Le Don Quichotte montréalais sur sa rossinante/18

Société des Écrivains Catholiques (p. 74-77).

XVIII.


Des discussions. — Divergences d’opinions entre nos Évêques. — Ce qu’il faut entendre pour et contre un livre afin de le juger.


Vous vous élevez fortement contre les discussions qui ont eu lieu ces dernières années, dans la province ecclésiastique de Québec, à propos de questions religieuses, et vous feignez d’avoir été très-mal édifié à cette occasion.

Vous êtes un homme extrêmement difficile à contenter, M. Dessaulles ; vous l’avez cent fois prouvé en vous attaquant à peu près à tout ce qui a été divinement établi par Notre Seigneur Jésus-Christ. Et comment Dieu lui-même pourrait-il réussir à vous donner pleine satisfaction, puisque vous ne savez pas ce que vous voulez ?

En effet, si l’Église, pour des raisons que tout homme sensé reconnaît excellentes et décisives, défend les discussions en certains cas, surtout quand il s’agit de propositions évidemment certaines ou de vérités clairement définies comme étant de foi, voua criez à l’injustice, à l’intolérance, au despotisme le plus affreux. Vous voulez à tout prix qu’on discute et qu’on dispute.

Mais que l’Église tolère, permette ou encourage les discussions consciencieusement faites, lorsqu’il s’agit de défendre la vérité et la foi, d’élucider des questions demeurées libres, parce que les raisons alléguées pour et contre sont à peu près d’égale valeur, vous jetez de nouveaux les hauts cris et vous répétez à satiété, à tous ceux qui ont assez d’abnégation pour prêter l’oreille à vos dires incohérents, que les plus grands scandales règnent dans le lieu saint !

À quoi bon répandre tant de flots d’encre pour attester ce que vous ne comprenez pas vous-même ? Quoi ! il n’y a qu’un instant vous maudissiez l’Église sous le prétexte qu’elle comprime la liberté de penser et d’écrire, et maintenant vous la maudissez encore sous cet autre prétexte qu’elle accorde trop de liberté à ses enfants ! Brave homme, vous êtes évidemment mêlé ! Travaillez d’abord à vous mettre d’accord avec vous-même ; vous pourrez ensuite songer à régenter les autres.

Ce qui aujourd’hui surtout vous mal édifie singulièrement, ce sont les discussions entre prêtres, les divergences d’opinions entre évêques. Mais l’Écriture Sainte ne nous déclare-t-elle pas que bon nombre de questions ont été laissées à la dispute des hommes, et l’histoire ecclésiastique ne nous apprend-elle point d’autre part que, dans tous les siècles, il y a eu de ces discussions et de ces divergences d’opinions que vous déplorez comme quelque chose d’absolument insolite ? De quel droit prétendez-vous que les prètres et les évêques ne doivent point discuter quand il y a réellement matière à discussion, ou doivent être du même avis sur des questions embarrassées et obscures, que la discussion seule peut élucider ? Quand il s’agit de l’enseignement de l’Église, tous sont nécessairement du même avis, en dehors de cet enseignement les opinions peuvent être partagées, comme elles le sont réellement. À vous en croire, vous êtes versé dans les matières théologiques et ecclésiastiques ; comment pouvez-vous donc ignorer les choses élémentaires sur lesquelles vous me forcez d’appeler votre attention ? Ce n’est pas en débitant perpétuellement des sornettes, des non-sens et des impiétés grossières que vous convaincrez le public instruit que vous possédez l’alpha et l’oméga de la science.

Sur quoi, en dernière analyse, ont porté les divergences d’opinions qui ont dernièrement éclaté entre les princes de l’Église du Canada ? Uniquement sur des faits laissés à leur appréciation. Tous se sont montrés d’accord sur les principes qui régissent ces faits, et c’est là ce qui importait ; mais, relativement à l’application des principes, ils ont exprimé diverses manières de voir. Qu’est-ce que cela prouve ? Que quelques-uns d’entre eux, pour des causes qui peuvent être multiples et exonérer complètement leur conscience, n’ont pas eu l’avantage de connaître suffisamment les faits sur lesquels ils avaient à se prononcer, bien qu’ils aient cru, d’après l’exposé qu’on leur en a donné, pouvoir porter leur jugement avec parfaite connaissance de cause.

La même chose ne se produit-elle pas fréquemment dans tous corps délibérants, depuis le plus infime jusqu’au plus élevé ? Mais oui, et personne ne songe, pas même vous qui êtes si pur, à les incriminer à ce sujet. Pourquoi cela ? Parce que mille circonstances modifient des faits qui semblent identiques au premier coup d’œil, mais qui exigent des solutions fort différentes, et que pour résoudre un cas pratique, il faut la plupart du temps prendre la résultante de plusieurs principes d’une application difficile, à cause du vague et de l’indéterminé qui règnent dans l’exposé des faits, quelque soin que l’on prenne à en bien connaître toutes les particularités.

Lorsqu’on fait le procès à un livre ou à un écrit quelconque, il n’y a pas lieu de tenir compte de semblables considérations car quelles que soient les bonnes intentions de l’auteur, son livre est ce qu’il est : il prouve et dépose contre lui-même, sans qu’il soit besoin d’entendre autre que lui. Voilà pourquoi, quand il arrive qu’une Congrégation romaine, par exemple, a pour besogne d’examiner un livre, afin de se prononcer ensuite sur la bonté, la malice ou le danger de ce livre, elle n’a nul besoin d’entendre des explications ou des justifications ; elle ne le doit pas même, si ce n’est en quelques cas fort rares pour rendre justice aux bonnes intentions de l’auteur dont le livre est condamné.

De là, il faut nécessairement conclure que les plaintes, que vous formulez contre les Congrégations romaines, qui ont condamné l’annuaire de l’Institut-Canadien et votre superbe dissertation, parce que vous n’avez pas été admis à faire entendre votre plaidoyer, n’ont pas le plus léger fondement et sont mêmes ridicules. Car, encore une fois, un écrit porte en lui-même tout ce qui peut déposer en sa faveur ou le rendre digne de censure.