XXV

Dans lequel Hardigras hérite d’un trône dans le moment qu’il va avoir la tête tranchée, ce qui le gênera, dit-il, pour porter la couronne.

Pistafun s’en tira, lui, avec cinq ans de prison.

— Péchère ! jeta-t-il à ses amis, je chanterai pour me garder de languir. Occupez-vous d’abord de Titin ! Je n’ai rien plus à vous dire !

Chacun comprit l’apostrophe et comme, en haut lieu, on la rapprocha de la parole du Bastardon : « Je ne suis pas encore guillotiné ! » on sut prendre ses précautions. Transféré aux « Novi », Titin y fut l’objet d’une surveillance tout à fait exceptionnelle. On ne se contenta point pour lui de la cellule ordinaire. On l’enferma dans une petite pièce du premier étage qui n’avait qu’une étroite fenêtre bien garnie de barreaux de fer.

La porte ouvrait sur un corridor devant laquelle on plaça de jour et de nuit une sentinelle. Au-dessous, au rez-de-chaussée, donnant directement sur un chemin de ronde, une salle fut occupée nuit et jour par un petit poste dont la porte était constamment ouverte.

Même s’il avait été petit oiseau, Titin ne pouvait guère s’envoler. Quatre gardes des prisons choisis parmi les plus sûrs se relayaient auprès de lui, deux par deux.

Tous ces détails furent connus en ville et, de l’avis général, Titin n’avait plus qu’à se préparer à bien mourir.

En attendant, il signa son pourvoi en cassation.

Dans les premiers jours, il se montra assez maussade. On le trouva accablé. Il n’adressait guère la parole à ses gardiens, refusait de jouer aux cartes et n’avait goût pour aucune nourriture.

Replié sur lui-même, face à des idées qui l’avaient plus d’une fois importuné, mais qu’il avait toujours repoussées comme indignes et déshonorantes, Titin souffrait dans ses sentiments les plus nobles, car y a-t-il au monde quelque chose de plus noble que l’amitié ? Or, après avoir fait le tour pour la centième fois de tous ses malheurs, il était obligé, quoi qu’il en eût, de revenir à ceci qui le perçait comme une flèche : toute sa misère ne pouvait s’expliquer que par la trahison de quelqu’un qui connût tous ses secrets, par la traîtrise d’un être dont il n’avait point voulu, de parti pris, se méfier, car le crime eût été trop grand.

Hélas ! à cette question, qu’il n’avait pas voulu se poser et qui s’imposait à lui maintenant : « Es-tu sûr de Giaousé ? » Titin était obligé de répondre : Non.

Il en pleurait : Giaousé, c’était sa faiblesse, son enfance vagabonde, ses joies de jeune homme, les bonnes parties et les bonnes farces de Carnaval. Enfin, Giaousé, c’était tout ce qu’il avait voulu qu’il fût : son petit ami, son petit esclave, et aussi, hélas ! son souffre-douleur ! Certes, il avait été coupable avec Giaousé… Était-il sûr, lui, Titin, de n’avoir rien à se reprocher avec Nathalie ? avec Nathalie qui s’était sauvée d’un pays où il y avait un Titin qui ne l’aimait pas et qui ne l’aimerait jamais. Cette Nathalie, Giaousé s’imaginait peut-être qu’elle lui avait été volée par Titin ? Est-ce qu’on connaît le cœur d’un homme jaloux ?

Tout de même, jamais Titin n’eût soupçonné Giaousé de lui avoir voulu peine de mort si… si… Ah ! C’est cela qui était épouvantable ! si l’action sournoise de Giaousé, dans ces derniers temps, n’eût tout expliqué !

Peut-être Giaousé n’avait-il pas agi par lui-même ; cela était même probable ; mais il était faible. On avait pu lui arracher des secrets ! Il avait pu se laisser aller à des choses dont il n’avait pas compris tout d’abord l’importance, à des choses qui s’étaient terminées dans le sang ! Ç’avait été d’abord ce rendez-vous chez le père La Bique qui avait si bien fait les affaires de Supia et du prince Hippothadée ! Titin pouvait-il jurer que Giaousé n’avait pas été leur complice.

