la neige ramassée entre l’Épiphanie et la Chandeleur (Hock 176). — Le beurre fait le deuzième jour des Rogations. — Lard saupoudré de cerfeuil (Hock 323).

440.

Cancer au sein (chank-skir). — Appliquer sur le sein une écrevisse vivante dont on a lié les pinces (Hock 24).

443.

Choléra. — Beûr on potikè d’ krâch di tchin « boire un petit pot de graisse de chien » (Laroche).

445.

Chorée, danse de St-Guy. — Monter trois fois le « thier »[23] de la Chartreuse et le descendre trois fois en courant le plus vile possible. Prendre ensuite, par petites gorgées, un liquide composé de miel, gros comme une nois, et d’un jaune d’œuf mélangés à la bière contenue dans une tasse noire (Hock 309).

447.

Chute du rectum (sîtch). — Un morceau de flanelle rouge appliqué sur le mal (Liège).

449.

Clou, furoncle (klâ, bwègn’ klâ). — Réciter trois pater et trois ave et ajouter : Bondjoû, kló ! A rwér, kló ! (Nivelles). (Cp. 528).

450-452.

Coliques (mà d’vint’). — Invoquer saint-Fiacre (Dison). — Oraison pour guérir promptement la colique du Médecin des Pauvres[24] : “ Mettez le grand doigt de la main droite sur le nombril et dites : Marie qui êtes Marie ou colique, passion qui est entre mon foie et mon cœur, entre ma rate et mon poumon, arrête au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Dites trois pater et trois ave et nommez le nom de la personne en disant : Dieu t’a guérie. Amen. „ — Nois verte dans du genièvre.

454-455..

Convulsions des enfants. — On prent un jeune pigeon volant déjà, on lui plume le croupion et on applique le derrière du pigeon sur le derrière de l’enfant jusqu’à la mort du volatile. Le pigeon qui se débat doit être maintenu énergiquement et meurt d’autant plus vite ; sa mort est expliquée comme l’effet de la maladie qu’il a prise à l’enfant (Liège). Cp. 555. — Couper les pattes de devant à une taupe vivante, les coudre en crois dans une petite poche de flanelle et suspendre la pochette au cou de l’enfant de façon qu’elle vienne s’appliquer au creus de l’estomac.

458.

Cors aus pieds (aguès’). — Dire trois fois, sans reprendre haleine, en s’adressant à un mort que l’on porte en terre : Prin mè-z aguès’ è pwèt’ lè avou ti è ter. « Prens mes cors et porte-les avec toi en terre » (Liège). Cp. 568.

463-464.

Dents (maus de). — Des guérisseurs (sègneu « signeurs ») touchent la dent malade avec un clou, puis vous disent de ficher le clou dans un arbre. Le mal doit disparaître au fur et à mesure que le clou s’enfonce (Hesbaye). — On invoque sainte Apolline (sint’ Apoló-n) dans tout le sud de la Belgique.

467.

Engelures. — Se chauffer les pieds à une flambée de regain, puis les frictionner avec de la graisse de cheval mêlée avec la cendre du foin brûlé ; à Liège, les marchands de 586. viande de cheval vendent, exprès pour cet usage, sous le nom de « graisse de crinière » de la graisse de l’encolure du cheval, fondue dans des bouteilles.

470.

Entorse (pî twèrtchî). — Mettre le pied dans les intestins d’une vache qui vient d’être assommée (Hock 53).

472.

Épilepsie (gran mâ, mâ d’ sin Djâk). — Dans le nord de la province de Liège, on invoque sainte Cornélie ; à Cornesse, saint Corneille (sin Kwèrné).

474.

Érésipèle (róz). — Placer sur le mal un morceau de langue de renard arrachée à l’animal vivant et bénite en l’honneur de sainte Rose (Hock 183).

477.

Fièvre (lè fîv). — Cataplasmes de levain aus mains et aus pieds (Liège).

513.

Fièvre de croissance des enfants [fîvlin-n[25] « fièvre lente » dans le français de Liège], — À Liège et dans les environs, on va à l’église de Grivegnée faire une neuvaine à sint’ Fîvlin-n, petite statuette à l’air triste et aus doigts rongés, ce que le peuple rapproche de l’habitude qu’ont les enfants malingres de mettre les doigts en bouche, Le premier et le neuvième jour de la neuvaine, le petit malade est porté à l’église. Le premier jour, on fait bénir un morceau de toile qu’on lui applique sur l’estomac ; le neuvième jour, le linge est brûlé. (Hock 137-138.) Plusieurs mères ont la coutume de tremper un morceau de pain d’épices dans l’eau bénite et de le faire manger à l’enfant dans l’église même. 514.— Certains guérisseurs vendent dans des canettes en terre glaise un onguent[26] ainsi composé : 1°) un œuf avec son écale ; 2°) du savon ; 3°) du sel ; 4°) du poivre ; 5°) de la levure ; 6°) de l’eau bénite. Cet onguent est placé dans des linges dont on entoure les poignets de l’enfant, ce qui s’appèle mèt’ lè pakè « mettre les paquets ». Le remède doit être répété trois jours de suite et pendant ces trois jours on fait une neuvaine spéciale qui consiste à dire : le premier jour, 9 pater le matin, 8 à midi et 7 le soir ; le deuzième jour, 6 pater le matin, 5 à midi et 4 le soir ; le troizième jour, 3 pater le matin, 2 à midi et 1 le soir. — Placer 515. sur la poitrine de l’enfant ou autour de ses poignets des linges n’ayant jamais servi et renfermant des cloportes. Les cloportes prennent la maladie. Leur nombre n’est pas indifférent : à Laroche, on en met neuf sur la poitrine.

481-482.

Gerçures (krèvas’). — Faire griller un morceau de pain et le placer tout chaud sur les lèvres (Hock 128). — Se laver les mains avec de l’urine d’enfant.

484-486.

Gorge (maus de). — Mettre des vers de terre dans une poche en toile et se l’appliquer sur la gorge. Les vers se décomposent très rapidement, ce qui produit une chaleur intense. — Poudre de langue de renard desséchée dans du genièvre. — S’enrouler un écheveau de soie rouge autour du cou. — Invoquer saint Blaise, ce qui se pratique 1684-5. partout, mais notamment à Verviers, où, le 3 février, jour de saint Blaise, on va à l’église Saint-Remacle se faire mettre deus chandelles allumées en crois sur la nuque pour être garanti des maus de gorge.

488.

Goutte (lè got’). — Thé de feuilles de chêne (Hock 130).

489-491..

Gravelle (pîr, grèval.) — Cendre de poil de lièvre mêlée avec du vin blanc (Hock 53). — On croit que l’on gagne cette maladie en mangeant du sel d’une manière immodérée.

493-494.

Hémorragies. — Pour arrêter le saignement de nez, enrouler un bout de fil autour du doigt (Verviers). — Toile d’araignée de cave.

496.

Hémorroïdes (brok). — Formule en usage dans les environs de Spa : “ Brok, retire-toi. Dieu te maudit. Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Prendre de la salive avec le majeur de la main gauche et faire le signe de la croix sur les brok en disant les paroles ci-dessus et faire une neuvaine en reculant à l’honneur de saint Gangulfe. „ (Pour la « neuvaine en reculant », cp. 514.)

498-499.

Hoquet (hikèt’). — Boire neuf coups de suite. — Tenir un couteau au-dessus d’un verre à la hauteur du visage, la pointe dirigée vers la bouche (Liège).

517.

Hydrocéphalie (êw-è-l’tyès’). — Appliquer un pigeon fendu en deus par la face sur la tête du malade.

501-507.

Jaunisse (djènîs’). — Appliquer une tanche ou une carpe vivante comme un cataplasme sur la région du foie et l’y laisser jusqu’à putréfaction. Le poisson est censé prendre la maladie et en mourir. — Uriner sur un hareng (Herve). — Alé pihî so l’ramon ! « allez pisser sur le balai ! » dit-on aus enfants qui ont eu peur pour les garantir de la jaunisse (Liège).

508-509.

Luette descendue (sap à Liège et à Verviers ; skalansèy [= esquinancie] à Laroche) — On prent trois cheveus à la rosette de la tête et on les tire en croyant ainsi faire remonter la luette (po r’sètchî l’âlmwèt’).

510.

Lumbago (toûr di rin). — Un guérisseur de Spa guérit le lumbago de la manière suivante : il fait accroupir le malade déshabillé d’une manière suffisante, et debout, derrière lui, le pied droit déchaussé, il lui trace une crois sur le dos avec son orteil nu. Il a, de plus, soin de demander au malade depuis combien de temps il souffre. La douleur, dit-il, ne doit disparaître qu’après un espace de temps égal à celui qui s’est écoulé depuis son apparition. Si le malade répont qu’il souffre depuis sis heures, il lui dit qu’il ne sera guéri que sis heures après avoir été sègnî « signé » (Cp. 618).

520-521.

Névralgie. — Se tourner une corde en boyau de chat autourdu cou (Hock 127). — Lier une peau d’anguille autour du genou droit et placer un cercle de fer autour de la tête.

523.

Noyés. — Pour retrouver un noyé, on fait flotter un pain bénit sur l’eau et quand il passe au-dessus du cadavre, celui-ci l’arrête avec le bras (Slavelot).

526.

Oreilles (maus d’). — Saint Georges, à Oneux (près de Theux), guérit les maus d’oreilles. Le malade doit faire trois fois le tour de l’église en portant sur la tête une couronne en fer très lourde et garnie de pointes (Hock 166).

528.

Orgelet (oryou, konpér Loryo). — Pendant trois jours de suite dire trois fois le matin à jeun :
Bo-n nut’, oryou !
Va-r-z-è kom t’a vnou.
« Bonne nuit, orgelet !
Va-t-en comme tu es venu »
et trois fois le soir en se couchant :
Bon djoû, oryou !
Va-r-z-è kom t’a vnou.
« Bonjour, orgelet !
Va-t-en, etc. ».
En disant ces formulettes, il faut faire sur l’orgelet humecté de salive un signe de crois, soit avec un anneau de mariage, soit avec l’ourlet de la chemise tourné à l’envers (Liège et Verviers).

531-532.

Phtisie pulmonaire. — Manger de la graisse de chien (Hock 378). — Prendre chaque jour deus cuillerées d’eau dans laquelle on a mêlé de la poussière de charbons provenant du feu de la St-Jean.

534.

Pied endormi (pi èdwèrmou). — On mouille l’index ou le pouce et l’on fait une crois sur le pied endormi, même sans se déchausser (Liège).

537.

Pleurésie. — Introduire dans une pomme un morceau d’encens gros comme une noisette, la cuire et la faire manger au malade (Hock 48).

540.

Pyrosis (mirin-n’). — Répéter trois fois sans s’arrêter :
Sint’ Madlin-n,
Dj’ê l’ mirin-n ;
Dj’ol dirè treu kó
Sin r’print’ alin-n.
(Laroche.)
« Sainte Madeleine,
J’ai la « mirêne » (migraine ?) ;
Je le dirai trois coups
Sans reprendre haleine ».

543-545.

Rhumatismes. — On croit se préserver des rhumatismes en conservant dans une poche du pantalon un marron sauvage. — Porter suspendu au cou un petit sac contenant cinq clous de cercueil (Theux). — Élever des cochons de montagne dans la chambre à coucher du malade (Verviers). — Se frotter avec de la « graisse de crinière » ; cp. 457.

552.

Rogne. — Prière pour la teigne du Médecin des Pauvres[27] : “ Paul qui est assis sur la pierre de marbre, Notre Seigneur passant par là, lui dit : Paul, que fais-tu là ? Je suis ici pour guérir le mal de mon chef. — Paul, lève-toi et va trouver sainte Anne ; qu’elle te donne telle huile quelconque ; tu t’en graisseras légèrement à jeun, une fois le jour et pendant un an et un jour. Celui qui le fera n’aura ni rogne, ni gale, ni teigne, ni rage. Il faut répéter cette oraison tous les matins à jeun pendant un an et un jour. Au bout de ce temps, vous serez radicalement exempt de ces maux pour la vie. „

548-549.

Rousseur (tâches de) [tètch di solo (Liège), stron d’Juda (Nivelles), tatch di Djuda (Laroche)]. — Les laver avec la rosée de mai ou avec du lait.

556.

Transpiration (souweûr). — Pour ne pas transpirer des mains, tenir dans chacune d’elles un crapaud vivant jusqu’à ce qu’il meure ; cp. 221.

558.

Transpiration de la tête chez les enfants (rondê). — Jadis on allait de Liège à Herstal invoquer un petit saint appelé Saint-Oremus (Hock 202).

563.

Vers intestinaus (vyèr). — Manger des carottes crues (Hock 25).

564-568.

Verrues (porê, pwèrê). — Faire autant de nœuds dans un cordon qu’on a de verrues, puis jeter le cordon derrière soi sans se retourner. Celui qui le ramasse gagne les verrues (Pepinster). — Frotter les verrues avec une couenne de lard, enterrer cette couenne sous une gouttière, rentrer chez soi sans se retourner et dire trois pater et trois ave. À mesure que le lard pourrit, les verrues disparaissent (prov. de Liège). — Couper en deus un oignon, en frotter les verrues, enterrer les deus morceaus et dire cinq pater et cinq ave (Gosselies). — Tremper la main dans un ruisseau pendant que les cloches « sonnent à mort » et souhaiter ses verrues au défunt (Moha).

582.

Yeus (maus d’). — On invoque Sainte Odile à Liège et à Andrimont. — Les guérisseurs (sègneu « signeurs ») croient faire disparaître plusieurs570. maladies des yeus en touchant l’œil avec un trident (sègnî avou n’ fotchroûl). — La taie cornéenne571. (petite tache blanche sur la cornée) s’appelle li fleur è l’ dragon « la fleur et le dragon ». — 573. Si les petits enfants ont les yeus enflammés le matin au réveil, les mères font jaillir un peu de lait de leur mamelle sur le mal (Liège).

574-575.

Zôna [lè sink (Laroche), koron (Spa)]. — Boire le sang d’un coq noir mêlé au lait d’une femme qui allaite un premier garçon (Laroche).
Les guérisseurs.

616. Les hommes du peuple qui font plus ou moins profession de guérisseurs portent le nom de r’bouteu « rebouteur » ou de sègneu « signeur ».

617. Pour posséder le pouvoir de guérir, il faut être né après la mort de son père et avoir été baptisé entre deus messes ; porter le nom de Louis et être le septième fils de la famille sont aussi deus prédispositions très grandes.

619. Les guérisseurs et les guérisseuses disent des prières au profit de leurs malades. Ainsi, un habitant de Vottem guérit tous les maus au moyen de neuvaines pendant lesquelles il prie agenouillé entre deus mannes de pommes de terre. (Cp. 1245).

618. Le sègneu, c’est de là que vient son nom, pratique d’ordinaire l’exorcisme par le signe de crois : en général, il crache sur la partie malade, fait un signe de crois en étendant la salive avec le doigt, fait un second signe de crois en forme de bénédiction et marmotte une prière ; cp. 510.

580. Beaucoup pratiquent le massage (r’ pougnèdj). Le massage se fait avec des prières trois jours de suite et une ou trois fois chacun de ces jours. Être né après la mort de son père est ici tout à fait indispensable. Dans certains villages, l’usage de masser les gens a disparu : mais on fait toujours masser les chevaus par des gens qui n’ont pas connu leur père, la personne se trouvant dans la condition traditionnelle fût-elle même une fillette.

615. Les remèdes de la médecine populaire ne sont efficaces que s’ils ont été confectionnés au moyen de matières données po l’amour di Dyu « pour l’amour de Dieu ». Si une matière doit absolument être achetée, il faut mendier l’argent nécessaire.

620.

Quand on montre du doigt le mal d’une autre personne, il faut ajouter : Ki l’ bon Dyu wâd’ l’aksègneûr ! « Que le bon Dieu garde (de) l’indication ! » c’est-à-dire : qu’il préserve des effets de ce geste. Sinon, on gagnerait ce mal. De même, si l’on indique un point de son propre corps où l’on a eu mal, il faut dire cette formule, pour éviter le retour de la souffrance.
Croyances diverses concernant certaines parties du corps humain.

623. On croit que la personne dont les sourcils se rejoignent, mourra de mort violente (La Louvière) ; signe de jalousie (Liège).

624. On dit de la personne qui a les dents séparées, qu’elle a des dents de bonheur (Verviers).

625. D’une personne qui est de mauvaise humeur, on dit qu’elle a « le nombril décousu » l’botroûl difâfilèy ; ou qu’elle « n’a pas vu son nombril » n’a nin vèyou s’bolroûl.

627. Le tintement de l’oreille gauche vous annonce que l’on dit du mal de vous. Mettez à l’instant le bout du petit doigt entre les dents et votre ennemi se mordra la langue. Si c’est l’oreille droite qui chante, on dit du bien de vous.

628. C’est dans l’idée que cela garantit de toute maladie des yeus que les femmes, et parfois encore les hommes du peuple, portent des anneaus dans les oreilles.

634. Les hommes qui ont les pieds plats ont le corps rempli d’humeurs et sont voleurs et avares (Stavelot).

635. Les taches blanches sur les ongles sont considérées comme autant de péchés ou de mensonges.



VI. — Mœurs et Coutumes.

Les amoureus.

642. Si une jeune fille fait craquer les articulations de ses doigts, elle a autant d’amoureus que le craquement se répète de fois.

646. Se mariera dans l’année, la personne qui reçoit le fond de la cafetière ou de la bouteille (À Nivelles, quand cette personne est déjà mariée, on dit : « Le fond, c’est pour un garçon ») ; celle qui voit trois lampes allumées réunies sans intention dans la même chambre ; celle qui le jour des 652. grands feus, aperçoit sept feus d’un seul coup d’œil ; la jeune fille qui réussit à enlever sans la briser la pelure entière d’une poire (Nivelles).

647. Est délaissée par son amoureus, la jeune fille qui pert sa jarretière ou son tablier.

648. A un amoureus ou doit épouser un veuf, celle dont la robe traîne une ronce ou une branche.

649. Épousera un veuf (ou une veuve), celle (ou celui) qui par hasard boit dans une tasse ébréchée (prov. de Liège) ; celle qui met son bonnet de travers.

650. Épousera un ivrogne, la jeune fille qui, en lessivant ou en lavant la maison, mouille outre mesure son tablier.

651. Restera sept ans sans se marier, la personne qui à dîner trouve dans son assiette la feuille de laurier que l’on a pu mettre dans le consommé (Liège) ; celle qui accepte le pied de la table (Nivelles) ; celle qui entame une livre de beurre ; la jeune fille qui doit faire un détour pour éviter une brosse ou un balai placé sur son chemin (Nivelles) ; celle qui remet sur le feu et laisse recuire l’eau dans laquelle on a lavé la vaisselle ; cependant, si cette eau ne bout pas, il n’en résulte aucun inconvénient.

653. La perte d’une épingle à cheveus indique que l’on pense à vous, en bien (Liège).

654. Quand une épingle à cheveus dépasse le chignon, on pense à vous de ce côté.

678. À Herve, la jeune fille qui désire se marier va prier à la chapelle St-Joseph qui se trouve près de la gare. Elle doit mordre dans un treillis de fer qui clôt une niche creusée dans une masse de pierre conique, renfermant la statuette du saint.

656. Pour voir en rêve celui qu’elle doit épouser, la jeune fille doit manger un hareng cru et non nettoyé (Verviers).

657. À Liège, la jeune fille qui désire voir en rêve son futur mari, doit, le jour de la Saint-André, 30 novembre, à minuit, s’asseoir sur son lit, enlever ses bas et les jeter, sans se retourner, derrière le chef du lit, en même temps qu’elle achève de se coucher et qu’elle dit en wallon ou en français la formulette :


Sin-t’Andri, Saint André,
Bon batli, Bon batelier,
Fè m’vèyî è m’dwèrman Faites-moi voir en mon dormant
L’si k’dj’ârè-st è m’vikan[28]. Celui que j’aurai en mon vivant.
Qu’il tienne dans sa main
L’outil de quoi gagner son pain.

Le lendemain, au saut du lit, elle va examiner ses bas qui doivent, étant à terre, former la lettre initiale du nom de son futur mari.

658. À Liége, la jeune fille, chaque soir, pendant sept jours, compte sept étoiles dans le ciel et recommence patiemment, si un jour les nuages s’interposent. Ayant enfin réussi, elle croit que le premier jeune homme qui lui tendra la main sera son futur mari ; à Nivelles, elle compte neuf étoiles pendant neuf jours.

659. À Nivelles, dans les réunions de jeunes filles, l’une fait tourner un couteau en disant : « Qui de nous épousera un pharmacien ?… un notaire ?… etc. ? » La direction de la lame indique la jeune fille.

661. À Liége, quand une jeune fille est courtisée, elle choisit une étoile dont le scintillement plus ou moins vif sera un présage bon ou mauvais.

662. La jeune fille, pour savoir si elle est réellement aimée, étire entre les ongles du pouce et de l’index, un cheveu de son amoureus. Si le cheveu se recroqueville, l’amoureus est fidèle. Elle peut aussi faire l’expérience avec un de ses propres cheveus.

663. Si la personne que vous aimez a les mains froides, lorsque vous les lui prenez, elle vous aime ardemment freût-è min, tchôt-è-z amoûr « mains froides, chaudes amours ».

664. La jeune fille qui veut que son amoureus lui reste fidèle, doit lui donner une pâtisserie quelconque qu’elle a gardée sous l’aisselle assez longtemps pour l’imprégner de sa sueur. (À Huy, le pain d’épice ou le macaron est parfois remplacé par un cigare.) À Nivelles, le même moyen est employé par le jeune homme qui veut que sa femme lui soit toujours fidèle.

669. Une jeune fille ne doit jamais accepter un mouchoir de poche de son amoureus.

670. Les amoureus ne doivent pas se donner des épingles ni des aiguilles, qui piquent l’amitié, non plus que des couteaus et des canifs, qui la coupent, sans exiger en retour une pièce de monnaie ou un objet piquant ou coupant.

677. Deus amoureus ne doivent jamais monter ensemble la montagne de Chèvremont (lieu de pèlerinage près de Liége).

Mariage.

683. Les meilleurs jours pour la célébration d’un mariage sont le mardi, le jeudi et le samedi. Le lundi est toujours mauvais. Certains mois sont considérés comme néfastes : mai à Liége, avril à Herve.

684. À Laroche, s’il pleut le jour des noces, on dit malignement des épous : i-l on mougné l’ djot’ o po « ils ont mangé le chou au pot ».

685. Quand deus frères épousent deus sœurs le même jour, l’une des deus unions doit être brisée pour que l’autre prospère (Verviers).

686. On va faire un charivari (pêltèdj) aus personnes âgées dont le mariage est désapprouvé, notamment pour disproportion d’âge.

690. Des chevaus blancs attelés à la voiture de la mariée présagent une heureuse union.

692. À Aubin-Neufchâteau, les pauvres gens allument sur le passage du cortège des bottes de paille, garnies de petits drapeaus en papier. Les fiancés et les autres personnes du cortège leur jètent de l’argent.

693. L’usage se pratique encore quelquefois dans les villages situés au nord de Liége, mais seulement pour les mariages de gens riches. Ce sont surtout les cabaretiers qui, dans un but de réclame, « allument la gerbe » (broûlè l’ djâb). Les gens de la noce font cercle autour de la paille qui flambe et lorsqu’elle est brûlée, la mariée prent un peu de cendre et l’enferme dans son porte monnaie.

695. On tire des pronostics de la couleur du costume de la mariée ; ainsi à Stavelot : blanche = la mariée est pure ; jaune = coquette ; rose = colérique ; bleue = présage d’union heureuse.

699. À Stavelot, on place sous le seuil de la maison de la mariée, quand celle-ci sort pour la cérémonie, une pièce d’argent qu’on donne le lundi suivant à un mendiant.

701. À Stavelot, c’est un présage de malheur, si la mariée pleure pendant la cérémonie.

704. Pour avoir la main haute dans son ménage, la mariée pendant le banquet de noces doit se laisser servir comme une étrangère (Stavelot).

705. Pour se faire aimer de son mari, elle doit manger la moitié d’un morceau de tarte dont elle lui offre l’autre (Stavelot).

706. Le garçon d’honneur s’empare par ruse ou par force de la jarretière de la mariée et la coupe en morceaus, qu’il distribue à tous les jeunes gens de la noce. Ceus-ci s’attachent ces morceaus à la boutonnière.

709. À Stavelot, lorsque la jeune mariée entre pour la première fois dans la maison conjugale, elle ne doit pas se retourner vers la porte ni se regarder dans un miroir.

