Le Drame d'Alexandre Dumas (Parigot)/02/05

CHAPITRE V

L’ŒUVRE DRAMATIQUE D’ALEXANDRE DUMAS.



I

L’HOMME DU DRAME.

Quand on a étudié Henri III et sa Cour, on connaît d’ensemble la formule de Dumas. Il écrira des pièces très diverses. Mais l’essentiel est dans la première : caractère populaire, couleur, mouvement, action, passion.

À proprement parler, il n’a point de système, mais un extraordinaire tempérament dramatique. Il n’est pas seulement un homme de théâtre, mais l’incarnation du théâtre. Il lui arrivera de grossoyer plus tard des romans, dont le principal mérite sera de s’adapter comme d’eux-mêmes aux scènes du boulevard. De ce don naturel il fera un prodigieux abus ; les romans se mêleront aux drames et les drames aux romans, et les drames-romans brocheront sur le tout. Aux yeux des ignorants il passera uniquement pour le père de la terreur et de la pitié qui sévit, depuis nombre d’années, à l’Ambigu, appelé Comique par un regrettable excès de langage. Et il en est sans doute l’ancêtre, après Pixérécourt, étant le créateur du drame moderne sous toutes les formes, sans trop raisonner son affaire. Toutes ses facultés y inclinent, comme les fleuves s’écoulent vers l’océan. Il écrit, « non suivant un système, mais suivant sa conscience[1] » ; entendez : sa complexion. « Les romantiques font tous des préfaces[2] », observe l’abonné du Constitutionnel. Dumas n’en fait guère, sinon pour louer le mérite des comédiens, ou donner de ses œuvres des classifications étranges. Mais il exécute des pièces, où il met toute son imagination, toute sa vitalité sensible et sensuelle : il y est dans sa fonction totale. L’homme qu’il est se marque en son drame, parce qu’il est l’homme même du drame. Voilà pourquoi il apparaît à peu près innocent de toute théorie, et fait montre d’un libéralisme pleinement admirable. « Le théâtre, déclare-t-il, est, avant tout, chose de fantaisie ; je ne comprends pas qu’on l’emprisonne dans un système… Laissez chacun prendre son sujet à sa guise, le tailler à sa fantaisie ; accordez liberté entière à tous, depuis les douze heures de Boileau jusqu’aux trente ans de Shakespeare, depuis les trilogies de Beaumarchais jusqu’aux proverbes de Théodore Leclercq : et alors chaque individu flairera ce qui convient le mieux à son organisation, amassera ses matériaux, bâtira son monde à part, soufflera dessus pour lui donner la vie, et viendra au jour dit, avec un résultat, sinon complet, du moins original ; sinon remarquable, du moins individuel[3]. » Quoique faiblement écrit cela s’entend : le théâtre est une question de flair, de souffle, de tempérament — et de métier.

Cette insuffisance de la théorie n’est pas pour nous étonner chez ce dramaturge. L’absence de l’esprit critique montre encore à quel point il a le don du théâtre. Il est à faire frémir. Il prononce des arrêts sans appel, des jugements d’imagination ou de passion, qui feraient de lui l’Hotspur du romantisme. Il n’y est parlé que « d’appréciation personnelle », de « sympathie littéraire », de « tempérament physique et moral[4] ». En dépit de ses lectures tardives et hâtives, les lacunes de son instruction apparaissent irrémédiables. Il est incapable de mordre aux idées ; ou, s’il y mord, il dévore, les grandes synthèses ni les vastes conceptions ne l’effrayent point. Ses plus vastes symboles sont bientôt campés, en chair et en os, sur la scène. Quant aux faits, il les observe de fantaisie, si je puis dire, et les arrange à son gré. Il chevauche Eschyle, Sophocle, Euripide, Shakespeare et autres illustres maîtres : il vide les dictionnaires encyclopédiques[5]. Il y ajoute quelques erreurs, qui sont de son cru, pour avoir mal lu, ou trop vite ou depuis trop longtemps. Il pense que la Lettre sur les occupations de l’Académie française est de Bourdaloue[6], et attribue à Pradon l’honneur d’avoir fondé la critique de détail[7]. Il a ainsi quelques lapsus, qui sont des vétilles, et que nous retrouverons dans ses pièces. Nous verrons Corneille rendre visite à la reine Christine aux environs de 1658, et nous entendrons la reine demander une lecture de Cinna, qui avait quelque dix-huit ans d’âge[8]. La critique et le génie sont deux.

Mais, si vous lisez les pages que Dumas a écrites à propos d’Henri III ou d’Antony, au milieu de gasconnades de toute sorte, vous n’y rencontrerez pas une erreur sur l’effet de telle scène, l’optique du théâtre et les éléments constitutifs du drame. Il sait la gamme des émotions ; il en a le génie dans les moelles. On voit qu’à tout coup l’idée jaillit de son cerveau sous forme d’un tableau ou d’une situation. Il défend Antony contre les attaques d’un M. Lesur ; il s’échauffe, il ébauche, le Fils naturel, non pas celui de Diderot, mais l’autre[9]. Son imagination est en scène, et sa fantaisie en action. Il n’a point d’idées, sauf de théâtre ; ou, si l’on veut, il a plus de génie que d’intelligence et plus de tempérament dramatique que de tout le reste. Le feuilleton d’Antony[10], si fécond pour le développement du drame moderne, n’est en son fond que la distinction technique de la « pièce à manteau », et de la « pièce en habit ». Pendant toute sa vie, il a été rebelle à la critique, aussi incapable de la supporter que d’y atteindre. Je ne le diminue pas pour autant. S’il avait eu plus de littérature, de goût, d’idées esthétiques ou philosophiques[11], et moins de vigueur, d’invention et de sensibilité, il eût écrit plus de préfaces, mais il n’eût point créé le drame populaire. Plus de critique l’eût mis en garde contre les illusions des tréteaux et les mensonges de l’histoire ou de la vie qu’ils offrent aux yeux ; plus de culture littéraire l’eût détourné de la foule pour laquelle il était fait. On n’eût vu en lui ni les mêmes audaces ni pareilles aspirations. Il se fût défié de ses muscles, de sa fantaisie, de son pathétique fanfaron et de ses magnifiques enfantillages. Il est le type du dramatiste-né, qu’il se fait pourtant temps d’étudier au point de vue du drame. Laissant à d’autres le soin de prouver que l’art de Racine est supérieur et que Christine ne vaut Bajazet, ou d’étouffer en des formules scientifiques, philosophiques et d’acier cette œuvre d’imagination et de passion, tâchons de prendre ce praticien en son exacte mesure, et de fixer les démarches de cette force créatrice.