Titin était parti de là avec deux écrits qui eussent pu, examinés de près, conduire peut-être sur le chemin de la vérité ! et Titin ne les avait plus retrouvés dans sa poche ! Le jour où ils avaient disparu, Titin croyait pouvoir affirmer qu’il n’avait été vraiment approché que de Giaousé.

De qui, ensuite, Giaousé avait-il été le complice ? Et pourquoi ? Dans quel but ?

Ah ! savoir ! savoir !

Par exemple, pour la disparition de la Cioasa, dont le témoignage eût été si utile. Titin était sûr que la veille et l’avant-veille de cette disparition, Giaousé avait eu une assez longue conversation avec la sœur du « boïa », elle qui ne parlait à personne ! Et puis, ça avait été la disparition de la Manchotte et l’assassinat de la Boccia ! Giaousé n’avait approché ni de l’une ni de l’autre, à ce moment, mais on avait vu les deux femmes avec deux gars, deux vilains gars dont Giaousé était devenu l’ami et qui avaient été peut-être ses mauvais génies… la Tulipe et le Bolacion.

La Tulipe, cet être singulier, qui faisait toutes les affaires de son patron, le notaire de la Fourca, qui avait été mêlé, s’il fallait croire la chronique de Grasse, à de bien fâcheuses histoires, homme à tout faire, plein d’imagination et de ruse et goûtant une joie diabolique dans le malheur des autres. Le Bolacion, cette brute, aussi méprisé à Torre-les-Tourettes qu’à la Fourca et ne se plaisant que dans la société de cette clique étrange qui avait élu domicile comme des troglodytes dans les anfractuosités des gorges du Loup ou dans des cabanes rudimentaires où les ouvriers terrassiers et carriers parlant les idiomes les plus divers, se reposaient dans les plus basses ivrogneries des rudes travaux qu’ils délaissaient dès qu’ils avaient quelques sous en poche.

Titin n’avait pas perdu son temps pendant ces semaines où on l’avait cru mort ! Il avait appris bien des choses sur les expéditions nocturnes, sur les vols dans les campagnes, sur toute cette mystérieuse misère qui s’était abattue sur ce pays naguère si paisible.

Enfin, le dernier coup et le plus terrible : la mort de Thélise ! Qui donc avait pénétré dans l’appartement derrière Titin ?… Giaousé était le seul à connaître le chemin des toits !

Était-ce lui qui était arrivé par le balcon, ou quelque complice, comme le Bolacion, par exemple ? Mais il y avait quatre-vingt-dix-neuf chances sur cent pour que Giaousé ne fût pas étranger à ce dernier forfait, qui conduisait Titin à l’échafaud !

L’homme avait tiré sur Thélise par derrière, avec un revolver trouvé par lui dans un tiroir du bureau de Supia dont on avait, il ne savait encore pour quelles raisons, bouleversé les papiers. Et le revolver avait été laissé auprès de Thélise pour faire croire que Titin avait voulu faire croire au suicide !…

Giaousé était-il capable d’avoir monté un coup pareil, d’avoir pensé à tout ?

Si ce n’était lui, qui avait été l’exécutant ? Le Bolacion ? Qui avait mené l’affaire ? La Tulipe ? Mais qui les avait renseignés, si ce n’était pas Giaousé ?

Et, quoi qu’il fît, c’était toujours Giaousé qu’il retrouvait au bout de sa pensée.

Un soupir effrayant gonfla sa poitrine. Et il allait mourir sans avoir résolu l’épouvantable problème ? Eh bien ! non ! non ! Il l’avait promis à Toinetta ! Titin n’était pas encore guillotiné !

Soudain, il demanda du vin et des cartes. On verrait ce dont il était capable, Hardigras le vrai ! Hardigras contre Hardigras ! L’autre n’avait qu’à bien se tenir.

Armé d’une résolution nouvelle, n’ayant plus rien à perdre et prêt de nouveau à tout pour gagner la partie, il montra désormais un autre visage, ce dont ses gardiens ne furent qu’à moitié rassurés.

Il y avait surtout deux Corses qui paraissaient fort méfiants : Paolo Ricci et Pietro Peruggia, le chef des gardes. Dès le troisième jour, il parvint à les dérider.

