Le Divorce (Regnard)

Le Divorce (Regnard)
Œuvres complètes de Regnard, Texte établi par Charles Georges Thomas Garnier, E.A. Lequientome cinquième (p. 26-100).


ACTEURS DU PROLOGUE


PERSONNAGES

JUPITER, Pierrot.

MERCURE, Mezzetin.

ARLEQUIN.

PROLOGUE DU DIVORCE

Scène I

ARLEQUIN, seul, sortant en colère.

Hé ! Que diable, messieurs, ne sauriez vous mieux prendre votre temps pour être malades ? Cela est de la dernière impertinence, de se trouver mal quand il faut gagner de l’argent. Que voulez vous que je fasse de tout ce monde là ?

               Aux auditeurs.

Messieurs, ce que je vais vous dire vous déplaira peut être ; mais, en vérité, j’en suis plus fâché que vous, et personne n’y perd tant que moi.Nous ne pouvons pas jouer la comédie aujourd’hui ; voilà notre portier qui vient de se trouver mal, et Pantalon, qui devoit faire un rôle de Patrocle, est indisposé. On va vous rendre votre argent à la porte. Vous voyez, messieurs, que nous ne suivons pas les mauvais exemples, et que nous rendons l’argent, quoique la comédie soit commencée.


Scène II

Mercure, Arlequin.
MERCURE, chante

Terminez vos regrets, que votre douleur cesse ;
Dans votre sort Jupiter s’intéresse,
Et vient pour empêcher que tu rendes l’argent.


Scène III

Jupiter, Mercure, Arlequin.
MERCURE, continue de chanter

Je le vois qui descend.

               Jupiter descend, monté sur un dindon

Qu’un changement favorable
Nous arrête dans ces lieux,
Pour voir un spectacle aimable ;
C’est l’ordre irrévocable
Du souverain des dieux.

JUPITER.

Arlequin.

ARLEQUIN.

Jupiter.

JUPITER.

Je descends exprès des cieux pour voir une répétition de la pièce nouvelle qu’il y a si longtemps que tu promets. On dit que l’on y sépare un mari d’avec sa femme ; et comme Junon est une carogne qui me fait enrager, je pourrai bien en faire venir la mode là haut.

ARLEQUIN.

Mais, Monsieur Jupiter, quelle apparence ? Nous ne la savons pas encore : il va venir un débordement de sifflets de tous les diables.

JUPITER.

Ne te mets pas en peine ; j’ai fait provision de quantité de foudres de poche ; et le premier siffleur qui branlera, par la mort ! Je lui brûlerai la moustache.

ARLEQUIN.

Oh ! Tout doucement, Monsieur Jupiter ; ne choquons point le parterre, s’il vous plaît ; nous en avons besoin : cela ne se gouverne pas comme votre tête.

              Au parterre. 

Messieurs, puisque Jupiter l’ordonne, et que d’ailleurs… l’occasion… de la faveur… votre bonté… votre argent… qu’on a de la peine à rendre ;… vous voyez bien, messieurs, que nous vous allons donner "Le Divorce".

JUPITER.

Je vais me placer aux troisièmes loges pour mieux voir.

ARLEQUIN.

Ah ! Monsieur Jupiter, un gentilhomme comme vous aux troisièmes loges ?

JUPITER.

Je me suis amusé, en venant, à jouer à la boule aux petits carreaux, contre quatre procureurs qui ne m’ont laissé que trente sous.

ARLEQUIN.

Où diable vous êtes vous fourré là ? Ces messieurs là savent aussi bien rouler le bois que ruiner une famille.

               Jupiter remonte en l’air, et Arlequin le rappelle.

Monsieur Jupiter, si vous vouliez me laisser votre monture, je la ferois mettre à la daube : aussi bien les dieux de l’opéra, qui sont bien montés quand ils viennent, s’en retournent toujours à pied.

MERCURE.

Ô déplorable coup du sort !
Ô malheur !

ARLEQUIN.

Je frémis ; parle.

MERCURE.

Patrocle est mort.

