Le Drame d'Alexandre Dumas (Parigot)/01/03

CHAPITRE III

INFLUENCES ALLEMANDES.


I

GŒTHE.

Werther ne l’a pas davantage touché à fond. De Gœthe il a peu retenu. On s’y devait attendre.

Gœthe n’a pas le don du théâtre. Il ne l’a point. Qu’on ne nous dise pas que, Français du xixe siècle, nous l’entendons à notre manière, qui ne saurait être universelle. Il y a au théâtre un point d’optique d’où l’émotion et l’illusion jaillissent et se propagent ; en deçà ou au delà elles s’évanouissent, comme une lumière s’éteint. C’est affaire d’exécution. On peut disserter à loisir et construire des théories esthétiques. Le public n’est pas esthète. Sans l’art d’illusionner et d’émouvoir, point de génie dramatique. Gœthe a toute sorte de génie, sauf celui-là. Il remanie telle de ses œuvres scéniques jusqu’à trois fois, et de fond en comble. C’est un mauvais signe. « Originairement, dit M. Mézières, Iphigénie avait été écrite en prose poétique et jouée sous cette forme. Elle subit depuis lors plusieurs remaniements, le premier en 1780, le deuxième en 1781, et le troisième en 1787, pendant le séjour de Gœthe en Italie, qui la lit passer de la langue de la prose à celle des vers[1]. » Et le même critique, après nous avoir avertis que la tragédie « abonde en situations pathétiques et effrayantes[2] », et que « dans la gradation savante de cette fable, nous retrouvons tous les ressorts dramatiques de la tragédie grecque[3] », est obligé de convenir, à la fin de son chapitre, que, si l’œuvre est un noble effort de poésie, il faut « qu’on se garde d’y chercher un drame, car la vie dramatique y manque absolument[4] ». Même il observe que le caractère tout lyrique de cette pièce en rend la représentation très difficile. « Gœthe lui-même avouait qu’il ne l’avait jamais vue bien jouée, et Schiller la trouvait peu propre au théâtre[5]. » Nous ne disons pas autre chose.

Deux exemples suffiront à montrer combien peu Dumas pouvait apprendre de ce théâtre, qu’il avait lu comme tous les apprentis dramaturges de son temps. Gœtz de Berlichingen est une œuvre originale, étant la première adaptation marquante du génie de Shakespeare à l’esprit allemand. On l’a dit et bien dit : « C’est de là que procède Walter Scott et le théâtre romantique français, qui procède de Shakespeare beaucoup moins que de Scott[6] ». Œuvre originale, et drame indigeste, quelque chose de gigantesque et d’inachevé, en deçà de l’organisation vitale. Jamais le mot ne fut mieux en sa place : ce sont les fragments épars d’un grand poète. Et non pas tant épars qu’entassés. L’imagination poétique semble parfois animer ces documents du règne de Maximilien. Chevauchées, sièges, assauts, scènes intimes et allemandes, mœurs du moyen âge, il paraît que le passé germanique revit sous l’impulsion de ce Gœtz épris de justice et de guerre, redresseur de torts et détrousseur de marchands. Il semble, il paraît ; mais cela ne vit point. La poésie n’en est pas absente, mais l’illusion et les proportions scéniques, et la composition aussi. Tout y est sur le même plan ; tout se développe parallèlement ; on compterait jusqu’à trois ou quatre fils de l’action, et l’on cherche l’action même. Ce sont des scènes de la féodalité, et non pas un drame féodal ; c’est de la chronique dramatisée, où le germe dramatique n’est pas venu à maturité. Quand Mérimée, qui imite Gœthe, et souvent de près, écrira la Jaquerie, ses prétentions ne dépasseront pas le livre.

Il y a dans Gœtz de Berlichingen deux figures de femme, qui eussent suffi à soutenir un drame : l’une ambitieuse et perfide, l’autre épouse soumise, Pénélope d’outre-Rhin, ou, pour emprunter le mot de madame de Staël : « telle qu’un ancien portrait de l’École flamande [7] ». Dans la première rédaction, Gœthe avait opposé l’une à l’autre, et mis au premier plan la première surtout, l’intrigante Adélaïde : il était sur la voie de l’intérêt scénique. Il s’est ravisé[8]. L’intérêt historique lui a paru le principal. Il s’est trompé au conflit des devoirs du dramatiste. Ce n’est pas Shakespeare qui lui en a donné l’exemple. Il a sacrifié à la curiosité qu’excite la reconstitution d’une époque l’émotion qui naît du spectacle de la vie même, dont l’histoire n’est au théâtre que le reflet ou le décor. L’Allemagne crut posséder un autre Shakespeare. Il s’en manquait. Dumas, qui n’est ni Shakespeare ni Gœthe, lit Gœtz de Berlichingen, et son instinct dramatique le mène droit aux scènes retouchées. On en trouvera le commentaire fait par un homme doué au tome VIII de Mes mémoires. Si quelque délicat observe avec dédain que de l’œuvre de Gœthe ce fragment est le plus banal, que commune est l’aventure de cette femme, qui emploie l’homme qu’elle n’aime point et dont elle est aimée à frapper celui qu’elle aime ou qui la rebute ou qui la gêne, j’en suis d’avis : rien n’est plus banal que le cœur humain, — « le cœur humain de qui, le cœur humain de quoi ? » — celui de la Camargo, de Bérengère, celui d’Hermione, de Phèdre, le cœur humain qui est le fonds très banal et très commun du théâtre de Racine, et qui est le théâtre même. « Trois ou quatre scènes sont noyées dans ce drame gigantesque, dit Dumas, qui m’avaient paru suffire à un drame[9]. » Aussi bien, il saura leur prêter vie, parce que, poète mineur auprès de Gœthe, il est en revanche un dramatiste d’une autre encolure.

Il y avait aussi un drame historique dans Egmont. Deux hommes sont en présence, Egmont et le duc d’Albe. Que dis-je ? Le duc parait au quatrième acte et sa politique s’exhale en monologues interminables. C’est faire longtemps attendre à la fois l’histoire et le drame. Quant au comte, il faiblit avant le dénoûment. Pour faire une belle fin, il se parle à lui-même, sans concision. Il hésite et se trouble, aux approches de la mort : il ne lui faut rien moins, pour le décider, qu’une apparition de féerie ou d’opéra. Dirai-je que les narrations le disputent aux monologues, et juste au point le plus vif de la crise ? À tous les instants de la pièce les personnages sont sujets à l’exaltation poétique ; ils font relâche pour philosopher. Leur logique n’a pas la qualité de leur lyrisme : la contradiction ne les effraie point. Egmont, le brave, l’unique Egmont, qui s’était posé comme homme de tête et de courage, s’échappe en rêveries. Je ne saurais affirmer qu’il eût peur de l’échafaud ; à coup sûr, il est songeur ; il est épris de liberté ; mais enfin, il n’agit point. Y a-t-il même une action dans cette œuvre ? Je distingue trois motifs dramatiques, qui se développent simultanément, et partagent les actes en trois parties presque égales : Egmont, le peuple, et la jeune fille. C’est toujours le procédé de Gœtz de Berlichingen : et c’est toute la liberté shakespearienne prise à rebours. On dirait d’un jeu de patience, où les morceaux de rapport s’ajustent pour former un acte, les actes pour faire une pièce. La pièce se fait et se termine comme elle peut.

Egmont, commencé en 1775, resta douze ans en portefeuille ; Gœthe essaya de s’y remettre deux fois, la première dans les derniers mois de l’année 1778, la seconde au printemps de 1782. Il le termine à Rome, après l’avoir plusieurs fois remanié, le 5 septembre 1787. « En le commençant il s’inspirait encore de Shakespeare, en le finissant il s’inspire des Grecs [10]. » Je cherche l’instant précis où il s’inspire de l’intérêt et de la composition dramatiques.