Il distingue à l’Exposition un bas-relief ; l’impression qu’il en retient est si vivante qu’elle se change en une idée de pièce. Pour maintenir sa fantaisie en cet heureux frémissement, il se rend à Fontainebleau ; la vue du décor vrai fera le reste et donnera le branle à la faculté inventive.

 
J’allai droit à Fontainebleau
Et me dis étranger, voulant voir le château.

Mon guide froidement me raconta le crime,
Le nom de l’assassin… celui de la victime ;…
Je vis la galerie aux Cerfs… le corridor,
Et le parquet, de sang humide et rouge encor[12].

À la vue de ce sang, comme on dit dans les feuilletons, le drame se reconstitue dans cette tête dramatique, avec le cadre et les péripéties scéniques. Il a lu les étrangers, comme il a visité Fontainebleau, pour enrichir sa mémoire de spectacles et de situations ; il invente, ajuste, emprunte, dans la fièvre, le mouvement, — mouvement, fièvre de tête et de théâtre, — et la pièce est faite : elle s’appellera Christine à Fontainebleau.

Il voyage en Italie, s’intéresse à l’archéologie, qui éveille en lui des impressions telles qu’il écrit Caligula[13]. Il lui faut voir pour s’émouvoir ; et ce qu’il voit dans la nature et dans la réalité, se modifie à l’instant : il le voit en scène. Sa vie aussi, qui fut presque toute de fantaisie et de gageures, se transforme aisément en matière théâtrale. Il est partout dans son œuvre, il est la source même de quelques-unes de ses meilleures pièces, non qu’il soit foncièrement lyrique ou romantique, mais à cause que l’imagination dramatique domine en lui et sans effort le métamorphose et l’identifie à ses personnages[14]. Le château de Monte-Cristo est proprement un décor du Théâtre-Historique. Pendant un temps, Dumas joue les Monte-Cristo, ou Monte-Cristo les Dumas. Plus tard, il utilisera ses souvenirs de jeunesse dans les Forestiers, comme il avait mis ses rancunes de bureaucrate dans le Chevalier d’ Harmental[15]. Et nous vendons de reste qu’Antony fut répété et joué et « rugi » dans l’intimité, sans décor ni costumes, avant que mademoiselle Mars refusât le rôle et que madame Dorval en fît sa création. Vous trouverez vingt fois Dumas en scène dans les drames de Dumas : il étalera ses illusions artistiques et sa superbe musculature dans Kean, et, vieilli, en 1864, il fera encore le coup de poing avec allégresse dans un restaurant de nuit, sous les traits du poète Jean Robert[16]. Tout ce qui l’occupe, l’intéresse, lui plaît, ses croyances, superstitions, caprices ou manies prennent, un jour ou l’autre, leur place sur les planches. Dans Madame de Chamblay, on trouvera une scène culinaire et la confection d’un menu digne de l’auteur des Propos d’art et de cuisine[17]. Il a composé un drame du magnétisme[18], plusieurs tableaux d’astrologie (sans compter l’Alchimiste), et une scène de chiromancie dans les Mohicans de Paris[19]. Je m’empresse d’ajouter que de cette imagination il n’est pas toujours maître. Il est fougueux et frénétique en tout, et aussi dans l’absurde. Il fait des orgies, comme Kean, mais des orgies fantasmagoriques. Don Juan de Marana en est la plus folle et, au surplus, la moins originale, celle qui lui a coûté le moins d’effort personnel. Byron, Calderon, Shakespeare, Molière, Gœthe, Hoffmann, Musset, Mérimée s’y coudoient comme en une féerie de la Salpêtrière. Le Vampire n’en est pas la moins trouble, le Vampire écrit en société avec Maquet (un professeur d’histoire, à qui Dieu pardonne !), le Vampire, pièce métaphysique et inquiétante, où, parmi les apparitions de fées, de lutins empruntés de Shakespeare et les rêveries de Faust, à côté des dialogues cornéliens du vampire et de la goule, et cependant que lord Ruthwen prend son vol du haut d’un rocher sourcilleux[20], — les hallucinations s’espacent par tirades philosophiques et la banalité se répand en réflexions sur le microscope[21]. Ce sont les fragments disparates d’un décor de haute fantaisie : c’est le désordre, sans le génie. Que ce dévergondage, qui est comme la rançon de cette singulière faculté de vision et d’invention dramatiques, Dumas ne l’ait pas tenu pour le meilleur de son talent et le noble de son ouvrage, je ne dis pas cela : il y défie Byron[22].

Mais, à défaut de critique, de goût et de système, cette imagination est soutenue par un tel tempérament, que, hormis Shakespeare, et depuis Eschyle, je n’en vois aucun autre semblable. Situations, crises et dénoûments, il en a inventé de quoi nourrir le drame et le mélodrame et la partie dramatique de la pièce moderne pendant plus d’un demi-siècle. Sans doute il a des procédés — surtout au début — qui se répètent et dont il abuse, procédés de tragédie pour la plupart, et dont il se débarrassera dans la suite : monologues, confidents, Paula, Tompson, etc. Et il excelle aussi à pousser à bout les scènes et les sujets, et à reprendre sujets et scènes, quand il n’en a pas épuisé les effets. Encore une fois, ce prodigue est à l’occasion ménager.