LE DIVORCE.

ACTEURS

SOTINET, vieillard, mari d’Isabelle. Le Docteur.

ISABELLE, femme de Sotinet.

AURÉLIO, frère d’Isabelle.

ARLEQUIN, valet d’Aurelio.

COLOMBINE, suivante d’Isabelle.

MEZZETIN,
PIERROT,
PASQUARIEL,
valets de Sotinet

MEZZETIN, valet de M. Sotinet.

PIERROT, valet de M. Sotinet.

PASQUARIEL, valet de M. Sotinet.

M. de TROTENVILLE, maître à danser. Arlequin.

M. AMILARÉ, maître à chanter. Mezzetin.

Le Chevalier de FONDSEC, Gascon. Arlequin.

Laquais.


La scène est à Paris.


ACTE I



Scène I


Aurélio, Mezzetin.

Aurélio fait part à Mezzetin du chagrin que lui cause l’union mal assortie de sa sœur avec Sotinet, et lui dit qu’il vient à Paris dans le dessein de prendre des mesures pour opérer leur séparation. Mezzetin offre de seconder ses vues, avec d’autant plus de plaisir qu’il en veut à Sotinet, parcequ’il l’a surpris dans sa cave avec la servante du logis, et lui a donné des coups de bâton. Mezzetin regrette d’avoir perdu son ami Arlequin, dont le génie intrigant lui auroit été d’un grand secours ; mais le pauvre garçon s’est avisé de se faire pendre…



Scène II

Arlequin, Mezzetin.
ARLEQUIN, en habit de voyage, avec une méchante soubreveste, un chapeau de paille, des bottes, et un bâton à la main.

Vers la cantonnade :

Oui, Messieurs, étranger, étranger, arrivé tout à l’heure dans cette ville ! Le diable emporte toute la race badaudique ! Je n’ai jamais vu de gens plus curieux, ni plus insolents ; ils crient après moi, il a chié au lit, il a chié au lit, comme si j’étois un masque. Mais…

Il aperçoit Mezzetin.

MEZZETIN, regardant Arlequin.

Je crois…

ARLEQUIN.

Il me semble…

MEZZETIN.

Que j’ai vu cet homme là pendu quelque part.

ARLEQUIN.

D’avoir vu cette tête là sur un autre corps.

MEZZETIN.

Arl…

ARLEQUIN.

Mez…

MEZZETIN.

Arlequin.

ARLEQUIN.

Mezzetin.

Ensemble.

Ah ! Parente ! Parente !

Ils s’approchent. Mezzetin, levant les bras pour embrasser Arlequin, laisse tomber son manteau ; Arlequin, qui fait semblant d’embrasser Mezzetin, passe sous son bras, ramasse le manteau, et s’en va.

MEZZETIN, l’arrêtant.

Mais ce manteau là m’appartient.

ARLEQUIN.

Je l’ai trouvé à terre.

MEZZETIN.

En vérité, je suis ravi de te voir. Je parlois tout à l’heure de toi. Tu arrives fort à propos pour rendre service à Monsieur Aurélio, dans une affaire de conséquence.

ARLEQUIN.

Qui ? Monsieur Aurélio, mon ancien maître ? Celui qui a tant de noblesse, et qui n’a jamais le sou ?

MEZZETIN.

Lui même : il est aussi gueux à présent comme il étoit du temps que tu le servois.

ARLEQUIN.

Tant pis ; car je ne suis pas aussi sot que je l’ai été, moi ; et je ne m’emploierai jamais pour qui que ce soit, qu’auparavant je ne sois assuré de la récompense.

MEZZETIN.

Va, va, le seigneur Aurélio est honnête homme.Sers le bien, et ne te mets point en peine ; tes gages te seront bien payés ; et si l’affaire que j’ai en tête réussit, je te réponds d’une bonne récompense. Mais tire moi d’un doute : il a couru un bruit que tu avois été pendu, et je te croyois déjà bien sec.

ARLEQUIN.