Il en méconnaît les plus élémentaires exigences. Molière, pour faire passer une scène scabreuse, cache ostensiblement Orgon sous la table. Gœthe ne s’avise même pas de la difficulté. Je n’ai pas à m’expliquer sur la moralité ni la volonté de Gœthe[11]. Qu’il ait mis les aventures de son cœur ou les aubaines de son égoïsme sur la scène, qu’importe, si la peinture plaît ? Qu’il ait beaucoup aimé, ou qu’il se soit laissé beaucoup aimer, Faublas ou Racine, l’essentiel en cette affaire est qu’il a tracé dans Egmont le portrait d’une jeune ouvrière aussi vraie que poétique, à la fois observée et rêvée. Claire est douce, aimante, héroïque, adorable sans prétention et sans fadeur. Elle est femme, lorsqu’elle harangue le peuple pour sauver Egmont. Mais le peuple de Gœthe discourt et ne grouille point. Elle est belle devant cette foule bavarde et inerte. Mais si Goethe avait eu le génie dramatique, eût-il fourvoyé cette créature admirable en des scènes impossibles ? — Claire est chez sa mère, en compagnie d’un brave garçon soumis à tous ses caprices, et qui languit. De la rue monte un bruit de troupes[12]. Claire envoie Brackenbourg pour savoir ce qui se passe. Et la mère et la fille s’entretiennent ensemble… « Tu aurais été toujours heureuse avec lui. — Je serais pourvue et j’aurais une vie tranquille. — Et tout cela est perdu par ta faute… » Ainsi, la mère sait la faute de sa fille ; elle en parle sans illusion ; elle reçoit Egmont. Où sommes-nous ? « Et quel sera l’avenir ? — Ah ! je demande seulement s’il m’aime ; et, s’il m’aime, est-ce une question ? — On n’a que du chagrin avec ses enfants… Cela ne finira pas bien. Tu as fait ton malheur. Tu as fait le mien. — Cependant, vous avez laissé faire au commencement[13]. » — Évidemment, nous y sommes… Cette jeunesse n’est plus une Agnès. Mais quelle mère est-ce là ? J’entends bien qu’elle est trop bonne ; mais j’entends aussi qu’elle appelle Claire « fille perdue », et que, nonobstant, elle tombe d’accord qu’Egmont est « si franc, si ouvert », qu’on ne « peut s’empêcher de l’aimer[14] ». Et, comme il est attendu, elle engage sa fille à faire toilette. Le Brackenbourg vient rendre compte de sa mission ; la bonne femme le reçoit, et puis, elle sort avec sa fille, sa fille perdue et retrouvée. Il y a mieux. Egmont paraît en manteau de chevalier, s’invite à souper, embrasse Claire ; et la maman lui dit : « Ne voulez-vous pas vous asseoir, vous mettre à votre aise ? Il faut que j’aille à la cuisine ; Claire ne pense à rien, quand vous êtes là. Il faudra vous contenter ainsi. » À quoi Egmont répond avec un sourire : « Votre bonne volonté est le meilleur assaisonnement[15]  ». Madame Cardinal en eût été atteinte dans sa dignité. La digne femme se relire ; enfin seuls ! Egmont rejette son manteau et paraît… en un costume magnifique, avec le collier de la Toison d’Or[16]. Décidément, il veut étonner cette couturière. À quoi bon, puisqu’il va souper en famille, entre la maman cordon bleu et la fille, qui craint seulement qu’il ne « gâte ses habits[17] » ou sa Toison ? On me dit que c’est Gœthe lui-même, qui est en scène, qui est aimé, à qui il ne déplaît point d’être vu à son avantage ni que l’admiration de Claire apparaisse au naturel. Tant pis pour l’esprit de Gœthe. Jamais Dumas, qui sait le théâtre et les limites des platitudes permises, n’eût mis sous nos yeux ce tableau d’un réalisme facile et grossier, où deux jeunes gens, le comte et l’ouvrière, s’aiment sans réticence jusqu’à l’irréparable — sous les yeux de la mère inquiète et attendrie. J’accorde qu’il y a d’autres scènes dans la pièce, notamment celle de la mort de Claire, qui est belle, mais qui vaut surtout par l’étude curieuse de cette complexion de femme du peuple. Au point de vue dramatique, c’est une autre affaire. La pièce est à chaque instant gâtée par une ignorance des nécessités, des conventions et des convenances scéniques, et surtout par un cinquième acte qui s’évapore par delà les frises. Cette ignorance ou ce mépris, mépris trop commode qui conduit à de singulières défaillances du tact, altère même le caractère d’Egmont, qui montre d’abord de l’énergie comme un homme de race, puis fait parade de ses galons comme un adjudant, pour se perdre enfin dans un optimisme candide et des rêves apothéotiques. Et ce sont vraiment deux pièces, avant et après l’arrivée du duc d’Albe ; et ce sont bien trois intrigues qui nous intéressent à Egmont, à Claire et au peuple ; sans compter le triple ou quadruple personnage d’Egmont, pardessus le marché d’un dénoûment d’opéra.

Mais comme Gœthe est né poète, il a trouvé quelques situations, dont Dumas fera son profit. Au moment d’arrêter Egmont, le duc d’Albe exprime avec passion ses craintes et ses espérances. C’est un moment d’angoisse essentiellement dramatique. Egmont donnera-t-il dans la souricière ? Viendra-t-il au rendez-vous[18]  ? Avant que Charles-Quint reprît à son compte et emplît ce monologue de ses visions énormes[19], Sentinelli s’en emparait dans Christine, comme d’un instrument de torture très propre à travailler le spectateur. On le bissa deux fois à la lecture faite devant le comité de la Comédie-Française. Dumas le dit : et je le crois[20]. L’émotion en est poignante ; car ce passage contient le germe d’une situation décisive, dont il prolonge l’attente et décuple l’effet.

Oh ! s’il ne revient pas, comment me vengerai-je ?

Malheur ! mais non, lui-même a préparé le piège.
 
C’est bien lui ; son cheval de vitesse redouble ;
Je le vois accourir d’écume blanchissant.
 
Il va… C’est cela, bien… Tu fais ce que je veux ;
Descends de ton cheval ; flatte son cou nerveux.
 
Il va toucher le seuil… Bien ! Un pied dans la tombe…

Deux[21]

C’est la traduction presque littérale de Gœthe. Dumas a reconnu là un moyen dramatique, dont il abusera bientôt comme d’un procédé mécanique.

La scène qui suit, où le duc d’Albe arrête Egmont, a servi de modèle à l’arrestation de Monaldeschi[22]. Et voyez le don du théâtre. La discussion politique chez Gœthe est d’une autre portée morale et sociale que chez Dumas. Egmont défend la cause du peuple en politique indulgent et philosophe. Albe soutient le droit divin. Mais cette métaphysique dialoguée fait long feu. Il faut arriver au mot final : « Le roi l’ordonne ; tu es mon prisonnier », pour attraper l’émotion. C’est Shakespeare mystique, et sans flamme. La situation que Dumas en a tirée est une des plus vibrantes qu’il ait écrites. La suprême rencontre des deux courtisans ennemis, l’erreur de Monaldeschi qui, voyant Sentinelli entre deux soldats, le tient pour prisonnier, l’équivoque captieuse dont Sentinelli enveloppe ses griefs et son interrogatoire, pour ménager le coup de théâtre de la fin, voilà le drame et une scène de premier ordre :

 
 
Cédant à la pitié, lorsque tu le verrais

Tomber à tes genoux… — Je l’y poignarderais !
— Au nom de notre reine indignement trompée,
Jean de Monaldeschi, rendez-moi votre épée[23] !

Au surplus, Dumas a peu imité Gœthe. Ajoutez quelques réminiscences éparses, indirectes et parfois mitoyennes entre Goethe et Schiller : la scène des bijoux de Faust, dans Don Juan de Marana et Catherine Howard[24], celle de Ruggieri-Faust ou Ruggieri-Seni ou Ruggieri-Galeotti[25], des tableaux de prison, dont le plus fameux est celui de la Tour de Nesle, et le plus analogue au dénoûment d’Egmont celui qui termine Catherine Howard, et ce dernier encore plus voisin de l’acte V de Marie Stuart[26] ; — vous aurez toute ou presque toute l’influence de Gœthe sur Dumas, qui ne pouvait être que superficielle. « La carrière dramatique de Gœthe, remarque madame de Staël, peut être considérée sous deux rapports différents. Dans les pièces qu’il a faites pour être représentées, il y a beaucoup de grâce et d’esprit ; mais rien de plus. Dans ceux de ses ouvrages dramatiques, au contraire, qu’il est très difficile de jouer, on trouve un talent extraordinaire[27]. »


II

SCHILLER.

Schiller, non plus que Gœthe, ne fut un Shakespeare. Mais il a été celui de Dumas. Au théâtre, Hugo est plus Espagnol, Dumas plus imbu de germanisme. Il a relu très attentivement Shakespeare dans l’œuvre dramatique de Schiller. Et, naturellement, il y paraît.