Entre deux coups de cartes, on échangeait quelques propos. Il sut ainsi que la ville n’était occupée que de lui et qu’un revirement se faisait en sa faveur. L’ex-commissaire de police Bezaudin, dont la déposition en cour d’assises lui avait été entièrement favorable, essayait de faire surgir un fait nouveau. Il avait trouvé des experts en écritures dont les conclusions avaient été diamétralement opposées à celles des experts officiels.

— Vous verrez ! faisait Titin en riant, qu’on finira par prouver mon innocence quand on m’aura coupé le cou !

C’est sur ces entrefaites que Titin reçut la visite inattendue du procureur de la République, du juge d’Instruction et… d’Odon Odonovitch.

Le cher seigneur paraissait fort triste ; il se jeta au cou de Titin, les larmes aux yeux.

— Ah ! monseigneur ! Quel coup pour la Transalbanie ! s’écria le comte Valdar. Moi qui étais si heureux de vous apporter une bonne nouvelle : votre glorieux père est mort !

— C’est ce que vous appelez une bonne nouvelle, mon cher comte, releva Titin, me prenez-vous pour un fils dénaturé ?

— Titin ! fit le procureur, nous avons voulu qu’avant de mourir, vous appreniez de la bouche du comte que le prince Marie-Hippothadée vous a reconnu et légitimé sur son lit de mort. Pendant le procès, on a pu également vous reprocher d’avoir pris une qualité à laquelle certains affirmaient que vous n’aviez aucun droit et que vous vous en étiez servi pour faire figure d’aventurier, voici heureusement les choses remises au point.

— Et votre conscience en repos ! acheva Titin. C’est quelque chose pour un magistrat de pouvoir se dire qu’il va guillotiner un honnête homme ! Si vous voulez mettre le comble à vos bontés, monsieur le procureur, vous passerez en sortant d’ici, rue de la Poste, chez Durieu — c’est mon fournisseur — et vous lui commanderez des lettres de faire-part avec une couronne de prince !

— Une couronne royale, monseigneur ! releva Odon Odonovitch. La santé de Sa Majesté est elle-même fort compromise : aux dernières nouvelles, il n’ira pas loin !

— Il ira toujours aussi loin que moi, et c’est tant mieux ! Que voulez-vous que je fasse d’une couronne royale si je n’ai plus de tête pour la porter !

— Que sa haute seigneurie ait foi dans la providence ! reprit le bon Odon Odonovitch en essuyant ses larmes. Dieu et les saints Archanges ne voudront point qu’un pareil crime s’accomplisse !

— Envoyez-moi donc, mon cher Odon Odonovitch, un panier de cet excellent extra-dry 1921 qui faisait mes délices et une boîte de coronas. Cela me rappellera les heures de joie passées ensemble. C’est tout ce que je vous demande !… Je dois être riche, maintenant, quelle consolation !

— Hélas ! monseigneur, le prince Marie-Hippothadée est mort sur la paille en exil, dépossédé de tous ses biens ! Mais cela n’a aucune importance et l’avenir est à nous !

— Merci pour cette bonne parole, cher comte !

— Pour votre petite commande, soupira Odon, vous pouvez tout de même compter sur moi !

— Oui ! fit Titin ! Je sais qu’il nous reste toujours les bijoutiers !

— Ils sont incorrigibles ! dit le comte.

Là-dessus, ils s’embrassèrent et se séparèrent, car ces messieurs du parquet commençaient à montrer quelque impatience.

De cette visite, Titin conserva, une charmante humeur.

Ses gardiens le considéraient avec admiration. C’était surtout dans le court espace de temps qu’il se trouvait tête à tête avec Paolo Ricci qu’il insistait sur les richesses dont il eût pu disposer si Dieu lui avait prêté vie. La chose se passait sur le coup de six heures, quand le chef des gardes Peruggia se rendait auprès du directeur de la prison pour lui faire un rapport oral sur les derniers événements de la journée.

Certain jour, Paolo lui dit à brûle-pourpoint :

— Titin, je te suis tout acquis. Nous allons te sauver !

— Si jamais tu fais cela !

— L’affaire est réglée, je te dis !

— Avec qui ?

— Avec Toinetta ! Ma femme la connaît depuis longtemps. C’est elle qui lui portait le linge chez les Supia. Le coup fait, je passe en Italie. Mon sort est assuré. Je te dirai tout demain. Méfie-toi de Peruggia !