Eh ! Point du tout ; je me porte le mieux du monde : il est vrai que j’ai eu quelque petite indisposition, et que j’ai été sur le point de mourir de la courte haleine ; mais je m’en suis bien guéri.

MEZZETIN.

Conte moi donc ta maladie.

ARLEQUIN.

Oui dà. Tu sais bien que j’ai toujours aimé les grandes choses : dès le temps même que nous avions l’honneur de servir ensemble le roi sur ses galères…

MEZZETIN.

Ne parlons point de cela ; je sais que tu as toujours été homme d’esprit.

ARLEQUIN.

Je n’eus pas plus tôt quitté la rame, que je me jetai malheureusement dans les médailles.

MEZZETIN.

Comment, dans les médailles ? Dans les antiques ?

ARLEQUIN.

Non, dans les médailles ; c’est à dire que quand je n’avois rien à faire, pour me désennuyer, je m’amusois à mettre le portrait du roi sur des pièces de cuivre, que je couvrois d’argent, et que je donnois à mes amis pour du pain, du vin, de la viande, et autres choses nécessaires : mais comme il y a toujours des envieux dans le monde (voyez, je vous prie, comme on empoisonne les plus belles actions de la vie !), on fut dire à la justice que je me mêlois de faire de la fausse monnaie.

MEZZETIN.

Quelle apparence ?

ARLEQUIN.

D’abord la justice m’envoya prier de lui aller parler.

MEZZETIN.

Qui envoya t elle ? Des pages ?

ARLEQUIN.

Nenni, diable ! C’étoient tous gens de distinction et qualifiés. Ils avoient des épées, des plumets bleus, des mousquetons.

MEZZETIN.

Je vous entends ; poursuivez.

ARLEQUIN.

Ces messieurs montèrent donc dans ma chambre, et, le plus honnêtement du monde, me prièrent, de la part de la justice, de lui aller parler tout à l’heure ; qu’il y avoit un carrosse à la porte, qui m’attendoit.

MEZZETIN.

Et vous ?

ARLEQUIN.

Et moi, j’eus beau dire que j’avois affaire, que je ne pouvois pas sortir, que j’irais une autre fois, il me fut impossible de résister aux honnêtetés et aux empressements de ces messieurs là.

MEZZETIN, à part.

Aux honnêtetés des pousse culs.

ARLEQUIN.

Oh, pour cela, rien n’est plus vrai ; je n’ai jamais vu de gens plus honnêtes. L’un m’avoit pris par un bras, aussi m’avoit fait l’autre, en me disant le plus obligeamment du monde : "Oh ! Puisque nous avons été assez heureux que de vous trouver, vous ne nous échapperez pas, et nous aurons le plaisir de vous emmener avec nous" ; et à force de civilités, ils m’entraînèrent dans leur carrosse, et me conduisirent à la justice. D’abord que je fus arrivé, on me présenta à cinq ou six visages vénérables, qui étoient assis sur des fleurs de lis.

MEZZETIN.

Fort bien ! Et ces messieurs ne vous prièrent ils point de vous asseoir ?

ARLEQUIN.

Assurément. Celui qui étoit au milieu d’eux me dit : n’est ce point vous, monsieur, qui vous mêlez de médailles ? À quoi je répondis fort modestement : oui, monsieur, pour vous rendre mes très humbles services. Vous êtes un honnête homme, ajouta t il ; tout à l’heure nous allons parler à vous ; asseyez vous toujours en attendant.

MEZZETIN.

Et où t’asseoir ? Dans un fauteuil ?

ARLEQUIN.

Bon ! Sur une petite chaise de bois qu’on avoit mise à côté de moi. Ces messieurs donc, après s’être parlé à l’oreille, me demandèrent encore si véritablement c’étoit moi qui avois cet heureux talent ? Je leur répliquai qu’oui, que je leur demandois excuse si je ne faisois pas aussi bien que je l’aurois souhaité ; mais que j’avois grande envie de travailler, et qu’avec le temps, j’espérois devenir plus habile.

MEZZETIN.

Fort bien. Et eux parurent fort contents de votre déclaration ?