Schiller écrit des « poèmes dramatiques ». Son imagination ne fléchit pas sans peine aux nécessités de la scène. Il sent vivement, il pense souvent avec force ; il souffre de restreindre sa pensée ou de contraindre son sentiment ; il est impatient des sacrifices imposés aux plus grands dramatistes par l’optique théâtrale. Il veut mettre trop de choses dans ses pièces ; l’expression historique, philosophique, lyrique, passionnée, vraie, de son modèle anglais le désespère. Il n’y atteint point. Non qu’il soit incapable de sortir de sa tour d’ivoire, d’observer et de caractériser des personnages. Mais tandis que la philosophie de son maître fait corps avec les dessous de l’observation et tient ferme au tréfonds de l’histoire ou du cœur humain, chez lui, comme chez beaucoup d’Allemands, elle est esclave de l’imagination. Il semble qu’ils ne voient clairement que dans le rêve. La réalité ne leur apparaît qu’à travers un nuage poétique ou métaphysique ; et juste à l’instant qu’ils vont prendre pied sur un terrain solide, ils s’échappent dans l’abstraction. Les figures de premier plan se fondent et s’évaporent, quelquefois en fumée. Pour racheter ces essors et se rattraper au vrai des choses, on ne rebute point les violences, on force le réalisme jusqu’à la brutalité. Schiller, qui est plus dramaturge, beaucoup plus que Gœthe, et qui a écrit l’Intrigue et l’Amour et les quatre premiers actes de Guillaume Tell, n’est pas exempt de ces graves défauts.

Il a le sens du théâtre ; il n’en a pas le don. Il refait, lui aussi, ses pièces ; elles ne sont jamais au point. Sous prétexte d’imiter la vérité et surtout la liberté de Shakespeare, il délie l’ordonnance dramatique. Il abonde en situations émouvantes, mais qui ne sont pas d’ensemble. Sa trilogie de jeunesse est pleine de beautés plus que shakespeariennes, aggravées de la misanthropie révoltée de Rousseau. Il va volontiers au delà du modèle, par la crainte de rester en deçà, et aussi faute d’être soutenu par le solide et continuel appui de l’observation et de la composition. Ses héros ne sont vivants que par intervalles ; ils prennent des poses ; ils recherchent la théorie. Ils sont des concepts qui de temps en temps s’animent. En revanche, quand ils s’animent, ils n’y vont pas de main morte. Les Brigands forment un mélodrame philosophique, compact, brutal, un peu lourd, avec un traître bien noir, une jeune fille qui est une aimable personne, et un brigand fort honnête homme, qui a versé dans le brigandage par humanité. Il paraît bien que là-dessous gronde une philosophie juvénile, révoltée, et qui s’arme d’une libre morale. Charles Moor a engendré chez nous nombre de bandits qui sont des apôtres, et que Pixérécourt déjà, se refusant à les déshonorer d’un vilain nom qu’ils ne méritent guère, appelait des « Indépendants »[28]. Hernani relèvera le gant et revendiquera son titre :

Vous viendrez commander ma bande, comme on dit ;
Car vous ne savez pas, moi, je suis un bandit[29] !

Quant à Franz Moor, il a fait souche à la Porte Saint-Martin et à l’Ambigu. Il va sans dire que Dumas l’admire, comme nous avons vu qu’il admire Fiesque, le nègre, et tout ce qui marque de la vigueur, de l’audace, de la force même brutale. Il traduira l’Intrigue et l’Amour, comme il a traduit Fiesque. Même dans Don Carlos, malgré l’encombrement de la tirade philosophique, l’invasion du lyrisme, et les déclamations utopistes du marquis de Posa, il découvrira avec ravissement des passions vives avec des situations dramatiques. Et c’est pourquoi j’ai dit que Schiller a le sens du théâtre, s’il n’en observe ni la perspective ni les nécessités. Imaginez la tête chaude du jeune Dumas faisant irruption dans ces lectures, et figurez-vous les émotions qui se succèdent en ce cerveau. Ces drames, aux sentiments forcenés, l’ont mis sens dessus dessous.

Il semble que le drame historique de Schiller l’ait moins remué. L’influence de Walter Scott demeure entière. Je crois en démêler les raisons. Wallenstein n’offre pas une suite de drames, mais des tableaux, des péripéties reliées d’un filtres lâche et qu’on ne sent pas. Il y a dans le Camp de Wallenstein, surtout là, un effort de reconstitution qui plaît, mais point de pièce. Les Piccolomini, la Mort de Wallenstein sont des suites de scènes, dont quelques-unes dramatiques. L’histoire s’en dégage malaisément ; la figure de Wallenstein est perdue dans ce panopticum et manque de relief. Ce n’est que colossal ; c’est trop peu pour Dumas. Au reste, comme il arrive toujours dans l’œuvre de Schiller, les situations pathétiques, singulières, rencontrées et propres au théâtre, ne sont pas rares, mais noyées dans un déluge. On n’y sent ni la logique ni l’intérêt d’une pièce. La scène de Max juge de son père relève grandement la fin de l’acte II[30]. Tout le III, ou peu s’en faut, serait d’un mouvement admirable, n’était qu’il s’espace en vingt-trois scènes, indéfiniment. Wallenstein et la délégation des cuirassiers, Max et Wallenstein font des morceaux pathétiques et des coups de théâtre qu’il faut louer comme inspirés de génie[31]. Mais tout est dans tout, et le reste dans cette Mort de Wallenstein : mouvement des masses, pittoresque, orgie, fantasmagorie, astrologie, toute la guerre de Trente Ans, les bandes, les chefs, quoi encore ? Je ne parle pas de la vérité historique, qui reçoit quelques atteintes, dont Dumas ne s’étonnera bientôt plus. S’il ne la doit pas respecter davantage, il la veut du moins vivante, claire, décorative. Il y a trop de brouillamini là dedans, et trop de talent dépensé par delà les limites du théâtre. C’est un effort admirable et un grandiose fatras.

Néanmoins, un peu partout dispersées mais fortes, apparaissent aux jeux éblouis de Dumas des passions, des situations, des esquisses de scènes plutôt que des scènes faites. Il y découvre l’audace tour à tour poétique ou réaliste de l’expression, et jamais la noblesse ni la fadeur surannées. Et puis, amour, haine, courage, crainte, ambition s’y déchaînent, violents, convulsifs et presque physiologiques. Tous les nerfs, tous les muscles entrent en jeu. « Une galanterie ? Et cet échange assidu de leurs regards ? Cette anxiété à épier ses traces ? Ce long baiser sans fin sur son bras nu, qui gardait l’empreinte des dents dans une tache rouge comme le feu ? Ah ! et cette stupeur immobile et profonde où je l’ai vu plongé, semblable sur sa chaise à l’extase personnifiée… Galanterie ? » Voilà notre Dumas tout étonné de ne pouvoir traduire ces passages que par des centons de Racine :

De leurs mille témoins trompant la vigilance,
Je voyais en secret leurs regards se chercher,
Leur sourire s’entendre et leurs mains s’approcher.
À quels tourmens affreux mon âme fut en proie[32]

Tourments affreux, âme en proie ! Oh ! qu’il sent bien qu’il y a autre chose dans l’original et que cette autre chose le ravit et l’échauffé ! Et comme cela est plus près de lui, plus accessible à son impétueux talent, que la violence de Shakespeare dont les plus subtils et secrets mobiles préparent les éclats ! C’est le drame shakespearien transcrit, à la portée de ses intellectuelles convoitises. Dumas eût pu dire de Schiller : « C’est mon auteur ».

Il lui emprunte d’abord cet infernal cliquetis de style, tout cet attirail d’exclamations d’une fatalité atroce, et qui nous égaye à présent. Shakespeare en usait beaucoup moins que Schiller ; Dumas se tient entre les deux. Cela fait partie du vocabulaire galant. Enfer ! Malédiction ! Damnation ! Ruse infâme ! Blasphème ! J’ai fait un serment terrible ! Infernale machination ! Casimir Delavigne lui-même essayera ces rugissements. « Moi, novice ! Damnation ! Mort et enfer[33] ! » Les admirateurs de Schiller feront sagement de n’être pas trop sévères à Dumas. Il entre beaucoup des formules de Franz Moor dans le délire sceptique de don Juan de Marana ; tout de même dans l’exaltation d’Antony, dans la diplomatie d’Alfred d’Alvimar et la perfidie de Fritz Sturler. Reconnaissons encore une fois les rancunes de Rousseau, germanisées par Schiller, plus élégantes et guindées chez Byron. De Schiller procèdent les métaphores intenses, à terreur concentrée, les secrets terribles qui sont des poisons violents, venus en droite ligne de don Carlos[34], et que nous retrouverons dans Henri III et la Tour de Nesle. De Schiller est renouvelée une ironie féroce, je ne sais quelle gaîté macabre, que Dumas affecte volontiers, et qui est sensiblement différente de l’esprit français. On connaît le récit de Landry dans la Tour de Nesle ; Schufterlé des Brigands l’avait fait avant lui, plus brutal et plus court.