Mais l’invention, en somme, lui coûte peu, parce qu’elle est aidée d’autres facultés essentielles au drame et essentiellement communicatives. Il possède l’énergie, qui, dans les situations pathétiques, impose l’émotion et étreint la foule ; surtout il est doué d’une certaine logique alerte, nullement raisonneuse ni saillante, qui amène et amortit les chocs les plus violents ; et de cette énergie jointe à cette logique naît le

mouvement, qui emporte en une gradation continue, à la fois impétueuse et habile, situations, péripéties, émotions, et aussi le spectateur entraîné dans le flot de toutes ces choses, et qui étouffe sans défense. Et il est homme d’action, à qui tableaux, images, métaphores ne sauraient suffire. Il en veut à la ligne droite ; il se réjouit des coups de main, des coups de surprise, des coups de force, des coups de théâtre. Enfin il a la passion à commandement, vigoureuse, tempétueuse, sensuelle et sensible, qui est ensemble un instinct et une volonté déchaînés. Oh ! qu’il est populaire sur ce point ! Et qu’il est le drame même ! Cette passion qu’il manie avec allégresse, à tour de bras, ne lui est pas tant un objet de connaissance ou d’analyse qu’un instrument scénique, un engin délicat et brutal, précis et explosible, et qui tue l’ouvrier timide ou maladroit. Il met à s’en servir toute sa force, qui est rare, et toute son habileté, laquelle est hors de pair. De là vient que pour Dumas comme pour son fils, le drame est tout entier dans la mise en œuvre. Prépondérante leur a toujours semblé la part de l’exécution et du métier.

Ce terrible improvisateur de romans ne commence à écrire ses pièces que lorsqu’elles sont entièrement composées et agencées en son esprit. Le travail d’incubation se fait en lui comme une création latente et spontanée. Il laisse mûrir l’idée. Et l’idée mûre se détache, organisée[23]. Quand il écrit, c’est une lièvre de quelques jours ou de quelques heures selon l’importance de la pièce. Le manuscrit original d’Antony est à peu près indemne de ratures, et Romulus fut écrit pendant une partie dechasse[24]. « Je ne fais pas de pièces, dit-il, les pièces se font en moi. Comment ? Je n’en sais rien. Demandez à un prunier comment il fait des prunes et à un pêcher comment il fait des pêches, vous verrez si l’un ou l’autre vous donne la solution du problème [25]. » Cette solution n’est pas mystérieuse. De même que les idées lui apparaissent sous forme de situation dramatique et ne sont claires à ses yeux que sous cette forme, pareillement il ne voit la pièce que composée en ses parties constitutives, avec ses coupes, ses scènes capitales, son dénoûment et son mouvement d’ensemble.

Il met cinq ans à trouver la scène du sequin qui est le début de Mademoiselle de Belle-Isle[26], quatre ans à accrocher le dernier acte si dramatique de Madame de Chamblay, dont il écrivit le roman avant la pièce, et celle-ci seulement le jour, « un de ces jours bénis où Dieu semble nous envoyer pour nos créations humaines un rayon de sa propre lumière »[27], — le jour où il attrape son dénoûment. Le Comte Hermann, un de ses meilleurs drames et de ses plus solides succès, est simplement l’exécution d’une idée qu’un certain Lefebvre avait manquée dans une comédie reçue au Vaudeville : Une vieille jeunesse. « La pièce n’avait même pas été imprimée. Comme toujours, je laissai reposer le sujet, jusqu’à ce que le désir m’en prît. Un beau matin, le Comte Hermann se trouvait fait dans ma tête ; huit jours après, il était couché sur le papier. Un mois après, il se relevait sur les planches du Théâtre-Historique[28]. » Il lui advint même de présenter au comité de la rue de Richelieu une œuvre, dont pas un mot n’était écrit. « Pour moi, disait-il, la pièce est faite, quand elle est composée[29] » On ne s’attendait guère à rencontrer ici Dumas avec Racine. Il est vrai que, la pièce ainsi faite, Dumas « la couchait sur le papier » en huit jours, et que Racine commençait à faire difficilement ses vers faciles.

Ici nous touchons à un point de technique qu’on ne saurait omettre, quand il s’agit de définir l’œuvre et la complexion dramatiques de Dumas. Comme Regnard, il collabora avec les vivants et les morts. Ceux-ci sont discrets et ne réclament guère ; les autres ne s’astreignent pas à la même réserve. On lira dans Mes mémoires et les Souvenirs dramatiques[30] de piquantes monographies du collaborateur ; la préface du Théâtre des autres apportait naguère à la verve du père le renfort de l’esprit du fils[31]. À la vérité, les droits d’auteur sont un problème très différent en littérature et en jurisprudence.

Quand tous les tribunaux auraient statué, la liberté du critique demeure entière. Dumas a travaillé souvent en société, malgré « la terreur[32] » qu’il avait de la collaboration. Un de ses procès fut retentissant : l’œuvre en valait la peine. Les juges ont arrêté, décidé, ordonné que la Tour de Nesle appartenait à Gaillardet et Dumas. On trouvera les principales pièces de l’affaire dans Mes mémoires[33]. Elles m’intéressent peu. La question à discuter est une question de théâtre, en dehors des subtilités de la chicane ou des finesses des intéressés. Faute de la résoudre, nous ne pourrions passer outre à cette étude.

Sans doute, il vaudrait mieux être le père unique des œuvres que l’on signe de son nom. Et je reconnais que l’accueil fait par Dumas aux idées d’autrui, lui a nui plus qu’il ne pensait, et de toutes manières. Il a parfois fabriqué le drame comme le roman (Maison Alex. Dumas et Cie disait Mirecourt[34]), avec des compagnons qui travaillaient sous lui, avec boutique, atelier et enseigne ; il a fait le demi-gros et le gros dans son usine du Théâtre-Historique ; il a dirigé cette industrie comme M. Thomas Graindorge celle du porc salé. Cela ne touche en rien au point du litige.

En cas de collaboration, de qui est la pièce pour l’historien littéraire ? À qui la Tour de Nesle ? À celui qui apporta l’idée, ou à celui qui l’exécuta ? Le différend est là, et non pas ailleurs.