ARLEQUIN.

Vous l’avez dit. Je remarquai que mon discours les avoit réjouis ; mais cela n’empêcha pas qu’ils ne me condamnassent sur l’heure à être pendu et étranglé à la Croix Du Trahoir.

MEZZETIN.

Quel malheur !

ARLEQUIN.

Quand j’entendis qu’on m’alloit pendre, je commençai à crier : mais, messieurs, vous n’y pensez pas. Me pendre, moi ! Je ne suis qu’un jeune homme qui ne fais que d’entrer dans le monde ; et d’ailleurs, je n’ai pas l’âge compétent pour être pendu.

MEZZETIN.

C’étoit une bonne raison celle là.

ARLEQUIN.

Aussi y eurent ils beaucoup d’égard ; et, pour faire les choses dans l’ordre, ils me firent expédier une dispense d’âge. Me voilà donc dans la charrette. Je ne disois mot ; mais j’enrageois comme tous les diables. Nous arrivons enfin à la Croix Du Trahoir, au pied de cette fatale colonne qui devoit être le non plus ultrà de ma vie, et qu’on appelle vulgairement la potence. Comme j’étois fort fatigué du voyage, j’avois soif, je demandai à boire : on me proposa si je voulois de la bière. Je dis que non, et que cela pourroit par la suite me donner la gravelle ; je priai seulement les archers de me laisser boire à la fontaine. On se range en haie ; je m’approche de la fontaine ; je donne un coup d’œil autour de moi, et zest, je m’élance la tête en avant dans le robinet de la fontaine.Les archers, surpris, courent à moi, et me tirent par les pieds ; et moi je m’enfonce toujours avec les mains, de manière que j’entrai tout entier dans le tuyau de la fontaine, et il ne resta aux archers que mes souliers pour les pendre. Du robinet de la fontaine, je descendis dans la Seine ; de là, je fus à la nage jusqu’au Havre de Grace ; au Havre de Grace, je m’embarquai pour les Indes, d’où me voilà présentement de retour ; et voici mon histoire achevée.

MEZZETIN.

Il ne me reste qu’une difficulté, qui est de savoir comment, gros comme tu es, tu as pu te fourrer dans le robinet de la fontaine.

ARLEQUIN.

Va, va, mon ami, quand on est près d’être pendu, on est diablement mince.

MEZZETIN.

Tu as, ma foi, raison. Va m’attendre au Petit Trianon ; dans un moment je suis à toi, et je te ménerai chez Monsieur Aurélio. Mais d’où vient que tu n’enfonces point tes pieds jusqu’au fond de tes bottes, et que tu marches sur la tige ?

ARLEQUIN.

Je le fais exprès pour épargner les semelles.

Il s’en va.


Scène III

MEZZETIN
MEZZETIN

Je tire bon augure de l’affaire de Monsieur Aurélio, et la fortune ne nous a pas renvoyé Arlequin pour rien. Mon maître m’a ordonné tantôt de lui amener un barbier : il ne faut pas manquer cette occasion pour lui voler sa bourse ; elle servira à mettre nos affaires en train. Allons trouver Arlequin.


Scène III

Sotinet, Pierrot.

Le théâtre représente l’appartement de M Sotinet.

SOTINET

Entends tu bien ce que je te dis ?

PIERROT.

Oui, monsieur ; vous me dites d’empêcher que madame n’entre dans la maison, et de lui fermer la porte au nez.

SOTINET

Animal, c’est tout le contraire : je te dis de ne laisser entrer personne pour voir ma femme, et de fermer la porte au nez de tous ceux qui se présenteront.

PIERROT.

Eh bien ! Monsieur, n’est ce pas ce que je dis ? Mais, à propos, vous êtes donc jaloux ?

SOTINET

Ce ne sont pas là tes affaires.

PIERROT.

Ah, ah, ah ! Cela est plaisant ! De quoi diable vous êtes vous avisé de vous marier à l’âge que vous avez ? Ne savez vous pas bien qu’un vieux mari est comme ces arbres qui ne portent point de bons fruits, et qui ne servent que d’ombre ?