SCHUFTERLÉ.

En passant par hasard près d’une baraque, j’entends des cris lamentables qui en sortent : je regarde dedans, et, à la lueur de la flamme, que vois-je ? Un enfant, encore sain et frais, couché sur le sol, sous la table ; et la table allait tout justement prendre feu. « Pauvre petite

LANDRY.
Oui, c’était en Allemagne ; pauvre petit ange ! J’espère qu’il prie là-haut pour moi, celui-là. Imaginez-vous, capitaine, que nous donnions la chasse à des Bohémiens, qui sont, comme vous savez, païens, idolâtres et infidèles ; nous traversions leur village qui était tout en feu.

créature, ai-je dit, mais tu gèles ici ! » Et je l’ai jeté dans les flammes.

J’entends pleurer dans une maison qui brûlait, j’entre ; il y avait un pauvre petit enfant de Bohème abandonné. Je cherche autour de moi, je trouve de l’eau dans un vase ; en un tour de main je le baptise, le voilà chrétien ; c’est bon. J’allais le mettre dans un endroit où le feu ne pût l’atteindre, quand je réfléchis que, le lendemain, les parents viendraient,



J’entends pleurer dans une maison qui brûlait, j’entre ; il y avait un pauvre petit enfant de Bohème abandonné. Je cherche autour de moi, je trouve de l’eau dans un vase ; en un tour de main je le baptise, le voilà chrétien ; c’est bon. J’allais le mettre dans un endroit où le feu ne pût l’atteindre, quand je réfléchis que, le lendemain, les parents viendraient, et le baptême au diable ! Alors je le couchai proprement dans son berceau et je rejoignis les camarades ; derrière moi le toit s’abîma[35].

Et comme, parmi ce satanisme du style, la croix de ma mère (que nous retrouverons néanmoins pendante au cou de Lady Mylfort dans l’Intrigue et l’Amour)[36] est un moyen de reconnaissance un peu trop chrétien, Charles Moor porte à la main droite une cicatrice qui le fait reconnaître de son serviteur. Pareillement, Philippe et Gaultier d’Aulnay portent une croix au bras : il est vrai que c’est le gauche.

L’influence de Schiller sur Dumas ne se réduit pas à une forme d’ironie ni à des tours de langage. Walter Scott lui a fourni les tableaux et le décor ; le poète allemand l’incite aux situations désespérées. Je laisse de côté la mise en scène du premier acte d’Henri III, que Scott avait réglée dans Quentin Durward, et rencontrée dans la Mort de Wallenstein[37]. J’arrive aux scènes transportées du théâtre de Schiller dans Henri III.

1o La scène du mouchoir. C’est la dernière du premier acte. Schiller l’a reçue d’Othello ; et Dumas la reçoit de Fiesque. On sait la fin du monologue de Guise. « Qu’est cela ? Mille damnations ! Ce mouchoir appartient à la duchesse de Guise ! Voici les armes réunies de Clèves et de Lorraine !… Elle serait venue ici !… Saint-Paul !… Je vais… Saint-Paul ! Qu’on me cherche les mêmes hommes qui ont assassiné Dugast ! » On trouve dans la première rédaction de la Conjuration de Fiesque : « Qui est-ce qui vient de sortir ? — Le marquis Calcagno. — Ce mouchoir était resté sur le sofa. Ma femme était ici[38]. » Il est superflu de dire que l’accessoire peut varier, et que c’est indifféremment un portrait dans Don Carlos ou une toque oubliée sur un fauteuil dans Catherine Howard[39].

2o La scène de Saint-Mégrin et du page est à peu près littéralement traduite de Don Carlos.

CARLOS.

Une lettre pour moi ? Pourquoi donc cette clef ?… si c’était un mensonge, avoue-le-moi franchement, et ne te raille pas de moi… Laisse-moi d’abord revenir à moi… C’est un autre ciel, un autre soleil que ceux qui existaient avant… Elle m’aime ?… Ce que tu as vu, tu m’entends ?… sans le voir, restera caché, comme en un cercueil, au plus profond de ton sein. Maintenant, va ! Je te trouverai, va ! Il ne faut pas qu’on nous rencontre ici. Va… Non, pourtant. Arrête ! Ecoute !… Tu emportes un terrible secret, qui, semblable à ces poisons violents, brise le vase où il est gardé… Maîtrise bien ta physionomie. Que jamais ta tête n’apprenne ce que ton sein recèle. Sois comme le porte-voix inanimé, qui reçoit et rend le son, et lui-même ne l’entend pas ! Tu es un enfant, sois-le toujours, et contrains ton rôle de libre gaîté… Qu’elle a bien su choisir son messager d’amour, la main avisée qui a écrit cette lettre. Ce n’est pas là que le roi cherche ses vipères.

LE PAGE.

Et moi, mon prince, je serai fier de me savoir possesseur d’un secret que le roi lui-même ignore.

CARLOS.

Folle vanité d’enfant ! C’est là ce qui doit te faire trembler !… S’il arrive que nous nous rencontrions en public, tu t’approcheras de moi d’un air timide et soumis. Que jamais ta vanité ne te pousse à laisser voir combien l’infant te veut de bien… Ce que tu pourras avoir désormais à me transmettre, ne l’exprime jamais par des syllabes, ne le confie pas à tes lèvres, que ton message ne suive pas la voie frayée, la voie commune des pensées. Tu parleras par le mouvement des cils, du doigt ; je t’écouterai du regard. L’air, la lumière qui nous entourent sont les créatures de Philippe ; les murailles muettes sont à sa solde[40].ne te pousse à laisser voir combien l’infant te veut de bien….

SAINT-MÉGRIN.

Cette lettre et cette clef sont pour moi, dis-tu ? Jeune homme, ne cherche pas à m’abuser… Je ne connais pas son écriture… Avoue-le-moi, tu as voulu me tromper…

 
Je suis aimé !.… aimé !.… Oui, tu as raison, silence ! Et à toi aussi, jeune homme, silence !… Sois muet comme la tombe… Oublie ce que tu as fait, ce que tu as vu, ne te rappelle plus mon nom, ne te rappelle plus celui de ta maîtresse. Elle a montré de la prudence en te chargeant de ce message. Ce n’est point parmi les enfants qu’on doit craindre les délateurs.

Je suis aimé !.… aimé !.… Oui, tu as raison, silence ! Et à toi aussi, jeune homme, silence !… Sois muet comme la tombe… Oublie ce que tu as fait, ce que tu as vu, ne te rappelle plus mon nom, ne te rappelle plus celui de ta maîtresse. Elle a montré de la prudence en te chargeant de ce message. Ce n’est point parmi les

ARTHUR.

Et moi, comte, je suis fier d’avoir un secret à nous deux.


SAINT-MÉGRIN.

Oui,… mais un secret terrible, un de ces secrets qui tuent. Ah ! fais en sorte que ta physionomie ne te trahisse pas, que tes yeux ne le révèlent jamais… Tu es jeune : conserve la gaité et l’insouciance de ton âge. S’il arrive que nous nous rencontrions, passe sans me connaître, sans m’apercevoir ; si tu avais encore dans l’avenir quelque chose à m’apprendre, ne l’exprime point par des paroles, ne le confie pas au papier ; un

signe, un regard me dira tout…Je devinerai le moindre de tes gestes ; je comprendrai ta plus secrète pensée.
 
Sors, sors maintenant, et garde que personne ne te voie.

Pour un plagiat, c’en est un. Quand Corneille écrivait le Cid et Racine Phèdre, ils ne serraient pas l’original de plus près. On notera seulement qu’où Dumas ne traduit pas littéralement, il adoucit l’imprévu ou le forcé des images (« Tu parleras par le mouvement des cils… je t’écouterai du regard ») ; il ménage son public français ; et de plus, il compose, même en traduisant. Le mot du page : « Et moi, comte, je suis lier d’avoir un secret à nous deux », n’est plus seulement un trait de jeunesse. Désormais, Arthur est de moitié dans le dénoûment. Vous en trouverez la preuve dans le billet qui tombe avec un paquet de cordes[41]. Même plagiant, Dumas prévoit et prépare.

Dans Christine les souvenirs transparents ne manquent point[42]. Lorsque la reine Christine tombe à la mer, au premier acte, elle commence par où Fiesque a fini[43]. Doria renvoie garrotté à Fiesque le Maure qui l’avait dénoncé ; La Garde renvoie à Christine la lettre par laquelle Monaldeschi l’a trahie[44]. La scène v du quatrième acte de Christine est traduite de la Mort de Wallenstein, où Déveroux et Macdonald acceptent de tuer le chef. Dumas en a accéléré le mouvement, et conservé les traits essentiels. Clauter et Landini ne déguisent pas leurs réminiscences :

Voyons, doit-il périr ? — Sa mort est décidée.
— Rien ne peut le sauver ? — Rien. — Nous changeons d’idée[45].


