Maisonneuve et Ch. Leclerc Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 12-25).


II

LE MOIS DE JANVIER

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P renez garde à ce que vous ferez, verrez ou entendrez le matin du jour de l’an !

Le premier ouvrage que vous entreprendrez sera celui qui vous donnera le plus d’occupation pendant le reste de l’année.

Si la première rencontre qui vous attend est celle d’une femme ou d’une fille, d’un chat ou d’un lièvre, vous aurez du malheur, ou tout au moins du guignon jusqu’à la Saint-Sylvestre[1].

Faites en sorte que la personne qui vous offrira, la première, ses souhaits de nouvel an n’appartienne pas à votre sexe : autrement, l’année ne se passera pas pour vous sans serrement de cœur et sans deuil.

Il n’est pas défendu de prendre des précautions — et personne n’y manque — pour s’assurer contre pareille éventualité, mais que peuvent les plus sages combinaisons contre les surprises du hasard ?

Trouver, à quelque moment que ce soit, un fer à cheval sur son chemin porte bonheur, mais, le matin du jour de l’an, pareille trouvaille annonce toujours quelque chose d’extraordinaire, une joie excessive, une rapide fortune, une prospérité inouïe. Si vous ramassez, au contraire, une épingle, une aiguille ou tout autre objet pointu, vous êtes sûr, — en temps ordinaire, — surtout si cet objet a la pointe tournée vers vous, de ramasser chagrin, et si vous faites cette trouvaille — dans la journée du 1er janvier — de rapporter malheur à la maison.

Vient-il à pleuvoir ou à venter dans la matinée du 1er janvier, les anciens disent :

Le mauvais temps entre en nageant,

ou bien :

Grand vent, grande guerre.

Le jour de l’an est le jour des étrennes. Grande fête pour les enfants et les mendiants. Les quêteurs d’étrennes, dans le canton de Fraize, ont conservé le chant traditionnel suivant :

C’est aujourd’hui le nouvel an : (bis)
Je vous souhaite une bonne année
Et une parfaite santé.

refrain

Et une heureuse année,
Et une parfaite santé,
Et toutes sortes de prospérités. (bis)

Que Dieu bénisse votre maison (bis)
Et tous les gens qui sont dedans,
Les petits comme les grands !

Que Dieu bénisse votre cave (bis)
Et tout le vin qu’il y a dedans,
Le rouge comme le blanc !

Que Dieu bénisse votre écurie, (bis)
Les animaux qui sont dedans,
Les petits comme les grands !

Que Dieu bénisse votre jardin (bis)
Et tous les fruits qui sont dedans,
Les petits comme les grands !

refrain

Et une heureuse année,
Et une parfaite santé,
Et toutes sortes de prospérités. (bis)

Ce chant, avec quelques légères variantes, est également connu dans la vallée de la Moselotte et dans la vallée de la Moselle, mais on ne l’entend plus guère, aujourd’hui, que sur les lèvres des vieillards, et encore, le plus souvent, sous forme de parodie.

Sainte Geneviève (5 janvier) défend les troupeaux, les chiens et les bergers des attaques du loup. Pour se la rendre favorable, il faut lui promettre un don et réciter dévotement devant son image la patenôtre du loup :

« Sainte Geneviève, qui avez été sept ans bergère, gardez mon chien du loup, ainsi que moi et tout ce qui m’appartient. Bridez le loup et la louve, s’il vous plaît. » — Ave Maria.

Dans quelques villages il est d’usage, parmi les enfants, d’aller, la veille des Rois (le 5), chanter de porte en porte la légende des Rois-Mages à la recherche du Sauveur :

Nous sommes trois rois d’Orient,
Qui venons d’un cœur riant
Dans la Judée,
Pour adorer l’enfançon
Qu’avons eu en idée.

Les trois grands rois sont représentés par trois mioches mal peignés, dont l’un a le visage et les mains barbouillés de cirage ou de suie :

Ne vous étonnez de rien,
Car c’est un Éthiopien
Qui ne recherche
Que d’adorer à genoux
L’enfant dedans la crèche.

Les costumes sont modestes, légères les couronnes de carton qui ceignent les fronts des petits Mages. On chercherait vainement dans leurs mains l’or, l’encens et la myrrhe dont ils font en paroles un pompeux étalage, mais le plus grand des trois porte une longue latte, à l’extrémité de laquelle brille une belle étoile en papier doré, et ce riche accessoire fait passer sur la pauvreté du reste de la mise en scène.

Le poème, emprunté à la Bible des Noëls, autrefois en usage dans l’évêché de Toul, n’a rien de remarquable. Il est, d’ailleurs, dans toutes les mains, et nous croyons devoir nous arrêter aux citations qui en ont été faites plus haut.

