Le Donjon de Vincennes

chez les Marchands de nouveautés (p. 1-8).

LE DONJON


DE


VINCENNES,


Par Alfred Desessarts.


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PRIX : 75 CENTIMES.
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PARIS,
CHEZ LES MARCHANDS DE NOUVEAUTÉS,
ET CHEZ L’AUTEUR, RUE DE L’ÉCHIQUIER, No 16.
1830.



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Imprimerie de David,
Boulevart Poissonnière, no 4 bis.
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Hier, quand une foule assidue, empressée,
Accourait à leurs bals, à leurs fêtes du soir,
On eût dit que leur culte étouffait la pensée,
Et que toute la France était un encensoir.

À voir de ces flatteurs les meutes accourues,
Essaim qui nous faisait presque rougir de nous,
On eût dit ces Romains que toujours dans les rues
Le Pape et sa pantoufle ont trouvés à genoux…

C’étaient des rubans bleus, des croix aux boutonnières,
De l’or à pleines mains, de l’or sur leurs bannières,

Des charges, des honneurs, des titres et des rangs,
L’Hindou pare l’idole : on parait nos tyrans…
Et pour que devant eux les places fussent nettes,
Ils avaient des soldats avec des baïonnettes,
Des Suisses apportant, comme pour l’outrager,
Au sein de ce pays l’uniforme étranger ;
Ils avaient étouffé nos lois et notre gloire…
Qui voudra maintenant le croire ?

Eux, dont le doigt puissant faisait mouvoir la cour ;
Eux, dont le pied foulait le sceptre de leur maître ;
Eux, qui donnaient la main au roi non moins qu’au prêtre,
Et dont un palais d’or composait le séjour…

Connaissez-vous les murs anguleux de Vincennes ?
Le vieux fort visité souvent par les boulets,
Que défend du soleil un long berceau de chênes ?
Ils sont là… tous les quatre… et voilà leur palais !

Hier, ils composaient des sentences fatales :
Pendant qu’ils se riaient du coup qu’ils ont porté,
La France d’autrefois a retrouvé des balles,
Et le cri toujours neuf : Vengeance et liberté !

Puis, reformant son flux qu’arrête la mitraille,
Elle a pris les tyrans prêts à la maîtriser,
Les a jetés au fort… mais contre la muraille
N’a pas daigné les écraser !

Quatre… Et si la fortune eût servi leurs bravades,
On les eût vus, ardens et prompts à se venger,
Juges dictant la mort, toujours prêts à juger,
Ne pas laisser au sang de nos bons camarades
Le temps même de se figer…

Que de cachots alors pour le parti rebelle !
De carcans, de couteaux s’aiguisant sans retard !

Et jaloux d’étaler son zèle,
Combien Mont-Rouge eût fait de martyrs à l’instar
Des jeunes gens de la Rochelle !

Dans un grave repos nous avons attendu.
Quels sont donc les projets que ces ministres forment ?…
Quand leur arrêt s’apprête et doit être rendu,
On dit qu’en l’attendant ils dorment…

A travers leurs guichets, pour eux l’or passe encore ;
Le luxe en leur repas s’est encore établi ;
Même par des égards leur prison se décore,
Et le donjon n’est plus qu’un nouveau Rivoli…

Quand, retrouvant des heures fortunées,
Ils boivent au meilleur destin,

Si les martyrs des trois journées
Tout à coup se dressaient convives du festin !
Et près de leurs bourreaux venant prendre leur place,
Soufflaient sur eux leur haleine de glace,
Leur indiquant d’un doigt silencieux
Les pleurs de rage arrêtés en leurs yeux,
Leurs membres noirs, couverts de meurtrissures,
Le sang qui coule encor de vingt blessures,
Leurs haillons, dégoûtants pour ces hommes blâsés,
Mais que le plomb, la poudre, ont immortalisés !…
Si cette noble foule, à l’âme bien française,
Entonnait devant eux la vieille Marseillaise,
Et disait : Notre mort, nos douleurs sont vos dons…
A votre tour !!… plus tard… et nous vous attendons !…

Ou bien, quand la nuit sombre au sommeil nous invite,
Si, pour leur remplacer le jour qui fuit si vîte,
A travers les barreaux de la noire prison
S’élevait la lueur d’un immense incendie,

D’un feu que le vent pousse au lointain horizon
Du côté de la Normandie !…





— Dans leur âme insensible, et jamais en défaut,
Le repentir est mort ainsi que leurs victimes :
Ces spectres et ces feux ne sont pas ce qu’il faut…
Arrière, souvenirs d’arbitraire et de crimes !…
Ils auront des remords… en voyant l’échafaud !