CHAPITRE II

Les Femmes de la fin du XVIIIe siècle. — Apparition du Féminisme
Condorcet
Motion de la pauvre Javotte. — Déclaration des droits de la femme.




L’influence politique des femmes vers la fin de l’ancien régime est considérable. Alors que Marie-Antoinette et ses amies — la princesse de Lamballe, la duchesse de Polignac, — et tant de grandes dames ou de mondaines frivoles s’abandonnent aveuglément à la douceur de vivre ou intrigaillent avec passion dans les coulisses de la politique, des bourgeoises travaillent, aident à propager les idées émises par les « philosophes ». Les salons de Paris connaissent toute une pléiade de femmes remarquables, aptes à comprendre et à seconder les efforts de ceux qui vont préparer l’ordre nouveau. Si les hommes écrivent, parlent, c’est leur conversation vive, persuasive, qui ouvre souvent les cerveaux à l’idée, qui aide à la faire passer du domaine de la théorie pure dans celui moins accessible des faits.

Elles ont été les amies des encyclopédistes, ont suivi de près la marche du mouvement intellectuel. Et des femmes de l’aristocratie sont entraînées, pas- sent à l’opposition : la comtesse d’Egmont, Mmes de la Marck, de Boufflers, de Brienne, de Mesmes, de Luxembourg, de Croy. « Un souffle d’humanité en même temps que de liberté, dit Taine[1], a pénétré dans les cœurs féminins. Elles s’intéressent aux pauvres, aux petits, au peuple… » Mme Necker[2], mère de Mme de Staël et femme du célèbre banquier genevois, ministre des finances sous Louis XVI, écrit un livre, remarquable pour l’époque, sur l’assistance aux maladeş[3], dans lequel elle décrit l’état déplorable des hôpitaux et en demande la réforme. C’est elle du reste qui, en 1778, fonda l’hôpital Necker.

La femme du peuple reste, il est vrai, comme l’homme son compagnon, ignorante de toutes les grandes questions qui agitent le monde des penseurs. C’est un pauvre être accablé sous le double poids de sa misère et de son sexe. Cependant, malgré celte apparente indifférence, comme elle a connu toutes les injustices, ressenti toutes les douleurs, lorsque la Révolution éclate, elle comprend d’intuition ; elle est prête à soutenir l’homme et le soutient en effet aux heures où les plus courageux voudraient capituler. On voit même celles que les idées nouvelles n’ont pas encore pénétrées, celles qui, comme les dames de la Halle, resteront les dernières fidèles à l’idée royaliste, devancer parfois les hommes dans leurs revendications économiques.

Peut-être ces femmes ne comprennent-elles pas de prime abord toute la portée des idées qu’elles défendent ; peut-être quelques-unes seront-elles étonnées plus tard en voyant de combien les résultats ont dépassé leurs prévisions ; elles n’en aidèrent pas moins puissamment au mouvement révolutionnaire et, une fois conquises, lui demeurèrent fidèles jusqu’au bout.

La Révolution française, à laquelle beaucoup d’entre elles prirent part, dont quelques-unes furent victimes comme l’admirable Mme Roland et la touchante Lucile Desmoulins, la Révolution aurait dû, pour être juste, en même temps qu’elle émancipait réellement l’homme, devenir le point de départ de l’émancipation de la femme, tandis que par un illogisme incompréhensible elle consacra son asservissement. Elle fut néanmoins le point de départ du féminisme en France.

En effet, ainsi que le fait justement remarquer M. Léopold Lacour dans son très sûr ouvrage : Trois femmes de la Révolution, si l’idée qu’il peut y avoir égalité intellectuelle entre l’homme et la femme est antérieure à la Révolution, si même elle a précédé le christianisme, « c’est seulement du jour où furent proclamés les droits de l’homme, du jour au moins où se leva sur le monde la grande espérance de l’émancipation de l’homme, qu’une doctrine parut et put paraître de l’émancipation parallèle de la femme ». Et ce fut grâce à cet état d’esprit, grâce à cette aspiration générale vers plus d’égalité et plus de Page:Avril de Sainte-Croix - Le Feminisme.djvu/33 Page:Avril de Sainte-Croix - Le Feminisme.djvu/34 Page:Avril de Sainte-Croix - Le Feminisme.djvu/35 Page:Avril de Sainte-Croix - Le Feminisme.djvu/36 Page:Avril de Sainte-Croix - Le Feminisme.djvu/37 Page:Avril de Sainte-Croix - Le Feminisme.djvu/38 Page:Avril de Sainte-Croix - Le Feminisme.djvu/39

  1. L’ancien régime, p. 387.
  2. Née en 1739, morte en 1794.
  3. Hospices de charité, leurs institutions, règles et usages.