Le même jour, les boulangers font don à leurs clients d’un gâteau présentant la forme d’une couronne, et dans lequel ils ont eu le soin de cacher une noisette. Cette noisette, qui remplace la fève traditionnelle des provinces voisines, sert à désigner le lendemain, dans chaque maison, la personne à laquelle le sort réserve la dignité éphémère de roi ou de reine. Dans la distribution du gâteau, on ne fait point, comme en certains pays, la part de Dieu. Le roi n’a point de cour, point d’écuyers et de pages, mais des sujets parfaitement capables de se mutiner, s’il vient à oublier que son devoir, en ce moment, est de leur offrir rasade de son vin le meilleur.

Les Rois-Mages sont tenus en grande vénération dans les Vosges. Les guérisseurs par le secret réclament leur assistance dans plusieurs de leurs opérations, et il suffit, paraît-il, d’évoquer le souvenir de leur entrée dans l’étable de Bethléem, pour guérir les malheureux atteints du mal caduc. Si vous êtes dans la nécessité d’en faire l’expérience, soufflez dans l’oreille droite du malade en disant : « Gaspard fert myrrham, thus Melchior, Balthasar aurum. » Vous le verrez se relever sur l’heure. Alors, empressez-vous d’enfoncer profondément en terre, au milieu de la trace laissée par sa première chute, trois clous de fer, de la longueur exacte de son petit doigt, en prenant soin de prononcer sur chacun d’eux le nom du malheureux. La guérison sera complètement assurée. (Vecoux.)

Le jour des Rois, sur les marches de la Franche-Comté, il est d’usage de danser sur les toits, si l’on veut avoir une belle récolte de chanvre.

Autrefois, à Vagney, la prière se disait à rebours le soir du même jour, c’est-à-dire en commençant par la fin.

Il faut éviter de se faire saigner ou de se laisser poser des sangsues le jour de l’Épiphanie.

Quand les prés sont découverts, c’est-à-dire n’ont plus leur manteau de neige, le jour des Rois, l’année sera pauvre en fourrage.

Dans la nuit du 11 au 12 janvier, regardez de quel côté le vent souffle : s’il vient de l’Orient, il y aura mortalité sur les bestiaux ; — s’il vient du Midi, vous aurez autour de vous des malades ; — s’il vient de l’Occident, c’est signe de guerre ; — s’il vient du Septentrion, les champs sont menacés de stérilité. — Si cette nuit est belle et claire, sans pluie, sans vent, sans que rien n’en trouble la sérénité, l’année sera riche et abondante en toutes sortes de biens.

Saint Hilaire (le 14) est le protecteur des troupeaux et les garde de toute contagion. Si vous voulez voir prospérer votre bétail et votre volaille, distribuez-leur du pain et du sel que vous aurez, à la messe de ce jour, fait bénir à leur intention.

Bénit en toute autre circonstance, le pain est nuisible aux coqs et aux poules.

Un coq qui mange du pain bénit devient enragé, mais il voit venir le vent.

Saint Hilaire donne aux ménagères qui l’invoquent de bonnes pondeuses et des couveuses irréprochables.

Au sujet des poules et des œufs, quelques recommandations sont utiles :

Quand vous mangez des œufs de vos poules, prenez soin de ne pas en jeter les coquilles au feu : autrement, si votre femme allaite, si quelque voisine ayant un nourrisson entre chez vous, l’une et l’autre perdront leur lait infailliblement. Or, il faut penser à ce que disent les mères-grand’s : « Femme qui allaite vient-elle à perdre son lait, son nourrisson mourra sans tarder. »

Une femme qui veut faire passer son lait ne doit, sous aucun prétexte, brûler des coquilles d’œuf dans ce but. Elle a à sa disposition un moyen tout aussi certain, et qui n’est pas défendu, celui-là, c’est de se placer sur le sein le bonnet de nuit de son mari.

Si vous voulez avoir des poules, quand vous mettrez les œufs à couver, placez-les pointe contre pointe ; si vous voulez avoir des coqs, placez-les gros bout contre gros bout.

Pour qu’un enfant devienne bon chanteur, il faut que le premier œuf qu’on lui donne à manger soit le premier qu’une poule ait pondu.

Si l’une de vos poules pond un œuf mou, c’est-à-dire un œuf dont l’enveloppe calcaire est inachevée et cède sous la pression du doigt, dites-vous qu’un sorcier a passé par là. Hâtez-vous de brûler cet œuf, pour qu’il ne vous arrive pas malheur. Si vous êtes sage, brûlez aussi la poule qui vous l’a donné ; brûlez-la vivante, entre minuit et une heure du matin ; mais prenez garde d’être dérangé dans cette occupation, car, si vous étiez vu, la mort seule de l’indiscret qui vous aurait troublé pourrait vous mettre à l’abri de tout danger.