Il suffit d’avoir lu quelques manuscrits dramatiques, ou suivi dix répétitions pour avoir une opinion ferme. La pièce est à celui qui l’a exécutée. — Mais, faute d’une idée, Dumas ne l’eût pas faite ? — À la bonne heure, mais il en eût fait une autre. Or la Tour de Nesle, faite par Dumas, obtint un grand succès : Dumas y était donc nécessaire. — Mais Gaillardet avait remis un manuscrit, où l’idée avait déjà pris forme. — Nous y voici. Qu’est-ce qu’une idée de pièce ? Une situation, un tableau, ou, pour mettre les choses au mieux, un cas dramatique ou comique, moral ou social, c’est-à-dire quelque chose de l’incertain devenir, et qui dépend absolument du tour de tête et du tour de main. Qu’est-ce qu’un manuscrit de théâtre ? De l’écriture, d’où il s’agit d’extraire une œuvre qui soit au point de la scène et du public. Le dialogue, qui ne réunit pas ces conditions, est, au regard du théâtre, un papier neutre et anonyme. Sa destinée est au pouvoir de celui qui en tire la comédie ou le drame. On apporte à M. Victorien Sardou un mélodrame noir qui se passe sous le premier Empire : de qui est Madame Sans-Gêne ? Encore un coup, il ne s’agit pas ici des droits d’auteur, mais du droit d’être l’auteur aux yeux de la critique et dans l’histoire de cet art. Pour un dramaturge, le cas n’est aucunement douteux[35]. Corneille a eu par devers lui de notables écrits, signés de Guilhem de Castro ou de Tite-Live. Il fit le Cid ou Horace, et fit bien.

Quelque temps avant de mourir, Dumas fils, reprenant la question, allait plus loin. « Supposez, dit-il, un jeune homme ayant eu l’idée d’Antony, ayant exécuté quatre actes trois quarts, tels qu’ils sont dans la pièce que vous connaissez ; mais il n’a pas le dénoûment. Il apporte ces quatre actes trois quarts à Alexandre Dumas, et lui demande comment on peut terminer un pareil drame. Alexandre Dumas trouve : « Elle me résistait ; je l’ai assassinée ». La pièce est de lui[36]. » Cela paraît dur à entendre. Il y faut pourtant souscrire, pour la raison que, malgré l’avis de certains critiques plus subtils que perspicaces, le dénoûment étant l’âme même et la raison dramatique et logique d’Antony, et tout le drame tendant à cette phrase décisive et cette foudroyante synthèse, le jeune homme qui n’eût pas trouvé la phrase, n’eût pas écrit les quatre actes trois quarts, dont elle est condition première et partie intégrante. Il eût apporté l’idée de l’amant, assassin de sa maîtresse : idée banale ou pathétique, selon le tour qu’elle prendra sur le théâtre. Peut-être eût-il arrêté les chevaux emportés, et arraché l’appareil de la blessure ; mais pour brusquer le troisième acte il y fallait déjà l’instinct du raccourci scénique ; pour construire le second et le quatrième, oh ! qu’il y fallait autre chose qu’assurément le jeune homme, faute de génie, n’avait point. Les idées courent les rues, et les jeunes hommes aussi. Et il leur arrive de se joindre. Mais dans l’art dramatique, il ne suffit pas de la rencontre d’un jeune homme et d’une idée pour faire œuvre viable. « Tout dépend de l’exécution[37]  », — affirmait Dumas fils dans une conviction dernière.

Gaillardet descend de la diligence de Tonnerre avec un manuscrit de la Tour de Nesle, qu’il remet à Harel, directeur de l’Odéon. Il y a quelque chose là dedans, mais pas de pièce. Il y a l’idée, dites-vous ? — Elle est aussi bien de Fourcade, qui l’avait déjà proposée à Dumas ; elle est, tout au moins, commune à Gaillardet et à Roger de Beauvoir, qui publie, un mois avant la Tour de Nesle, l’Écolier de Cluny. Elle est banale et dans le champ public[38]. Harel confie le manuscrit à J. Janin pour qu’il mette la « chose » d’aplomb. J. Janin se prend à l’idée de Gaillardet, qui était aussi celle de Roger de Beauvoir, écrit une tirade à la façon de J. Janin, et renonce à mener l’œuvre à terme[39]. Il rend le manuscrit à Harel, qui le porte à Dumas. Dumas s’empare de l’idée de Roger de Beauvoir, de la tirade de J. Janin, et du manuscrit de Gaillardet. D’où la Tour de Nesle, dont huit cents représentations presque consécutives n’épuisent pas le succès. Paix aux mânes de Gaillardet, de Roger de Beauvoir, de J. Janin ! En vain le tribunal ordonne-t-il que Gaillardet est père à demi. Que parlent-ils de demi-père ? Dumas était bien le père tout entier.

Sur cette pièce il avait mis sa griffe, comme sur d’autres, et même davantage. Cet écrivain d’une imagination exubérante, sans jugement, sans goût et sans style, au dire de ses collaborateurs, a eu du moins une intuition, qui est le germe fécond de son génie. Il s’est avisé avant, pendant, et après La Tour de Nesle, d’une nouveauté qu’il raisonne médiocrement mais qu’il exploite d’enthousiasme. Il a vu que la Révolution a creusé un fossé dans les traditions de la scène et de la société françaises[40], et que, mieux que toutes les théories, plus que tous les manifestes, le sentiment général veut une autre forme de théâtre que la tragédie plus ou moins déguisée. 1789 a fait le peuple ; l’Empire a refait l’histoire. D’un état d’âme nouveau est né un nouvel état social. La différence est irréductible du public « du temps de Louis XIV, qui était une élite[41]», et de celui du xixe siècle, qui sera de plus en plus le peuple, c’est-à-dire une force morale et sociale. Pour l’instant, l’imagination populaire s’est haussée jusqu’à un certain individualisme orgueilleux et quelque peu chimérique, prête à saluer de ses applaudissements le drame historique ou de cape et d’épée, qui contente son goût d’aventures et je ne sais quel fatalisme superstitieux, — prête à couvrir de ses bravos redoublés l’homme moderne, tout frais issu des grands événements de la veille, impatient et avide en un siècle adolescent ; tel le jeune Romain du poète

Sublimis cupidusque et amata relinquere pernix[42].

Tout cela est dans la Tour de Nesle ; mais Gaillardet ne l’avait pas apporté de Tonnerre. Car c’est justement l’évolution fougueuse du drame d’Alexandre Dumas.


II

DÉVELOPPEMENT DE SON ŒUVRE DRAMATIQUE.