La fin du quatrième acte de Don Carlos a fourni à Dumas le principal ressort de sa tragédie : la lettre de Monaldeschi, qui trompe la confiance de Christine, a pu être inspirée de celle du marquis de Posa à Guillaume d’Orange[46]. Les adieux du même Monaldeschi aux champs paternels sont une réminiscence de la Pucelle d’Orléans[47]. Quant au baron de Steinberg, grand maître de l’étiquette, c’est le maréchal de Kalb de l’Intrigue et l’Amour, protocolier effaré : « Vous pardonnez, n’est-ce pas ?… Des affaires pressantes… Le menu du dîner… des cartes de visite… L’arrangement de divers groupes pour la partie de traîneaux d’aujourd’hui. Ah ! Et puis, il fallait bien que je fusse au lever pour annoncer à Son Altesse le temps qu’il fait[48]. » Ici encore, c’est une convergence d’imitations : de Kalb, Steinberg, la Camerera mayor de Ruy Blas, laquelle est extraite toute vive d’une scène de Don Carlos[49] : plaisante lignée de l’infortuné Polonius malencontreusement tué par Hamlet. Joignez que le page Arthur ayant réussi dans Henri III, Dumas ajoute, après coup, à sa tragédie le rôle de Paula[50], le développe, fait de ce travesti une manière de caractère que Byron eût aimé, que Scott n’eût pas désavoué, et dont il faut chercher l’invention originale dans la scène de Don Carlos citée plus haut[51]. Les souvenirs se convient amicalement.

N’oublions pas que Dumas est encore tout frémissant de ses lectures. Le rôle de Paula une fois établi, Monaldeschi se trouve entre elle et Christine dans la même posture que Leicester entre Elisabeth et Marie Stuart[52]. Et il s’inspire du personnage de Leicester. — Mais la même idée a été reprise de Schiller par Walter Scott dans le Château de Keniworth. — Mais n’avons-nous pas vu que c’est l’affaire de Richard Darlington de mettre en scène le dénoûment d’Amy Robsart ? Schiller étant venu le premier, c’est lui qui a les honneurs de Christine.

Ces ricochets d’imitations se compliquent dans Charles VII Dumas confesse que cette œuvre est un « pastiche dramatique ». Il cite Corneille, Racine, Gœthe, Musset. « Voilà, s’écrie-t-il soulagé, grâce au ciel, ma confession finie[53] » De Schiller il ne souffle mot, qui lui a prêté davantage. On se souvient de cette fine remarque de madame de Staël : « Gessler arrive, dit-elle, portant un faucon sur sa main : déjà cette circonstance fait tableau et transporte dans le moyen âge ». Cette femme comprenait le théâtre ; Dumas aussi. À son entrée, « le roi remet à un fauconnier le faucon qu’il tenait sur le poing[54] ». Ce détail de mise en scène lui est revenu en mémoire, à Trouville, où il rimait la pièce, et juste au bon moment. Il se rappelle à point et met à contribution la Pucelle d’Orléans. Les rôles de Charles VII et d’Agnès en sont directement importés. Quelques renvois suffisent à établir les emprunts, quelques remarques à préciser la façon dont Dumas emprunte. La scène iii de l’acte IV est faite de deux scènes de Schiller : l’arrivée du bâtard d’Orléans et l’appel de Charles à son argentier. Dumas resserre la situation dramatique ; il en trouve le geste et le mot à effet, le coup de théâtre. Le roi détache un diamant de sa couronne et le jette dans le casque de Dunois, avec ce vers :

Mon plus beau diamant pour mon meilleur soldat[55].

La scène suivante appartient encore à Schiller. Le poète allemand s’y montre poétique et ingénieux. Le roi raconte une prédiction à lui faite jadis. Une femme doit sauver son royaume : il croit que cette femme est Agnès. Dumas s’empare de la situation, met la prédiction dans la bouche d’Agnès et amorce la péripétie la plus dramatique de la pièce, le réveil de Charles VII :

 
 
J’avais cru jusqu’ici que vous étiez le roi,

Mais du titre et du rang Bedford vous dépossède ;
Et puisque sans combat Votre Altesse les cède,
Bedford est le seul roi de France, et me voilà
Prête à joindre Bedford[56].


Mais il s’est gardé de faire Jeanne d’Arc amoureuse ; il s’est interdit de la mettre avec Agnès Sorel sur le pied d’intimité et de conversation[57] . Dumas manque de littérature et de goût ; mais il n’a pas de ces inventions-là.

Si à ces souvenirs de Guillaume Tell, de la Pucelle d’Orléans on ajoute ceux qu’éveille le rôle d’Yaqoub ; si l’on se rappelle la figure originale d’Hassan, le nègre de la Conjuration de Fiesque ; et, si l’on s’avise aussi que cet esclave d’Orient, qui a nom Yaqoub, qui a conservé des traits du nègre, d’autres du Maugrabin, fils du nègre, emprunte du Zingaro, qui les a apprises de lord Talbot[58], certaines formules de scepticisme et d’athéisme, — oh ! alors on commence à estimer que c’est beaucoup de souvenirs ainsi, que ces révolutionnaires ne sont aucunement oublieux du passé, et qu’ils prennent à toutes mains leur provende où ils la trouvent. Mais on découvre aussi l’action profonde de Schiller, qui s’exerce ou directement ou par l’intermédiaire de Scott, et qui dure.

Aussitôt qu’il a exécuté le prologue de Richard Darlington, Dumas rattrape plusieurs scènes de son Fiesque inédit, qu’il n’avait pas encore suffisamment utilisées. La physionomie de Richard conserve quelques traits de Lavagna. Le monologue de Fiesque, à l’heure où le soleil couchant embrase Gênes de ses rayons, a visiblement inspiré celui de Richard à la fin de l’acte II[59]. Tompson n’est pas sans analogie avec le nègre ; s’il n’en a pas la couleur, il en a la décision et la scélératesse, pareillement agile[60] et semblablement dessiné. Pour la scène du divorce, violente et brutale, elle est prise de Don Carlos[61]. Mais ce n’est que justice d’ajouter qu’une main autrement experte y imprime sa marque. Dans Teresa la situation de Delaunay découvrant l’adultère : autre réminiscence de Don Carlos[62] ; Paolo :

le Franz des Brigands, habillé à l’italienne, — à moins qu’il ne soit la Paula de Christine, au sexe près : Paulo, Paula, Paolo, cela se décline. Les souvenirs se rejoignent par réverbération. Et arrivons à la Tour de Nesle.

À cette œuvre homérique tout le monde collabora : Gaillardet, J. Janin, Goethe qu’on nomme, et celui dont on ne parle point et qu’on rançonne sans merci, Schiller, toujours Schiller. J’ai indiqué plus haut le récit macabre de Landry calqué sur celui du brigand Schufterlé et la croix rouge que les deux frères d’Aulnay portent au bras[63]. Il paraît bien que la Tour de Nesle est, avec le Comte Hermann, l’œuvre qui emprunte davantage la couleur générale du style des Brigands. Elle en retient encore quelques autres choses. La scène où Buridan révèle à Marguerite l’existence des tablettes sur lesquelles Philippe d’Aulnay a écrit de son sang : « Je meurs assassiné par Marguerite de Bourgogne » : voir les Brigands[64]. Le meurtre qui souilla les premières amours de Buridan et de Marguerite (« l’assassin l’a revu dans ses rêves »), je serais bien étonné qu’il n’y eût pas là quelque réminiscence encore des Brigands[65]. Et toute cette série de crimes qu’abrite la Tour de Nesle : les Brigands, les Brigands. Franz Moor enfermait son père dans un caveau et pensait tuer son frère. Parricide ! Fratricide ! Marguerite de Bourgogne, Buridan, Lucrèce Borgia, les Burgraves !… Pour la diablerie de ce parler héroïque : « Quoi ! vieillard, as-tu fait un pacte avec le ciel ou avec l’enfer[66] ? » — cela même n’est pas de Dumas, comme on pourrait croire, mais de Schiller et de ses Brigands. Ajoutez quelques traits ramassés dans la Conjuration de Fiesque : « J’ai compté les deux cent vingt marches qu’ils ont descendues, les douze portes qu’ils ont ouvertes[67]  ». Schiller s’était contenté de « fermer au verrou huit chambres derrière nous ; le soupçon ne peut nous approcher à cent pas[68] ». Au lieu de huit portes, Buridan en met douze ; au lieu de cent pas, deux cent vingt marches. Cela est mieux ainsi pour un capitaine d’aventures, qui a couru les cachots de l’Europe et qui fut de la Grande Armée. Rappellerai-je que Buridan est de Bohème, quand il lui plaît, qu’il lit dans les astres, dans la main, prédit l’avenir et s’acquitte agréablement de tout ce qui concerne son état, qu’il a appris de Ruggieri, lequel le tenait de Galeotti, disciple de Seni[69] ? — Notons-le par surcroît et pour nous donner l’illusion de ne rien omettre.