710. Le lit nuptial est apprêté par le mari ou sa mère.

712. Celui qui entre le premier au lit mourra le premier.

716. On envoie un petit pain couvert de moutarde ou entouré d’un crêpe noir au jeune homme dédaigné par une jeune fille, lorsque celle-ci se marie (Herve).

717. On dit du jeune homme dédaigné : on li a ravoyî sè mitch « on lui a renvoyé ses petits pains » (Liége) ; vo-z îré kî vo mitch « vous irez rechercher vos miches » (Laroche).

718. On dit d’une jeune fille qui se marie avant sa sœur aînée : èl fé dansé s’syeûr su l’ku du foûr (Nivelles), « Elle fait danser sa sœur sur le cul du four » ; i-l va fé dansé s’soûr so l’kou do for « elle va faire, etc. » (Laroche).

La femme et l’enfant.

722. Si deus épous ayant une fille désirent un fils, on leur conseille de changer de place dans le lit.

723. Si une femme enceinte veut que son enfant ait une petite tête, elle ne doit pas manger de pommes de terre, surtout au repas du soir.

724. Si un enfant a dans sa chevelure une mèche de couleur différente, on l’attribue à la frayeur que la mère a eue d’un animal quelconque pendant sa grossesse.

726. On croit que le dessin de l’objet désiré par une femme enceinte se reproduit à un endroit du corps de l’enfant correspondant à celui où la mère se touche au moment du désir. Comme préservatif, la mère doit porter la main à une place de son corps, où le dessin ne serait pas visible.

727. Une femme enceinte ne doit pas baiser un enfant sur la bouche, parce que son haleine empoisonne (Stavelot).

734. On offre à l’accouchée des anis et du sucre.

735. La femme en couches ne doit ni se peigner, ni changer de vêtements.

Relevailles.

742. Quand l’accouchée va faire ses relevailles (ramèssî, alé s’fé ramèssî), si la première personne qu’elle rencontre est une femme, elle accouchera la fois suivante d’une fille. Si c’est un homme, elle accouchera d’un garçon (Laroche).

741. À la cérémonie des relevailles, la mère, entrant dans l’église, ne peut prendre elle-même de l’eau bénite ; elle doit la recevoir de la main de la sage-femme.

Naissance.

745. On explique la naissance des enfants aus petits enfants en leur disant que la sage-femme les déterre avec une houe dans le jardin (Louveigné), qu’on les trouve sous les chous (on précise à Stavelot : les chous du curé).

746. On allume un cierge bénit au moment de la naissance.

747. On jète l’eau du premier bain de l’enfant dans le feu pour éviter les maléfices.

748. Le mari doit recevoir le premier l’enfant dans ses bras. S’il ne donne pas immédiatement un pourboire à la sage-femme, on dit que l’enfant ne lui appartient pas (Stavelot).

750. Il y a une trentaine d’années, à la naissance d’un enfant, les bourgeois de Liége plantaient un arbre dans leur jardin.

751. On dit de l’enfant nouveau-né qui tient les poings fermés, qu’il sera un avare.

752. L’enfant né coiffé (né avou l’hamlèt’) doit être baptisé entre deus messes. C’est un « enfant de bonheur » et il est doué de pouvoirs surnaturels ; il peut « signer », retrouver les noyés, jeter la baguette (djèté l’ vètch). etc. (Cp. 617.)

753. La coiffe (hamlèt’ Liége, houvurèt’ Cornesse, « toilette » pays de Charleroi, « voile de la Vierge » Hainaut et Luxembourg), lorsqu’elle tombe desséchée, est collée sur une feuille de papier. C’est un talisman, que l’on ne manque pas de coudre à son insu dans la doublure du vêtement du jeune homme qui va prendre part au tirage au sort de la milice, afin de lui assurer un « haut numéro ».

Baptême.

757. Quand un enfant pleure pendant qu’on le baptise, on croit qu’il sera d’un mauvais caractère (Liége), un grand chanteur (Stavelot).

758. L’enfant qui remue la langue, quand on y met le sel, sera intelligent et entrera dans le clergé. Si c’est une fille, elle sera religieuse (Stavelot).

760. Être parrain se dit lèvé i-n èfan « lever un enfant ».

763. On ajoute souvent à la liste de prénoms d’un enfant le nom que portait un de ses frères ou sœurs morts ; mais on ne le lui donne jamais comme nom principal.

764. On ne fait pas connaître le prénom de l’enfant avant le baptême.

766. En se rendant à l’église pour le baptême, la personne qui porte l’enfant précède le parrain et la marraine. Au retour, elle doit les suivre.

770. En revenant du baptême, les parrain et marraine jètent des sans’, — pièces de 2 centimes, — et en donnent aus invités. Ces sous sont souvent perforés et munis d’un ruban. À Verviers et environs, les gamins crient à ceus qui ne donnent rien : trawé sètchê « sachet troué ».

772. Une femme enceinte ne peut être marraine.

774. On croit que le caractère du filleul ressemble à celui de son parrain.

775. C’est de mauvais augure pour le parrain ou la marraine si leur filleul meurt (Ensival).

Les petits enfants.

784. Si l’on rogne les ongles avec des ciseaus à un nouveau-né, il bègaiera (Laroche), s’affaiblira (Liége) ; il faut les lui mordre (Laroche) ou les lui enlever avec les doigts (Liége).

800. Pour dessécher son lait, la mère peut employer trois moyens : diriger un jet de lait sur une brique, porter un collier de bouchon, se mettre du cerfeuille contusé sous les bras (Liége).

803. Il ne faut passer ni la main ni la jambe au-dessus de la tête des enfants ; il ne faut ni les mesurer, ni les faire passer par dessous la table : tout cela les empêche de grandir.

804. Il ne faut ni les peser, ni faire leur portrait.

Jeunesse.

806. À Vottem, lorsqu’un jeune garçon allait entrer en apprentissage, il montait au plus haut d’un sureau et là, mordant à belles dents dans un petit gâteau, il criait de toutes ses forces : adyè, bon tin ! adyè, bon tin ! « adieu, bon temps ! ». Cet usage a disparu depuis une trentaine d’années, mais on dit encore aus gamins intraitables : vochal li lin ki v’ montré so l’sawou « voici (= bientôt sera) le temps que (= où) vous monterez sur le sureau ».

Mort.

810. On tient dans les mains de l’agonissant un cierge bénit allumé.

811. Quand il y a un décès dans une maison, il faut faire porter le deuil par les animaus ayant appartenu au mort : crêpe au cou du chat (Hainaut) ; houppes noires aus chevaus (Liége) : crêpe à la cage du serin ou du pinson ; sinon, l’oiseau périrait dans l’année ou deviendrait muet ; crêpe à la ruche ; sinon, elle serait abandonnée des abeilles (environs de Verviers).

813. On arrête les horloges et on recouvre d’un voile les glaces et, par analogie, tout ce qui est vitré, par exemple les gravures, portraits encadrés, etc.

814. À Stavelot, il faut, lors d’un décès dans la maison, jeter toute l’eau que contiennent les vases, casseroles, etc., et avoir soin de ne pas s’en servir pour le café ; car, dit-on, l’âme a traversé tous les vases pour se purifier, avant de quitter la maison.

816 Lorsqu’on va voir un mort, on doit lui toucher les pieds, si l’on veut ne pas en rêver (Liége).

817. On ensevelit le mort avec ses meilleurs vêtements.

818. Quand on ne peut fermer les yeus du mort, on dit qu’il appèle un de ses parents, ou qu’il avait encore quelque chose à dire.

Les funérailles.

819-820. Le mort doit être porté hors de la maison les pieds en avant : ènn’ alé lè pî dvan « s’en aller les pieds en avant » = mourir. Toutefois, si plusieurs personnes meurent à peu d’intervalle dans la même famille, ce que l’on ne manque pas d’attribuer à un sortilège, on fait sortir la tête en avant la dernière personne morte, afin d’épargner celles qui restent.

821. On croit que les chevaus qui conduisent un mort transpirent toujours.

822. Les parents font cadeau d’une paire de gants en fil blanc ou d’un mouchoir aus porteurs.

824. À Bas-Oha, la veuve du mort garde un mouchoir sur la tête jusqu’au moment où le mort quitte la maison.

826. À Flémalle, on laisse la maison illuminée deus ou trois jours après l’enterrement.

827. Les hommes qui assistaient aus funérailles étaient jadis affublés de grands manteaus noirs. L’usage subsiste encore dans les environs de Stavelot pour tous et à Huy pour les porteurs.

828. Proverbe : s’è-st on sètch doû, î gn’ ârè ko on frèch aprè « c’est un sec deuil, il y en aura encore un humide après » = quand on enterre une personne qui n’est pas aimée, on fera peu après l’enterrement d’une personne plus regrettée (Laroche).

829. Le cadavre est enterré au cimetière les pieds vers l’allée qui dessert la tombe.

831. On brûle une partie de la literie, paillasse, flocons, etc.

833. En Ardenne, au repas des funérailles, on mange des gâteaus (wastê).

834. Quand un enterrement a lieu le dimanche, il y aura un autre décès dans la même localité pendant la semaine (Louveigné, Laroche), dans les sis semaines (prov. de Namur).

835. Si l’on enterre un mort un vendredi, il meurt une autre personne de la famille dans l’année (Court-St-Etienne).

837. Le deuil pour un père ou une mère est d’un an et sis semaines.




VII. — Contes et Fables.

840. Dans beaucoup de localités s’est conservé l’usage d’aller l’hiver à la veillée, a l’sîz (Liége), a l’chîch (Namur et Luxembourg), a skrèn (Nivelles), et de s’y raconter des fables et des contes, fâf (Liège), fôf (Namur), flôw (Luxembourg), dans le genre de ceus qui suiveni[29].

842.

La licorne.

Twèn Ichtó astou in courdani d’ Ronkyèr ; i dalou a l’ chas’ avé lé Rwè.

« [An]toine Ichetau était uncordonnier de Ronquières ; il allait à la chasse avec le Roi.

In djoû, lé Rwè, 'i stou djalou dè l’ vîr mèyeu tireu k’li, l’invit’ a l’trak din-n in bo, yu s’ k’ i-l avou ’n’ likorn.

Un jour, le Roi, qui était jalous de le voir meilleur tireur que lui, l’invite à la traque dans un bois où ce qu’il y avait une licorne.

O mè Twèn yu s’ ké l’likorn avou l’abitût’ dè passé, pinsan bî k’i-l arou sté infilé par yèl. Mê Twèn, in l’ vîyan arivé, s’a mi pa dyèr èn tchap dè só ki stou fôs’.

On met Toine où ce que la licorne avait l’habitude de passer, pensant bien qu’il aurait été enfilé par elle. Mais Toine, en la voyant arriver, s’a mis par derrière une souche de saule qui était fausse.

Èl likorn a infilé l’ tchap, si bî ké l’ koun a passé du kosté yu s’ ké Twèn astou. Twèn, ki avou s’ martya d’ kourdanî a s’ poch, l’a radmin atrapé è a kouminchî a rivé l’ koun.

La licorne a enfilé la souche, si bien que la corne a passé du côté ou ce que Toine était. Toine, qui avait son mare teau de cordonnier à sa poche, l’a rapidement attrapé et a commencé à river la corne.

I-l a kriyí ô Rwè dè vni vîr, èyé lè Rwè a sté télmin binêch dè vîr ké Twèn avou tan d’èspri, ki lî-z-a doné s’fîy en maryâtch.

Il a crié au Roi de venir voir, et le Roi a été tellement bien-aise de voir que Toine avait tant d’esprit, qu’il lui a donné sa fille en mariage. »

843.

Marie-Madeleine.

Il [y] avait un coup Marie-Madeleine qui s’en allait tout droit le chemin devant elle, parce que le pays brûlait par derrière elle.

Dedans son chemin, elle rencontre un coq.

— Et où est-ce que vous allez donc, Marie-Madeleine ? dit-il le coq.

— Oh ! mon fils, dit-elle, je vais le chemin tout droit devant moi, parce que le pays brûle par derrière moi.

— Kokorikoke ! je me vais avec, dil-il le coq.

Arrivés un peu plus loin, ils rencontrent un chat.

— Et où est-ce que vous allez donc, Marie-Madeleine, avec votre coq ? dit-il le chat.

— Nous allons le chemin tout droit devant nous, parce que le pays brûle par derrière nous.

— Myâw ! myâw ! je me vais avec, dit-il le chat.

Arrivés un peu plus loin, ils rencontrent un cochon.

— Et où est-ce que vous allez donc Marie-Madeleine, avec votre coq et votre chat ? dit-il le cochon.

— Nous allons, etc.

— Nyeuh ! nyeuh ! je me vais avec, dit-il le cochon.

Arrivés un peu plus loin, ils rencontrent un chien.

— Et où est-ce, etc.

— Waw ! Waw ! je me vais avec, dit-il le chien.

Arrivés un peu plus loin, ils rencontrent un bœuf.

— Et où est-ce, etc.

— Mânw ! mânw ! je me vais avec, dit-il le bœuf.

Ça fait, comme ils partaient tous ensemble, ils ont attrapé la nuit ; ils ont commencé à dire à Marie-Madeleine :

— Comment est-ce que nous allons faire pour nous coucher ?

— Je suis aussi embarrassée que vous autres, dit-elle Marie-Madeleine ; mais cela ne fait rien, le bon Dieu pourvoira.

Tout d’un coup, elle commence à dire : Ha ! ha ! dit-elle : [voi]là là-bas une maison ; nous voyons la lumière d’ici.

Tant qu’a la fin, les voilà arrivés près de la maison, qui était au coin d’un bois.

Marie-Madeleine est [partie] en voie pour aller frapper. La porte était tout au large [ouverte]. Ça fait qu’ils sont entrés dans la maison ; mais c’était une maison de voleurs. Marie-Madeleine a eu beau crier, il n’[y] a jamais personne qui a répondu.

Ça fait qu’elle a dit à toutes ses bêtes :

— Quand personne ne répont, c’est nous qui est maître ici. À cette heure, dit-elle, vous allez jouer chaque votre rôle que je vais vous commander : vous, coq, vous irez vous mettre au sommet de la cheminée et quand les voleurs viendront, vous chanterez un bon coup et vous leur chierez un bon brin dans les yeus. Vous, chat, vous vous mettrez là dans les cendres de bois et quand ils viendront pour prendre du feu, vous aurez soin de miauler à grands coups en battant des pattes et vous leur jetterez des poussières des cendres dans les yeus. Vous, cochon, vous irez vous mettre au sommet des escaliers du grenier qui est là ; il [y] a là deus sacs tout pleins et à ce qu’ils monteront les escaliers, vous grognerez et vous leur ferez tomber les sacs sur leur dos. Vous, chien, vous irez vous mettre dans la cour, et quand ils arriveront pour se sauver, dans la cour, vous aurez soin d’aboyer à grands coups et de les prendre par les jambes. Vous, bœuf, vous irez vous mettre dans la grange, et quand ils arriveront pour se sauver dans la grange, vous aurez soin de rebeugler comme il faut et de les prendre par vos cornes et de les clacher d’un mur à l’autre.

À cette heure, dit-elle, quand ils ont eu été tous placés, je me vais éteindre la lampe et vous aurez soin de demeurer tous tranquilles. Je me vais fermer la porte ; je garantis qu’ils ne tarderont plus sans revenir.

Elle n’avait pas encore dit son dernier mot, que voilà les voleurs qui entrent. Ça fait que les deus voleurs, en étant dans la maison  :

Sacré mantin, Louis ! dit-il Pierre, on a venu dans la maison ; on a éteint la lampe. Les ceus qui sont dedans vont passer un laid quart d’heure.

— Allez chercher une allumette de bois à la cheminée, dit-il Pierre à Louis : je suis sûr qu’il [y] a encore du feu dans les cendres.

Louis va pour aller chercher une allumette. À ce qu’il va pour prendre l’allumette, le coq qui chante kokorikoke et fait ce que Marie-Madeleine lui-z-avait commandé.

Sacré mantin ! dit-il Louis, j’ai quelque chose dans les yeus. Tenez, [voi]là l’allumette, dit-il à Pierre.

Pierre va pour aller gratter aus cendres : [voi]là le chat qui commence à miauler et [à] frapper des pattes.

Sacré mantin ! dit-il Pierre, je suis arrivé comme vous : j’en ai tout plein les yeus aussi. Nous sommes ensorcelés, dit-il. Nous n’avons plus qu’une affaire à faire : c’est de nous sauver au grenier.

Arrivés sur les escaliers, le cochon commence à grogner et les sacs leur tombent en même temps sur le dos.

Ils boutent pour se sauver dans la cour ; ils n’ont pas été mieus reçus par là : le chien a commencé à aboyer et à les prendre par les jambes.

Arrivés dans la grange, le bœuf commence par rebeugler, les attrape avec ses cornes et les clache d’un mur à l’autre…

Quand j’ai eu vu cela, j’ai fait faire des souliers de papier et je suis revenu sur la queue du chien.

(Traduction littérale faite par M. Georges Willame, d’un conte qui lui a été dit par M. Joseph Rimé, de Nivelles, âgé de 56 ans, qui le tient de sa grand’mère.)

844.

La pierre qui flotte.

J’étais à Liège, sur le pont des Arches[30] et je vis flotter sur le fleuve une meule de moulin, sur laquelle il y avait quatre hommes. Le premier avait perdu les deus yeus ; le second, les deus bras ; le troizième, les deus jambes ; le quatrième, ses habits. Un oiseau passa au-dessus d’eus. L’aveugle le vit ; le cul-de-jatte courut après ; l’homme sans bras le saisit et l’homme nu le mit dans sa poche.

(Traduction d’une « suite de mensonges » recueillie par l’auteur à La Reid, près de Spa.)

845.

Les trois paresseus.

Trois grands paresseus étaient couchés sous un prunier. Les prunes étaient si appétissantes que le premier ne put s’empêcher de soupirer :

— Kèl-è bèl·è bilok !

« — Quelles belles bilok[31] ! »

Une heure après, le second les implora :

— Tom, bilok, è m’ bok.

« — Tombe, bilok, dans ma bouche ! »

Le soir venu, le troizième dit d’une vois mourante :

— Dji n’ sé kmin k’on pou tant djâzé.

« — Je ne comprens pas comment on peut tant parler. »

(Recueilli par M. O. Colson à Herstal.)
Potais et Frasais.

846. Potais et Frasais étaient deus frères. Ils allaient aus fraises.

Lorsqu’ils furent dans le bois, Frasais en ramassa plus que Potais. Quand son pot fut plein, il lui dit :

— Je m’en vais ; voulez-vous revenir, Potais ?

— Non, je ne retourne pas, si je n’en ai plein mon pot.

— Eh bien ! je vais dire au loup qu’il vienne vous étrangler : Loup ! venez un peu étrangler Potais ; Potais est allé aus fraises et il ne veut pas revenir, s’il n’en a plein son pot.

— Oh ! c’est bien mon trop grand camarade !

— Eh bien ! je vais dire au chien qu’il vienne vous aboyer : Chien, venez un peu aboyer le loup. Le loup ne veut pas étrangler Potais. Potais est allé aus fraises et il ne veut pas revenir, s’il n’en a plein son pot.

— Oh ! c’est bien mon trop grand camarade !

— Eh bien ! je vais dire au bâton qu’il vienne vous bâtonner : Bâton ! venez un peu bâtonner le chien ; le chien ne veut pas aboyer le loup ; le loup ne veut pas étrangler Potais ; Potais est allé aus fraises et ne veut pas revenir, s’il n’en a plein son pot.

— Oh ! c’est bien mon trop grand camarade !

— Eh bien ! je vais dire au feu qu’il vienne vous brûler : Feu ! venez un peu brûler le bâton. Le bâton ne veut pas bâtonner le chien ; le chien ne veut pas… etc.

— Oh ! c’est bien mon trop grand camarade !

— Eh bien ! je vais dire à l’eau qu’elle vienne vous éteindre : Eau ! venez un peu éteindre le feu ; le feu ne veut pas brûler le bâton ; le bâton ne veut pas… etc.

— Oh ! c’est bien mon trop grand camarade !

— Eh bien ! je vais dire au bœuf, qu’il vienne vous boire : Bœuf ! venez un peu boire l’eau ; l’eau ne veut pas éteindre le feu ; le feu ne veut pas… etc.

— Oh ! c’est bien mon trop grand camarade !

— Eh bien ! je vais dire au boucher qu’il vienne vous tuer : Bouclier ! venez un peu tuer le bœuf ; le bœuf ne veut pas boire l’eau : l’eau ne veut pas éteindre le feu ; le feu ne veut pas brûler le bâton ; le bâton ne veut pas bâtonner le chien ; le chien ne veut pas aboyer le loup ; le loup ne veut pas étrangler Potais ; Potais est allé aus fraises et il ne veut pas revenir, s’il n’en a plein son pot.

— Attendez ! je vais aiguiser mon couteau.

Pendant qu’il était en allé aiguiser son couteau, le bœuf en était allé boire l’eau ; l’eau avait éteint le feu ; le feu avait brûlé le bâton ; le bâton avait bâtonné le chien ; le chien avait aboyé le loup et le loup était en allé pour étrangler Potais.

Mais Potais avait ramassé des fraises plein son pot et était revenu avant Frasais.

(Traduction littérale d’un conte dit à M. Ernest Mahaim par son grand père, feu M. Squelard, natif de Forges, près Chimay.)

La belle et la laide.

848.

I gn’avè on kó o-n fèm k’ avè deu koumèr, o-n bèl è o-n lêt’. Sa fé ku l’ bèl avè on bonami è l’ lêt ènn’avè pon.

« Il y avait un coup une femme qui avait deus commères, une belle et une laide. Ça fait que la belle avait un bon-ami et la laide n’en avait point.

È lu mèr s’è fâchéy ku l’ lêt’ n'avè pon d’ bonami è èl s’ a mètu on djoû o li, è èl di kom sa a s’ bèl koumèr, k’èl lî-y alîch kèr du l’êw dol fontin-n o twa liyon po l’ ruguèri.

Et la mère s’est fâchée que la laide n’avait point de bon-ami et elle s’a ms un jour au lit, et elle [a] dit comme ça à sa belle commère, qu’elle lui aille quérir de l’eau de la fontaine aus trois lions pour la reguérir.

Sa fê ku vla l’ bèl pôrtîy. A s’ tchumin fézan, èl raskontur o-n vîy fèy ki lî dmant’ :

Ça fait que voilè la belle partie. À son chemin faisant, elle rencontre une vieille fée qui lui demande :

— Dou vas’ ?

— Où vas-tu ?

— Dju m’ va kèr du l’êw dol fontin-n o twa liyon, po rguèri m’ mèr k’ è malôt’.

— Je me vais quérir de l’eau de la fontaine aus trois lions, pour reguérir ma mère qui est malade.

— I fé bin malôjîy d’avèr du l’êw dol fontin-n o twa liyon. Lè liyon t’ von mougnè. Vin on pó m’ grètè din m’ do ; d’j’ê tan dè peu ki m’ mougnan.

— Il fait bien malaisé d’avoir de l’eau de la fontaine aus trois lions. Les lions te vont manger. Viens un peu me gratter dans mon dos ; j’ai tant des pous qui me mangent.

Èl a sti grètè din s’ do ; èl lî-y-a di :

Elle a été gratter dans son dos ; elle lui a dit :

— S’è dè rôz è dè vyolèt’.

— Ce sont des roses et des violettes.

È l’ vîy féy lî-y-a di :

Et la vieille fée lui a dit :

— Kan tu vérè prè dol fontin-n o twa liyon, tu bouchrè twa kó avou o-n bagèt’. Lè liyon tumran mwâr, onk d’on kostè, onk du l’ôt, è pu t’ poujrè d’ l’èw ; è tu rvêrè.

— Quand tu viendras près de la fontaine aus trois lions, tu frapperas trois coups avec une baguette. Les lions tomberont morts, un d’un côté, un de l’autre, et puis tu puiseras de l’eau et tu reviendras.

È vla k’èl a bouchè twa kó a l’uch, lè liyon on tumè mwâr, onk d’on kostè, onk du l’ôt ; èl a poujè d’ l’êw ; èl a rvènu.

Et voilà qu’elle a frappé trois coups à l’huis ; les lions ont tombé morts, un d’un côté, un de l’autre ; elle a puisé de l’eau ; elle a revenu.

A l’ min-m plas’ dou k’èl avè trovu l’ vîy féy, èl l’a ko trovu ; sa fé k’èl lî-y a di :

À la même place où qu’elle avait trouvé la vieille fée, elle l’a encore trouvée ; ça fait qu’elle lui a dit :

— As’ du l’êw, mi-y èfan ? dis-st èl.