On peut penser que la nuit de Titin fut légèrement agitée.

Enfin, le moment arriva où il se trouva seul avec Paolo Ricci. Celui-ci sortit de sa poche une lime, de l’huile, de l’étoupe et de la mie de pain. Il commença de scier un barreau tout en lui expliquant à voix basse qu’il lui suffirait d’entamer ainsi deux barreaux et que Tantifla se chargeait par la suite de les tordre comme bâtons de réglisse.

Comme cette fenêtre donnait juste dans un chemin de ronde, à l’intérieur de la prison, Titin commença par montrer fort peu d’enthousiasme pour un plan d’évasion qui lui paraissait aussi sommaire.

— T’occupe pas ! fit Paolo… On a pensé à tout, c’est Giaousé qui dirige l’affaire !

— Giaousé ! souffla Titin, stupéfait, alors, je suis fichu.

Titin ne fut mis vraiment au courant de l’affaire que le surlendemain. Il haussa les épaules.

— Mon vieux ! lui fit Paolo, il ne faut pas te f… de nous. Nous avons retourné la chose sur toutes ses coutures. Si nous nous sommes arrêtés à ce plan-là, c’est qu’il n’y a pas à choisir. Il faut qu’il réussisse. À nous sept, c’est bien le diable si nous n’en venons pas à bout.

— Sept, c’est beaucoup, fit Titin. Il pensait qu’il eût préféré qu’ils fussent six et qu’on eût laissé de côté le Giaousé, dont le rôle, dans cette nouvelle aventure, ne lui disait rien qui vaille.

— Oui, nous sommes sept. Giaousé, le Bolacion, la Tulipe…

— En voilà déjà trois de trop.

— Eh ! vieux, sept contre peut-être deux cents ! Tu penses s’il va y avoir des pattes cassées ! Nous ne serons plus sept, va, quand tout sera fini. Les autres, c’est Tantifla, Tony Bouta et Aiguardente. L’affaire se passera à cette heure-ci. Il fait déjà nuit noire et nous avons des chances pour que Peruggia nous laisse seuls. S’il restait là, à nous deux on le ferait bien taire. Un bon bâillon, sans lui faire de mal ! Un confrère !

— Et tu crois qu’on a des chances ?

— Giaousé a juré à Toinetta et à la mère Bibi, qui est revenue à Nice avant-hier, que tu serais hors de cause dimanche à sept heures. Le dimanche, c’est un bon jour. Tout le monde a son petit coup de blec ! C’est la Tulipe qui a en l’idée pour dimanche à cause qu’il a un ami du 22e chasseurs qui sera de garde aux Novi. Tu le connais peut-être ? Sénépon ? Il est de la Costa.

— Ah ! oui ! Sénépon ! mais je ne le connais pas plus que ça, moi et tu penses bien qu’il ne va pas risquer Biribi pour me faire plaisir, Sénépon ?

— On ne lui demandera pas son avis ! Il se promène devant sa guérite au pied du chemin de ronde, on le croise, la Tulipe lui dit bonjour en passant, lui offre une cigarette, enfin il s’arrange, quoi ! et ils sont trois à lui tomber dessus. Ils le maintiennent, l’empêchent de gueuler ! Ça, c’est la besogne de la Tulipe, de Giaousé et du Bolacion ! Pendant ce temps, on opère, et je te prie de croire que ça ne traînera pas avec Aiguardente, Tony Bouta et Tantifla. Ces trois-là, ils ont tout ce qu’il faut pour sauter le mur. Ils sont sur la porte du corps de garde intérieur avant qu’on se doute seulement de quoi que ce soit et ils bouclent. Toi, tu passeras ! Et puis je sais qu’il y en a qui te croient innocent ! Ceux-là seront contents de fermer les yeux et les oreilles. Je te dis que ça se présente comme il faut !

— Par où que je passerai ?

— Par ici ! (il montrait la fenêtre). Tantifla te tordra ces barreaux-là, je te dis ! la besogne est déjà à moitié faite ! On peut frapper à la porte de la cellule, j’ouvre pas ! je serai pincé, c’est bien probable ! mais ça aussi c’est dans le programme…

— Veux-tu que je te dise, Paolo Ricci ! Eh bien ! tout ça, c’est idiot !