Quand on la considère d’ensemble, on dirait d’une Babel élevée au hasard des matériaux, et sans autre direction que le caprice ou le besoin de l’ouvrier. D’abord Dumas paraît forcer toutes les portes à la fois : Henri III, Christine, Napoléon Bonaparte, Antony, Charles VII, quel homme ! Ou plutôt quelle confusion ! Il ne lui déplaît point de passer pour un prodige et d’étonner la critique. Il y a du banquiste en ce dramatiste.

Cette diversité, dont on vous parle tant,
Mon voisin léopard l’a sur soi seulement,
Moi je l’ai dans l’esprit[43]

D’un esprit peu cultivé, chez qui l’imagination domine, on ne saurait attendre une évolution systématique. Il procède par bonds et coups d’audace. Il est fait pour le drame : il écrit Henri III. Tout de même la vieille, la respectable tragédie lui en impose, à ce bouillant révolutionnaire. Il donne Christine ; il arbore le sacré panache du vers. Henri III et Christine, Antony et Charles VII, et au milieu Napoléon Bonaparte, drame-feuilleton, panopticum pour l’exploitation, où l’industriel apparaît d’abord dans toute l’insolence de l’improvisation et dans le gâchis de son talent. Il affronte tous les genres à la fois, même le pire, celui où il laissera santé, réputation et le reste. Qu’est-ce à dire ?

Il est dramatiste. Là paraît l’unité de son existence vagabonde, l’explication des dix premières années de sa carrière théâtrale, et aussi le meilleur des autres. Là est le secret de cette fécondité des débuts, et la réhabilitation de Dumas longtemps après ces débuts. S’il appartient à la critique de démontrer que cette impétueuse variété qui suivit Henri III ne fut ni prodigue, ni aveugle, ni inexplicable, c’est un devoir de réagir contre une erreur trop répandue, qui fait de Dumas, après 1840, un Pixérécourt énorme et copieux, un faiseur à la rencontre, faiseur de mélodrames et faiseur de romans, extrayant les uns comme une seconde mouture des autres. Il est dramatiste, plus que tout le reste. D’abord romantique effréné, c’est entendu ; mais cela par surcroît ou par mode. Ce qui prime tout en lui, c’est le sens du drame. Homme de théâtre par nature, il est l’homme du public. Qu’il ait fait aux affaires et à ses continuels embarras d’argent de fâcheuses concessions, et de son art métier et marchandise, et trop aisément, et trop souvent, d’accord. Mais le drame vit en lui : parmi toutes ses folies, c’est sa raison et sa raison d’être.

Or le public est devant lui, qu’il tâte, même après Henri III, même après Antony, même après la Tour de Nesle, et qui veut le drame et l’appelle de ses vœux unanimes mais confus. Dans les temps de révolution il est plus facile d’exalter ses goûts que de les définir. Le drame nouveau, qu’on acclame et qu’on aime d’abord, est sans doute celui qui peint les milieux, qui rapproche les époques et les distances, s’il est tiré de l’histoire, et qui dans les grands d’autrefois représente au vif l’homme d’aujourd’hui. Ç’a été l’originalité féconde d’Henri III de fixer ces aspirations. Mais le public de 1830, quoi qu’il en ait, est de race latine ; il porte en soi, malgré sa superbe toute neuve, des siècles d’humanisme et de tragédie innée. La Révolution s’est faite avec des citations de l’histoire romaine. Figaro lui-même, tout tribun et Espagnol qu’il affectât de paraître, en était entiché. J’ai fait voir les barrières brisées et la rupture avec le passé consommée dans Henri III. Il ne serait nullement impossible d’y relever la superstition contraire, l’admiration naïve des grandeurs de ce monde, l’ombre politique d’Auguste et l’âme ambitieuse d’Agrippine errantes parmi les scènes du drame. Dumas, homme des temps nouveaux, mais homme de la scène et du public, n’est pas indemne du ferment cornélien. Notez que les « jeune France » vont rompre des lances et arborer des pourpoints en faveur de Hernani, romance tragique en cinq actes et en vers.

De là les drames tragiques de Dumas, en vers et en cinq actes — et plusieurs tableaux, — qui n’ont de la tragédie que le préjugé, et qui inclinent toujours davantage vers le drame. Il les versifie pour la gloire, et, disons-le, par respect de la tradition. Il lui plaît de prouver à la foule et à lui-même qu’il est né poète et qu’il ne saurait déchoir qu’à bon escient. Hâtons-nous de reconnaître qu’il a réussi à propager cette illusion, puisque Charles VII figure au répertoire de la Comédie-Française à côté d’Henri IIIla Tour de Nesle et Antony étant réservés aux théâtres de la banlieue ou de la foire : tant il est vrai qu’un obscur instinct de tragédie se perpétue en nous. Un jour son illusion s’exaspéra jusqu’au délire : et ce fut Don Juan de Marana ; une autre fois, elle l’emporta vers l’archéologie : et de là vint Caligula. L’Alchimiste est un drame, avec quelques beaux vers. Urbain Grandier se résigne à la prose. C’en est fini des souvenirs de don Sanche et d’Hermione.