— As-tu de l’eau, mon enfant ? dit-elle.

Èl a rèspondu k’ây.

Elle a répondu qu’oui.

— Tin, voila o-n pow è o-n plum. Prin ôt’ a twè du n’ nin lèyî tumè t’ pom è du n’ nin lèyî volè t’ plum. Dju rati-n è dj’ dusti-n ku, pa l’ fwè du m’ baguèt’, tu soy ko san kó pu bèl k’oparavan, è to lè kó ku t’ kózrè, k’i t’ sôrt’ on bê dyaman foû dol boutch.

— Tiens, voilà une pomme et une plume. Prens garde à toi de ne pas laisser tomber ta pomme et de ne pas laisser voler ta plume. Je ratine et je destine[32] que, par la foi de ma baguette, tu sois encore cent coups plus belle qu’auparavant et tous les coups que tu causeras, qu’il te sorte un beau diamant hors de la bouche.

È pu, kan èl a arivè adlé l’uch, èl a lèyi tumè s’ pow, èl a lèyî volè s’ plum, a pu èl a spôrdu s’-t-êw. L’êw, s’èstè o-n ètan; è l’plum, s’èstè on parokè so l’ôp. Èl a rintrè adlé s’ mér. Èl lî-y-a dmandè :

Et puis, quand elle a arrivé près de l’huis, elle a laissé tomber sa pomme, elle a laissé voler sa plume, et puis elle a répandu son eau. L’eau, c’était [est devenue] un étang ; et la plume, c’était un perroquet sur l’arbre[33]. Elle a rentré près de sa mère. Elle lui a demandé :

— As’ du l’êw, mu bèl Róz ?

— As-tu de l’eau, ma belle Rose ?

È lèy, to dswit’, èl a tapè on dyaman foû du s’ boutch, an kózan.

Et elle, tout de suite, elle a jeté un diamant hors de sa bouche, en causant.

— K’è-s ku t’a vèyu a t’ tchumin fêzan, ku t’è ko san kó pu bèl ku t’ n’èstè óparavan ?

— Qu’est-ce que tu as vu à ton chemin faisant, que tu es encore cent coups plus belle que tu n’étais auparavant !

— Dj’ê raskontré o-n vîy féy ki m’a di ku dj’ srè ko san kó pu bèl k’óparavan.

— J’ai rencontré une vieille fée qui m’a dit que je serais encore cent coups plus belle qu’auparavant.

Èl a oukè l’ lêt’.

Elle a appelé la laide.

— Pusku d’ seûr è duvnuw si bèl, t’îrè ossi.

— Puisque ta sœur est devenue si belle, tu iras aussi.

Èl li-y a rinpli o-n sèrvyèt’ du viyant’ po tapè o liyon, du peu k’lè liyon nu l’ mougninch.

Elle lui a rempli une serviette de viande pour jeter aus lions, de peur que les lions ne la mangent.

A s’ tchumin fézan, èl a raskontrè o-n vîy féy ki lî-y-a dmandè :

À son chemin faisant, elle a rencontré une vieille fée qui lui a demandé :

— Dou vas’ mu fay ?

— Où vas-tu, ma fille ?

— Dju m’ va kèr du l’êw dol fontin-n o twa liyon po rguèri m’ mèr k’è bin malôt’.

— Je me vais quérir de l’eau de la fontaine aux trois lions pour reguérir ma mère qui est bien malade.

— Vin on pó grètè din m’ do ; d’jê tan dè róz è dè vyolèt ki m’ mougnan.

— Viens un peu gratter dans mon dos ; j’ai tant des roses et des violettes qui me mangent.

— Tês-tu, vîy sorsîr, t’a dè gro peu.

— Tais-toi, vieille sorcière, tu as des gros pous.

È pu, èl a sti a l’ fontin-n dè twa liyon, èl a tapè s’ sèrvyèt’. Tin k’lè liyon on mougnè l’viyant’, èl a poujè d’ l’êw, èl a rvènu, è, a s’ tchuin fêzan, èl a ko raskontrè l’ vîy féy ki li-y-a di :

Et puis, elle a été à la fontaine des trois lions ; elle a jeté sa serviette. Du temps que les lions ont mangé la viande, elle a puisé de l’eau, elle a revenu, et, à son chemin faisant, elle a encore rencontré la vieille fée qui lui a dit :

— È-s’ ku t’a d’ l’éw, mi-y èfan ?

— Est-ce que tu as de l’eau, mon enfant ?

— Sa n’ tu fou d’rin, vîy sorsír.

— Ça ne te fout de rien, vieille sorcière.

— Dju rati-n è dj’ dusti-n ku t’ soy ko san kó pu lêt’ k’óparavan è to lè kó ku t’ kózrè, k’i t’ sôrt’ on gro krapó foû dol boutch.

— Je ratine et je destine que tu sois encore cent coups plus laide qu’auparavant, et tous les coups que tu causeras, qu’il te sorte un gros crapaud hors de la bouche.

Èl è rvôy adlé s’ mèr avou l’êw. Èl dumant’ :

Elle est retournée en voie près de sa mère avec l’eau. Elle demande :

— K’è-s’ ku t’a vèyu a t’ tchumin fézan ?

— Qu’est-ce que tu as vu à ton chemin faisant ?

— Dj’ê raskotrè o-n vîy sorsîr ki m’a di k’dju srè ko san kó pu lêt’ ku dvan è k’to lè kó ku dj’kózrè, k’i m’ sôrtirè on gro krapó foû dol boutch.

— J’ai rencontré une vieille sorcière qui m’a dit que je serais encore cent coups plus laide que devant et que tous les coups que je causerais, qu’il me sortirait un grous crapaud hors de la bouche.

[En disant ces paroles, elle vomit un crapaud.]

Lu mér èstè si mwêch, k’on bê djou… su bèl Róz èstè akoûtchéy, lu mér l’a fê oukè foû du s’ li è po n’ nin dèzèbèyi s’ mér, èl i-y a sti. Èl li-y a tchókè o-n kouro-n du spi-n so l’tyès’.

La mère était si mauvaise (fâchée), qu’un beau jour… sa belle Rose était accouchée, la mère l’a fait appeler hors de son lit et pour ne pas désobéir [à] sa mère, elle y a été. Elle lui a fourré une couronne d’épines sur la tête.

[Cela la transforme en biche errante dans le bois.]

A mê ! la st’om ki rvin a l’ nut’. S’èstè l’ valè d’on prins’ è i-l alè a l’ tchès. I va adlé s’ bèl mér è i di k’i-l a vèyu o-n bich, mê k’i n’avè seu tirè tso.

Ah mais ! [voi]là son homme qui revient au soir[34]. C’était le fils d’un prince et il allait à la chasse. Il va près de sa belle-mère et il luit it qu’il a vu une biche, mais qu’il n’avait su tirer dessus.

Lu bèl mér li di k’i falè kèri dè trakeu po l’ print’.

La belle-mère lui dit qu’il fallait quérir des traqueurs pour la prendre.

[Il faut comprendre que la mère dit qu’elle doit manger de la biche pour se guérir et que la laide, après l’enchantement, s’est fait passer pour sa sœur aus yeus du fils du prince.]

I vin a l’nut’ on pôf ki vin dmandè a lodjè. Lu vîy mér nu vlè nin l’lodjè, mê lu fi do prins’ dûzè k’i falè lodjè s’ pôf maleureu-la, k’i-l îrè koutchè dzo lè-z èskalyé avou lè tchin.

Il vient à la nuit un pauvre qui vient demander à loger. La vieille mère ne voulait pas le loger, mais le fils du prince disait qu’il fallait loger ce pauvre malheureus-, qu’il irait coucher dessous les escaliers avec les chiens.

Mê, a doz eûr dol nut’, lu vî mandyan a atindu o-n vwè ki vnè a l’uch è ki vnè krîr :

Mais à douze heures de la nuit, le vieus mendiant a entendu une vois qui venait à l’huis et qui venait crier :

— Parokè, dou s’k’è l’ klè ?

— Perroquet, où ce qu’est la clé ?

— Volsi, dam, di-st i l’ parokè.

— La voici, dame, dit-il, le perroquet.

È pu èl intrè, èl su vnè mèt’ duzo l’ bèrs’ è èl vènè dnè l’ tèt’ a st’èfan. È kan èl è ralè, èl dûzè :

Et pus elle entrait, elle se venait mettre dessus la berce et elle venait denner la tette à son enfant. Et quand elle (s’) en rallait, elle disait :

— Vola l’ klè

— Voilà la clé.

— Wi, dam.

— Oui, dame.

Lu vi mandyan, i ouk lu prins’ duso l’kostè è li kont’ k’i-l avè vèyu, a doz eûr dol nut’, o-n bich ki dmandè o parokè :

Le vieus mendiant, il appelle le prince sur le côté et lui conte qu’il avait vu, à douze heures de la nuit, une biche qui demandait au perroquet :

— Dou s’k’è l’ klè ?

— Ou ce qu’est la clé ?

È l’ parokè li dzè :

Et le perroquet lui disait :

— Volsi, dam.

— La voici, dame.

È pu èl su vnè mèt’ duzo l’ bèrs’, èl dunè l’ tèt’ a st’èfan.

Et puis elle se venait mettre dessus la berce, elle donnait la tette à son enfant.

È i di :

Et il dit :

— Tu rvêrè ko dmwin dmandè a lodjè ; mu mér nu vôrè nin ; mê dju m’ fé fwâr du t’ lodjè avou mi dzo lè-z èskalyé.

— Tu reviendras encore demain demander à loger. ma mère ne voudra pas, mais je me fais fort de te loger avec moi dessous les escaliers.

Lu landmwin, la l’pôf vî-y om ki vin ko dmandè a lodjè è lu vîy mér nu vlè nin ko l’ lodjè. Èl dûzè k’ s’èstè on vî riboteu ki duspinsè to st’ ardjin è k’i-l alè mandyè. Mê l’ prins’ l’a fé lodjè.

Le lendemain, [voi]là le pauvre vieus homme qui vient encore demander à loger, et la vieille mère ne voulait pas encore le loger. Elle disait que c’était un vieus riboteur qui dépensait tout son argent, et qu’il allait mendier. Mais le prince l’a fait loger.

È pu, a l’ nut’, i-z on sti koutchè dzo lè-z èskalyé. È a doz eûr, lu bich a ko vnu a l’uch, è a ko vnu dmandè :

Et puis, au soir, ils ont été coucher dessous les escaliers. Et à douze heures, la biche a encore venu à l’huis, elle a encore venu demander :

— Parokè, dou-s’ k’è l’ klè ?

— Perroquet, ou ce qu’est la clé ?

È i-l a rèspondu :

Et il a répondu :

— Volsi, dam.

— La voici, dame !

È èl a ko sti dnè l’ têt’ a l’èfan, è l’ prins’ s’a lansé dusor liy ; i lî-y a araché l’ kouro-n du spi-n k’èl avè so l’ tyès’, è i-l a di k’ s’èstè s’ fêm. È i lî-y dmandè ki l-y avè fê sa, è èl a di k’ s’èstè s’ mér.

Et elle a encore été donner la tette à l’enfant et le prince s’a lancé de-sur elle, il lui a arraché la couronne d’épines qu’elle avait sur la tête et il a dit que c’était sa femme. Et il lui a demandé qui lui avait fait cela et elle a dit que c’était sa mère.

Sa fê ku l’ prins’ a fê vnu lè tchèrtî do viyâtch po ramassè do bwè è i-l a fê on gran feu ; i-l a brûlè l’ mér è l’ lêt’.

Ça fait que le prince a fait venir les charretiers du village pour ramasser du bois et il a fait un grand feu, il a brûlé la mère et la laide.

Sa fê ku l’ prins’ a dmorè bin trankil avou s’ fêm è avou l’ vî pôf.

Ça fait que le prince a demeuré bien tranquille avec sa femme et avec le vieus pauvre.

Vla l’ flôw foû,
Vo mougnré lu skôf è mi l’oû.
Voilà la fable hors,
Vous mangerez l’écale et moi l’œuf.

(Conté à M. Paul Marchot par Mme Titeux, agée de 65 ans, à Saint-Hubert.)

Les trois chèvres.

849.

Treu gat’ alî a mès’. Li prumîr si louméf Blankèt’ ; li deuzin-m, Neurèt’ è l’treuzin-m, Pèlèy.

Trois chèvres allaient à la messe. La première s’appelait Blanquette ; la seconde, Noirette et la troisième Pelée.

Èl rèskonktrè l’ leu.

Elles rencontrent le loup.

— Fâ k’dji t’ tow, Blankèt’, di-st i.

— (Il) faut que je te tue, Blanquette, dit-il.

—Tow li sis’ k’è podrî mi.

— Tue celle qui est derrière moi.

— Fâ k’dji t’ tow, Neurèt’, di-st i l’ leu.

— Il faut que je te tue, Noirette, dit-il le loup.

— Tow li sis’ k’è podrî mi.

— Tue celle qui est derrière moi.

S’èsteu-st â toûr da… kimin don ? Dj’ roûvî s’no.

C’était le tour de… comment donc ? J’ai oublié son nom.

— Pèlèy.

— Pelée (dit l’auditeur naïf).

Hèréé vos’ né è m’kou, djusk’a k’èl seûy raplouméy.

— Mettez votre nez…, jusqu’à ce qu’elle soit replumée.

(Conte-attrape recueilli à Louveigné ; dans une variante recueillie à Laroche par M. F., le conte se termine par se dialogue entre la dernière chèvre et le loup :)

— Fâ k’dji t’ tow, Pèlèy.

— Il faut que je te tue, Pelée.

— Bin, baj li kou dol ratrossèy è dol dyèrin-n maryèy.

— [Eh] bien, . . . . . . de la retroussée et de la dernière mariée.

È èl bizè tot’ lè treu è vôy.

Et elles s’enfuient toutes les trois en voie.

Misère et pauvreté.

850.

Misère et Pauvreté étaient un forgeron et son chien qui vivaient dans le plus complet dénûment. Un jour, le diable vint tenter le forgeron et fit si bien que, pour une grosse somme d’argent, il lui acheta son âme. Il devait venir s’en emparer dans dis ans.

Le forgeron se mit à vivre dans l’abondance avec l’argent ainsi gagné.

Un jour saint Pierre et le bon Dieu qui passaient par là, s’arrêtèrent chez lui pour faire ferrer leur âne. Misère se mit à l’œuvre et ferra l’âne avec un fer d’argent. Les deus voyageurs étaient enchantés et pour récompenser l’artisan, ils lui dirent de formuler trois souhaits. Quelque extravagants qu’ils soient, dirent-ils, ils ne laisseront pas de se réaliser. Misère se mit à réfléchir et demanda une bourse qui ne laisserait s’échapper ce qu’elle contiendrait, un fauteuil qui ne laisserait se lever son occupant, un cerisier dont, une fois monté dessus, on ne pourrait descendre qu’avec son autorisation. Durant tout ce temps, saint Pierre l’avait exhorté tout bas à demander le paradis, mais Misère ne voulut rien entendre. Les voyageurs partirent et les souhaits du bonhomme se réalisèrent. Un soir, les dis ans révolus, le diable vint pour s’emparer de l’âme de Misère. Vous êtes fatigué, lui dit celui-ci. Asseyez-vous dans ce fauteuil, pendant que je fais mes préparatifs. L’autre l’écouta. Misère alla faire rougir au feu une barre de fer. Il rentra et engagea le diable à partir. Celui-ci fit de vains efforts pour se lever. Misère lui administra une volée de coups avec sa barre de fer et ne le laissa aller qu’après avoir obtenu un répit de dis ans.

Ce laps de temps écoulé, toute une troupe de diables se présente chez lui pour emporter son âme. Comme on était en été et qu’il faisait très chaud, Misère les invite à monter sur son cerisier pour se désaltérer. S’en étant rendu maître de cette façon, il obtint un nouveau sursis de dis ans et les laissa partir.

Dis ans après, nouvelle invasion d’une troupe de diables chez le bonhomme Misère. Cette fois, il se met en route avec eus. Après avoir fait de compagnie un bout de chemin, Misère leur demanda s’ils n’étaient pas fatigués. Ils dirent que oui. — Entrez dans ma bourse, dit-il, je vous porterai pendant quelque temps. Les diables y entrèrent sans soupçon et Misère les tint de nouveau à sa merci. Il ne leur rendit la liberté que moyennant un nouveau sursis de dis ans.

Entretemps, le bonhomme mourut, ainsi que son chien. Tous deus arrivèrent à la porte du paradis. Saint Pierre vint leur ouvrir ; mais il ne les eut pas plutôt vus, que reconnaissant ce bonhomme qui l’avait froissé en refusant obstinément le paradis, il lui ferma la porte au nez.

Toujours avec son chien, Misère se présenta à la porte de l’enfer. Un diable vint leur ouvrir. C’était justement celui qui, assis dans le fauteuil, avait reçu une si dure volée de coups. Tout effrayé, il rentra précipitamment et ferma la porte au verrou.

Ainsi, nulle part, on n’avait voulu recevoir Misère et Pauvreté. Ils se sont décidés à rester sur terre, où ils errent sans trêve.

(Traduction résumée faite par M. Paul Marchot, aussitôt après le récit du conteur, M. Defrance, sabotier, âgé de 25 ans, à Lorcy, près St-Hubert, qui a appris ce conte à Nassogne dans une réunion de jeunes gens. La rédaction de ce texte ne paraît

pas vraiment populaire. Elle peut venir d’une image d’Épinal.)
Le renard et l’écureuil.

851.

In rnó avè prin in bya spirou ; i dalè l’kroké kan li spirou, sintan s’déré momin arivé, di :

Un renard avait pris un bel ecureuil ; il allait le croquer quand l’écureuil, sentant son dernier moment arrivé, dit :

— Dj’ê todi ètindu dîr ki dvan d’ mindji, ô fê l’ sign’ dèl kwè.

— J’ai toujours entendu dire que, devant de manger, on fait le signe de la crois.

Ossi rat’, li rnó tîr ès’ pat’ pou fé l’ sign’ dè l’ kwè è vwè li spirou ki fou l’ kan.

Auissi vite, le renard tire sa patte pour faire le signe de la crois et voit l’écureuil qui fiche le camp.

(Recueilli à Laroche, près Court St-Étienne, par M. Sinéchal.)

Le Diable et le paysan.

31.

Le diable aida un jour un paysan à défricher un terrain à la condition qu’il choisirait une partie de la récolte.

L’homme sema du blé. Le diable choisit ce qui viendrait au-dessous du sol et il n’eut que des chaumes.

L’année suivante, l’homme sema des carottes ; le diable, se croyant très fin, choisit ce qui viendrait au-dessus de la terre et il n’eut que des feuilles.

Furieus de ces deus mésaventures, il proposa alors au paysan de mesurer leurs forces.

— Faisons au plus gros fagot, dit-il.

L’homme monta sur un chêne et se mit à tordre une des plus hautes branches comme s’il allait se servir de l’arbre entier pour en faire le lien de son fagot.

Le diable, craignant d’être encore trompé, prit la fuite.

(Traduction résumée d’un conte recueilli à Louveigné.)



VIII. — Astronomie et météorologie populaires.


894. Soleil. — C’est signe de pluie, lorsque le soleil couchant darde ses derniers rayons vers de grands nuages (solo ki tîr a éw) (Herve).

896. Lune (lœn). — Son nom le plus ordinaire en wallon est li Bêté « la Beauté ». A l’Bêté = « pendant une nuit de lune » à Somme-Leuze.

897. On croit distinguer dans la lune la figure d’un homme que l’on appèle Bazin (prov. de Liège), Tchan dél lœn (pays de Stavelot), Ka-in (Laroche), Brûnó (prov. de Namur et grande partie du Luxembourg). Bazin, raconte-t-on, alla une nuit marauder les navets de son voisin. La lune s’étant mise à briller, il craignit d’être aperçu et prit « un fagot d’épines pour la boucher » i-n bouhèy di spèn po stopé l’ lœn. Dieu, pour le punir, le « tira » à l’instant dans la lune, où on le voit encore, tenant au-dessus de lui son fagot d’épines sur une fourche.

901. La lune passe pour poltronne parce qu’elle semble se cacher derrière les nuages : kouyon kom li lœn « poltron comme la lune » (Liège) ; li lœn n’a djamé lû so ô si kouyô « la lune n’a jamais lui sur un aussi poltron » (Herve).

902. Pendant le croissant de la lune, è krèhan dèl lœn, (Liège), « dans la lune dure » è l’ dœr lœn (prov. de Namur), il faut semer les petits pois et autres plantes qui doivent « grainer », et ne pas semer les salades et autres plantes qui doivent pommer.

903. On doit couper tout bois de construction et cueillir les fruits pendant le croissant de la lune (prov. de Namur).

904. Pendant le croissant de la lune, il ne faut pas se faire couper les cheveus, si l’on craint qu’ils repoussent trop vite. Des cheveus minces et faibles taillés à la même époque reviennent drus et forts.

906. La vache couverte pendant le décours de la lune (è l’ tinr lœn) donnera une génisse. Si la saillie a lieu pendant le croissant de la lune (è l’ dœr lœn), ce sera un taureau.

907. Si la nouvelle lune tombe un vendredi, elle n’a pas d’influence pernicieuse (St-Hubert).

908. On croit que la lune de mars (lune rousse) est fatale aus malades : s’ils dépassent cette période critique, ils guériront.

909. Vénus. — Elle est appelée généralement steûl dè byèrdjî « étoile du berger » ; steûl du la Vyèrj « étoile de la Vierge » à Herve.

911. Grande ourse. — On l’appèle généralement tchâr Pôçè « char Poucet » ; à Herve : tchâr du triyonf « char de triomphe », à Somme-Leuze : tchâr d’Abraham.

913. “ Des huit étoiles dont semble formée cette constellation, les quatre en carré représentent, selon les paysans, les quatre roues d’un char [lè kwat’ row], les trois qui sont en ligne sur la gauche sont les trois chevaux [lè treu tchvó] enfin, au-dessus de celle des trois qui est au milieu, il s’en trouve une petite [l’étoile alcor], qu’ils regardent comme le conducteur du char [li koché] et qu’ils nomment Pôçè. „ (Grandgagnage, Dict. de la langue wallonne. 1re partie, p. 153).

915. Crois du cygne (li kreu). — Celui qui voit la Crois du cygne n’est pas en état de péché mortel (Laroche).

917.

Orion. — Les trois étoiles du baudrier d’Orion (à Verviers : lè treu rwè « les trois rois ») forment avec l’étoile Rigel une figure qu’on appèle à Laroche le rateau (li ristê).

919. Étoiles. — On explique aus enfants qu’elles viennent de vieilles lunes mises en pièces.

922. Comète (steûl à kaw). — Une comète est signe de calamité : guerre ou épidémie.

924. Une étoile filante est une âme qui s’en va et on la délivre du purgatoire, si, avant qu’elle soit tombée, on a pu dire trois fois, à Laroche : Seigneur ! ou Jésus ! à Herve : Que les âmes du purgatoire reposent en pais ! ou Loué soit Jésus-Christ au très saint sacrement de l’autel ! à Theux : Amen !

925. Dans le sud-est de la province de Liège, on appèle hit’ di steûl « cacas d’étoile », ces petites masses de matières gélatineuses qu’on rencontre surtout dans les marais et qui, en réalité, ne sont que des peaus de grenouille et autres débris que l’estomac des petits carnivores rejète après digestion du contenu, et l’on dit en voyant une étoile filante : s’è-st i-n siteûl ki hit’.

926. Voie lactée. — Est appelée : li tchâssèy romin-n « la chaussée romaine » ou li vôy sin Djâk « le chemin (de) Saint-Jacques » .

928. Arc-en-ciel. — Est appelé : êr-Dyè « arc (de) Dieu » (prov. de Liège), pwèt’ dè paradi « porte du paradis » (id.) róy sin Dj’han « ligne (de) saint Jean » (prov. de Luxembourg), arc Saint-Michel (Tournaisis).

930. Si l’on montre l’arc-en-ciel avec le doigt, on aura un panaris.

931. C’est signe de pluie, quand l’arc-en-ciel paraît plonger dans une rivière : Kwan l’êr-Dyè a l’ kâw duzeu l’êw (Cornesse) « quand il a la queue au-dessus de l’eau » ; kwan l’êr-Dyè a lè pî è l’êw « quand il a les pieds dans l’eau ».

936.

Dicton météorologique : êr-Dyè : po fé treu djoû bê, treu djoû lê « arc-en-ciel : pour faire trois jours beau, trois jours laid » (Villers St-Siméon).