Car Dumas n’oublie rien, lui. Il se sert de Schiller, alors même qu’il semble se régler sur Shakespeare. Seulement, à mesure qu’il s’éloigne de ses premières lectures et de ses enthousiasmes de jeunesse, ses réminiscences sont mieux assimilées. Il en retient surtout l’idée et le moyen scéniques. Il a un certain nombre de scènes d’emprunt, qu’il a faites siennes et qu’il reprend volontiers. Catherine Howard, c’est Richard Darlington, Richard métamorphosé en femme : souvenirs de Roméo et Juliette, inspiration de Macbeth, et encore, et surtout de Fiesque de Lavagna et de la veuve Imperiali. Pour le cinquième acte, voyez le dénoûment de Marie Stuart[70]. Mais, en même temps qu’il fourrage en pays étranger, il a le sens du drame français. Il emprunte, mais il refond. Il se garde de mettre sur les tréteaux la confession même et la communion de la victime. Ethelwood, l’amant enseveli et muré par Catherine, reparaît, s’improvise bourreau, et dans le sein de l’archevêque dépose d’une voix tonnante les crimes secrets de celle qu’il va exécuter. Cela fait une scène, non plus scabreuse ni presque sacrilège, mais, au contraire, d’un pathétique qui purge en nous la haine de la Bête malfaisante.

Il faut en prendre son parti. Dumas est plus allemand que shakespearien. Il se compare et se laisse comparer à Shakespeare[71]. Il s’appuie sur Schiller. Et c’est à lui qu’il s’adressera encore, quand, après 1840, il voudra se renouveler. En 1842 il donne au Théâtre-Français Lorenzino, une nouvelle mouture de Fiesque ; en 1847 Intrigue et Amour pour son Théâtre-Historique ; en 1849, sur la même scène, il fait représenter le Comte Hermann, où l’auteur des Brigands a collaboré pour le rôle de Fritz Sturler. Les Brigands, Fiesque, l’Intrigue et l’Amour, c’est à la trilogie de jeunesse qu’il se reprend pour se rajeunir. Il fait ailleurs des excursions. En 1850, il adapte le Vingt-quatre Février de Werner ; en 1854, il dédie à Victor Hugo la Conscience, tirée d’une trilogie d’Iffland : Crime par ambition ; en 1856, il dédie au Peuple une Orestie. Il met les trilogies d’Eschyle sur le même pied que les trilogies schilleriennes. M. Ch. Glinel tient l’Homme est satisfait, de 1858, pour une adaptation d’une pièce d’outre-Rhin. Comme il ne fournit à l’appui de son assertion aucun de texte, il est malaisé de la vérifier[72]. Mais il cite plus loin un document irréfutable, qui montre que, lorsque Dumas n’allait pas au théâtre allemand, c’est le théâtre allemand qui venait à lui. Sur la lettre d’un sieur Max de Goret, qui lui envoyait la traduction d’un premier acte de Kotzebue, Dumas écrit à plusieurs mois d’intervalle : « Aux conditions que j’ai dites à Thibaudeau, je ferai de ce manuscrit une pièce pour les débuts de Bocage, pourvu qu’on me prévienne quinze jours d’avance[73] ».

Tant de réminiscences et d’imitations, sans compter les souvenirs d’Anquetil, des chroniqueurs, mémorialistes, nouvellistes, à commencer par L’Estoile pour finir à Mérimée, ne pouvaient passer longtemps inaperçues. Le 1er novembre 1833, Granier de Cassagnac écrivait un article au Journal des Débats, où il dénonçait l’heureuse fécondité de Dumas. Il relevait, pour chacune des pièces jusqu’à la Tour de Nesle, le détail des plagiats dont elle s’était enrichie. Il s’intéressait beaucoup plus, et avec une ironie perfide, au nombre des scènes empruntées qu’aux auteurs de qui Dumas les prenait. Il avait fait le compte ; Christine en contenait dix qui n’étaient point de Dumas. Il y ajoutait d’ailleurs, en adroit journaliste qui connaît la corde sensible, quelques vers inspirés de Victor Hugo. Et aussi, en polémiste expérimenté, il n’était ni complet, ni discret, ni équitable ni rebelle aux inductions, ni ennemi des imputations erronées[74].

Dumas voguait en plein succès ; l’article était de mauvaise foi : il fit balle. Dumas y répondit par le morceau qui sert de préface à son Théâtre complet : Comment je devins auteur dramatique, et qui avait paru d’abord à la Revue des Deux Mondes. S’il se réclame surtout de Shakespeare, il avoue du moins qu’il a « fait connaître à notre public des beautés scéniques inconnues[75] ». Le nom de Schiller y paraît à peine, n’importe : l’essentiel y est, la réplique de l’homme de théâtre, à laquelle il n’y a quasiment rien à reprendre. « C’est ce qui faisait dire à Shakespeare, lorsqu’un critique stupide l’accusait d’avoir pris parfois une scène tout entière dans quelque auteur contemporain : « C’est une fille que j’ai tirée de « la mauvaise société pour la faire entrer dans la bonne ». Génie à part (Dumas lui-même s’exprime ainsi ; il faut lui en savoir gré), c’est l’emprunteur, le plagiaire, qui est dans le vrai. Il invoque Shakespeare, Molière, Corneille, Racine. Granier de Cassagnac lui répond[76] que le métier dramatique n’a rien à voir ici, et que si ceux-là imitaient, ils transformaient aussi. Ce folliculaire est narquois, caustique. Il le prend de haut. Il le prend tout de travers. Dumas aussi transforme, dans sa sphère et selon son tempérament. Il n’y a pas à équivoquer. Au théâtre, le plagiat n’existe que dans les mauvaises pièces. Ou plutôt, il n’y a point de plagiat, mais des œuvres viables et d’autres non, vivantes ou mort-nées. Celui qui infuse la vie est le véritable créateur ; car, hors de cette condition, l’ouvrage dramatique, pour original qu’il soit, n’est point. Dumas nous fournira bientôt un exemple notable.

On eût réjoui Granier de Cassagnac et Loève-Veimars, qui vint à la rescousse après la représentation de Don Juan de Marana[77], si on leur eût montré l’usage économe, que fit ce prodigue, d’un manuscrit de Fiesque qu’il déclarait avoir brûlé. Ils auraient vu avec ravissement qu’il en avait écoulé peu à peu toutes les scènes et repris les principales figures et les meilleurs mouvements, depuis la baignade de Christine jusqu’à certain monologue de Caligula, sans oublier une situation importante de Catilina. En effet, jamais œuvre inédite ne fut davantage rééditée. Il y avait de quoi exercer l’académique ironie des deux rédacteurs du Journal des Débats. Mais j’imagine qu’on les eût, en revanche, fort étonnés en leur révélant que, depuis tantôt un demi-siècle, nos auteurs dramatiques tâchaient, avec plus ou moins d’audace, où Dumas réussit d’abord ; qu’après Sébastien Mercier, Ducis, Lebrun, après Pixérécourt, Casimir Delavigne avait sondé ces sources exotiques, que son Marino Faliero[78], imité de Byron, se souvient à l’occasion de Fiesque, que j’en ai cité plus haut une preuve et qu’on en pourrait alléguer d’autres ; que Victor Hugo lui-même s’est souvent inspiré de Gœthe et de Schiller, et de celui-ci davantage, et de Fiesque et des Brigands non pas sensiblement moins que Pixérécourt, dès sa pièce espagnole, Hernani ; qu’à toutes les époques de renouvellement théâtral, c’est la destinée de nos écrivains de faire fonds sur l’étranger ; et qu’au surplus le drame national, autour duquel s’est mené tant de bruit avant, pendant et après Henri III et sa Cour, se pourrait définir d’une formule vraie à moitié, mais nullement paradoxale : une imitation de Shakespeare d’après Schiller et Walter Scott.