Je l’ai dit, Dumas n’a guère eu qu’une idée théorique : le « feuilleton » d’Antony. C’est son monologue de Figaro, à lui, de moindre portée que l’autre, mais qui, tout technique, soutint notre dramaturge plus longtemps. Là est la clef de voûte de son édifice, comme on disait alors. C’est le moment où il prend une claire conscience de son talent et de sa destinée. Antony est son drame le plus rempli (quoique le plus court), et par suite le plus fécond, s’il est vrai que Dumas ne quitte point une veine qu’il ne l’ait épuisée. Pour repaître l’imagination de ses contemporains, il étale la passion, non pas celle qui s’analyse et se complaît en soi, et se suffit à soi-même, dont le jeu profond ou subtil est le régal des époques polies et des sociétés aristocratiques ; mais l’autre, primesautière, indépendante, irresponsable, souveraine, la passion des adolescents et des forts, à qui rien ne résiste dans les effusions du rêve. De celle-ci le public de 1830 est avide. Lorsqu’Antony fait son entrée chez la vicomtesse sous les traits de Bocage, tendre et fatal, pâle et cravachant, c’est dans la salle un délire, des sanglots, des pleurs, des cris. Avec lui apparaît l’amour moderne, tel au moins que l’imaginent les cerveaux « incandescents » et la « jeunesse volcanique[44] ». C’est un incendie général des cœurs, ou mieux, de toutes les jeunes têtes. Les convoitises intellectuelles et autres avaient enfin trouvé leur substance dans cette passion brûlante, mais agissante. L’individualisme anonyme de ce public en frémit. Action, passion, double idéal d’une époque à qui le repos bourgeois pèse, en fantaisie du moins. Et comme cette fantaisie de 1830 est à la fois populaire, fataliste, et tout imbue de la légende, si elle rapetisse volontiers les grands hommes dans le drame historique, elle agrandit plus volontiers encore les petites causes des effets qu’elle tient pour considérables, dans le drame moderne[45]. Les atomes deviennent des mondes dans l’ordre sentimental. On aime à suivre sur le théâtre la puissance du Hasard qui mène les individus. Car désormais « le détail le plus petit a son importance, parce que le plus petit prend sa part dans ce grand tout qu’on appelle la vie[46] ». Cela encore est le rêve d’une société neuve qui s’élance, en pensée, éperdument, à la conquête de l’avenir : philosophie démocratique du vaudeville ou du drame, selon le tour des événements[47]. Action, passion, hasard, et par suite

Aujourd’hui dans le tronc et demain dans la boue[48],


c’est la fable dramatique d’Antony et de Buridan.

Mise sur la scène, cette conception se concilie malaisément avec la science historique. Remarquez que Dumas ne recommencera jamais Henri III et sa Cour, et ne se risquera plus à serrer l’histoire d’aussi près. Il aboutit très vite au drame qu’il dénomme plaisamment « extra-historique[49] », et qui n’emprunte du passé que la couleur et des noms. Catherine Howard est à l’histoire ce que Monte-Cristo est à la réalité. L’un et l’autre furent chers au peuple, étant inventés d’abondance pour lui. Tantôt, dans la fièvre de l’ouvrage, Dumas se contentera de multiplier les tableaux et de les relier par le fil ou la ficelle souterraine de l’intrigue, et il exécutera la Jeunesse des Mousquetaires, galerie panoramique et drame-roman. Tantôt il s’attachera davantage à l’intérêt passionnel, et il écrira la Reine Margot ou la Dame de Montsoreau, drames historiques par à peu près, mais populaires excellemment. Une fois, il lui arrive de si adroitement ajuster aux noms, costumes, mœurs, tableaux du passé l’âme de la foule, qu’il crée le type définitif du drame de cape et d’épée, consacrant par le génie aventurier de Buridan l’épopée napoléonienne.

Et voilà donc l’unité de cette dramaturgie féconde. Buridan n’est pas plus éloigné d’Antony, que Catilina de Richard Darlington. À l’imagination publique Dumas donne en pâture, sous les couleurs de l’histoire ou dans le cadre des mœurs modernes, la même passion instinctive, fougueuse, et cérébrale plutôt qu’idéale, mais en acte, et dans un déchaînement tout à fait conforme aux désirs d’une société jeune et encore grisée des quarante années qu’elle vient de franchir. Antony, c’est Buridan, et Buridan, c’est Antony. Le type se fond, et la permanence en est bien populaire. Le jour où Dumas les a jetés sur le théâtre dans le mouvement du drame, le public a frissonné : ces hommes étaient les abrégés vivants et vibrants de l’ivresse de sentir et de vivre.

Pendant dix années et davantage, l’auteur exprimera de ce type tout ce qu’il contient, les mobiles principaux de l’individualisme moderne : l’ambition politique (Richard Darlington) ; l’amour égoïste (Teresa) ; l’intrigant, le bel ami des femmes (Angèle) ; l’artiste dans la société bourgeoise (Kean), sans compter Halifax, un Figaro doublé de Cartouche, un scélérat plein d’esprit, enfermé dans une comédie de genre, figure intermédaire entre Figaro et Vernouillet. En sorte que personnages historiques et modernes se touchent et se complètent, et sont véritablement frères. Cette fécondité de Dumas n’est plus tout à fait aussi miraculeuse, ni son œuvre aussi confuse en sa variété. Dirai-je que les Antonys et les d’Alvimar sont d’ailleurs infiniment plus variés que les Buridans ? L’invention y est plus directement soumise au contrôle de la réalité, de la vie et des mœurs contemporaines. Au contraire, dans ses drames historiques ou d’aventures, Dumas dessinera de plus en plus un héros uniforme et peu complexe, bien campé, l’œil vif, le verbe haut, la dague rapide, beau cavalier fidèle à sa dame, un composé de d’Artagnan et du brave Bussy. Paul Jones et d’autres sont sur ce modèle ; et nous verrons ce qu’est devenu dans le drame le vrai chevalier de Maison-Rouge. Ces ligures se cristallisent à mesure qu’elles deviennent plus populaires, au lieu que celles des pièces « en habit » se précisent et s’achèvent, toutes les fois que l’auteur fait effort et œuvre d’art. À partir de 1842, ces efforts sont plus rares, sans être négligeables.