939. Giboulées (vê d’ mâs). — À Laroche, on dit des giboulées tardives d’avril : Si n’è nin dè vê d’ mâs, s’è dè bikè d’avri « ce ne sont pas des veaus de mars, ce sont des biquets d'avril ».

942. Neige. — Les enfants qui s’étendent dans la neige pour y laisser leur empreinte, disent à Saint-Hubert, qu’ils font saint François, en Condroz, qu’ils font dè bondyu « des bondieus ».

944. Vent. — À Laroche, quand le vent siffle, on dit aus enfants qui s’étonnent : S’è Dj’han d’â vin « c’est Jean du vent ».

944bis. Pour empêcher les enfants de sortir par le mauvais temps, on leur dit à Somme-Leuze : Viz a vo, via Dj’han di bîh ! Vla l’ mohon â rodj bètch ! « Gare à vous, voilà Jean de bise ! Voilà le moineau au bec rouge ! »

945. Le curé peut détourner le vent (Court-St-Étienne), en plaçant la pointe de son tricorne du côté où il veut qu’il souffle (Dochamps).

948. Nuages. — Nuages enflammés : S’è sin Nikolè ki kû « c’est saint Nicolas qui cuit » (Pepinster) = c’est saint Nicolas qui met le feu à son four pour cuire les pâtisseries qu’il apporte aus enfants le jour de sa fête (Liège).

949. On donne le nom d’arbre d’Abraham en Hesbaye et d’arbre Saint-Barnabé en Condroz à un éventail de nuées longues aus bords vagues. Dicton météorologique : Kwan l’âb Abraham (ou Sin-Barnabé) a lè pî è l’êw, i ploûrè « quand l’arbre Abraham a les pieds dans l’eau (c’est-à-dire quand il se trouve dans la direction d’un cours d’eau), il pleuvra ». (Cp. 931.)

953. Grêle. — Les petites filles, quand il grêle, étendent leur tablier pour recevoir les grelons, en chantant, à Verviers :

Dè gruzê, gran pér !
Dè gru-zé, gran mér !
« Des grelons, grand-père !
Des grelons, grand-mère ! »
à Dinant : Arivé ! lè pti pyou pyou ! Arivé ! lè pti poyon ! « Arrivez ! les petits pou-pous ! Arrivez ! les petits poussins. »

957. Pluie. — À Laroche, quand la pluie commence à tomber, les enfants se mettent à l’abri en disant :

I plou !
Lè poy son dzo l’ tèyoû,
Ki ponè dè bon gro-z où !
« Il pleut !
Les poules sont sous le tilleul,
Qui pondent de bons gros œufs ! »

958. Quand il fait du soleil pendant la pluie, on dit : li dyâl marèy si fèy « le diable marie sa fille » ; l’on ajoute à Liège : o bwè « au bois » et à Verviers : èn ô banstê « dans un panier ». On dit aussi à Verviers : lu dyâl bat’ su fam èn ô banstê « le diable bat sa femme dans un panier ». À Villers St-Siméon : s’è l’ dyâl ki bat’ si mér è ki marèy si fèy « c’est le diable qui bat sa mère et qui marie sa fille ».

960. À Étalle, on dit quand il pleut :

Sin Nikolâ,
Patron d’Habâ,
Trwâ djoû bâ,
Trwâ djoû lâ,
Trwâ djoû kom i-l a fâ !
« Saint Nicolas,
Patron de Habay,
Trois jours beaus,
Trois jours laids,
Trois jours comme il en fait ! »

962. Orage. — Une faut pas courir quand il tonne.

963. On allume une chandelle bénite à Saint-Donat (Hesbaye), à Sainte-Barbe (Namur).

964. Sitôt qu’il éclaire, on lit l’évangile de Saint-Jean et l’on est préservé si la foudre éclate, après que l’on a lu les mots : « et le Verbe s’est fait chair » Jean 1, 14 (Liège).

965. On répant du sel aus quatre coins de la chambre, puis on allume au foyer la branche de buis bénit, l’on asperge d’étincelles les quatre coins et l’on jète le petit tison au milieu (Liège).

966. On brûle du buis bénit dans trois coins de la chambre. Le tonnerre, s’il entrait même, sortirait par le quatrième (Herve). (Cp. 199 bis.)

967. On se préserve du tonnerre en se réfugiant sous une haie d’aubépine.

969. On dit en entendant les roulements de tonnerre : l’ bon Dyu djow â bèy « le bon Dieu joue aus quilles ».

Accroissement des jours après le solstice d’hiver.

973. Sainte Lucie (13 décembre) :

Sint’ Luçèy,
Li pu koûr djoû,
L’pu long’ nutèy
« Sainte Lucie.
Le plus court jour,
La plus longue nuit. » (Liège.)

974. Noël :

xxxxNowé
Pa d’on vèlé.
« [Les jours sont à] Noël
[de la longueur du] pas d’un
veau nouveau-né. » (Namur)

975. 1er Janvier :

[Lè djoû krèhè],
xxxA l’ Novèl an,
L’ pa d’o-n èfan
[« Les jours croissent],
xxxAu Nouvel an,
Le pas d’un enfant. » (Liège)

976. Rois :

xxxxA Rwè
L’ pa d’on polè.
« Aus Rois,
Le pas d’un poulet. » (Liège)

976bis.


Lè Rwè
Pa d’in tchè.
« Les Rois,
Pas d’un chat. » (Charleroi)

977.


0 Rwè, lè djoû sô rèlôgui d’à rpa d’kok. « Aus Rois, les jours sont allongés d’un repas de coq[35] » (Verviers.)

978. Saint-Antoine :

Lè djoû krèhè a Sint’ Antô-n
Ossi lon ki li rpa d’on mô-n.
« Les jours croissent à St-Antoine,
Aussi long que le repas d’un moine. » (Liége)

979. Chandeleur :

xxTchandleûz
Pa d’o-n voleûz.
« Chandeleur,
Pas d’une voleuse. » (Namur)
Pronostics météorologiques.

980. S’il y a beaucoup de fruits à noyau, c’est signe d’un hiver rude.

981. On croit qu’il y aura beaucoup de fruits l’année suivante, si le givre couvre les arbres avant Noël (St-Hubert).

982.


Bê vinrdi,
Le dimêgn’.
« Beau vendredi,
Laid dimanche. »[36]

983. Quand il pleut le dimanche entre les deus messes, — elles ont lieu, l’une vers sept, l’autre vers dis heures, — il fera laid toute la semaine (La Reid).

Les mois.

984.


Fèvrîr o onz bê djoû.
« Février a onze beaus jours. » (Liége)

985.


Kom Mâs troûf lè poté,
I lè lê.
« Comme Mars trouve les
flaques d’eau, il les laisse. »

986.


Kwan i to-n è Mâs,
Li laboureu a hâs.
« Quand il tonne en Mars,
Le laboureur a hâte[37].
Kwan i to-n èn Avri,
I deu s’rèdjouwi.
Quand il tonne en avril,
Il doit se réjouir. » (Liége)

987.


Mwètèy di may,
Kâw di nivay.
« Milieu de Mai,
Queue de neige. » (Liége)

988.


Avri ploû po lè djin,
May po lé byès.
« Avril pleut pour les gens,
Mai pour les bêtes. » (Liège)

989.


Sètch a-ous’,
Frèh vindintch.
« Août sec,
Vendanges humides. » (Liége)
Jours fatidiques pour la température.

Chandeleur (2 février).

991. Quand le soleil luit sur l’autel pendant la grand’messe le jour de la Chandeleur, on aura encore sis semaines d’hiver, ce que suivant les localités on exprime en disant : l’uvyèr r’mont’ a tchfó « l’hiver remonte à cheval » (Court St-Étienne) ; l’ours’ rinteûr è s’ trô po si samin-n’ « l’ours rentre dans son trou pour sis semaines » (Verviers) ; l’ivyèr riprin vigueûr (Nivelles).

992. 12 Février : Kwan i ploû l’ doz dè pti meu, i fê lê sî samin-n â lon. « Quand il pleut le douze du petit mois, il fait laid sis semaines au long » (Liége) ; cp. 984.

993. Saint Mathias (24 février) :

Sin Matyas’
Kas’ lè glas’.
Kwan y-ènn’ a nin
K’ènn’ è fas’
.
« Saint Mathias
Casse les glaces.
Quand il n’y en a pas,
Qu’il en fasse. » (Solwaster).

995. Quand il fait beau le Jeudi-Saint pour sécher les draps de l’autel, il fera beau une grande partie de l’été (Verviers).

996. S’il gèle le jour du Vendredi-Saint, toutes les gelées qui suivront ne feront de tort à rien.

997. Le vent vient pendant cinquante jours du point de l’horizon d’où il soufflait le jour du Samedi-Saint (Sart).

998. St-Georges et St-Marc (23 et 25 avril) :

Djwâr è Markè
Mahè voltî l’brouwè
« Georges et Marquet
Mêlent volontiers le brouet » (Liége)

1000. St-Mamert, St-Pancrace et St-Servais (11-13 mai) : Après les saints de glace, il ne gèle plus. Les saints de glace sont surtout funestes aus fèves :

A l’ sin Sèrvâ.
Sèm to-t avâ.
Aprè l’ sin Servâ,
Lè fév’ ni polè mâ
. (Liège)
« À Saint-Servais,
Sème partout.
Après Saint-Servais,
Les fèves ne peuvent mal. »

1001. St-Médard et St-Barnabé (8 et 11 juin) :

Sin Mèdâr
Gran pichâr.
Sin Barnabé
Lî kas’ èl nè
(Nivelles)
Saint Médard,
Grand pissard.
Saint-Barnabé
Lui casse le nez (Liége.)

1003. St-Luc (18 octobre) :

xxxA sin Luk
L’ivyèr è-t a no n’uch.
« À Saint-Luc,
L’hiver est à notre porte. » (Mons)

1004. Ste-Catherine (25 novembre) :

S’i nîv divan sint’ Katrèn,
L’ivyèr s’a havé li skrèn.
(Liége)
« S’il neige avant la Sainte-Catherine.
L’hiver s’est gratté l’échine. »

1005. Noël :

Vèr Noyé ; blank-è Pâk
Blan Noyé ; vèt-è Pâk.
« Noël vert ; Pâques blanches.
Noël blanc ; Pâques vertes. »

1006.


Dè spès-è mati-n
E dè klér djavê ;
Dè klér-è mati-n
È dè spè djavê.
D’obscures matines
Et de claires javelles,
De claires matines
Et d’épaisses javelles. (Laroche)


IX. — Chansons populaires.


Les vraies chansons populaires sont très importantes à recueillir. Toute une vieille floraison littéraire ne nous est guère connue que par ces débris, parfois informes. On peut les diviser en cinq classes dont voici quelques spécimens :


A. Chansons religieuses.

1010.
Chanson des trois Rois.


Chansons des trois rois
Chansons des trois rois


Chansons des trois rois


1.


Chrétiens, avec allégresse,
Qui sont maintenant de nuit,
Remercions Dyu[38] en liesse,
Jésus notre vrai appui.
Chantons tous joyeusement,
En cette digne journèy,
Que les treu rwè ô fait présent
À Jésus rwè dèl Judèy-œ.

2.


Une étoil’[38] claire et luisante
Vers l’Orient se montra,
Oui, l’étoil’ claire et luisante,
Un grand signal se montra.
Quand les treu rwè l’ont aperçue
Ils ont fait leur rassemblée ;
S’on-t i rendu grâce à Dyu :
Il a fait cette rosée.

3.


Ils ont tous chargé bagage
Pour aller honnêtrœment,
Et chacun d’un grand courage
Cheminait allègrement,
Tout drwè jusqu’à Jérusalem.
Là, ils ont fait leur entrée,
Et là, bien gracieusement,
Avec leur puissante armée.

4.


Quand Hérod’ sut la nouvelle,
Oh ! que guère il ne lui plaisait,
Il eut mal à sa cervelle.
Quand lè treu rwè apèrswè,
Si lè-z i a-t i dmandé :
Que cherchez-vous, mes confrères ?
Qu’est-il dit que vous cherchez ?
Ah ! dites-mwè votre pensée.

5.


Nous vous demandons passage,
Pour servir le rwè dè rwè.
Qui est d’un plus grand lignage
Plus que nous cent mille fwè ;
Car il est né nouvellement,
Il est au pays de Judèy,
Nous le savons vrèyœment,[39]
En vérité, c’est au plus vrèyœ.

6.


Hérod’ les a fait conduire
Depuis à sa volonté,
Et par trahison leur fait dire :
Quand l’enfant l’auront truvé,
Mandez-mwè pour le servir.
Au cœur n’avait grande envie
Car c’était pour Jésus trahir
Et pour lui ôter la vie.

7.


Puis l’étoil’ claire et luisante
Dans la terre ell’ se cacha
De peur qu’Hérod’, le vieus père,
Ne puiss’ se douter de c’la.
Quand lè treu rwè furî passés
L’étoile, ell’, s’est remontrée
Drwè à la porte du nouveau-né :
Là elle s’est arrêtée.

8.


Lè treu rwè par ôrdonans’,
À Bethléem sont entrés
Ils vont trouver la Vierge enfante
Et son fils Jésus mal logé.
Dévótement l’ont salué
En lui présentant par victime
Bien gracieusement
Trois dons d’un’ si grande estime.

9.


Quand la Vierge débonnaire
Apèrswè ces nobles rwè,
De l’honneur qu’i lî vont faire
Ell’ lè-z î d’ha d’un’ douc’ vwè :
Voilà mon Dieu, mon créateur,
Voilà mon rwè, mon rédempteur,
Voilà ma très digne porture
Baisez-le, s’il vous agrée.

10.


Lè treu rwè, tous treu sages,
Humblement le vont baiser.
De chacun le grand courage
Commençait à leur manquer.

Ils lui ont fait leurs présents
Avec le cœur plein d’ourie [?],
En pleurant bien tendrement
En pleurant leur bien-aise.

11.


[Ils] Retournaient remplis de djóy
Mais un ang’ de Dieu leur dit :
Retournez par une aut’ vóy.
Craindant ce traître maudit,
I-z ont pris un’ aut’ chemin
Pour aller à leur contrée.
Pour les rois, Jésus est très béni[40]
Et sa seule amour donnée.

12.


Quand Hérod’, plein de malice,
En s’ voyant ainsi trompé,
Mit son cœur à la justice
Et fit comme un diabl’ déchainé.
Fit découler les innocents,
Tous à la point’ de l’épée.
Quand Hérod’ sortit hors du sang,
Son âme, elle fut damnée.

13.


Nous prîrons tous ce Dieu de glwêr
Qu’il nous veuill’ turtous sauver,
Et nous mettre en sa mémwêr,
Et (tous) nos péchés pardonner,
Afin qu’avec lè treu rwè
Notre âme au ciel fasse entrée.
Dans l’ paradis nous puissions vwêr
Dieu et la Vierg’ très honorée.

(Chanson communiquée par M. Delsaute, instituteur en chef à Grand-Rechain, qui la tient de feu Rassenfosse, en sa jeunesse dîmeur du prince-évêque de Liège (1756-1855) ; elle se chantait jadis dans tout le Nord-Est de la province de Liège ; nous en avons recueilli des fragments très délabrés à Herve.)

1013.
la cantilène de sainte catherine.

“ Sainte Catherine fut très vénérée à Farciennes jusqu’en ce siècle ; elle était la patronne des jeunes filles. Le 25 novembre, jour de sa fête, elles faisaient célébrer une messe en son honneur. Après l’office, une d’elles allait s’agenouiller sur les marches de son autel, qui était celui de droite et chantait, en agitant la bannière de la sainte, un cantique dont les premiers couplets étaient ainsi conçus :

1.


Sainte Catherine
Était la fill’ d’un roi ;
Son père était païen,
Sa mer’ ne l’était pas.
xxxxAve Maria !
Sancta Catharina !

2.


Un jour dans sa prière,
Son pèr’ lui demanda :
« Que fais-tu là, Cath’rine ?
Cath’rin’, que fais-tu là ?
xxxxAve, etc.

3.


« Apportez mon grand sabre
Et mon cout’las de table,
Que je tranche la tête
À cette maudite-là. »
xxxxAve, etc.

4.


Un ang’ descend du ciel,
Lui dit : Cath’rin’, courage !
Courag’, Cath’rin’, courage !
Couronnée tu seras.
xxxxAve, etc.

5.


Mais pour ton mauvais père
En enfer il ira ;
Mais pour ta bonne mère
En paradis elle ira.
xxxxAve, etc.

Les jeunes filles s’en allaient ensuite, tout en chantant leur cantique traditionnel, collecter de porte en porte des œufs, de la farine, du lait. Du produit de leur collecte, elles se faisaient fabriquer des gaufres. Une jeune fille toute de blanc habillée représentait la sainte[41]. „

À Gerpinnes (Hainaut), les pèlerins se récréent des fatigues de la route en chantant une longue complainte où est racontée toute la vie de sainte Rolende. En voici le premier couplet :

Pèlerins, accourez,
Voisins et éloignés ;
Venez tous à Gerpinnes,
N’épargnez vos travaus,
Pour procurer à vos maus
L’assistance divine[42]

.


B. Chansons de métier.

1026.
Chanson des cordonniers de Herve.


Les cordonniers sont pires que des évêques ;
Tous les lundis, ils en font une fête.
Tous Tirez fort, piquez fin !
Tous Coucher tard et lever matin.

Et le mardi, ils vont boire la choupinette.
Le mercredi, ils ont mal à leur tête
Et le jeudi, ils vont voir leurs fillettes.
Le vendredi, ils commencent la semaine.
Et le samedi, les bottes ne sont pas faites.
Le dimanche, ils vont trouver leur maître.
Leur faut l’argent, les bottes ne sont pas faites.
« Tu n’en auras pas, si les bottes ne sont pas faites.
— Si j’en ai pas, je vais changer de maître. »

1026.
ancien ranz des vaches de Liége.


ancien ranz des vaches de Liége
ancien ranz des vaches de Liége


Chansons des trois rois

0 dé dé â dó.
Viné so l’ trihê.
Fé dè bon lèssê.
Blankèt-œ, neûrèt-œ,
Djolèy-œ, rodjèt-œ.
Ni bizè nin,
Ripahio bin.
0 dé dé â dó.
Dmoré è kot’ké.
Fé dè bon lèssê.
0 dé dé â dó.
0 dé dé â dó.

(Recueilli à Ste-Walburge, faubourg de Liège, par Bovy et publié dans ses Promenades historiques. Liége, 1838. I, 74 et 269.)


C. Chansons dramatiques.

1029.
belle idoine.


BELLE IDOINE
BELLE IDOINE


BELLE IDOINE
1.
  C’est dans la vill’ de Besançon.
La fill’ du roi est en prison.
[E]ll’ est renfermé’ dedans la tourxxx
bis.
En occasion de ses amours.
2.
  Au bout de sis, sept ans passés
Son cher papa l’ va visiter :
— « Bonjour, ma fill’, comment vous va ? »xxx
bis.
— « Va, cher papa, ça ne va pas.
3.
  « J’ai mes pieds pourris de terre
« Et mes côtés rongés de vers.
« N’avez-vous pas ici sur vous
bis.
« Quelques louis ou quelques sous ? »xxx
4.
  — « Si da, ma fill’, nous en avons
« Plus de cinq cents mille et millions.xxx
« Si vos amours abandonnez,
bis.
« Plus de cinq cent mill’ vous aurez. »
5.
  — « J’aime encor’ mieus pourrir en terre
« Que de quitter à mes amours. »
...............
...............
6.
  Son cher amant vient à passer ;
Un mot d’écrit lui a jeté :
« Va, chère amie, te faut fair’ mortexxx
bis.
« Et te laisser ensevelir. »
7.
  Voilà la belle qui est morte,
............
Plus de cent prêt’ et des abbésxxx
bis.
Pour la conduire à St-Denis
8.
  Son cher amant passant par là :
« Arrêtez ci, arrêtez là !
« Vous portez ma mie enterrer,
bis.
« Moi, j’ la veux fair’ ressusciter ! »xxx
9.
  L’amant prit son couteau d’or fin,
Il décousit le drap de lin.
Chaqu’ coup de point qu’il décousait,xxx
bis.
Voyait la bell’ qui souriait.
10.
  — « Nous somm’s venus pour l’enterrer,
« Mais c’était pour la marier. »
— « Retournez tous, prêtr’s et abbés,
bis.
« Retournez tous à St-Denis. »
11.
  L’amant la prit sur son rousseau,
La reconduit à son château.
............
............

(Texte reconstitué à l’aide de deus versions recueillies par M. J. Simon, l’une à Yves-Gomezée, près de Walcourt, l’autre à Nèvremont, près de Fosses. Les couplets 5, 7, 10 et 11 n’existent que dans la seconde version.)


D. Chanson d’amour.

1058.
Louison.


Louison
Louison


Louison


1.


Louison, embarquons-nous,
Il nous faut faire un voyag’ sur mer(e).
Il n’y a rien de si beau
Que de faire un voyag’ sur l’eau.
J’emball’ là ce qu’il me faut,
Mon cor de chasse et mon manteau.
Hélas ! grand Dieu, chère Louison,
Prens ton paquet, nous partirons.

2.


Cher amant, épouse-moi,
Toi qui connais si bien ma misère.
Être bientôt dans l’embarras
Avec un enfant sur les bras.
Partout on le saurait-z à moi,
Chacun me montrera-z-au doigt.
Hélas ! grand Dieu ! on regrett’ra
Le nom de la bell’ Louison.

3.


Elle m’a crit ses amours
Et moi je lui renvoie les miennes.
Je dis plus de cent fois le jour :
Louison, je t’aim’rai toujours.
Ah ! si mon sort est engagé,
Tu ne risqu’s rien de t’embarquer.
Hélas grand Dieu ! chère Louison,
Prens ton paquet, nous partirons.

4.


Pour m’embarquer je ne veus pas.
Moi qui connais si bien la mer(e),
Et quand la mer est en colère
C’est encor’ pir’ que Lucifer.

Si le vaisseau tombait-z-au fond,
Nous serions mangés du poisson.
Eh ! non, non, non, je n’ m’embarqu’ pas,
Je veus mourir sans embarras.

(Communiquée par M. O. Colson qui la tient de Joseph Moureaux, 75 ans, de Mazy, près Gembloux.)


E. Chansons plaisantes.

1097.
C’est à Paris qu’est une dame.


C’est à Paris qu’est une dame
C’est à Paris qu’est une dame


C’est à Paris qu’est une dame
1.


C’est à Paris qu’est unè dam’
xxxNouvell’ment ma-arié’
Ell’ a unè-è servantè
xxxPour la servir
Qui s’en veut êt’ commè les dam’s
xxxEncor’ de plus.

2.


Ell’ s’en va chez l’apothicair’.
— « Monsieur, vendez-vous du fard ?
À combien vendez-vous l’oncè ? »
xxxx— « À deus écus. »
— « Oh ! donnez-mwré-z un’ demi-onc’
xxxxPour un écu. »

3.
............
............

« Lè soir, à la chandellè,
xxxxBarbouiilez-vous.
Lè lendèmain vous sèrez bell’
xxxxCommé lè jour. »

4.


Lé lendèmain, la bell’ se lèv’
Ell’ s’habill’ bien proprement,
Ell’ met sa robe blanch’ et
xxxxSes beaux souliers
Et s’en va fair’xxxxun tour en Vill’
xxxxSans se mirer.

5.


Ell’ rètourn’ chez l’apothicaire’
— « Monsieur, qu’m'avez-vous vendu ? »
— « Jè vous ai vendu du noir(é)
xxxxPour vos souliers.
N’appartient point à unè fill’
xxxxDé sè farder ! »

(Communiquée par M. Paul Marchot qui la tient d’une vieille servante née à Hannut vers 1815.)


X. — Sorcellerie, Magie et Divination.

Les sorciers et à quoi on les reconnaît.

1137. Le sorcier s’appèle en wallon makré, équivalent pour la forme du français « maquereau ». On lui donne aussi les noms de dvineu « devineur » (pays de Charleroi), égrimansyin, grimanchin, groumanchin, groumansyin et autres déformations du français « nécromanien » (prov. de Liége). La sorcière porte le nom de makral, équivalent pour la forme du français « maquerelle ».

1139. Toute vieille femme aus paupières rougies, aus joues flasques et pendantes, aus allures un peu excentriques, est toujours considérée comme plus ou moins sorcière.

1140. Autrefois, les sages-femmes passaient souvent pour sorcières. Aujourd’hui, on ne fait plus guère cette réputation qu’aus vieilles mendiantes, ausquelles on donne dans les campagnes, plus souvent par crainte que par charité.