  1. W. Gœthe, Les œuvres expliqués par la vie, 1749-1795, ch. vi, p. 275.
  2. Ibid., p. 276.
  3. Ibid., p. 279.
  4. Ibid., p. 284.
  5. Ibid.
  6. Ibid., ch. ii, p. 96.
  7. De l’Allemagne, t. II, ch. xxi, p. 127.
  8. Mézières, op. cit., ch. ii, p. 93.
  9. Mes mémoires, t. VIII, ch. ccvii, p. 195.
  10. Mézières, op. cit., ch. vii, p. 346.
  11. Voir la Préface de la traduction de Faust de M. Bacharach, par Alexandre Dumas fils. Imprimerie Claye, 1874.
  12. Théâtre de Goethe. Trad. Jacques Porchat. Hachette, 1882, t. II, Egmont, I, p. 287.
  13. Egmont, I, p. 289.
  14. Egmont, I, p. 290.
  15. Ibid., III, p. 324.
  16. Ibid.
  17. Ibid.
  18. Egmont, IV, p. 343.
  19. Hernani, IV, sc. ii, pp. 107 sqq.
  20. Mes mémoires, t. V, ch. cxiv, pp. 30-31.
  21. Cf. Egmont, IV, p. 343, et Christine, IV, sc. vii, pp. 270-271. Dumas reprendra plusieurs fois ce monologue. Cf. Antony, III. sc. iii, p. 197. Cf. Angèle, I, sc. vi, 113, et passim.
  22. Egmont, IV, pp. 343-351.
  23. Christine, IV, sc. viii, p. 274.
  24. Scène des bijoux et du miroir de Faust, pp. 200 et 201, cf. Don Juan de Marana, II, tabl. ii, sc. iii, pp. 30 et 31 ; cf. Catherine Howard, I, tabl. ii, sc. ii, pp. 234-235.
  25. Faust, 1re partie, pp. 131 sqq., cf. Henri III et sa Cour, I, sc. i, p. 119.
  26. Egmont, V, pp. 356 sqq. Cf. la Tour de Nesle, III, tabl. vi, sc. i, pp. 54 sqq. ; cf. Catherine Howard, V, tabl. viii, sc. i, ii, pp. 300 sqq. — Joignez quelques disputes d’auberge, en souvenir de Gœtz de Berlichingen, I, pp. 332 sqq., notamment celle qui ouvre le drame de la Tour de Nesle, et quelques scènes de place publique, où bourgeois et peuple interviennent, en mémoire d’Egmont, II, pp. 294 sqq., comme dans l’Envers d’une Conspiration, II, sc. i, pp. 167 sqq. Et ce doit être tout, sauf erreur.
  27. De l’Allemagne, t. II, ch. xxi, p. 124. Et aussi p. 125 : « Comme il n’y a pas en Allemagne une capitule où l’on trouve réuni tout ce qu’il faut pour avoir un bon théâtre, les ouvrages dramatiques sont plus souvent lus que joués ; et de là vient que les auteurs composent leurs ouvrages d’après le point de vue de la lecture, et non pas d’après celui de la scène ». Remarque juste et trop oubliée.
  28. Cf. Les outlaws de Walter Scott, mais postérieurs (1818).
  29. Hernani, I, sc. ii, p. 22 (Th., t. II, édit. Hachette).
  30. La Mort de Wallenstein (Th., II), II, sc. viii, pp. 464-467.
  31. Ibid., III sc. XV, pp. 491 sqq., et ibid., sc. xviii, pp. 498 sqq.
  32. La Conjuration, de Fiesque à Gênes, I, sc. i, p. 204, et Manuscrit inédit de Fiesque de Lavagna, I, sc. ii.
  33. Don Juan, III, sc. vii, p. 504.
  34. Don Carlos (Th., II), IV, sc. iv, p. 44 : « Tu emportes un terrible secret, qui, semblable à ces poisons violents, brise le vase où il est gardé ». Cf. la Tour de Nesle (Th., IV), III, tabl. vi, sc. v, p. 59 : « Il y a des poisons si violents qu’ils brisent le vase qui les renferme ». Cf. Henri III et sa Cour (Th., I), IV, sc. i, p. 177 : « Oui,… mais un secret terrible, un de ces secrets qui tuent ». — On voit que Dumas ne laissait rien perdre, et qu’ayant utilisé seulement la moitié de la formule dans Henri III et sa Cour il rattrape l’autre moitié dans la Tour de Nesle.
  35. Les Brigands (Th., I), II, sc. iii, p. 75. Cf. la Tour de Nesle (Th., IV), V, tabl. viii, sc. v, p. 87.
  36. L’Intrigue et l’Amour (Th., I), II, sc. iii, p. 398… « Et cette croix de famille, que ma mère mourante avait mise dans mon sein, en me donnant sa dernière bénédiction ». Cf. Intrigue et Amour de Dumas (Th., X), II, tabl. iii, sc. iv}, p. 226. Cf. Milady de la Jeunesse des Mousquetaires, laquelle est marquée à l’épaule. Je ne serais pas étonné que Dumas se fût inspiré de la Milady de Schiller pour crayonner cette intrigante policière.
  37. La Mort de Wallenstein, I. sc. i, p. 426. Voir la mise en scène : « Une chambre disposée pour des opérations d’astrologie, etc. »… Cf. Quentin Durward (trad. Defauconpret, Paris, Furne, Pagnerre, Perrotin, édit., 1857), ch. xiii, L’astrologue, pp. 177 sqq. et ch. xix, pp. 368 sqq.
  38. Othello, sc. IX, p. 125. Cf. la Conjuration de Fiesque à Gênes, II, sc. iv, p. 241. Cf. Henri III et sa Cour, I, sc. vii, p. 141, et V, sc. iii, p. 108.
  39. Don Carlos, IV, sc. ix, p. 125. Cf. Catherine Howard {Th., IV), IV, tabl. vi, sc. iv, p. 289. Cf. Teresa (Th., III), IV, sc. xii, p. 216. Dumas fils utilisera quelquefois ces moyens : les lettres de Suzanne dans le Demi-Monde ; la voilette dans l’Ami des femmes ; la clef dans la Princesse de Bagdad. Cf. Catherine Howard (la clef du tombeau), II, tabl. iv, sc. iv, p. 267, et III, tabl. v, sc. IV, pp. 273 et 275. Cf. Beaumarchais, le Barbier de Séville, III, sc. xi. Figaro : « Moi, en montant, j’ai accroché une clef ».
  40. Don Carlos, II, sc. iv, pp. 42-45. Henri III et sa Cour, IV, i pp. 176-178.
  41. Henri III et sa Cour, V, sc. ii, p. 196.
  42. Sur ce point Blaze de Bury, op. cit., est fort incomplet et léger dans ses affirmations, pp. 38 sqq.
  43. La Conjuration de Fiesque, V, sc. xvi, p. 347. Cf. Christine, prologue, p. 207.
  44. La Conjuration de Fiesque à Gènes, IV, sc. ix, p. 307. Cf. Christine, IV, sc. iii, p. 259.
  45. La Mort de Wallenstein, V, sc. ii, pp. 542-549. Schiller se souvient d’ailleurs de Shakespeare (Le roi Richard III, I, sc. iv, pp. 103 sqq.). Peut-être pourrait-on trouver l’idée de la scène suivante de Christine, IV, sc. vi, pp. 267-269, où les deux spadassins jouent aux dés le salaire, dans une pièce de Lope de Vega, l’Hameçon de Phénice, I, sc. ii, p. 18 (édit. Charpentier, trad. Damas-Hinard), où Fabio, Bernardo et Dinardo jouent à pile ou face lequel sera le maître des deux autres.
  46. Christine, III, sc. i, p. 241, et Don Carlos, IV. sc. xxii, pp. 153-154, et IV, sc. xix, p. 143 sqq., où la princesse d’Eboli joue le rôle de jalousie de Paula dans Christine.
  47. La Pucelle d’Orléans (Th., III), prologue, sc. iv, p. 143 : « Adieu, montagnes » …et Christine, V, sc. i (Th., III), p. 277 « Champs paternels… »
  48. L’Intrigue et l’Amour, I, sc. vi, p. 380. Cf. Christine, I, i, p. 207 sqq. Cf. Hamlet, II, sc. ii, p. 226, la rhétorique courtisanesque de Polonius : « Votre noble fils est fou… etc. ».
  49. Don Carlos. La duchesse d’Olivarez, I, sc. iii, pp. 13-17. Ruy Blas, II, sc. i, pp. 121-131.
  50. Mes mémoires, t. V, ch. cxiv, p. 30 : « Christine n’était point ce qu’elle est aujourd’hui… Elle ne renfermait pas le rôle de Paula »…
  51. La scène de la clef. Don Carlos, II, sc. iv, pp. 42-45.
  52. Voir Marie Stuart de Schiller. Monaldeschi est entre Christine et Paula, Piichard Darlington entre Jenny et Miss Vilmor, Calilina entre Aurélia Orestilla et Marcia.
  53. Mes mémoires, t. VIII, ch. ccvii, pp. 195-206.
  54. De l’Allemagne, t. II, ch. xx, p. 115. Cf. Guillaume Tell, III, sc. iii, p. 416, et Charles Vil, II, sc. v, p. 258.
  55. Charles VII, IV, sc. iii, p. 288. Cf. la Pucelle d’Orléans, I, sc. ii, p. 146, et I, sc. iii, pp. 149-150.
  56. Charles VII, IV, sc. iv, p. 289. Cf. la Pucelle d’Orléans, I, sc. iv, p. 152.
  57. La Pucelle d’Orléans, IV, sc. ii, p. 217. Agnès lui saute au cou.
  58. La Pucelle d’Orléans, III, sc. vi, p. 205 : « Ce sera bientôt fini, et je rendrai à la terre, au soleil éternel, les atomes assemblés en moi pour la douleur et le plaisir »… Cf. Quentin Durward, ch. xxxiv, p. 427 : « Que peux-tu espérer, si tu meurs dans ces sentiments d’impénitence ? — D’être rendu aux éléments… Ma croyance… c’est que le compose mystérieux de mon corps se fondra dans la masse générale »… Cf. Charles VII, II, sc. v, p. 262 :
     