Défiez-vous de la poule qui imite le chant du coq ! Elle annonce des contrariétés, des querelles interminables dans la maison de son maître, dit-on au Thillot ; — elle attire la malédiction sur la famille et les biens de celui-ci, assurent les gens de Vecoux. Vous ferez sagement de la tuer sans tarder.

C’est sans doute par allusion à ce chant de redoutable augure que l’on dit :

Prêtre qui danse,
Poule qui chante.
Fille qui siffle,
Portent malchance…

De saint Paul (le 15) la claire journée
Nous dénote une bonne année ;
S’il neige ou pleut, cherté sur terre ;
S’il fait du vent, nous aurons guerre,
Et, si l’on voit d’épais brouillards,
Mortalité de toutes parts.

Saint Antoine (le 17) est invoqué contre le charbon et le feu qui porte son nom ; il protège le bétail, mais principalement les cochons. Le pain et le sel que l’on fait bénir le jour de sa fête, et que l’on donne, au retour de la messe, aux animaux, les met à l’abri des maléfices et de toute sorte de maladies.

Saint Antoine est le patron des charcutiers. Si l’on veut avoir de beaux porcs gras, il est bon de lui faire don, de temps en temps, d’un cochon de lait.

Si le soleil donne aux croisées avant midi, le jour de la Saint-Antoine, le marcaire[2] peut prendre son bâton pour aller acheter du foin. On doit s’attendre, en effet, à des gelées tardives, et l’herbe poussera rare et maigre dans les prés.

On dit dans le canton de Fraize : « Mieux vaut voir un loup sur le haut d’Anould qu’un homme bras nus à la Saint-Antoine. »

Et dans la vallée de la Moselle : « Au mois de janvier, il vaut mieux voir loup qu’homme déshabillé dans les prés. »

À la chaire saint Pierre (le 18),
L’hiver s’en va ou se resserre.

Saint Del (le 18) a la spécialité de guérir les maladies convulsives. En mélangeant à la nourriture des enfants du sel, que l’on fait bénir le jour de la fête de ce saint, les mères sont assurées de préserver leur progéniture du haut-mal et de tous les désordres causés par les vers. Pour obtenir les bonnes grâces de saint Del, il est bon de ne lui ménager ni les neuvaines ni les offrandes.

Saint Sébastien (le 20) est le patron des arquebusiers, et l’un des protecteurs du bétail. Il est sensible aux dons d’œufs, de poules, de lapins et de jambons. Autrefois, il n’était pas rare de lui voir offrir des veaux et des génisses, mais, alors, son culte était en grand honneur, et il ne l’est plus guère, depuis quelque temps déjà.

Le jour de la Saint-Vincent (le 22),
Danger de guerre s’il fait vent.

À la Saint-Vincent,
Tout gèle ou tout fend ;
L’hiver se reprend
Ou se rompt les dents.

Saint Prix (le 24), si le soleil brille le jour de sa fête, réjouit le cœur du cultivateur qui ne dédaigne pas la culture du millet, en lui annonçant que la récolte de ce grain rendra le centuple de la semence.

S’il tonne en janvier, année venteuse, mais abondance de fruits et de bétail.

Tonnerre hors saison,
Mauvais temps hors raison.

Si l’on prend soin de se rouler à terre, la première fois de l’année que l’on entend gronder le tonnerre, on n’a pas à craindre le mal de dos pendant les douze mois suivants.

Dans le cas où, faute d’avoir pris à temps cette précaution, on aurait à souffrir du mal de dos, on peut s’en débarrasser, soit en se roulant à terre, la première fois de l’année que l’on entend chanter le coucou, soit, après s’y être couché simplement, en se faisant enjamber quatre fois de suite par une femme enceinte.

Janvier détrempé,
Signe de cherté.

Quand il ne pleut pas en janvier,
Il faut étayer le grenier.

Janvier, d’eau chiche,
Fait le paysan riche.

Si tu vois l’herbe en janvier,
Serre ton grain dans ton grenier.

Autant de bonnes journées en janvier,
Autant de mauvaises en mai.

Le mois de janvier a quatre jours fastes : le 3, le 19, le 27 et le 31, — deux jours néfastes : le 13 et le 23.

  1. Quel que soit le jour de l’année, pareille rencontre faite le matin est toujours de mauvais augure. La prudence, assure-t-on, commande de rentrer à la maison, car, de toute la journée, on n’aura que malchance, soucis, contrariétés.
  2. Le marcaire est dans les Vosges un pasteur doublé d’un fabricant de fromage.