1141. La fille aînée d’une sorcière devient sorcière à la mort de sa mère, le pouvoir passant comme un héritage à l’aîné des enfants (pays de Laroche).

1142. On voit sortir le soir une petite flamme bleue de la cheminée d’une maison habitée par une sorcière (Vierset-Barse).

1143. Un sorcier ou une sorcière a des poils à la plante des pieds.

1148. Les sorcières à l’église tournent toutes le dos à l’autel. Le curé, seul, peut s’en apercevoir lorsqu’il se retourne pour dire orate fratres ou dominus vobiscum. Les autres assistants ne peuvent le remarquer qu’à la condition d’avoir en poche de la terre bénite, c’est-à-dire de la terre de la première pelletée que le prêtre jète dans la fosse à un enterrement.

1149. Presque partout, on raconte que des jeunes gens ont reconnu les sorcières de la localité en semant, un dimanche pendant la messe, sur le seuil de l’église, une traînée de terre bénite. À la fin de la messe, sis ou sept sorcières ne purent franchir cette ligne magique. Le sacristain eut beau leur ordonner de sortir. Il fallut appeler le curé qui fit enlever la terre. Dans plusieurs villages, on commence par dire que le moyen fut conseillé à un jeune homme qui acquit ainsi la preuve que la jeune fille qu’il allait épouser était une sorcière.

1150. Si l’on soupçonne un mendiant d’être sorcier, il faut lui présenter un sou qui a été trempé dans l’eau bénite. S’il est sorcier, il ne le prendra pas (Herve).

1151. On place sur le chemin de la personne suspecte deus fétus de paille en crois. Elle ne pourra passer au delà, si elle est réellement sorcière.

1151. Pour savoir si une personne suspecte est réellement sorcière, on place sur une chaise deus allumettes en crois. Sitôt qu’elle y est assise, elle s’empresse de se lever, mais la chaise reste attachée à elle pendant quelques secondes (Mazy, près de Gembloux).

Pacte.

1154 bis. Pour entrer en relations avec le diable, il faut aller la nuit, porteur d’une poule noire, dans un carrefour. Un homme, qui est le diable, se présente, marchande la poule, puis l’achète en donnant au vendeur ce qu’il désire.

1159. Le pacte est fait pour une durée de sept ans.

1161. Les yeus du sorcier changent de couleur à partir du moment où il a conclu le pacte avec le diable (Huy).

Métamorphoses des sorciers.

1163. On croit que les sorciers et sorcières ont la faculté de se changer en animaus, notamment en chat, chien, loup, chèvre, dindon, lièvre, taureau et crapaud.

Le loup-garou s’appèle leu warou (prov. de Liége), dyâl lèwèrou (Herve), tché a tchin-n’ « chien à chaînes » (pays de Charleroi).

1167. Dans le pays de Charleroi, on se le figure comme un « chien de taille monstrueuse, aus yeus grands et étincelants. Le monstre trotte lentement autour du voyageur en produisant un cliquetis semblable à un froissement de chaînes » (J. Lemoine dans Gazette de Charleroi, 2 déc. 1890.)

1170. On fait presque partout le récit suivant : Un matin, un jeune homme quitta sa femme. À peine était-il sorti de la maison, qu’un loup y pénétra et se jeta sur la femme, sans toutefois la blesser et en se contentant de lui mettre son tablier en pièces. Quelques instants après que le loup eut quitté la maison, le mari rentra. Sa femme qui le soupçonnait de sorcellerie, ne lui dit rien de ce qui était arrivé. Elle l’attira à elle et lui prit la tête sur son giron sous prétexte de lui chercher ses pous. Elle fut vite persuadée qu’elle ne se trompait pas. Son mari ayant ouvert la bouche, elle vit dans ses dents des morceaus de son tablier. (Légères variantes dans quelques localités : amoureus au lieu d’épous, bois au lieu de maison, chien noir au lieu de loup, mouchoir au lieu de tablier.)

1173. La blessure faite au sorcier sous sa forme animale reparaît à la place correspondante quand il a repris sa forme humaine. On raconte, dans chaque village, une foule de récits semblables aus deus qui suivent :

1174. Un homme de Vottem voyait tous les jours à la soirée un crapaud qui venait faire le tour de la chambre, puis disparaissait. Un soir, il le prit sur la pelle à feu et le jeta dans l’âtre ; mais le crapaud s’élança hors des flammes et disparut à l’instant. Un moment après, la belle-mère de cet homme entra ; elle avait la figure brûlée.

1175. Une servante, chargée de frotter de graisse les souliers de la ferme, commença par les siens. En trempant dans la graisse encore chaude le torchon dont elle se servait, elle se brûla et le chat qui était près du feu, lui dit : « Cela t’apprendra à commencer par tes souliers. » Furieuse, elle lui jeta sur le museau la canette de graisse bouillante. Le lendemain, la voisine avait la figure brûlée. (Laroche.)

1176. Le loup-garou, blessé « à sang coulant », reprent à l’instant la forme humaine.

Cauchemar.

1179. On attribue le cauchemar à un sorcier, plus souvent à une sorcière, qui vient, ordinairement sous forme animale, s’étendre sur la poitrine du dormeur.

1180. On l’appèle li tchókmark, li tchódmark, li mark (mots féminins). Avoir le cauchemar, c’est être tchóké (pays de Charleroi).

1182. Une femme de Laroche a raconté qu’une nuit, ayant le cauchemar, elle secoua les couvertures du lit ; un gros mouton tomba à terre, mais disparut à l’instant.

1183. Pour être préservé du cauchemar, il faut, en se couchant, déposer ses souliers, les talons dirigés vers le lit : ou l’un dans un sens et l’autre dans l’autre (pont’ è mak). La croyance générale est que la mark ne peut monter sur le lit qu’après avoir chaussé les souliers et qu’on l’empêche de le faire en ne les plaçant pas dans leur position normale.

1184. Autre moyen : un silex perforé naturellement placé sous le coussin (Famenne) ou pendu à un clou par une ficelle au-dessus de la porte d’entrée (province de Liége).

1186. Pour reconnaître le sorcier ou la sorcière qui cause le cauchemar, il faut dormir en tenant, debout sur la poitrine, un couteau bien affilé, la pointe en haut. On reconnaît le lendemain le sorcier à la blessure (Cp. 1173).

1187. À Laroche, pour savoir si l’on est « tenu d’une mark », on place un couteau dans un mouchoir plié dans le sens de la diagonale, de manière à laisser le couteau au fond, entre les deus triangles ainsi formés. On roule alors le triangle d’étoffe autour du couteau qui lui sert de base ; puis on dit : è s’ ki dj’ ê l’mark â lodjis, âdjoûrdu ? S’il î-y è, k’ ènn’è vây pu lon ! « Est-ce que j’ai la mark au logis aujourd’hui ? Si elle y est, qu’elle s’en aille plus loin ! ». On retire alors rapidement le mouchoir par les deus coins. Il se déroule, et suivant le sens dans lequel on a pris les coins, le couteau tombe ou reste dans le mouchoir. S’il tombe, c’est signe qu’il n’y a pas de mark ; c’est signe contraire, s’il reste. À Milmort, on emploie le même procédé de divination pour savoir si une personne soupçonnée est réellement celle qui vous torture. Les suppositions sont jugées exactes, si le couteau tombe.

1188. On dit que les chevaus sont « possédés du démon » ou on l’mark « ont le cauchemar », lorsqu’ils s’agitent la nuit et qu’on les trouve le matin trempés de sueur, les crins mêlés et comme tressés.

1189. Il ne faut pas peigner la crinière tressée d’un cheval qui a le cauchemar ; sinon, on en mourrait (Sinsin).

Sabbat.

1190-1191. On croit que c’est toujours un vendredi soir que les sorciers et sorcières se réunissent (von-t a l’dans’ « vont à la danse » ou a l’ sîz « à la soirée ») ; les amoureus évitent même de se fixer des rendez-vous pour cette soirée, réservée, disent-ils, aus hantrèy dè makrê avou lè makral « aus amours des sorciers et des sorcières » (Liége).

1193. On croit que, pour se rendre au sabbat, les sorcières doivent s’oindre les jointures (lè djonteûr è lè ployan) avec un onguent qui leur est donné par le Malin.

1196. Une sorcière mariée qui désire se rendre au sabbat sans que son mari s’aperçoive de sa disparition, met dans le lit à sa place un balai qui prend sa forme et ses traits (St-Hubert).

1197. Les sorcières se rendent au sabbat en chœur au son du violon dont on entent la « belle musique » dans les airs entre minuit et deus heures du matin.

1203. Dans plusieurs cantons, il y a un terrain que l’on appèle tchan dè makral « champ des sorcières ». C’est le cas près de Remouchamps, près de Tongres, près de la Gileppe et près de Grand-Halleux.

Tours des sorciers.

1206. Le sorcier, ou la sorcière, peut faire un orage en gesticulant avec les mains d’une certaine manière, ce qui s’appèle bat’ lè walèy « battre les averses » (Laroche).

1207. Lorsque l’on cuit les boudins, on croit qu’un sorcier peut, par sa magie, les faire sortir de la marmite (fé monté lè trip), passer par la cheminée et traverser l’air, invisibles, pour tomber dans ses mains.

1209. Pour se préserver de sa magie, des femmes mettent une crois de paille sur la marmite (Grivegnée).

1211. On raconte à Laroche l’histoire d’une fille qui, étant occupée à arracher des pommes de terre avec d’autres, fut tout à coup enchantée et se mit à courir, courir, jusqu’à ce qu’un témoin du fait l’eût désenchantée en la tirant par les cordons de son tablier.

1215. Presque partout, les tours dont on croit les sorciers capables sont attribués en bloc à un berger que les vieillards disent, soit avoir connu eus-mêmes dans leur jeunesse, soit avoir été connu de leur père. Dans le pays de Theux, par exemple, ce berger demi-légendaire est nommé Briyèmon, prononciation wallonne du nom propre orthographié Brialmont. Dans la plupart des autres villages de la province de Liége, on l’appelle Bèlèm. On lui attribue notamment les tours qui suivent :

1216. Un jour, une jeune fille passa devant lui sans le saluer. Il lui envoya à l’instant des milliers de pous. La jeune fille dut revenir sur ses pas et demander grâce pour en être délivrée.

1217. Pour amuser les enfants, il faisait courir dans une chambre ou autour d’une motte de terre de tout petits chevaus en chair et en os.

1218. Quand il savait qu’une nouvelle tonne de bière était arrivée dans une maison, il se coupait une canne en forme de crosse et la fichait en terre. À son commandement, la bière se mettait à couler du bout de la crosse et il faisait boire les petits garçons qui l’accompagnaient aus champs.

1219. Lés individus qui passent pour sorciers possèdent presque tous de petits livres populaires de magie qu’ils conservent comme des talismans. Les plus connus ici sont notamment : Les œuvres magiques d’Henri-Corneille Agrippa, mises en français par Pierre d’Aban (appelé lif d’agrifa, lîf âgrafâ), Le trésor du vieillard des Pyramides, Le grimoire du Pape Honorius, L’Enchiridion Leonis Papæ, Les clavicules de Salomon.

Tours des sorcières et moyens préventifs d’y échapper.

1221. Quand on est en présence d’une sorcière, on se garantit de tout maléfice en retournant son bonnet ou sa poche (Louveigné), en disant trois fois en se frappant la poitrine : et verbum caro factum est et habitavit in nobis (Laroche).

1223. En parlant d’une personne suspecte, on doit nommer le jour courant ; par exemple, on dira, le dimanche : No-z èstan oûy dimègn ; ki l’bon Dju no sègn è no-z è prézèrf ! « Nous sommes aujourd’hui dimanche ; que le bon Dieu nous bénisse et nous en préserve ! » ; c’est surtout le vendredi, — djoû dè makral « jour des sorcières » —, qu’il faut se garder d’oublier cette formule.

1224. Une sorcière peut jeter un sort en touchant ; par exemple, faire avorter une femme ou un animal par simple application de la main (Stavelot). Pour se garantir des conséquences de l’attouchement d’une personne suspecte, il faut : à Liége, placer le poing fermé à un endroit de son corps plus élevé que celui où elle vous a atteint (fé pogn’ hó) ; à Laroche, la toucher à l’endroit de son corps correspondant.

1225. On croit que les sorcières peuvent jeter des sorts par leurs baisers, surtout aus enfants.

1228. Pour préserver le bétail de tout sortilège, on suspent dans l’étable un silex troué naturellement ou deus briques en crois. (Cp. 1184).

1230. Pour empêcher une prétendue sorcière ou une personne soupçonnée de l’être, d’entrer dans une maison, on fait une crois avec du beurre au-dessus de la porte, ou à la craie sur le seuil, ou l’on y place deus balais en crois, ou l’on cache un crucifis sous une pierre du seuil, ou l’on y répant du sel ou de l’eau bénite.

1231. Pour empêcher la même personne de sortir, on place, manche en bas, derrière la porte, un balai dont on n’a pas encore taillé les pointes (Laroche).

1232. À Rocour, quand une femme réputée sorcière est venue chez vous, on dit qu’il faut asperger par la diagonale les quatre coins de la chambre avec de l’eau bénite, en disant :

Va-z è, mâl byès’,
Dji t’broûl[43] li tyès.

« Va-t-en, mauvaise bête,
Je te brûle la tête. »

1233. On ne donne jamais certaines choses, comme du lait ou un morceau de pain, à une personne que l’on croit capable de s’en servir pour vous jeter un sort, sans exiger en retour un centime ou quelque petit objet.

1234. On recommande aus enfants de ne pas recevoir de gâteaus ou autres friandises qu’une femme qu’ils ne connais sent pas leur offrirait, ou s’ils les acceptent, de les jeter par dessus l’épaule.

1235. Quand une personne suspecte de sorcellerie vous donne une pièce de monnaie, il faut la serrer entre les dents ; sinon, elle pourrait retourner au sorcier en compagnie des pièces qu’elle toucherait.

1236. Une sorcière peut jeter un sort à un animal ou à un enfant, le rendre malade ou le faire périr, en faisant son éloge, en disant qu’il est beau, qu’il est bien portant, etc.

1238. Une sorcière peut, en caressant la tête d’un enfant, le faire pleurer, lui déformer les traits, lui couvrir le visage de vermine.

1239. Une sorcière peut, en regardant un enfant, le faire tomber à l’instant de couvulsions, ou le faire dépérir.

1240. On croit qu’une sorcière peut jeter un sort à quelqu’un au moyen d’une mèche de ses cheveus, par exemple, en mettant ces cheveus dans un œuf (Laroche). Pour ne pas s’exposer à être ensorcelé, il ne faut pas laisser traîner les cheveus qui tombent ou que l’on s’est fait couper, mais les brûler ou bien cracher ou souffler dessus avant de les jeter.

Exorcismes.

1244. Pour détruire un mauvais sort, on va souvent consulter un sorcier ou une sorcière que l’on croit plus fort en magie que celui ou celle qui a jeté le sort. La principale occupation des sorciers consiste même à détruire les sorts jetés par les sorcières. La plupart des exorcismes opérés par les sorciers sont sur le type suivant, dont nous soulignons les traits les plus généraus.

1245. « À Gilly, vivait une femme nommée Joséphine Decoene. Elle était presque entièrement paralysée des jambes par suite, disait-elle, d’un mauvais sort qui lui avait été jeté. Elle fit venir le dvineu. L’homme arriva un jour, à minuit. Il fit allumer deus quinquets et il les plaça sur la table, dans la chambre de la malade, au rez-de-chaussée de la demeure. Entre les deus lampes, il ouvrit un énorme livre comme ceus avec lesquels le prêtre « dit la messe ». Il se mit alors à lire dans son bouquin en gesticulant violemment et en disant de temps en temps : « Sorcière, venez, arrivez ». Le mari, près de la porte, une hache en main, attendait. « Levez-vous », ordonna le sorcier, tout en nage, à la patiente. Celle-ci, effrayée, sait qu’à ce moment elle se leva sans aucun secours et marcha, ce qu’elle n’avait plus fait depuis longtemps. Mais peu après, ses forces l’abandonnèrent et on fut obligé de la remettre au lit. Sur ces entrefaites, le sorcier était parti afin de fabriquer une sorcière de loques et de la brûler. » (Lemoine dans Gazette de Charleroi, 7 nov. 1890.)

1246. Pour être délivré d’un sortilège, spécialement en cas de cauchemar, il faut uriner dans une bouteille neuve, la boucher d’un bouchon neuf et la suspendre avec une ficelle dans la cheminée. On ajoute, dans l’Entre-Sambre-et-Meuse, que l’on doit faire dire par un dvineu les « mots qu'il faut » sur la bouteille d’urine. L’auteur du maléfice, à partir de ce moment, ne peut plus uriner, il enfle et doit venir dans les vingt-quatre heures, demander que l’on débouche la bouteille, en promettant de ne plus vous faire souffrir. On ajoute, dans l’Entre-Sambre-et-Meuse, que si l’on pert la bouteille de vue, le sorcier viendra la déboucher et qu’alors, c’est le patient qui périra.

1247. Autre moyen : Se procurer de l’urine de la personne soupçonnée, la verser dans un vase de terre neuf et mettre celui-ci près du feu. Sitôt que le liquide s’échauffe, la sorcière ressent des douleurs atroces et accourt demander grâce et reprendre le sort (Gembloux). Même rite à Laroche, sauf que c’est la victime qui urine dans un baril neuf, le bouche et que la sorcière vient demander qu’on le débouche.

1248. Pour forcer une sorcière à défaire ses charmes, on prent un cœur d’animal, et on y pique de minuit jusqu’au lendemain à minuit des milliers d’épingles. La sorcière en est torturée comme si on piquait ces épingles dans son propre cœur et vient implorer son pardon (Laroche).

1249. Une sorcière peut défaire ses charmes en répétant en sens inverse les gestes qu’elle a employés pour les produire.

1250. Il y a quelques dizaines d’années[44], lorsqu’une épidemie éclatait dans une étable, on la croyait l’œuvre d’un sorcier : on v-z a djowé on toûr « on vous a joué un tour », disait-on au fermier. Après avoir presque toujours fait dire des prières par le curé dans l’étable même, on la dépavait pendant la nuit pour rechercher le porte-malheur (l’awyon) déposé par le sorcier. L’on raconte, ici, que c’était une torchette de cheveus ou une corne cachée sous un pavé, là, que c’était une pelotte d’épingles qui se réfugiait de pavé en pavé, au fur et à mesure que l’on avançait et que l’on saisit lorsque l’on arriva à la muraille. Plus souvent, c’était un crapaud qui se cachait sous la pierre du seuil et qui n’était autre que le sorcier lui-même venant la nuit, sous cette forme, causer tout le mal, et l’on a tué le crapaud.

Magie populaire et enfantine.

1252. Les enfants emploient dans leurs jeus des signes, gestes et formulettes pour porter malheur à leurs adversaires. Exemples :

1253. L’enfant crache à terre en disant à son adversaire : Dju rètch po k’tu ngan-gn nin « je crache pour que tu ne gagnes pas » (Ensival).

1254. À Liége, l’enfant dit à son adversaire :

Dji v-z èstchant’
D’i-n makral tot’ blank
D’on poursê singlé,
Po v-z émakralé[45].

« Je vous enchante
D’une sorcière toute blanche,
D’un cochon-sanglier,
Pour vous ensorceler. »

1255. En distribuant les cartes, on dit en les donnant à ses adversaires : kreu dè dyâl « crois du diable », et à ses partenaires : kreu dè bon Dju « crois du bon Dieu » (Herve).

1256. Au jeu de billes, si un joueur voit que l’on vise sa bille, il fait sur la terre au-devant une crois en disant, à Sinsin : kreu dè dyâl, Marîy vèssèt’ ; à Herve : kreu dè dyâl, Marèy l’èstantch « crois du diable, Marie l’arrête. »[46]

1257. Employer un procédé magique pour faire souffrir un ennemi, un amant volage ou une sorcière, comme c’est le cas aus numéros 1246, 1247, 1248 et 1258, se dit fé souwé o-n djin « faire se dessécher une personne ». (Liége).

1258. Pour faire souffrir un amant volage, on met dans la cheminée un cœur de mouton ou un oignon que l’on a percé de treize épingles, ou on allume une chandelle dans laquelle on a aussi enfoncé treize épingles. La personne visée dépérit au fur et à mesure que le cœur de mouton ou l’oignon se dessèche ou que la chandelle brûle. Dans ce dernier cas, les épingles tombant l’une après l’autre de la chandelle sont jetées au feu (Liége).

1265. Pour éteindre un incendie, on jèle dans le feu un œuf pondu le jour du vendredi-saint (Rossignol, prov. de Luxembourg).

1266. Pour ramener la chance au jeu de cartes, le joueur malheureus se lève et, soulevant sa chaise, lui fait faire trois pirouettes (Liége).

9-1271. Pour obtenir un bon numéro au tirage au sort pour la milice, on conseille différents moyens, comme : franchir du pied gauche le seuil de la salle où a lieu le tirage (Couvin) ; relever la manche gauche de la chemise au ras de l’épaule et tirer de la main gauche (Nivelles) ; porter à son insu dans sa poche ou cousu dans son habit un morceau de coiffe d’enfant (hamlèt’ à Liége). (Cp. 753.)

Moyens de connaître l’avenir.

1272. On tient au-dessus d’un gobelet de verre un anneau de mariage suspendu à un cheveu et pouvant osciller comme un pendule. Si l’anneau en oscillant choque le verre, le propriétaire du cheveu se mariera dans autant d’années que le verre aura résonné de fois. Si l’anneau ne touche pas le verre ; il ne se mariera jamais (Liége).

1275. Quand on ne sait quel chemin prendre, on fait tourner trois fois son couvrechef sur son doigt ou sur son bâton, et l’on va du côté indiqué par la visière.

Songes.

1277. Rêver que quelqu’un est mort ou mourant, est signe de prolongation de vie pour cette personne.

Rêver qu’on s’arrache les dents est signe d’une prochaine naissance dans la famille.

Autres présages.

1279. Entendre crier des souris est pour une femme signe que son mari la trompe (Herve).

1280. La salière renversée est signe de querelle.

Si l’on rencontre un bossu et qu’il passe à droite, on recevra une bonne nouvelle ; s’il passe à gauche, elle sera mauvaise. La rencontre d’une bossue est toujours mauvaise.

1282. Rencontrer une fille de joie au matin est signe de bonheur pour la journée (Verviers).

1283. Un corbeau qui vient voler près de la maison est signe de mort.



XI. — Enfantines et jeus.

Berceuses.

1286. On berce les enfants en chantant de petites chansons comme celle-ci :


Chansons des trois rois
Chansons des trois rois


Chansons des trois rois


Nan-né, binamèy poyèt-tœ,
Nan-né, binamé poyon.
Ya s’ papa k’è-st è vôy a l’ fyès-sœ,

Rapwètrè dè bon krostilyon,

Nan-né, etc.
I-y a s’ mam k’è-st è vôy è
xxxxxxxxxx[pwès-sœ,
Rapwètrè d’èl sop a l’ognon.

Nan-né, etc.
« Dormez, bien-aimée poulette,
Dormez, bien-aimé poussin.
[Il] y a son[47] papa qui est en voie
xxxxxxxxxx[(= parti) à la fête,
[Il] rapportera de bons
xxxxxxxxxx[crostillons.[48]
Dormez, etc.
[Il] y a sa mère qui est en voie
xxxxxxxxxx[(= partie) dans le porche,
[Elle] rapportera de la soupe
xxxxxxxxxx[à l’oignon.
Dormez, etc. »
(Rocour.)
Sauteuses.

1288. En faisant sauter l’enfant sur le cou-de-pied, on chante une petite chanson comme celle-ci dont voici la variante hutoise :

Roum doudoum, Kolâr Ubin,
Vos’ tchivâ ki n’va nin bin,
Vos’ mèskèn ki n’sé-t ovré,

Vos’ vârlè ki n’sé miné.

Pèrtyouf ! è l’ê-ê-éw !
« Roum doudoum, Colard Hubin,
Votre cheval qui ne va pas bien,
Votre servante qui ne sait [pas]
xxxxxxxxxx[travailler,
Votre varlet qui ne sait [pas]
xxxxxxxxxx[conduire.
Pèrtyouf ! dans l’eau ! »
Risettes.