Surtout le drame moderne de Dumas se transforme avec le public. L’état de l’âme française en 1840 n’est plus celui de 1830. Les temps approchent, où le souffle desséchant du positivisme va s’étendre sur notre bourgeoisie. Dumas n’est plus l’homme de ces temps ; mais il est toujours l’homme du drame. Il a le sentiment que l’imagination est en train de céder à la logique, à la mathématique, à la loi. On trouvera cette préoccupation, enveloppée de quelque verbiage métaphysique, dans la préface qui annonce le Comte Hermann[50]. Et l’on y distinguera, à travers des velléités de prédication sociale, la ferme volonté de se renouveler dans le sens de la « foule[51]  ». « …Les passions ne seront plus les mêmes, dit-il, parce que l’âge où j’écris est différent… parce que j’ai passé à travers ces passions que j’ai décrites, parce que j’en ai mesuré le vide, parce que j’en ai sondé la folie, parce qu’à cette heure enfin je vois la vie de l’autre côté de l’horizon[52]. » La France aussi touche aux antipodes. Demain elle aura franchi la première moitié du siècle, dont l’aurore est déjà lointaine et la légende reléguée. La fantaisie se calme, les rêves éteints. L’individualisme exaspéré commence à porter ses fruits. Il n’y aura bientôt plus d’égalité que dans le texte aride de la loi, terme logique, et non plus fatal, où échouent ces grandes passions hautaines et vaines d’il y a vingt ans. Alors, Dumas écrit le Comte Hermann, à la veille de ces changements ; au lendemain d’un ébranlement plus décisif encore, son fils écrira la Femme de Claude comme par une inspiration héréditaire. Jusqu’en 1869, — je ne parle ici que des œuvres où il dépose sa foi d’artiste, — le vieux Dumas se prend de plus en plus au drame moderne, se guide sur les idées ambiantes, toujours imaginatif, toujours populaire, mais non plus tout à fait comme autrefois. Il resserre vigoureusement l’intrigue dans le Marbrier ; il adapte de l’allemand la Conscience, drame de famille et de mœurs bourgeoises ; avec Madame de Chamblay il entre dans le vif des mœurs nouvelles, et il semble que l’on s’achemine vers le théâtre à la fois réaliste et fantaisiste de l’Étrangère.

Qu’il subisse, tout à la fin, l’influence de son fils, cela n’est pas douteux ; qu’il exerce sur lui une action considérable, nous aurons à l’établir. Partir d’Henri III et sa Cour pour aboutir à Madame de Chamblay, quelle carrière pour un dramatiste, dont le drame fut toujours le génie, la popularité, et la véritable destinée ! Ainsi s’explique sa déconcertante fécondité du début ; ainsi l’on arrive à une appréciation plus juste de ses œuvres de l’âge mûr et de la vieillesse. Et l’unité de l’ensemble apparaît, éclatante, dans Antony.