SOTINET

Impertinent, tes épaules te démangent bien.

PIERROT.

Il y a là dedans un barbier.

SOTINET

Fais le entrer.


Scène V

{{acteurs|Sotinet, Arlequin,en barbier, Mezzetin,en maître Jacques

ARLEQUIN, à Sotinet


On m’a dit, monsieur, que vous aviez besoin d’un homme de ma profession ; je viens vous offrir mes services.

SOTINET

Ah ! Monsieur, je suis ravi de vous voir ; faites moi, s’il vous plaît, la barbe, le plus promptement que vous pourrez.

ARLEQUIN.

Ne vous mettez pas en peine, monsieur ; dans deux petites heures votre affaire sera faite.

SOTINET

Comment, dans deux heures ! Je crois que vous vous moquez.

ARLEQUIN.

Oh ! Que cela ne vous étonne pas : j’ai bien été trois mois entiers après une barbe, et tandis que je rasois d’un côté, le poil revenoit de l’autre : mais présentement je suis plus habile ; vous allez voir.

           Il déploie ses outils, ôte son manteau, et le met au cou de Sotinet, au lieu de linge à barbe.      
SOTINET

Mais qu’est ce donc que vous m’avez mis au cou ?

ARLEQUIN.

Ah ! Ma foi, je vous demande pardon : l’empressement de vous raser m’a fait prendre mon manteau pour votre linge à barbe. Allons, toi, donne moi le linge, vite.

Mezzetin lui donne le linge.

SOTINET, regardant Mezzetin

Qui est cet homme là !

ARLEQUIN.

C’est maître Jacques, celui qui accommode mes outils. Venez, maître Jacques, repassez moi ce rasoir pour faire la barbe à monsieur.

MEZZETIN.
prend le rasoir, et contrefaisant le rémouleur, d’une jambe figure la roue de la meule, et avec la bouche, il contrefoit le bruit que fait le rasoir quand on le pose sur la meule pour le repasser, et celui que font les gouttes d’eau qui tombent sur la roue pendant qu’on repasse ; ce qu’Arlequin explique à mesure à Sotinet. à la fin, après plusieurs lazzis de cette nature, Mezzetin chante un air italien ; puis, donnant le rasoir à Arlequin, lui dit :

La bourse est de ce côté ci ; ne la manque pas.

Il s’en va.

SOTINET

Voilà un plaisant homme !


ARLEQUIN.

Allons, allons, monsieur, je n’ai point de temps à perdre. Mettez vous là.

Il le pousse rudement dans un fauteuil, et lui prenant le nez, lui met des morailles.

SOTINET, criant

Hai, hai, hai !

Il arrache les morailles, et les jette par terre.

Eh ! Que diable faites vous là ? Me prenez vous pour un cheval ?

ARLEQUIN.

Point du tout, monsieur ; mais c’est qu’il y a des gens qui sont terriblement rétifs sous le fer, et avec cet instrument là, on leur couperoit la gorge, qu’ils ne diroient mot.

SOTINET

Vraiment, je le crois bien.

Arlequin prend un bassin fait en forme de pot de chambre, et le met sous le nez de Sotinet pour le raser.   
SOTINET, prenant le bassin

Qu’est ce que cela ?

ARLEQUIN.

C’est un bassin à deux mains.

{{didascalie|Arlequin le lave, en lui donnant de temps en temps des soufflets ; puis tire une grosse boule, dont il se sert pour savonnette, et après en avoir bien frotté le visage de Sotinet, il la lui laisse tomber sur un pied.}}

SOTINET

Qu’est ce donc que cela signifie ? Avez vous entrepris de m’estropier ?

Il se lève.

ARLEQUIN, repoussant violemment Sotinet sur le fauteuil.

Que de babil ! Tenez vous donc, si vous voulez ; croyez vous que je n’aie que vous à raser ?

Il le rase avec un rasoir d’une grandeur à faire peur.

SOTINET

Allez tout doucement ; vous m’écorchez tout vif.