1289. La mère touche successivement avec l’index les différentes parties du corps de son bébé en disant, à Verviers :

Lu wêd â pyou,
Lè deu veûli,
Lè deu tró d’sori,

Lu fór â pan,
Lu goliman,
Lu sitch â milèt’,
È l’tronpèt’ ki va
Djusk’è ba.
« Le pré aus pous (le crâne),
Les deus vitres (les yeus),
Les deus trous de souris (les
xxxxxxxxxx[narines),
Le four au pain (la bouche),
Le goliman (le gosier),
Le sac aus miettes (le ventre),
Et la trompette qui va
Jusqu’en bas. »

1291. La mère touche l’un après l’autre chacun des doigts de l’enfant, en commençant par le pouce de la main droite (ou gauche) et en allant jusqu’au petit doigt de l’autre main, qu’elle secoue énergiquement, le tout en disant, à Liège :

Pôcin,
Djulin,
Dji vin,
Dji va,
Dji kwîr
On deu.
« Poucet (= petit pouce),
Julien,
Je viens,
Je vais,
Je cherche
Un doigt.
Kè deu ?
Li pti.
W’ è-st i ?
Vo l’si, vo l’si, vo l’si.
Quel doigt ?
Le petit.
Où est-il ?
Le voici, le voici, le voici. »

1296. Claquer de la main sur le pied du petit enfant s’appèle à Liège « ferrer le petit cheval » ; cela s’y fait en disant :

Li marihâ
Ki klaw on klâ
A si pti tchvâ,
Klaw ! klaw ! klaw !
« Le maréchal (-ferrant)
Qui cloue un clou
À son petit cheval.
Cloue ! etc. »
Amusettes.

1300. Les enfants s’amusent à réciter la formulette rythmée suivante, en traçant une raie à chaque syllabe forte, comme il est indiqué dans le texte. Ils doivent arriver à en compter seize, ni plus ni moins.

Kont’ │ è kont’ │ è kon- │ té don, │

Kon- │ té, bi- namèy │ botrès’, │

Kont- │ è kont’ │ è kon- │ té don, │

Kont- │ té s’i │ n’y a sas’ │ a pon │
« Compte et compte et comptez
xxxxxxxxxx[donc,
Comptez, bien-aimée[49]
xxxxxxxxxx[botresse,[50]
Compte et compte et comptez
xxxxxxxxxx[donc,
Comptez s’il y a seize à point. »

1302-1305. Les enfants se proposent des rîmê ou rim-ram, c’est-à-dire de petits vers wallons ou français, qui, prononcés rapidement, ont l’air d’appartenir à une langue étrangère. Exemples :

A-n, dji ra m’ vî dé
Pôf vî tèn dé !
« Anne, je rai mon vieux dé
Pauvre vieux mince dé ! »
(Liège.)
A ri bodè bwè.
« Au ruisseau baudet boit. »
xxxxxxxxxx(Ardenne.)
L’ôl a Tonk ot’

Sèw a Lîtch ot’.
« L’huile à Tongres sent (= a
xxxxxxxxxx[une odeur.)
Suif à Liège sent. »
(Liège.)

1307. Les enfants s’amusent souvent à répéter exactement de petites phrases, qui, prononcées vivement, prêtent à des transpositions de consonnes. Exemple :

Kwat’ klawtî ki klawtè dvin ’n' fôtch ; kwat’ klawtî ki klawtè-t è l’ót’.
« Quatre cloutiers qui clouent dans une forge ; quatre cloutiers qui clouent dans l’autre. » (Liège.)
Théâtre des doigts.

1309. On porte la main en avant, les doigts étant réunis en faisceau, pointes en l’air. Il y a trois personnages : Fléron, qui est le majeur, l’Aubergiste, qui est le pouce, et son Valet, qui est le petit doigt. Chacun possède une vois spéciale et frétille à son tour, avec de petits mouvements appropriés aus paroles qu’on dit pour lui.

Fléron : — Toc, toc, à la porte !
L’Aubergiste au Valet : — Qui est là ?
Le Valet à Fléron : — Qui est là ?
Fléron : — C’est Fléron.
Le Valet à l’Aubergiste : — C’est Fléron, mon maître.
L’Aubergiste : — Demandez-lui ce qu’il veut.
Le Valet : — Que voulez-vous, Fléron ?
Fléron : — Je demande à loger.
Le Valet : — Il demande à loger, mon maître.

L’Aubergiste : — Demandez-lui s’il a des sous.
Le Valet : — Avez-vous des sous, Fléron ?
Fléron : — J’ai cinq sous.
Le Valet : — Il a cinq sous, mon maître.
L’Aubergiste : — Faites entrer Fléron !

Et l’enfant termine sa petite représentation en disant :

« Voici Fléron… Il entre… La porte se referme… La porte est fermée ! »

Jeus d’imitation.

1314. Dans le pays de Louveigné, les enfants élèvent des bourdons dans des caisses à cigares. Ils vont les lâcher à de grandes distances et décernent des pris pour les bourdons qui reviennent les premiers à leur demeure, de même que leurs pères font pour les pigeons.

1316. À Malmedy, ils jouent à « jeter une ortie » tapé i-n oûrtèy, de même que leurs pères jouent à tapé i-n âw « une oie », on djanbon « un jambon ».

Jouets.

1330. Le moulin. À Vottem, les enfants choisissent un des verticilles fleuris du lamier blanc (blank-è-z oûrtèy) et en coupent les feuilles de manière à conserver entières les deus fleurs ouvertes de part et d’autre. Puis ils passent une épine au travers de la tige et ils soufflent sur les fleurs. Le verticille se met à tourner sur cet axe comme un petit moulin.

1331. Le pipeau. Les enfants se font i-n apèl « un pipeau », d’un noyau d’abricot qu’ils ont évidé après en avoir usé les deus flancs sur une pierre jusqu’à former deus trous.

Jeus gymnastiques.

1335. Le bateau. Deus enfants s’asseyent face à face et se tiennent par les deus mains ; tour à tour ils se renversent et se tirent en avant.

1338. Le battoir. Deus enfants se tiennent face à face et tous deus ils frappent une fois des mains comme pour applaudir ; puis la main gauche de l’un va s’appliquer sur la main droite de l’autre, et chacun frappe encore des mains : l’exercice inverse a lieu ensuite et il est suivi d’un nouveau battement des mains. On continue de la même manière.

1340. La brouette. — Un enfant se met « à quatre pattes » sur le sol ; un second lui saisit les pieds et les soulève ; ses jambes font l’office des bras de la brouette et il avance en marchant sur les mains.

1323. La chaise du roi. — Deus enfants se tiennent côte à côte, les mains entrelacées en forme d’X. Un troisième est porté, l’espace de quelques pas, assis sur cette chaise improvisée, tenant de ses bras le col des porteurs. Ceus-ci parfois s’arrêtent et font d’un mouvement brusque sauter le camarade qu’ils soutiennent, ou bien ils le laissent tomber en se séparant de lui. Le jeu s’appèle pwèrté a l’tchèyîr d’amon lè rwè « porter à la chaise de chez les rois » et dans le français de Liège « porter à la chaise du roi ».

Jeus de ronde et de danse.

1345. Le jeu le plus simple de cette catégorie consiste à se tenir par la main, à danser en rond en chantant une petite chanson, puis à s’accroupir ensemble en lançant un cri. Voici des exemples des chansons que les fillettes récitent ainsi, sans autre forme :

1347.À l’école de ma sœur Céline.


À l’école de ma sœur Céline
À l’école de ma sœur Céline


À l’école de ma sœur Céline

1348.


« Y a l’ sori ki dans’
To-t avâ lè plantch ;
Èl a stu si prè dè feu
K’èl a broûlé sè djanb
— Souf ! mér, ki dj’â tchó !
— Rsètch tè pat’, massî krapó ! »
« [Il] y a la souris qui danse
Tout parmi les planches ;
Elle a été si près du feu
Qu’elle a brûlé ses jambes,
Souf ![51] mère, que j’ai chaud !
— Retire tes pattes, sale
xxxxxxxxxx[crapaud ! »

1351. Quelquefois, les enfants font une ronde et répètent un couplet. Chaque fois, un joueur désigné fait demi-tour sur place et se remet à tourner avec les autres en faisant face à l’extérieur du cercle. Quand tous les joueurs sont retournés, ils se rapprochent et se heurtent le dos en cadence.

1357.
qui mettrons-nous à la chandelle ?

Des petites filles se forment en cercle, placent l’une d’elles au milieu, Marie, par exemple, et chantent la ronde :


qui mettrons-nous à la chandelle ?
qui mettrons-nous à la chandelle ?


qui mettrons-nous à la chandelle ?


Marie embrasse alors une de ses compagnes qui prent sa place et le jeu recommence. (Herstal.)

1117.
Bonjour, Bonjour, madame la Rose.

Une dizaine de petites filles se rangent sur deus lignes parallèles. L’une des rangées représente madame la Rose et ses filles ; l’autre, plus nombreuse, des prétendants qui s’avancent en chantant :


Bonjour, Bonjour, madame la Rose
Bonjour, Bonjour, madame la Rose


Bonjour, Bonjour, madame la Rose

Bonjour, bonjour, madame la Rose,[52]
Avec vos beaus échantillons.
Je fais trois tours de barbaron[53]
Pour avoir votre fille en don[54].

Madame la Rose et ses filles vont à leur rencontre en repliquant :

— Ni vous ni d’autr’s n’auront ma fille.
Après[55] ma fille, que m’donn’rez-vous ?

Le chœur des prétendants revient :

— Un million d’or, n’est-ce pas assez ?

Madame la Rose et ses filles ripostent en s’avançant :

— Tournez vot’ cul, si v’s en allez.

Le chœur des prétendants se coupe alors en deus lignes parallèles qui s’avancent l’une vers l’autre en chantant :

— Mon Dieu, mon Dieu, que faut-il faire ?
Un’ si bell’ fille à marier.
— Faut-il encore y retourner
Pour savoir-e sa volonté ?

Les prétendants se remettent en ligne et le dialogue recommence :

— Bonjour…
— Ni vous…
— Deus millions d’or n’est-ce pas assez ?
— Tournez vot’ cul, si v’s en allez.
— Mon Dieu ! Mon Dieu ! etc.

La ronde continue de la même manière ; le soliste offre trois millions d’or, une robe d’or ou d’autres objets précieus, jusqu’à ce que la mère consente à céder sa fille.

— Prenez ma fille et v’s en allez.

Jeus de saut.

1387. À la corde. — À Liége, pour apprendre aus petits enfants à sauter à la corde, on tourne d’abord quatre tours « pour rire », en disant successivement les mots de la formulette suivante :

Bègèn, Pâtér, Nostér, Potchî !
« Béguine, Pater, Noster, Sautez ! »

Au quatrième tour de corde, l’enfant qui a eu le temps de saisir le rythme, doit s’élancer et « entrer dans les cordes ».

1393. À Liége, les fillettes se soumettent l’une après l’autre à l’exercice de la corde en disant ce qui suit (les barres détachent les mots qui se disent à chaque tour) :

Dans | com- | bien | d’an | nées
Se | ma- | rie | ra | -t-elle ? |
Un an, | deus ans, | trois ans, | … etc.

Le nombre d’années était indiqué par le moment où la sauteuse » faisait faute ». Si la faute arrivait avant l’énumération des nombres d’années, la fillette était condamnée à rester vieille fille.

1398. Le cheval fondu. Les joueurs se partagent en deus camps. Les uns se courbent à la file l’un derrière l’autre et les joueurs de l’autre bande sautent sur leur dos en essayant d’y rester tous ensemble pendant un certain temps.

Jeus d’adresse.

1400. Les petits enfants connaissent à Liége un jeu dans lequel ils s’amusent à prendre tour à tour un peu de poussière d’un tas au haut duquel ils ont planté un fétu ou une brindille.

1413. La tapette (jeu de billes). Le joueur n° 1 lance sa bille contre un mur ; elle rebondit, roule sur le sol et s’arrête. Le n° 2 imite le premier, et les autres font de même, en cherchant à donner à leur bille une direction telle qu’elle aille tchakté, litt. « choqueter », une de celles qui sont déjà sur le sol.

1419. Le bâtonnet. L’un des deus joueurs est chargé de faire rentrer dans un rond tracé sur le sol un petit bâton que l’autre a fait sauter en l’air et lancé au loin, à l’aide d’un autre bâton.

Devinettes (advina).

1433.


Si pat’, kwatr oûy, kwat’ orèy è deu tyès’ ;

Iy ! Notru-Dam, hél drol di byès’ !
« Sis pattes, quatre yeus, quatre oreilles
xxxxxxxxxx[et deus têtes ;
Ah ! Notre-Dame, quelle drôle de bête ! »
Réponse : Un cavalier sur son cheval.

1434.


On rodj vê ki potch out’ d’i-n blank hây.
« Un veau rouge qui saute outre
xxxxxxxxxx[d’une haie blanche. »
Rép. : La langue et les dents.

1435.


Dji so rwè è dji n’a nol koro-n ; dji so bon tchanteu è dji n’so nin muzisyin ; dj’a dè-z èsporon è dji n’so nin kavayîr ; dj’a ko tras’ è tras’ fœm è dji n’so nin maryé.
« Je suis roi et je n’ai nulle couronne ; je suis bon chanteur et je ne suis pas musicien ; j’ai des éperons et je ne suis pas cavalier ; j’ai encore treize et treize[56] femmes et je ne suis pas marié. »
Rép. : Un coq.

1436.


I-n pítit’ madam avou ’n blank kot’, on djèn vizèdj è on rotch tchapê.
« Une petite dame avec un jupon blanc, un visage jaune et un chapeau rouge. »
Rép. : L’allumette soufrée.

1437.


Ronron ki pin,
Poyu ki l’atin,
Kan Ronron tchêra,
Poyu l’atrapra.
« Rond-rond qui pent,
Poilu qui l’attent,
Quand Rond-rond choira,
Poilu l’attrapera. »
Rép. : Un gland et un sanglier.

1439. À Liége, les devinettes commencent toutes par ces mots : kwè è-s don, vo ? « qu’est-ce donc, vous ? » ; le questionneur traîne un peu sur ce dernier mot pour tenir l’auditeur en suspens et préparer sa question.

1441. Pour demander si l’interlocuteur renonce à chercher la réponse d’une devinette, on lui pose à Liége la question suivante : Avé v’ magnî dèl djot’ asé ? « Avez-vous mangé du chou assez ? ».

Jeus de devinaille.

1443. A gardé byin… « Au gardez bien… » — Les joueurs sont assis au pied d’un mur, excepté le trimeur[57] et le directeur du jeu. Celui-ci va trouver chacun des joueurs et fait mine de déposer dans la main de chacun un objet qu’il tient ; il le remet en réalité à l’un d’eus, après avoir dit à chacun :

Gardez bien ce que je vous donne,
Car vous n’aurez jamais plus rien.

Quand il a fini, le trimeur revient, examine les joueurs et doit deviner celui qui a reçu l’objet. S’il tombe juste, il change de rôle avec celui qu’il a désigné (Liége).

1445. Le « devineur » se tient courbé contre un mur, tandis que d’autres viennent tour a tour sauter sur son dos et faire certains gestes convenus. Il doit deviner le geste qui a été fait. Voici quelques gestes traditionnels et le sens qu’on leur prête à Vottem : montrer un doigt signifie « couteau » ; le poing signifie « marteau », etc.

Jeus préparatoires.

1456. Avant de commencer la partie, les enfants déterminent à l’aide d’un petit jeu lequel d’entre eus doit se charger du rôle le plus désagréable, par exemple, aus jeus de course, le rôle de poursuivant. On procède ordinairement de la manière suivante :

Un des joueurs réunit les autres autour de lui ; il récite une petite formulette rythmée, et en appuyant sur les syllabes fortes, il désigne successivement ses petits amis ; celui qui est désigné sur la dernière syllabe est éliminé momentanément.

On répète ce manège autant de fois qu’il est nécessaire et quand il ne reste plus que deus enfants, celui d’entre eus qui est désigné doit prendre le rôle prescrit dans la partie.

Exemples de formulettes d’élimination :

1457.

Èn deu dik,
S’è vo k’a l’aspik,
S’è vo k’a la boum la la,
S’è vo k’ènn-è va.


Èn deu dik…
Èn deu dik…


Èn deu dik…

1458.

Rond | rond | gigot d’mouton (A) | qui compte pour
un (B) | pour deux | pour trois | pour quatre | pour cinq
pour six | pour sept | pour huit | pour neuf | pour le
grand | gros bœuf | .

(A) En disant cela, le petit garçon (ou la petite fille) fait de l’index quatre tours au fond de sa casquette (ou de son tablier).

(B) À partir de ce moment, l’enfant à chaque coupure du texte, désigne un de ses camarades, en allant de gauche à droite.

Jeus de calcul ou de hasard.

1463. Deus enfants tracent sur le sol un carré muni de ses diagonales et divisé en quatre carrés ègaus par des parallèles aus deus bases. Chacun des joueurs, en suivant certaines règles, fait circuler des jetons sur les lignes tracées.

1499. Babilô-n. — Il y a quelques années, il n’était pas rare de voir aus fêtes de village des colporteurs munis d’une petite tour en bois crier à tout venant Hay, babilô-n ![58] Le jeu consistait à jeter des dés dans la tour dite « tour de Babylone », sur la périphérie intérieure de laquelle était creusée une spire que les dés suivaient en descendant. On calculait le nombre de points marqués par les dés quand ils étaient par terre.

Jeus facétieus et attrapes.

1476. Un gamin demande à son camarade en lui montrant le coude : Kimin lom-t on soula ? « Comment nomme-t-on cela ? » Celui-ci répont : I-n koùt’ « une coude » [autre sens « une courte »]. Alors le farceur lui allonge une taloche en disant : Tin, vola ’n’ long’ « Tiens, voilà une longue ! »

1477. Un petit farceur demande d’un air innocent à son camarade : K’inmé-v mî, i-n peûr ou i-n pom ? « Qu’aimez-vous mieus, une poire ou une pomme ? » Selon les préférences de son ami, il lui décoche l’un des traits suivants :

I'n peûr ?
Vos’ pér è-st on voleur.
I-n pom ?
Vos’ pér è-st on brav om.
I-n djèy ?
Vos pér rèy.
« Une poire ?
Votre père est un voleur ? »
« Une pomme ?
Votre père est un brave homme. »
« Une nois ?
Votre père rit. »

1480. Les petits enfants s’amusent quelquefois à ajouter à chaque syllabe des mots une ou plusieurs syllabes qui ne comptent pas. Par exemple, à Liége, le mot viné « venez » se dira vi-gidi né-gédé.

1483. O safti « Au savetier ». Plusieurs enfants proposent de jouer « au savetier » à des camarades qui ne connaissent pas ce jeu. L’un est désigné pour commander, et les autres s’asseyent en rond, côte à côte. On convient que chacun doit faire exactement ce que le maître commandera. Après quelques exercices, le maître ordonne de battre le cuir. Alors, tous les initiés tapent sur le dos des novices. (Verviers.)

Questions facétieuses.

1487.


Wis’ aléf-t i, mamé Jèzu, kwan i-l aveu kwatr an ?

Réponse : I-l aléf so sink.
« Où allait-il, maimé[59] Jésus, quand il avait quatre ans ?

— Il allait sur (= approchait de) cinq. »

1488.


Si v’ vèyé-st i-n botrès’, avou kwè lî fré-f si boneûr (si bo neûr) ?

Rép. : Avou dè sirach.
« Si vous voyez une botresse[60], avec quoi lui ferez-vous son bonheur (sa hotte noire) ?

— Avec du cirage. »

1489.


Kè meu è-s’ ki lè fœm djâzè l’mon ?

Rép. : Li meu d’ fèvrîr.
« Quel mois est-ce que les femmes parlent
xxxxxxxxxx[le moins ?
— Le mois de février. »
Jeus de société.

1490. On pratiquait autrefois à Liége un jeu qui consistait, pour celui qui dirigeait, à poser à chacun la question : Ki mètré-v è m’bansté ? « Que mettrez-vous dans mon panier ? » Il fallait répondre par des mots en é, tels que tâvlê « tableau », tchapê « chapeau », etc. (A. Hock Liége sous le régime hollandais chap. XVI.)


XII. — Blason populaire.

On désigne sous le nom de blason les produits de la verve satirique des enfants et du peuple.

1495. Les enfants répètent la formulette suivante pour taquiner ceus qui portent le prénom de Henri :

Hinri,
Tchawsori,
Ki tchès’ lè rin-n’ amon Dèri,
Avou ’n pitit’ korîh di fi.

« Henri,
Chauvesouris,
Qui chasse les grenouilles chez Deriz,
Avec un petit fouet de fil. »

1498. Les petits garçons crient aus fillettes qui portent pour la première fois les cheveus en tresse :

Ta, tî, ta, ta,
Kow di ra,
Tral lala,

« Ta, tî, ta, ta,
Queue de rat,
Tral lala. »

1499. En guise de satire contre les maigres, les enfants crient :

Mati L’ohé,
Kwat’ bos’, kwat’ ohê.

« Mathieu L’os,
Quatre bosses, quatre os. »

1502. Quand on parle des avares, on ne manque pas, à Liége, de rappeler ce petit dialogue wallon :

— Dwèrmé-v, wèzèn ?
— Po kwè, wèzèn ?
— S’è po vos’ tèn.
— O bin, dji dwèm !…

— « Dormez-vous, voisine ?
— Pourquoi, voisine ?
— C’est pour [emprunter] votre cuveau.
— Oh bien, je dors ! »

1503.

On taquine les écoliers en récitant la formulette suivante :

Lè skoli,
Lè barbotî[61],
On lè hap po lè deu d’ pî,
On lè tap djisk’â plantchî.

« Les écoliers,
Les grognons,
On les saisit par les doigts de pied,
On les lance jusqu’au plafond. »

1504. On flétrit de l’épithète : magneu d’ tât’ â-z èfan « mangeur de tartines aus enfants » tous ceus qui abusent de leur force ou de leur autorité pour s’emparer de ce qui revient à de plus faibles.

1507. On dit à Liége contre les villageois :

Payîzan d’ mâleûr,
Kwat’ è kwat’, t’è-st on voleûr.

« Paysan de malheur,
Quatre et quatre, tu es un voleur. »

1508. Par contre, les riverains de la Meuse sont flétris par les campagnards du nom de hit’-è-Moûs « (qui) chie-dans-la-Meuse ».

Sobriquets de communautés.

1513. Les Nivellois sont appelés Aklo. Ce sobriquet est expliqué de la manière suivante : « Les portes de la ville étaient jadis si mal entretenues que les gonds et les verrous ne tenaient plus. Une troupe ennemie s’étant montrée dans le voisinage, on voulut, mais en vain, les fermer, et voilà nos bourgeois qui parcourent la ville en criant à tue-tête : Aclaus ! A claus ! [ â klô ! « aus clous ! » ]. » (Tarlier et Wauters Dict. des communes belges 168.)

1514. Les gens de Lodelinsart sont appelés les « veaus » et l’on raconte à ce sujet l’histoire suivante : Un jour, pour choisir le maïeur, on décide de faire courir les candidats dans une prairie et de nommer celui qui arrivera premier. Un veau qui paissait là s’effraye, et, en quelques bonds, arrive au but avant tous les candidats.

1515. On appèle rètchon d’flamin « crachat de flamand » un trou rond bien visible à l’un des vêtements de dessus, surtout si l’on voit au travers la peau comme une tache rose.

1516. Une grosse figure glabre, pleine et sanguine, s’appèle en différents lieus « visage de flamand ».

1517. À Malmédy, on dit contre les Allemands :

Alman,
Dè brigan.
Ki n’a nin do pan,
Po noûri sè pti-z èfan.

« Allemands,
Des brigands,
Qui n’a pas de pain,
Pour nourrir ses petits enfants. »

On fait des habitants de certaines localités comme Malmedy et Dinant les héros d’histoires plaisantes. Ce sont les Dinantais qui, sous le nom de kopér, ont le plus à souffrir de ces contes de blason.

1521. Le copère et les petits chats.

I gn’ aveu in djoû deu kopér di Dinan ki ’nn alun tayî ó bo acheun’. In’alun jamé ni ri-vnun yun san l’ót’ è i gn aveu yun ki dmèreu èn miyèt’ pu lon ki s’ kamarât’. In djoû i pas’. On-n aveu fé dèl situvéy ó chou routch è li kopér ki dmèreu a s’môjo-n la, s’aveu lavè s’ vizâtch avou li purûr dè chou.

« Il y avait un jour deus copères de Dinant qui allaient tailler au bois ensemble. Ils n’allaient jamais ni ne revenaient l’un sans l’autre et il y en avait un qui demeurait un peu plus loin que son camarade. Un jour il passe. On avait fait de l’étuvée aus chous rouges et le copère qui demeurait dans cette maison-là, s’était lavé le visage avec l’eau des chous.