    De rendre un corps aux éléments.
    Masse commune où l’homme en expirant rapporte

    Tout ce qu’en le créant la nature en emporte.

  59. La Conjuration de Fiesque à Gênes, III, sc. ii, p. 263. Cf. Richard Darlington, II, tabl. v, sc. vi, pp. 101-102.
  60. La Conjuration de Fiesque à Gênes, I, sc. ix. pp. 220-225, II, sc. xv, pp. 261-263, III, sc. iv, pp. 277-2S1. Quand Dumas changera Richard Darlington en Catilina, le nègre deviendra Storax.
  61. Don Carlos, IV, sc. ix, p. 128. Richard Darlington, II, tabl. iv, sc. iii, p. 91. Cf. Mes mémoires, t. VIII, ch. ccx, pp. 236-237. Voir ci-dessous, pp. 348 sqq.
  62. Don Carlos, IV, sc. ix. p. 125. Teresa, c’est l’École des vieillards avec des moyens plus violents.
  63. Voir ci-dessus, p. 97
  64. Les Brigands, II, sc. ii, p. 57 : « Que vois-je ?… Qu’y a-t-il là, sur l’épée ?… Écrit avec du sang ?… », etc.
  65. Les Brigands, IV, sc. ii, p. 111, et V, sc. i, pp. 139-144 et 149 : « L’un se nomme parricide, l’autre fratricide ». Cf. les Burgraves. « Cain ! » III, sc. i, p. 341.
  66. Les Brigands, V, sc. i, p. 149.
  67. La Tour de Nesle (Th. IV), III. tabl. vi, sc. i, p. 54.
  68. La Conjuration de Fiesque à Gènes, III, sc. v, p. 281.
  69. La Tour de Nesle, II, tabl. iii, sc. iii, p. 32. Cf. ei-dessus, p. 67.
  70. Confession in extremis, terreur de l’échafaud, etc… Cf. l’Alchimiste, V, sc. ix, pp. 285 sqq. Voir plus bas, p. 1, note 3.
  71. Voir Th., t. I, Comment je devins auteur dramatique, p. 16. Cf. Ch. Glinel, op. cit., ch. v, p. 397 : « À l’occasion d’un festival dramatique donné en cette même année (1846) par Alexandre Dumas à ses amis et partisans, à Saint-Germain-en-Laye, on joua Shakespeare et Dumas ».
  72. Ch. Glinel, op. cit., ch. vi, p. 445.
  73. Ibid., ch. vi, p. 485. Voici la lettre de Max de Goret : « Monsieur Dumas, voici le premier acte de la traduction de Kotzebue. Je n’ai pu en faire d’avantage. Demain matin je crois j’aurais fini l’ouvrage entier. — Si vous avez le temps jettez un coup d’oeil sur la dernière scène — il me semble qu’on pourrait en faire une scène à grand effet. « Toujours votre obligé pour la vie,
    « MAX DE GORET. »

    Mardi, 15 mars matin.

    P.-S. — « Comme j’ai écrit très vite, pardonnez quelques fautes d’orthographe, je vous prie. » Dumas n’en était pas à cela près.

  74. Granier de Gassagnac affirme dans son article du 1er novembre, que la scène de la prison dans la Tour de Nesle (III, tabl. vi, sc. v, p. 58 sqq.) est empruntée d’une pièce de Lope de Vega, Amour et Honneur, journée III, sc. v. — La comédie n’est pas de Lope de Vega ; elle ne s’appelle pas Amour et Honneur ; et ce n’est pas la scène v. Amor, Honor y Poder, comédie de Calderon (Amour, Honneur et Pouvoir), fait partie de la Biblioteca de autores Españoles, t. VII, — 1er des œuvres de Calderon, pp. 367-384. — Là se trouve, dans la journée III, une scène iii, pp. 380-381, qui se passe, en effet, dans une prison, et qui n’a aucun rapport à celle de Dumas. L’infante, déguisée en homme, vient offrir à Enrico, son sauveur, qui l’aime et qu’elle écouterait volontiers, de faciliter son évasion. Il refuse : il est prisonnier de son honneur. Cf. pour le peu de sûreté des allégations de Granier de Cassagnac, plus bas, p. 365, note 1.
  75. Th. complet, t. I p. 16.
  76. Journal des Débats. 30 juillet 1834.
  77. Voir article cité par J. Janin, Histoire de la Littérature dramatique, t. VI, pp. 288-295.
  78. Voir ci-dessus, p. 40, n. 2.
    Tout l’acte II, soirée chez Léoni, est visiblement imité du I de la Conjuration de Fiesque. (Cf. surtout II, sc. vi, pp. 42 sqq. Israël refait les scènes du nègre Hassan ; — II, sc. x, pp. 51 sqq. Faliero jaloux et soupçonneux ; — III, sc. v, p. 73. Il donne les ordres de l’attaque.) On remarquera, à propos de cette dernière scène, que Schiller est plus bref. Dumas et Casimir Delavigne, avec plus de sens du théâtre, précisent et développent. Cf. Cinna, I, sc. iii et v, sc. i.
    Tu veux m’assassiner domain au Capitole…

    Schiller dit : « Verrina ira d’avance au port, et donnera, par un coup de canon, le signal de l’attaque «. (La Conjuration de Fiesque à Gênes, IV, sc. v, p. 309.)

    Casimir Delavigne :

    Au point du jour, pour quitter sa demeure,
    Que chacun soit debout dès la quatrième heure !
    Au portail de Saint-Marc, par différents chemins.
    Vous marcherez
     
    Le beffroi sur la tour s’ébranle à ce signal ;
    Les nobles convoqués par cet appel fatal
    Pour voler au conseil en foule se répandent.
     
    Toi, si quelqu’un d’entre eux échappait au carnage.
    Du pont de Rialto ferme-lui le passage ;
    Toi, surprends l’arsenal ; toi, veille sur le port ;
    Israël à Saint-Marc
    (Marino Faliero, III, sc. v, pp. 73-74.)

    Dumas :

     
    Verrina par surprise investira le port ;
    De soldats aguerris une troupe fidèle
    Conduite par Sacco prendra la citadelle,
    Tandis que Lorenzo, maître de l’arsenal.
    Par un coup de canon donnera le signal.
    (Manuscrit inédit de Fiesque de Lavagna, IV, sc. ix.)

    Enfin dans la scène des doges (V, sc. ii, pp. 102-103, scène des portraits imitée du Richard III de Shakespeare ; voir ci-après, p. 137, n. 3), Faliero s’inspire de la philosophie mélancolique du vieux Doria :

    Bords sacrés, ciel natal, palais que j’élevai…

    Cf. la Conjuration de Fiesque à Gênes, V, sc. iv, p. 324 : « Laissez-moi contempler encore une fois les tours de Gènes et le ciel… » — La fin (V, sc. iv, p. 108), terreur de l’échafaud, etc… est aussi empruntée du V de Marie Stuart. — Il n’est d’ailleurs pas douteux que Byron avait fort bien lu la Conjuration de Fiesque à Gènes comme il avait lu Faust.