  1. Théâtre, I, Un mot, p. 115.
  2. Antony (Th., II), IV, sc. vi, p. 210.
  3. Préface de Charles VII chez ses grands vassaux, p. 228.
  4. Souvenirs dramatiques, t. II. L’Ulysse de Ponsard, p. 361 et passim.
  5. Ibid., t. I et II.
  6. Mes mémoires, t. VIII, ch. cci, p. 126.
  7. Souvenirs dramatiques, t. II. L’Ulysse de Ponsard, p. 355.
  8. Brunetière, les Époques du théâtre français, XIVe conférence, p. 338.
  9. Mes mémoires, t. VIII, ch. cc, p. 124. « … On l’a chicané sur son âge, sur son nom, sur son état social… Où cela ? Parbleu ! dans cette enceinte où l’on fait les lois, et où, par conséquent, l’on n’aurait pas dû oublier que la loi proclame l’égalité des Français en face les uns des autres. Eh bien, cet homme, avec la merveilleuse persistance qui le caractérise, arrivera à son but : il sera un jour ministre… »
  10. Antony, IV, sc. vi, p. 211. Mes mémoires, t. VIII, ch. cxcix, p. 110.
  11. Dumas fils répétait volontiers, dans la conversation, que lui-même ne savait presque rien et avait fort peu lu, quand il débuta sur le théâtre. « J’allais de l’avant, disait-il, et fonçais sur les obstacles. »
  12. Christine, épilogue, sc. vi, p. 300.
  13. Préface de Caligula (Th., VI), pp. 2-3. Il nous dit bien qu’il partit pour l’Italie dans l’intention d’écrire Caligula. Mais, comme il nous conte ailleurs que la pièce était primitivement destinée au cirque Franconi (Souv dram., t. I, ch. xii, p. 252), il convenait de ne retenir de la Préface que l’impression qu’il conserve de son séjour en Italie, et comment cela devient matière de drame.
  14. On remarquera combien c’est le propre des génies de théâtre. Molière, presque à tout coup, part de lui-même. Dumas fils, pareillement. Il trouvait Émile Augier plus littéraire que sincère, qui conformait peu sa vie à ses pièces.
  15. Dumas fut, pendant quelque temps, employé à la bibliothèque du duc d’Orléans. Cf. Mes mémoires, t. V, ch. cxxii, p. 134. Il a peint au vif, dans le Chevalier d’Harmental, l’administration d’une Bibliothèque (IV, tabl. vi, pp. 269 sqq.). Là se trouve une maxime qui mérite d’être recueillie : « Les garçons de bureau ne viennent qu’à onze heures… C’est bon pour les employés de venir à dix. »
  16. Kean (Th., V), III, tabl. iii, sc. iv, p. 140 ; les Mohicans de Paris (Th., XXIV), I, tabl. ii, sc. iv, p. 38.
  17. Madame de Chamblay (Th., XXV), V, sc. i, pp. 76-78. Cf. la salade japonaise de Francillon. Cf. les menus de M. Vatel et de M. Poirier, dans le Gendre de M. Poirier.
  18. Urbain Grandier.
  19. Les Mohicans de Paris (Th., XXIV), I, tabl. iii, sc. v, pp. 64-65. Cf. Mes mémoires, t. V, ch. cxxiii, pp. 146-162 sur le magnétisme. Cf. Joseph Balsamo. Quoi qu’on en ait dit, Dumas fils croyait à la chiromancie. À plusieurs reprises, il m’a affirmé que Desbarolles lui avait prédit un triste événement de sa vie. Il avait d’ailleurs le culte de la main ; il avait fait mouler celle de son père.
  20. Le Vampire (Th., XVIII), II, tabl. iii, scène unique, p. 200.
  21. Le Vampire, I tabl. ii, sc. ii, p. 178.
  22. Cf. Mes mémoires, t. III, ch. lxxiv, pp. 148 sqq. On y verra comment Dumas assistait à une représentation d’un quelconque Vampire, à la Porte-Saint-Martin. Dorval était de la pièce, et Ch. Nodier du parterre : il les voyait l’un et l’autre pour la première fois. Cela se passait en 1825. Et il nous dit : « D’ailleurs, si informe que cela fût, c’était un essai de romantisme, c’est-à-dire quelque chose de fort inconnu à cette époque. Cette intervention d’êtres immatériels et supérieurs dans la destinée humaine avait un côté fantastique qui plaisait à mon imagination, et peut-être est-ce cette soirée qui déposa dans mon esprit le germe de Don Juan de Marana, éclos onze ans après seulement. » — Or, qu’était ce Vampire ? Il suffit d’en lire (Ibid., lxxv, pp. 161 sqq.) l’analyse, pour se rendre compte qu’il était une adaptation d’un conte de revenants, attribué à Byron, et qu’on trouvera à la fin des œuvres du poète (pp. 846-854). Les noms n’étaient même pas changés. En sorte que Don Juan de Marana, qui doit beaucoup à tous ceux que j’ai dits, est encore redevable de l’idée première de mettre en scène le surnaturel à ce Vampire oublié, fils du Vampire attribué à Byron. Enfin, comme Dumas n’exploite jamais une idée à demi, il reprendra, vingt-six ans après avoir vu le Vampire de la Porte Saint-Martin, la nouvelle du poète anglais, le Vampire, frère de ces Vampires ; et ce sera un Vampire ajouté aux autres, un peu plus fantastique et absurde que tout le reste, le 20 décembre 1851, à une époque où le surnaturel va faire place au réalisme, et les goules aux Dames aux Camélias et aux Baronnes d’Ange. Si l’imagination de Dumas fut toujours un peu folle, elle le fut parfois à crédit.
  23. C’était la méthode de Casimir Delavigne et d’Émile Augier. Voir notre Émile Augier, ch. ii, p. 29.
  24. Souvenirs dramatiques, t. I, p. 289.
  25. Souvenirs dramatiques, t. I, p. 268.
  26. Ibid., p. 209.
  27. Théâtre, XXV. Un mot sur la pièce et les artistes, p. 1.
  28. Histoire de mes bêtes, ch. xliii, pp. 290-291. Cf. A. Dumas fils. Le Théâtre des autres, t. I. Préface, p. x.
  29. Souvenirs dramatiques, t. I, p. 272.
  30. Mes mémoires, t. IX, ch. ccxxii, pp. 52 et 53. — Souvenirs dramat., t. II. La Camaraderie, pp. 126-130. « Si elle (la pièce) tombe, elle est de vous ; si elle réussit, elle est de lui. »
  31. Théâtre des autres, t. I, pp. vii sqq.
  32. Histoire de mes bêtes, ch. xliii, p. 290. Cf. Ch. Glinel, op. cit., ch. vi, pp. 483-487. On y trouvera une lettre de Maquet à son avocat, qui commence ainsi : « Hélas, cher ami, je suis menacé d’un nouveau procès avec l’éternel coquin qu’on appelle Dumas ».
  33. Mes mémoires, t. IX, ch. ccxxxi-iv-v-vi, pp. 126 sqq.
  34. Fabrique de romans, maison Alexandre Dumas et Compagnie, Paris, chez tous les marchands de nouveautés, 1845.
  35. Cf. Préface du Théâtre des autres, t. I, p. vii. « Quelques conseils que vous donniez à un homme à qui la fée des auteurs dramatiques a faussé compagnie, il lui sera impossible de les suivre ; ils ne lui serviront qu’à obscurcir et alourdir son premier travail ; ce qui n’empêche pas qu’il ait pu trouver une idée originale, une situation intéressante… »
  36. Le Gaulois du 21 avril 1894.
  37. Préface du Théâtre des autres p. xi.
  38. Voir plus bas pour l’indication des pièces de l’affaire, p. 253, n 2.
  39. Mes mémoires, t. IX, ch. ccxxiv, p. 160. « Cependant une tirade entière, la plus brillante peut-être de tout le drame, appartenait à Janin : c’était celle des grandes dames. »
  40. Souvenirs dramatiques, t. I, pp. 56, 57 ; ibib., p. 69. Cf. Mes mémoires, t. VIII, ch. cc, p. 121. Cf. le Demi-Monde, II, sc. viii, p. 102. Cf. notre Théâtre d’hier. Émile Augier, ^, iv, pp. 35-36.
  41. La Revue de Paris, n° du 15 mars 1894. Octave Feuillet, Lettres de Fontainebleau, 26 août 1868. « Et puis (c’est Napoléon III qui parle) toujours des pièces violentes, où l’on ne nous montre que des vices… — Je lui ai dit que le théâtre semblait condamné, quant à présent, à une certaine infériorité, par la qualité du public démocratique auquel il s’adresse. J’ai marqué la différence de celui-ci avec celui du temps de Louis XIV, qui était une élite. »
  42. Horace, Art poétique, vers 165.
    Voici quelques lignes de Taine, qui sont comme la clef du drame du XIXe siècle et surtout de Dumas : « C’est en France, pays de l’égalité précoce et des révolutions complètes, qu’il faut observer ce nouveau personnage, le plébéien occupé à parvenir : Augereau, fils d’une fruitière ; Marceau, fils d’un procureur ; Murat, fils d’un aubergiste ; Ney, fils d’un tonnelier ; Hoche, ancien sergent, qui, le soir, dans sa tente, lit le Traité des sensations de Condillac ; et surtout ce jeune homme maigre, aux cheveux plats, aux joues creuses, desséché d’ambition, le cœur rempli d’imaginations romanesques et de grandes idées ébauchées… » (Histoire de la litt. angl., liv. IV, ch. i, p. 238.)
  43. La Fontaine, Fables, liv. IX, f. iii. Cf. Avertissement de Catherine Howard : Sortie contre la critique et apologie de la fécondité de l’auteur, pp. 205-207.
  44. Voir Théophile Gautier. Histoire du Romantisme. La reprise d’Antony, pp. 167, 168.
  45. Voir plus haut, p. 124. Cf. Ruy Blas, III, sc. iii, p. 164.

    Mais où donc avez-vous appris toutes ces choses ?
    D’où vient que vous savez les effets et les causes ?

  46. Mes mémoires, t. II, ch. lviii, p. 294.
  47. Voir notre Théâtre d’hier. Introduction, § ii. Scribe et le vaudeville, p. xv.
  48. Polyeucte, IV, sc. iii.
  49. Avertissement de Catherine Howard, p. 207.
  50. Préface de le Comte Hermann (Th., XVI), p. 199.
  51. Ibid., p. 198. « Il sait que cette foule…, etc. »
  52. Ibid., pp. 198, 199.