— Je ne te reconnais plus, Titin ! Il n’y a que les choses impossibles qui réussissent dans une affaire pareille ! Tu n’es pas le premier qui se sera échappé de prison ! Et ils n’avaient pas dans leur jeu des gars comme ces six-là qui sont prêts à se faire crever pour toi.

— Après tout, conclut philosophiquement Titin, on verra bien ! mais il y a quelque chose qui ne peut pas me passer de tête, c’est que le Bolacion, avec qui je n’ai jamais eu que de mauvaises raisons, risque ce coup-là pour moi !

— C’est maintenant les deux doigts de la main avec Giaousé…

— Nous reparlerons de tout ça dimanche à sept heures, mon bon Ricci.

L’autre ne l’écoutait plus, occupé à faire disparaître toute trace de son travail avec sa mie de pain imbibée de colle, de suie et de rouille.

— On sera prêts.

Et, le dimanche suivant, voici ce qui se passa :

Sénépon, de la Costa, qui faisait ses cent pas de garde, vit venir en sens inverse trois ombres qui parlaient haut et riaient de même. Il reconnut la Tulipe qui, de son côté, lui lança un ciao tout amical.

— Passe ton chemin ! lit Sénépon, ou tu vas me faire avoir de la boîte.

Sans lui prêter plus d’attention, les autres continuèrent leur chemin et ainsi Sénépon leur tourna le dos.

Il fit encore quelques pas et une trombe lui tomba sur les épaules. Il tomba à terre, lâchant son fusil. Les autres lui enfonçaient déjà un mouchoir dans la bouche à l’étouffer. Une demi-minute plus tard, s’aidant de cordes et de crampons, Aiguardente, Tantifla et Tony Bouta sautaient le mur.

Pendant ce temps, dans la cellule, le Bastardon et Paolo Ricci se tenaient prêts à toute éventualité. Ils purent percevoir les trois ombres sur la crête du mur. Le Bastardon était très pâle. Paolo Ricci était très rouge. Peruggia ne serait pas là avant cinq minutes au moins.

— Ça va ! fit Ricci d’une voix étranglée.

Dans le même moment, un coup de feu retentit au delà du chemin de ronde et tout de suite il y eut des clameurs, des appels, des jurements, des galops furieux de toutes parts, des coups de feu tirés. On entendit la voix d’Aiguardente qui clamait :

— Foutez le camp ! J’en ai !…

Paolo Ricci referma la fenêtre et dit : « C’est raté ! »

On heurtait violemment à la porte de la cellule. Il l’ouvrit. Peruggia parut, écumant :

— Que se passe-t-il ? lui demanda Paolo.

— Demande-le à Titin ! hurla Peruggia. Il sait bien, lui, ce qui se passe !

— Ma foi non, dit Titin, et il s’assit tranquillement en ajoutant : « Si on m’avait demandé mon avis, ça se serait passé autrement. »

La bataille avait cessé dans le chemin de ronde. Les autorités accoururent.

— Qu’est-ce qu’ils voulaient donc ? fit le directeur de la prison.

— Je ne sais, répondit Titin.

— D’autant, fit Paolo en montrant son revolver, que s’il avait fait un mouvement je lui brûlais la cervelle.

Telle fut cette extraordinaire tentative d’évasion. Voyant qu’il n’y avait plus rien à faire, Aiguardente, Tantifla et Tony Bouta s’étaient rendus. Ceux qui avaient assailli la sentinelle au dehors avaient pu s’enfuir, en laissant, du reste, du sang derrière eux.

Sénépon fut félicité. Il avait réussi, tout écrasé qu’il était par le poids de ses trois adversaires, à atteindre son fusil et appuyer sur la gâchette. Dès lors, tout était fini.

Le lendemain, Titin dit à Paolo :

— Ils auraient voulu rendre toute évasion impossible et hâter ma mort qu’ils ne s’y seraient pas mieux pris. Tu remercieras Giaousé de ma part.

— Je n’y manquerai pas, répliqua Paolo Ricci ; ça le consolera. Il a le bras crevé d’un coup de baïonnette.

— Ah ! dit Titin.

Titin avait raison : cette affaire-là allait précipiter les choses.