Vla s’ kamarât’ki pas’ pou l’alé kwé, è an vèyan m’n’ om tou routch a s’vizâtch, i lî dmant’ :

Voilà son camarade qui passe pour l’aller chercher, et en voyant mon homme tout rouge au visage, il lui demande :

— K’ès’ ki t’a, on, kopér, ki t’è si routch ? T’è malât’, va, dandjureu. Wét’-tu in pó ó murwè, don, ti vyèra bin ki t’è malât’.

— Qu’est-ce que tu as donc, copère, que tu es si rouge ? Tu es malade, va, sans doute. Regarde-toi un peu au miroir, donc, tu verras bien que tu es malade.

Kan i s’a yeu wéti ó murwè :

Après s’être regardé au miroir :

— Oyi, va, t’a rèzon dèl dîr ki dj’ seu malât’ ; dji m’è rva m’ koutchî.

— Oui, va, tu as raison de le dire que je suis malade ; je m’en retourne me coucher.

È su l’antrœfèt’ di sa, li tcha a stî s’ koutchî dlé l’ kopér è i-l a fé sè djô-n ; è kan s’ kamarât’ a rpassè po-z alé vôy komin i ’nn’ aleûf, i lî a rèspondu :

Et dans l’entretemps de cela, le chat s’est couché près du copère et il a fait ses jeunes ; et quand son camarade a repassé pour aller voir comment il allait, il lui a répondu :

— T’aveu bin rèzon dèl dîr, va, ki dj’ èsteu malât’ ; dj’é tchètlè.

— Tu avais bien raison de le dire, va, que j’étais malade ; j’ai accouché de jeunes chats. »

Recueilli par M. Jules Simon, à Morialmé (entre Sambre-et-Meuse).


XIII. — Coutumes diverses.

La maison et le foyer.

1525. Avant d’entrer dans une maison neuve, on la fait bénir du curé (Laroche).

1526. Lorsque quelqu’un est mort dans une maison neuve, ne fût-ce qu’un chat, on peut aller y habiter sans danger. Elle est sègnèy « signée ». Jadis à Liége, avant d’entrer dans une maison neuve, on y enfermait un chat qu’on laissait crever de faim.

1527. Quand on entre dans une nouvelle maison, un nouvel appartement ou une maison neuve, on doit d’abord y transporter un crucifis, de l’eau bénite et une branche de buis bénit.

1528. On doit aussi répandre du sel dans les quatre coins d’une chambre, surtout si l’on croit la maison hantée (Liége).

1529. L’installation dans une maison est célébrée par un repas ; cela s’appèle pint’ li krama « pendre la crémaillère ».

1538. On ne donne pas volontiers du feu, bien qu’il soit d’usage qu’une femme en retard aille chercher une pelletée de feu chez une voisine plus matinale (Laroche).

1540. Un miroir cassé annonce sept ans de malheur.

Aliments et repas.

1544. Fabrication du pain. — À Laroche : 1o on fait avec la main le signe de la crois sur la maie, quand on y a versé la farine : on sign’ li mê « on signe la maie » ; 2o on signe le levain en le mettant dans la maie ; 3o le lendemain, on pétrit et quand la pâte est faite, on y imprime en creus avec la main la forme d’une crois et on la signe. À Herve, on verse de l’eau bénite dans la pâte.

1548. Les heures habituelles et les noms des repas sont : 6 heures : didjuné « déjeuné » ; 10 heures : fé dî-h eûr « faire dis heures » (Liége), hyolé (Vecmont près Laroche) ; 12 heures : dîné, marèdé (lat. merendare) [Vecmont], fé l’ nô-n (Herve) : 4 heures : beûr li kafè « boire le café » ou fé kwatr eûr « faire quatre heures » (Liége), riciné (lat. recenare) [Vecmont] ; 7 heures : sopé « souper ».

1550. Avant d’entamer le pain qui est de forme ronde et aplatie, on fait une crois avec le couteau sur la face inférieure.

1551. On ne doit jamais mettre le pain à l’envers. Quand le pain est renversé sur la table, on dit à Nivelles : mèté l’ pin kom i fó ; èl dyâl è din l’ mêzo « mettez le pain comme il faut ; le diable est dans la maison » ; à Liége : « le diable danse dessus ».

1552. Enfoncer la pointe d’un couteau dans le pain, c’est faire pleurer la Vierge (Herve).

1553. On ne doit pas marcher sur un grain de sel.

1554. On dit que la viande de cheval donne des clous (Liége).

1557. On ne doit pas manger de pain le jour de la Saint-Hubert, ni de viande le jour de Pâques, pour se préserver des maus de dents (Rossignol, prov. de Luxembourg).

1558. Celui qui mange des pommes la veille de Noël, le mercredi des cendres, le Jeudi-Saint ou le Vendredi-Saint, aura des clous l’année suivante.

Mets traditionnels.

1560. Le mardi-gras, — autrefois aussi les jours de pleine lune, — on mange à Liége les pan doré « pains dorés », biscottes qui ont mijoté dans un lait de poule et que l’on a frites à la poêle avec du beurre.

1561. On appèle boûkèt’, dans la province de Liége, une crêpe faite de pâte très délayée de farine de boukêt’ « sarrazin » et frite à la poêle avec du beurre ou de l’huile. On ajoute souvent à la pâte des « corinthes » ou des ronds de pomme. On mange les « bouquettes » chaudes, saupoudrées de sucre, ou froides, garnies de sirôp’ « confiture de pommes ». C’est le mets consacré du réveillon. On les mange alors, d’ordinaire, en buvant du vin chaud.

Le ménage et la famille.

1563. À la campagne, le chef de famille et sa femme sont appelés nos’ més’ « notre maître » et nos’ dam « notre dame » par leurs domestiques et les étrangers qui entrent dans la maison, soit qu’ils leur parlent, soit qu’ils en parlent. Les épous se donnent également ces titres entre eus.

1564. La paysanne, parlant à ou de son mari, quand elle ne dit pas simplement nos’ mês’ ou nost’ om, l’appèle par son nom de famille, jamais par son prénom.

1571. Les garçons sont appelés valè, litt. valets ; les filles, bâsèl [ancien français baissele et (sous l’influence de bachelier) bachele].

1572. Les enfants ne tutoient pas leurs parents.

Les domestiques.

1576. La bonne qui entre le lundi brise tout ; celle qui entre le dimanche ne reste pas (Liége).

1580. Les domestiques à la campagne se louent pour un an. L’année de service commence généralement à la Saint-Martin (11 nov.) dans la province de Liége, à la Toussaint dans la province de Namur.

1581. En engageant une servante, on lui donne un dnî-Dyè « denier à Dieu » ou ègadjmin « engagement » . Qu’elle soit engagée au mois ou à l’année, elle le conserve, si elle reste, plus de sis mois en Ardenne, plus d’un an à Liége, ou si ses maîtres lui donnent congé avant ces délais.

1582. Si, un mois avant la fin du temps de service, le maître n’a pas réengagé (ridmandé) le domestique engagé à l’année, celui-ci est considéré comme renvoyé.

1583. Un domestique loué au mois est réengagé tacitement, si on ne lui donne pas congé quinze jours à l’avance.

1584. En Ardenne, vers le milieu du siècle, on donnait comme gages annuels à un domestique de ferme sî pès’ « sis pièces » (de cinq francs) et une paire de souliers à Noël.

Métiers et occupations.

1585. Les maréchaus remplissent souvent l’office de médecins, de dentistes et de vétérinaires. Beaucoup rentrent dans la classe des sègneu (nos 616 et ss.)

1589. Le cabaret à la campagne se distingue des autres maisons par deus petits disques de cuivre collés à la fenêtre (prov. de Liége) ou un rameau de genévrier au-dessus de la porte (rive droite de la Meuse),

1596. En Ardenne, le pâtre public, vacher, porcher ou chevrier, est rémunéré de ses services de la manière suivante : chacun des particuliers lui donne une somme modique et de plus le nourrit et le loge autant de jours qu’il lui a confié de têtes de bétail.

Ventes.

1599. À Liége, une marchande tient à recevoir le lundi comme première cliente une personne « ayant une bonne main ». Beaucoup de femmes font même leurs emplettes le lundi matin pour porter bonheur pour la semaine à leurs fournisseuses ; cela s’appèle lè strimé « les étrenner ». La marchande exige d’ordinaire dans ce cas un petit acompte et fait un signe de crois en tenant à la main la première pièce de monnaie.

1600. Le sou remis par l’acheteur en confirmation d’un marché doit être donné par le vendeur au premier mendiant.

Donations enfantines.

1601. Pour rendre irrévocable une donation qui vient de lui être faite par un petit camarade, un enfant de Liège touche ou baise un objet en fer en disant :

Krâ boyê,
Matî L’ohê,
Vo n’èl râré pu jamé ;
Dj’a bâhî dè fyèr.

« Boyau gras,
Mathieu L’os,
Vous ne le raurez plus jamais ;
J’ai baisé du fer. »

(Var. Dj’a toutchî… « j’ai touché… » Defrecheux Enfantines no  22.) 1602. À celui qui reprent une chose donnée, l’enfant dit, à Liége et à Verviers, en français :

C’est l’enfant
Du serpent,
Qui le donne et qui l’reprent !

à Laroche, on dit à un garçon :

Târazin,,
Ki rprin,
Ki rdèn !

« Sarrasin (?),
Qui reprent,
Qui redonne ! »

à une fille :

Târazèn, etc.

« Sarrasine (?), etc. »

Trouvailles.

1603. Lorsqu’un enfant trouve un objet appartenant à l’un de ses camarades, il s’empresse de le cacher et il chante trois fois en français :

Qui a perdu ?
Moi, j’ai trouvé,
Dans la rue des cavaliers.
Celui qui ne répont pas
Ne le raura pas.

Aussitôt ses camarades s’empressent de se fouiller et si aucun ne peut désigner la nature de l’objet perdu, il reste la propriété de celui qui l’a trouvé (Liége).

Serments d’enfants.

1604. À Herve, l’enfant met la main sur le cœur en disant : min so l’ koûr « main sur le cœur », puis se tire la peau du larynx avec le pouce et l’index de la main droite en disant : Picèt’ dè bon Dyu « pincette du bon Dieu ».

1605. À Liége, la forme la plus solennelle du serment pour un enfant consiste à rètchî s’pètchî « cracher son péché ». Pour affirmer la véracité de ce qu’il vient de dire, il décrit au-dessus de sa tête un cercle avec l’index de la main droite dirigé vers les cheveus, puis se tirant la peau du larynx avec l’index et le pouce de la main droite, il crache à terre un peu de salive et dit : Vola m’ pètchi « voilà mon péché ».

1606. À Ensival, l’enfant se mouille l’index de salive et se fait une crois sur le front en disant : Vola mè kreu « voilà mes crois » ; « Fais serment ! » se dit fêt’ kreu.

Formules d’obsécration.

1607. Ki dj’ tom reu mwêr vola so l’ plès’ ! « Que je tombe raide mort ici sur la place ! « (Liége).

1608. Ki dj’ seùy kû è l’ôl ! « Que je sois cuit dans l’huile ! » (Liége).

1609. Ki dj’ koûr arèdji a Sin-Houbèr ! « Que je courre enragé à Saint-Hubert ! » (Verviers).

1610. Ki dj’ vây è wahê de dyâl ! « Que j’aille dans le cercueil du diable ! » (Liége).

1611. Ké l’bon Dyeu m’ fas’ aveûl dé mè deu-z î ! que le bon Dieu me fasse aveugle de mes deus yeus ! » (Nivelles).

Querelles.

1612. Lorsque deus enfants se querèlent, il arrive souvent qu’un tiers intervient, saisit l’un par les cheveus en disant à l’autre : Riprindé vo tchvè « Reprenez vos cheveus » (Grivegnée).


XIV. — Le Calendrier[62]

Le 1er Janvier.

1652. À Liége, dès la première heure jusqu’à la nuit, les enfants du peuple parcourent les rues en bandes, sonnant à toutes les portes et assaillant les passants pour leur offrir des nûl en souhaitant i-n bo-n an-néy, i-n parfèt’ santé è tôt’ sór di boneûr « une bonne année, une parfaite santé et toutes sortes de bonheurs » . Les nûl, — le mot vient du latin nebula —, sont des hosties un peu plus grandes qu’une pièce de cinq francs en argent et portant l’image d’un crucifis en un léger relief. Elles sont ordinairement blanches, mais il en est de couleur. Le nûl vert est un heureus présage. On donne presque toujours à ces enfants quelque menue monnaie et beaucoup acceptent leur nûl pour le coller, à titre de chasse-malheur, au-dessus et sur le côté intérieur de la porte de la maison ou de la chambre qu’ils habitent.

1653. Une jeune fille doit demander son prénom au premier petit garçon qui lui souhaite le nouvel an. Son futur mari portera le même.

1654. À Vaux-sous-Chèvremont, on dit en allumant le premier feu : Dji v’ sohêt’ i-n bo-n an-nèy, a l’ wâd’ di Dyu « Je vous souhaite une bonne année, à la garde de Dieu ». En tirant le premier seau d’eau, on jète une poignée de sel dans le puits et l’on fait le même souhait. On répète ce même souhait en allant ensuite dans les prairies enrouler autour des arbres fruitiers des torchettes de paille (Hock 102).

Veille des Rois.

1657. La veille des Rois, dans les villages de l’est de la province de Liége, les enfants et les jeunes gens vont « quêter aus portes » en chantant de petits couplets consacrés à cet usage, ce qui s’appèle hèyî [ou hélî] â-z oûh. Ils font un petit régal avec ce qu’on leur donne. Voici deus exemples de leurs chants de quête ; le premier sert pour la demande ; le second, satirique, est entonné par les enfants quittant une maison peu généreuse.

1660.

Bo-n nut, wèzèn, è bo-n santé,
No vnan tchanté po v’ rèkrèyé.'
On no-z a ko komœnmin
Ki l’ konchiyins’ ni v’ pwètreu nin
Di no lèyî tchanté po rin.
Sèyî no braf
Fé no lè waf
È lè galè
Po mèt’ è nos’ pakè !

« Bonne nuit, voisine, et bonn santé,
Nous venons chanter pou vous récréer.
On nous a dit généralement
Que vous étiez de si braves gens
Que la conscience ne vous porterait pas.
De nous laisser chanter pour rien.
Soyez bon pour nous,
Faites-nous les gauffres
Et les galettes
Pour mettre dans notre paquet ! »

(prov. de Liége).

1661. Variante :

S’è-st oûy lè hél ;
I n’a pu dèl mizér.
S’è to hèlyeu,
I n’a pu dè bribeu.
Sèyî no braf, etc.

« C’est aujourd’hui les hél ;
Il n’y a plus de misère.
Ce sont tous hélyeu,
Il n’y a plus de mendiants.
Soyez, etc. »

(Id.)
1662.

Dju vin hélî
A l’ôliyèt’
Ku l’fam du si
N’a pu de tèt’.
On lî a kópé
Avou ’n’sizèt’.
On l’-z a rostî
È-n o-n pêlèt’.

« Je viens hélî
À l’œillette[63]
Que la femme d’ici
N’a plus de mamelles.
On les lui a coupées
Avec des ciseaus.
On les a rôties
Dans un poëlon. »

1658. Jadis, à Herve, la ville était de plus parcourue par trois jeunes garçons, plus ou moins déguisés, qui représentaient les rois mages allant à Bethléem et chantaient aus portes la chanson des trois rois (no 1010). L’un d’eus portait une hotte, un autre avait le visage noirci pour figurer l’ neûr rwè « le roi noir » et agitait une sonnette fixée au bout d’un bâton.

Jour des Rois (6 janvier).

1665. Celui qui mange le morceau du milieu du gâteau des rois (li mirou dè wastê) n’aura pas de coliques pendant l’année (prov. de Liége).

1666. Jadis, dans plusieurs villages de la province de Liége, après que la fève avait désigné le Roi, on le portait assis sur une chaise dans la prairie derrière la maison. La Reine qu’il s’était choisie venait s’asseoir à côté de lui. On brûlait devant eus une gerbe de paille et l’on faisait une ronde.

1668. Dimanche après les Rois s’appèle a Liége le « dimanche du roi noir ».

1669. Le Lundi après les Rois (12 janv.) s’appèle lundi perdu dans le Brabant, lundi parjuré dans le Hainaut.

1672. St-Maur (15 janv.) — Les arbres qu’on replante le jour de St-Maur ne repoussent pas (Mons).

1674. St-Antoine (17 janv.) — Dans plusieurs villages de la province de Liége, notamment à Pepinster, on va faire bénir des petits pains ou des gauffres (waf) que l’on fait manger aus gens et aus bêtes, surtout aus porcs —, afin de les préserver du « feu Saint-Antoine », inflammation des intestins.

Mardi gras (12 février).

1693. En Hesbayc, les enfants vont de porte en porte de grand matin en disant des chants de quête semblables à ceus des nos 1660-1662. On leur donne des pommes, des nois, mais surtout des morceaus de lard qu’ils embrochent dans de longues baguettes de saule.

1694. On allume sur les routes devant chaque porte un petit feu appelé hiràt’, afin de préserver gens et bêtes des coliques (Condroz). Cp. nos1712 et 1782.

1695. Il faut manger du chou vert le mardi-gras pour que l’été suivant les chous ne soient pas attaqués par les petites mouches (mohèt’, plokou) (prov. de Liége).

Mercredi des Cendres (17 fév.).

1698. La crois faite sur le front à la messe du mercredi ne doit pas être effacée. Il faut la garder le plus longtemps possible. On dit aus enfants que s’ils pouvaient la conserver jusqu’à Pâques, — la Laetare en Hesbaye —, le curé leur donnerait un costume neuf.

1700. Dimanche des grands feus (djoû de fouwâ, djoû dè gran feu) [premier dimanche du Carême].

1701. Les enfants vont dîner chez leurs parents : on rvin magnî l’ pan di s’ pér « on revient manger le pain de son père » (Liége) ; èl djoû du gran feu, ó va, sèt eûr lon, sèt’ eûr lârtch, pou mindjî du pin d’leu parin « le jour du grand feu, on va, sept heures long, sept heures large, pour manger du pain de ses parents » (Baulers) ; « on va manger le pain de ses parents pour les faire vivre vieus » (Nivelles).

1702. Le premier dimanche de Carême, dans beaucoup de villages, on fait de grands feus (fouwâ). L’usage n’a disparu dans les villes qu’au milieu de ce siècle.

1703. Ces grands feus sont allumés sur les hauteurs.

1704. Les jeunes gens, ou plutôt aujourd’hui les enfants, vont quêter de porte en porte le combustible nécessaire. On ne peut, en effet, utiliser que du combustible donné po l’amour di Dyu « pour l’amour de Dieu ». Cp. 615.

1706. Celui qui a refusé du combustible est poursuivi le lendemain par les enfants qui cherchent a lui noircir le visage avec les charbons du foyer éteint (Grand-Halleux).

1707. On met, pour servir de centre au bûcher, une perche que l’on nomme makral « sorcière » à Grand-Halleux.

1708. C’est le dernier marié du village qui met le feu (Grand-Halleux).

1711. Les jeunes gens font des rondes autour du feu.

1718. À Laroche, on attachait un vieus balai au sommet de la perche qui servait de centre au bûcher. La personne, dans la direction de laquelle le balai tombait pendant la flambée, serait, croyait-on, le première à se marier de toute la jeunesse présente.

1712. Tous sautent au-dessus du feu pour être préservé des coliques pendant l’année.

1714. On jète dans le grand feu un mannequin de piaille (environs de Morlanwelz).

1719. On dit aus enfants qu’ils auront autant d’œufs à Pâques qu’ils ont vu de feus le jour des grands feus (Ensival).

St-Grégoire (12 mars).

1725. Saint-Grégoire est appelé dans tout le pays wallon le patron des écoliers.

1726. En Hesbaye, les enfants enferment l’instituteur dans son école et chantent :

Sin Grîgorî,
Patron dè skolî,
Diné no on djoû d’ kondjî.

« Saint Grégoire,
Patron des écoliers,
Donnez-nous un jour de congé. »

1727. À Laroche, les enfants vont se promener avec l’instituteur et manger une sorte de bouillie appelée matrou et faite avec des œufs, du lait et de la farine.

1728. On sème les oignons, même s’il y a encore de la neige.

Rameaus [Florèy-è Pâk] (3 avril).

1737. On va planter de petits rameaus de buis bénit à tous les coins des champs de blé et de plus, dans quelques villages au nord de Liége, sur les tombes.

Jeudi-Saint (7 avril).

1740. On doit visiter sept églises dans l’après midi du Jeudi-Saint (Liége et Verviers).

1741. À Verviers, on mange des gâteaus en forme de croissant qu’on appèle « lunettes ».

Vendredi-Saint (8 avril)

1743. Le Vendredi-Saint, il est bon de cuire le pain et il est mauvais de laver le linge. La croyance est expliquée à Laroche par la légende qui suit :

1744. Jésus, ayant soif, passa près d’une femme qui faisait la lessive et lui demanda à boire. Elle lui donna une tasse d’eau de lessive ; il la but sans rien dire. Plus loin, il passa près d’une maison où l’on cuisait le pain et demanda de quoi manger. La femme lui donna un petit pain. Jésus s’en alla en disant :

Maudite soit la femme qui bue (= fait la lessive, bouwèy)
Et bénie soit la femme qui cuit.

1746. On doit semer les jardins le Vendredi-Saint.

1747. On dit aus enfants que s’ils peuvent jeûner le Vendredi-Saint toute la journée, ils trouveront un petit couteau (Hesbaye).

Samedi-Saint (9 avril).

1749. À Liége, on disait aus enfants, qu’à midi, arrivait so l’Bat « sur la Batte » (nom d’un quai) un bateau d’osier, li batê d’wêzîr, tout rempli d’œufs de Pâques, kokogn’, qui étaient distribués gratuitement aus parents pour leurs enfants.

1750. Partout ailleurs, et même à Liége, on leur dit que ce sont les cloches qui sèment des œufs dans les jardins en revenant de Rome et le lendemain matin, les petits vont y découvrir les œufs que les parents y ont cachés.

Pâques (10 avril).

1752. I fâ strimé de noû solé ou lè-z aguès’ vi hitron so l’ tyès’ « Il faut étrenner des souliers neufs ; sinon, les pies vous chieront sur la tête » (Liége).

1754. On teint les œufs de Pâques, ordinairement en brun, en mettant des pelures d’oignons dans l’eau qui sert à les cuire.

1755. Les enfants s’amusent à jeter en l’air, dans les prairies, les œufs durs qu’on leur donne (Sinsin, prov. de Namur).

1756. On joue à heurter les œufs, kaké lè-z oû. L’un de joueurs tient son œuf serré dans le poing, le bout pointu (bètch « bec ») dépassant seul. L’autre heurte l’œuf de son adversaire avec le « bec » du sien. Celui dont l’œuf est entamé le retourne et le serre dans la main de façon à ne laisser accessible que le bout arrondi (kou « cul »). Celui qui a réussi « bec » contre « bec » joue alors « bec » contre « cul ». S’il réussit, il gagne l’œuf. Si son « bec » se brise, c’est à lui à retourner son œuf et à l’autre à jouer « cul » contre « cul ».

Lundi de Pâques (11 avril).

1758. Jadis, à Herve, pendant toute la journée du lundi, les habitants se rendaient à cinq minutes de la ville dans un terrain en pente, appelé so l’Hoûgn et situé au bord d’un chemin, dans la direction de Bolland. Des marchands y vendaient de la bière et des couques brunes très friables, appelées miloût’. Chacun avait apporté des œufs durs dans un panier et l’on se provoquait à les heurter les uns contre les autres (kaké lè-z oû). Les œufs gagnés se mangeaient avec des miloût’. Il y a environ cinquante ans, le chemin élargi, où avait lieu la fête, a été resserré au profit des riverains et depuis lors, c’est dans la rue où se trouvent actuellement les écoles communales que l’ancienne fête revit, mais très altérée, dans une petite foire avec quelques échoppes de marchands de couques et des joueurs d’œufs, munis de leurs damiers et de leurs bourses à numéros. Cette foire s’appèle lu Hoûgn, du nom du lieu où elle se tenait autrefois.

Quasimodo (17 avril).

1760. Le premier dimanche après Pâques s’appèle Klôz-è Pâk « Pâques clôses » ou dimègn dè moûnî « dimanche des meuniers », parce que l’on dit que ceus-ci, — le peuple les considère volontiers comme un peu voleurs —, attendent toujours le dernier moment pour faire leurs pâques.

1er MAI.

1763. La nuit du 1er mai, les jeunes gens vont attacher sur les toits ou planter devant les portes des maisons où il y a des jeunes filles, des branches d’arbres (may), dont la valeur est symbolique. Un mai de buis enrubané (may di pâkî), est une déclaration d’amour. Un mai de cerisier ou de noyer indiquera la demeure d’une jeune fille qui fait trop parler d’elle. La coutume des mais est reportée à la nuit de l’Ascension dans les environs de Verviers.

1767. « À Fosses, le 1er mai, pour fêter sainte Brigitte, on distribue des milliers de baguettes de noisetier ; à la grand’messe, au moment où le prêtre donne la bénédiction, chacun lève sa baguette en l’air ; les milliers de branches de noisetier s’agitent et s’entrechoquent toutes ensemble ». (Hock 118) Cp. 1772.

invention de la croix (3 mai).

1769. S’il pleut le 3 mai, il n’y aura pas de nois (Nivelles).

1770. À Amay, le 1er dimanche de mai, les paysans arrivent en masse des environs à la messe en l’honneur de Ste-Brigitte. « Ils vont à l’offrande, puis emportent de la terre préparée et bénie placée dans un grand plat en cuivre jaune, à grosses ciselures sur les bords ; ces ciselures représentent des vaches, des cochons, etc. Chaque paysanne a bien soin de caresser de la main ces ciselures au protit de ses bestiaus. Les petits paniers et les mouchoirs se remplissent de cette bonne terre, qu’on mêle à la nourriture du bétail ». (Hock 119). À Huy, à l’église St-Remy, à la fête de Ste-Brigitte, la sainte est exposée avec sa petite vache noire et la foule se presse pour caresser la vache. Ceus qui ne peuvent l’atteindre avec la main, la touchent du bout de leur bâton.

Saint-Servais (13 mai).

1772. Saint Servais est le grand saint agricole du Brabant et du Hainaut. À Stambruges, près de Tournai, le dimanche qui suit sa fête, on l’honore de la manière suivante : Les paysans qui accourent en foule coupent en route des baguettes flexibles et les écorcent de façon à y former une spirale. Ils peuvent, d’ailleurs, en acheter sur les lieus de toutes préparées au pris de cinq centimes. À l’église, ils vont invoquer le saint en touchant sa statue de leurs baguettes sur la poitrine, les deus côtés et dans le dos. Ils se dirigent ensuite vers les fonts baptismaus où ils sont admis à toucher une main de saint Servais, puis achètent une image représentant le saint, image qu’au retour, ils suspendent dans l’étable à côté de la baguette qui a frôlé la statue et dont l’attouchement servira désormais à guérir les bêtes malades. Le saint de Stambruges est représenté couché sur une paire de cornes démesurées et doit être repeint chaque année, tant les coups de baguette sont nombreus. (Communication de M. A. Harou.) Cp. no 1767, 1770 fin et 1775.

Rogations (15, 16, 17 mai).

1774. Elles sont appelées lè kreu « les crois », à cause des crois de la procession qui parcourt les champs pendant ces trois jours.

1775. Dans le pays de Herve et de Verviers, les enfants suivaient jadis ces processions, en portant ce qu’ils appelaient des djoli pikrê « bâtons bariolés ». Le pikrê était une longue baguette dont ils avaient enlevé l’écorce, de manière à former une spirale. Il était parfois garni de rubans. Ils y attachaient ou y enfilaient les friandises qu’ils quêtaient pendant ces trois jours et qu’ils mangeaient pendant les processions. À Herve, ils chantaient en suivant les « crois », au lieu du latin des litanies :

Sant Mitch è mi-y oû
È m’ djoli pikrê avou.

« Sainte Miche et mon œuf
Et mon bâton bariolé avec. »

Saint-Jean-Baptiste (24 juin).

1782. Huit jours avant la St-Jean, on brûle des bottes de paille sur les routes, afin que les chevaus qui y passeront n’aient pas de coliques pendant l’année (Sinsin). Cp. 1694.

1783. La nuit de la St-Jean, on fait de grands feus analogues à ceus du premier dimanche de Carême.

1786. On saute au-dessus de ces grands feus pour se préserver des coliques (Sinsin).

1787. Les charbons du feu de la St-Jean sont conservés. On croit qu’ils préservent de l’incendie.

1788. On croit que, s’il pleut la nuit de la Saint-Jean, toutes les noisettes seront trouées.

1790. À Ougrée, on plongeait autrefois, à midi, la statue de saint Jean dans la Meuse pour en bénir l’eau. (Hock 96).

1791. Sur les bords de la Vesdre, de l’Ourthe et de la Meuse, on envoie les enfants se plonger dans l’eau, à midi sonnant.

1792. Jadis les grandes personnes se lavaient avec de l’eau puisée à la rivière à la même heure.

1793. Dicton : Sin Dj’han ènn’è va nin sin s’ pèhon « St-Jean ne s’en va pas sans son poisson ».

St-Loup (31 juillet).

1798. À Strée (Condroz), il y a «ne chapelle de saint Loup où vont prier ceus qui se trouvent doués d’un trop grand appétit. Ils lui offrent de petits gâteaus (tortè) en guise d’exvotos.

Assomption (15 août).

1801. À Ensival, les petits garçons allaient jadis faire bénir à la première messe des bouquets composés principalement de fleurs de menthe sauvage et de tanaisie (tènhèy). Ces bouquets bénis (bèni bwèrê) étaient conservés pour être jetés dans le feu pendant les orages.

1802. La grande lessive doit se faire entre lé deu Notru Dam « les deus Notre-Dame » (Assomption, 15 août, et Nativité, 8 septembre) ; sinon, le linge jaunit (prov. de Liége).

St-Lambert (17 septembre).

1809. C’est à la Saint-Lambert qu’on doit semer le seigle dans la province de Liége.

St-Denis (9 octobre).

1813. Pendant la nuit de la St-Denis, on allume une bougie en plein vent sur une hauteur. Si elle s’éteint, le froment baissera ; si elle continue à brûler, il haussera (Moha).

Toussaint (1er novembre).

1816. On sonne les cloches à toutes les heures depuis le jour de la Toussaint à midi jusqu’au lendemain à la même heure.

Jour des Âmes (2 nov.).

1819. On recommande aus enfants de ne pas jeter des pierres dans les haies et de ne pas y couper de baguettes, en leur disant que les âmes y sont perchées (environs de Verviers).

1820. On doit fermer toutes les portes avec précaution pour ne pas faire de mal aus âmes (ibidem).

1821. Les enfants se promènent en balançant en guise d’encensoirs des pots à fleurs remplis de braises allumées et en mendiant avec le cri : on san po lè pôv-è-z âm ! « un cent (pièce de 2 centimes) pour les pauvres âmes » ou on san po l’âté de gozî « un cent pour l’autel du gosier » (Verviers).

1822. Jusqu’en 1798, — époque où l’usage fut interdit, — le soir du 2 novembre, veille de la St-Hubert, les enfants de Liége, munis de petits maillets en bois, — les tourneurs en vendaient ce jour-là par mannes —, allaient tambouriner[64] sur les portes en criant :

Houbiè è rivnou
Avou dè mayè a s’kou.

« Hubert est revenu
Avec des maillets à son cul. »

OU

Sin Houbèr k’è rivnou
Avou s’mayè a s’kou

« Saint Hubert qui est revenu
Avec son maillets à son cul. »

Ajoutant parfois :

Sin Houbèr m’a-t ôrdone
Dè bouhî è dè klawé.

« Saint Hubert m’a ordonné
De frapper et de clouer. »

(Cp. Defrecheux Enfantines 25-28.)

Saint-Hubert (3 nov.).

1824. Saint Hubert est invoqué à Liége contre la foudre et la rage dans une formulette que l’on dit en temps d’orage ou lorsque l’on passe près d’un chien.

Sin Houbèr, k’è-st è s’ tchapèl,
Ki no houk, ki no-z apèl.
K’î no prézèrv dèl tonîr
È d’ l’aloumîr,
Dèl got’ è dè din,
Dè mâva sèrpin,
Dèl siteûl k’è â sîr
È d’ to mâleûr, s’i lî plê.

« Saint Hubert, qui est dans sa chapelle,
Qui nous hèle, qui nous appèle,
Qu’il nous préserve de la foudre,
Et de l’éclair,
De la goute et des (maus de) dents,
Du mauvais serpent,
De l’étoile qui est au ciel
Et de tout malheur, s’il lui plaît. »

1825. Dans le Hainaut, lorsque les enfants voient un chien errant, ils disent une variante française du même texte :

Grand saint Hubert,
Qui est dans sa chapelle,
Qui nous voit, qui nous appèle,
Grand chien,
Petit chien,
Passe ton chemin,
Je ne te fais rien.

1826. On croyait, il y a peu d’années encore, que le jour de Saint-Hubert, on pouvait chasser partout sans autorisation de propriétaires ou permis de port d’armes (Louveigné).

1827. On dit de saint Hubert dans le Gondroz : S’i-l aveu volou, i-l âreu stu l’ bon Dyu ; i n’a nin volou « S’il avait voulu, il aurait été le bon Dieu ; il n’a pas voulu ».

Saint-Martin (11 nov.).

1831. Dans le sud-est de la province de Liége, les paysans vont promener dans les prairies en tournant autour des arbres fruitiers avec des bâtons entourés de foin ou de paille en feu. Les petits garçons chantent en courant dans les vergers avec ces brandons :

Bon Sin Mârtin !
Avoyî dè pom è dè peûr
È nos’ djârdin.

« Bon saint Martin
Envoyez de pommes et des poires
Dans notre jardin. »

Ste-Catherine (25 nov.).

1833. Sainte Catherine est la patronne des métiers où l’on fait tourner des roues, parce que sainte Catherine a été rouée. Les meuniers, les charrons et les charretiers chôment sa fête.

1834. Il arrive malheur à celui qui fait tourner une roue le 25 novembre. Dans quelques villages, on a même soin de moudre le café la veille, la superstition relative au moulin à blé s’étant étendue par analogie au moulin à café.

243. 244. St-Éloi (1er décembre). — On met des rubans et de petits drapeaus de papier aus colliers des chevaus. — Dans plusieurs villages de la province de Namur, les cultivateurs font dire une messe et le maréchal leur donne ou leur paie à dîner.

1839. St-Nicolas (6 déc). — Les enfants adressent à Theux cette prière à saint Nicolas :

Sin Nikolè,
Hapé l’Bâbou ;
Ka i m’ fê s’ hègn’
Ki m’ fê pa-ou.
Hapé lî tot’ sè djèy,
Mèté lè è vos’ banstê.
Kópé lî lè-z orèy,
Mèté lè è vos’ sètché.
Sin Nikolè,
Hapé l’ Bâbou ;
Ka ’l è si lé
K’i m’ fê pa-ou.

« Saint Nicolas,
Arrêtez le Bâbou[65] ;
Car il me fait sa grimace
Qui me fait peur.
Prenez-lui toutes ses nois,
Mettez-les dans votre panier.
Coupez-lui les oreilles,
Mettez-les dans votre sac.
Saint Nicolas,
Arrêtez le Bâbou ;
Car il est si laid qu’il me fait peur. »

St-Thomas (21 déc).

1841. Les enfants enferment leurs parents ou leur instituteur et avant de les délivrer, se font promettre quelque chose, friandise, jour de congé, etc. (Nivelles). Cp. 1726.

Noël.

1843. On croit que pendant la nuit de Noël, les jeunes roitelets de l’année reviennent tous au nid où ils ont été élevés (Lincé-Sprimont).

1844. Quand les douze heures sonnent, toutes les bêtes à cornes se mettent à genous dans les étables. Celui qui chercherait à les voir ainsi prosternées deviendrait aveugle. Toutefois, elles pourraient être vues sans danger de celui qui irait dans une étable à minuit sans se douter de ce qui va se passer.

1846. Un rameau de pommier, i-n koh di mèlèy, coupé à minuit et mis dans un vase d’eau, fleurira à la Chandeleur (Liége).

1847. On dépose à l’extérieur de la maison, presque partout, un morceau de pain et une pinte d’eau sur l’appui de la fenêtre ; dans quelques villages, de l’avoine et du fourrage devant la porte de l’étable. Au coup de minuit, pain, eau, avoine et fourrage sont bénits.

L’eau ne se corront ni ne s’évapore jamais.

Le pain est distribué le lendemain aus gens et aus bêtes.

La poule qui mange l’avoine bénite est assurée contre le renard et tous les petits carnassiers.

Les vaches qui mangent le fourrage bénit peuvent paître impunément l’été dans les trèfles mouillés.

1848. On tue le porc et l’on porte aus parents, aus amis et au propriétaire de la ferme, la charcuterie suivante : des pieds et des oreilles de porc, du boudin et une ou plusieurs aunes de saucisse. L’ensemble de ces victuailles, réunies sur un même plat pour être mangées froides au premier déjeuner de Noël et des jours suivants, s’appèle i-n drèssèy « une [assiette] dressée (= garnie) ».

1849. On donne aus enfants le matin de Noël un petit gâteau qui, à Herve, Laroche, Charleroi et Nivelles, est appelé kougnou.

1853. On ne doit pas faire la lessive entre Noël et le Nouvel an (Polleur).

1858. Innocents (28 déc.). — À Laroche, les petits garçons, armés de baguettes, vont de maison en maison et y feignent de battre les jeunes filles, — ou la femme à défaut de filles —, et celles-ci leur donnent des noisettes.


  1. Questionnaire de Folklore publié par la Société du Folklore wallon. — Liége, Vaillant-Carmanne, 1890. — Un volume de xii-154 pages in-8º. — Pris : cinq francs.
  2. C’est au point que l’on pourrait mettre en note de certaines œuvres wallonnes : « Cette comédie est imprimée en français ; le lecteur est prié de la lire en wallon d’Ans. »
  3. Le Bulletin de Folklore est une revue semestrielle qui sert d’organe à la Société du Folklore wallon. L’abonnement est de sis francs. Il est distribué sans frais aus membres de la Société en retour de leur cotisation de cinq francs.
  4. Aussi les Anglais écrivent Folk-Lore, parce que c’est pour eus un composé non encore suffisamment fondu. Nous, qui y voyons un mot tout fait dont les éléments premiers n’ont pas de sens dans notre langue, devons l’écrire sans trait d’union.
  5. Quelques Français emploient le mot Tradition avec un T majuscule. Il est trop vague et n’a d’ailleurs acquis de sens spécial que par un ricochet du mot folklore. L’expression de Traditions populaires, employée par d’autres, est meilleure ; mais elle a deus défauts : elle est d’abord un peu longue ; ensuite, elle ne permet pas la création d’un substantif pour désigner celui qui s’occupe à recueillir et à étudier les traditions populaires et que les Anglais appèlent folklorist.
  6. Voyez une formulette presque semblable pour la chauve-souris, no 74, page 11.
  7. Ces trois exemples sont pris à un article de M. Tuchmann dans Mélusine 2, 563-564.
  8. Voyez sur ce jeu les études de MM. Gittée dans Volkskunde 4, 123-134 (reproduite en traduction française dans Mélanges wallons Liége, 1892, 85-98) et Newell dans Games and songs of american children et Journal of american Folk-Lore 5, 70. Je n’ai pu consulter encore les travaus de M. N. que je cite ici d’après Mélusine 6, 72.
  9. Voir sur ce sujet l’intéressant ouvrage de Starcke, La famille primitive, qui élève des doutes très légitimes sur la première partie de l’hypothèse. On trouvera les principales conclusions de M. S. très bien résumées par M. Godenir dans Bulletin de folklore 1, 67-71.
  10. Cp. Léopold von Schroeder die Hochzeitgebräuche der Esten 26 d’après un ouvrage antérieur à 1865.
  11. 11, 244.
  12. Quelques faits anciens à l’appui : En zend et en sanscrit, le même mot açman signifie à la fois « pierre » et « ciel » et le premier de ces deus sens doit être reporté à l’époque où les ancêtres des Indous et des Européens vivaient ensemble, le grec ἄϰμων « enclume » permettant, en effet, de restituer dans le dictionnaire proethnique un mot akmô(n) « pierre », dont le sens s’est spécialisé sur les bords de la Méditerranée. En latin, cœlum et firmamentum ont signifié « voûte » à l’origine et des traces de la même conception se rencontrent chez les Sémites. (Voyez Bréal et Berger dans Mémoires de la Société de linguistique 7, 27-28).
  13. Voyez ci-dessous le n° 958.
  14. D’après les versions orales que nous avons recueillies, e’est saint Remacle lui-même qui va à la rencontre du diable, ce qui est bien sûr la vraie forme de la légende.
  15. Cette bonne femme pourrait venir d’une bonne Renommée (fame) et sa représentation dériver uniquement de la Renommée de Virgile (En. 4, 173) dont la tête disparaît dans les nuages.
  16. Le vèrbo de Franchimont n’est pas un « bouc vert », comme tout Wallon entendant le mot pour la première fois serait tenté de le traduire ; c’est une forme wallonisée de l’allemand werboch, littéralement « homme-bouc» (τρϰγάνθρωπος), mot formé comme werwolf « loup-garou » littéralement « homme-loup ». La première partie des deus composés est un vieus mot germanique, qui remonte à la langue primitive de notre race et a pour cousin germain le latin vir.
  17. Ce détail paraît du crû de M. Pimpurniaux, mieus au courant que son petit Ardennais des mœurs des cannibales ; dans la suite, nous corrigeons son orthographe wallonne.
  18. Variantes : Grand esprit et grand plaisi.
  19. « Soupe de chien » s’emploie couramment en wallon dans le sens de « pluie ».
  20. Le wallon appelle kostîr la courtillière et le carabe doré.
  21. Dji deu « je dois » s’emploie en wallon sans autre complément dans le sens de « j’ai des dettes ».
  22. Le nom de róytê sans épithète est donné en wallon au troglodytus parvulus.
  23. Forte montée de la grand’route de Liège à Aix-la-Chapelle.
  24. Le Médecin des Pauvres est un petit recueil de formulettes en français, dernières transformations d’incantations païennes légèrement christianisées au commencement du moyen âge. Il a été édité très souvent dans ce siècle ; nous en connaissons une édition de Huy et deus de Nivelles, dont l’une sous le titre ordinaire, l’autre sous celui de Les heureux secrets, trésor des ménages (12 pages sans date ni nom d’imprimeur). Beaucoup de copies manuscrites circulent dans les campagnes. C’est d’après une d’elles que M. Hock Croyances et remèdes, passim, en a reproduit quelques-unes. Pour le n° 451, nous donnons le texte de l’édition de Huy ; celui de Hock 478 et celui des Heureux Secrets sont un peu différents.
  25. Le peuple donne le nom de fîvlin-n’ à toute maladie consomptive de l’enfant.
  26. Cet onguent s’appelle aussi li rmèd di sèt’ sór « le remède de sept sortes ». Pour arriver à ce chiffre, on compte comme 1° « un petit pot de terre neuf ».
  27. Texte de Hock 44 ; v. page 23, note 1.
  28. Le wallon est ici la traduction du français, ce que prouve notamment l’absence des deus derniers vers, rejetés parce qu’ils n’auraient pas donné de rime (minpan).
  29. Je mès en italique dans les textes en romain, les mots et expressions calqués sur le wallon, et entre crochets tout ce qui est ajouté pour l’intelligence d’un mot ou d’une phrase.
  30. Nom du plus ancien pont de Liége.
  31. Bilok, nom donné à Liége à une espèce de prune
  32. Destiner dans le sens de prophétiser est dans le Chevalier au lion ; rati-n est une forme réduplicative faite sur le modèle de dusti-n, ra représentant re latin. Dus dans dusti-n pouvait, en effet, s’interpréter comme de latin et faire croire à un simple tiner, de même que l’on a loyè, dus-loyè, et ra-loyè, « lier, délier et relier. »
  33. Cet arbre est une transformation de la pomme.
  34. Il l’a sans doute épousée à cause du don qu’elle possède.
  35. Le temps qu’un coq batteur met pour manger sa pitance.
  36. Forme wallonne du dicton français connu ici : « Qui rit le vendredi, dimanche pleurera ». Son acception météorologique n’est plus comprise à Liége
  37. C’est-à-dire : doit se presser, le tonnerre indiquant que la température s’est réchauffée et qu’il est en retard.
  38. a et b Les mots en italiques représentent les mots wallons intercalés dans le texte (ex : d’ha « dit ») ou les mots français dont la prononciation a été wallonisée (ex : Dju) ou s’est conservée pure en wallon (ex : rwè). Ces vers me paraissant avoir été primitivement de sept syllabes, je remplace par des apostrophes quelques e que je crois muets.
  39. Vraiment.
  40. Le texte est manifestement corrompu ; on pourrait conjecturer : … Jésus bénin (?) — À sa
  41. J. Kaisin Annales historiques de la commune de Farciennes 2, 59 ; l’auteur ne donne que trois couplets de la cantilène ; nous avons pris les deus autres à une version plus complète recueillie à Dinant par de Reinsberg-Düringsfeld et publiée par lui dans ses Traditions et légendes de la Belgique, 2, 283-284. Voici les variantes de R. D. pour les trois premiers couplets : 1, v.3 et sa mèr’ — 2. Un jour dans ses prières | Son père la regarda. | Que fais-tu là, ma fille ? | Ma fille, que… — 3. Va-t-en chercher mon sabre | Et mon grand couteau qui est là | Que je lui tranche… On peut proposer les deus corrections suivantes : 3. Va-ten chercher mon sabre | Et mon grand, coutelas | Que je lui tranch’ la tête. — 5. En paradis ira.
  42. La pièce tout entière composée de 42 couplets, du même type que celui que nous venons de citer, a été éditée récemment par M. C. Quenne dans une brochure intitulée : Gerpinnes et son pèlerinage. Émile Leloup, Mont-sur-Marchienne, 1890.
  43. Variante : kóp « coupe ».
  44. Aucun des nombreus récits que nous avons recueillis ne presente les faits comme récents. Cela vient surtout de ce que les paysans qui les racontent ne veulent plus paraître y croire.
  45. Defrecheu Enfantines no  25, var. : Vo vla-st èstchanté « Vous voilà enchanté (ensorcelé). »
  46. Il est probable que les trois derniers mots étaient à l’origine dits par l’adversaire pour conjurer le sort.
  47. En parlant aus très petits enfants, on emploie généralement en wallon le possessif de la troisième personne.
  48. Sorte de pâtisserie commune, très croquante, analogue aus échaudés.
  49. À Liège, binamé « bien-aimé » se dit couramment dans le sens de « gentil, cher ».
  50. À Liège, le mot botresse s’emploie en français comme en wallon pour désigner des femmes de peine, véritables portefais en jupons. Elles s’attachent au dos une hotte d’osier (bo) qui leur sert à transporter du charbon, des fusils, etc.
  51. Interjection wallonne qui sert à Liége à exprimer à la fois la sensation du trop froid et du trop chaud.
  52. Variante : Je vous dis gaie (pron. guèy), madame la Rose (Herve).
  53. Est-il besoin de faire remarquer que ces petits chants sont presque toujours dans un français très corrompu ?
  54. Var. : fille Suzon (Vottem), fille Annon et fille en or (Herve).
  55. Après avec sens de pour.
  56. Ko tras’ è tras’ « encore treize et treize », expression wallonne consacrée pour dire : beaucoup.
  57. Le trimeur ou le patient, c’est celui « qui en est », « qui l’est », « qui en a », etc.
  58. L’exclamation hay ne peut être traduite exactement. Elle correspond assez aux mots « allons, venez » employés en français dans des cas analogues.
  59. Traduction en français de Liége du wallon mamé, équivalent enfantin de binamé « bien-aimé ».
  60. Voyez page 98 note 2.
  61. Plus exactement barboteu, transformé ici dans un but d’assonance ; barboté « barboter » qui ne se dit en français que du canard, s’emploie en wallon dans le sens de « gronder, trouver à redire sur tout, sermonner ».
  62. Je donne aus fêtes mobiles la date qu’elles ont dans de Reinsberg-Düringsfeld, Traditions et légendes de la Belgique. Bruxelles, Claessen, 1870.
  63. Huile d’œillette dont on se sert dans les campagnes pour faire la salade.
  64. Nous employons à dessein ce verbe. Les textes qui nous font connaître l’usage lui donnent chacun un nom différent : roubiner, houbiner, 'ribouner, bouriner. Ces expressions qui n’ont pas de sens en wallon paraissent toutes des déformations du français tambouriner.
  65. Bâbou (barbu), Banbou, nom du Croquemitaine wallon.