ARLEQUIN.

C’est que vous avez le cuir si dur, que vous ébréchez tous mes rasoirs.

Il prend un cuir à repasser, et l’accroche par un bout au cou de Sotinet, tenant l’autre bout de la main gauche ; et pour avoir plus de force à repasser son rasoir qu’il tient de la main droite, il lève un de ses pieds et l’appuie rudement sur l’estomac de Sotinet ; puis, tirant le bout du cuir de toute sa force, il repasse dessus son rasoir, de manière qu’il étrangle Sotinet, qui à peine peut crier.

SOTINET

Miséricorde ! Je suis mort ! Au secours ! On m’étrangle !

Il se lève pour appeler du monde.

ARLEQUIN, le prenant et l’obligeant de nouveau à se rasseoir dans le fauteuil.

La peste m’étouffe, si vous branlez, je vous coupe la gorge. Quel homme êtes vous donc ?

SOTINET, bas.

Il faut filer doux ; ce coquin là le feroit comme il le dit : il a une mauvaise physionomie.

Haut, pendant qu’Arlequin le rase.

Dis moi, mon ami, de quel pays es tu ?

ARLEQUIN.

Limousin, monsieur, pour vous rendre service.

SOTINET

Limousin ! Et y a t il des barbiers de ce pays là ? Je croyois qu’il n’y en avoit que de gascons.

ARLEQUIN.

Je crois aussi être le premier de mon pays qui ait embrassé le parti de la savonnette. J’étois auparavant tailleur de pierres ; et comme on disoit que j’avois beaucoup de légèreté dans la main, je crus que je serois plus propre à ce métier ci.

Il lui met la main dans la poche.

Et de tailleur de pierres, je me suis fait tailleur de barbes.


SOTINET, lui surprenant la main dans sa poche.

Il me semble que vous avez la main gauche bien plus légère que la droite.

ARLEQUIN.

Ah ! Monsieur, vous vous moquez ! Ce sont de petits talents qu’on reçoit de la nature, et dont un honnête homme ne doit pas se glorifier.

SOTINET

Avez vous bien des pratiques ?

ARLEQUIN.

Tant, que je n’y saurois suffire. C’est moi qui fais la barbe et les cheveux à tous les limousins qui viennent ici travailler, et j’ai une pension de la ville pour faire tous les quinze jours le crin au cheval de bronze.

Il lui vole sa bourse sans qu’il s’en aperçoive, et cesse de le raser en criant :

Hai ! Hai !

SOTINET

Qu’avez vous ? Vous trouvez vous mal ?

ARLEQUIN.

Point, point ; voilà qui est passé.

Il le rase, puis se met à crier :

Hai ! Hai !

SOTINET

Comment donc ? Mais vous avez quelque chose ?

ARLEQUIN.

Oh ! Pour le coup, je n’y puis plus tenir. Hai ! Hai ! Hai ! Une colique épouvantable qui me prend… Je suis à vous tout à l’heure. Hai ! Hai ! Hai !

Il s’en va, et revient sur ses pas.

SOTINET

Je n’ai jamais vu un pareil original… Mais vous voilà ? Avez vous déjà été à la garde robe ?

ARLEQUIN.

Point du tout, monsieur ; cela n’en valoit pas la peine : j’ai changé d’avis, et j’ai mieux aimé insulter la doublure de ma culotte que de vous faire attendre plus longtemps.

SOTINET
, portant sa main devant son nez.

Comment, impudent ! Je vous trouve bien hardi de vous approcher de moi en l’état où vous êtes.

ARLEQUIN.

Qu’appelez vous, monsieur, s’il vous plaît ? Chacun ne fait il pas de sa culotte ce qu’il lui plaît ?

SOTINET

Sortez, insolent ! Si je faisois bien, je vous ferois jeter par les fenêtres.

ARLEQUIN.

Comment, mardi, par les fenêtres ! Est ce ainsi qu’on insulte un officier public ?

Il s’approche de Sotinet, qui veut le battre, et lui fait un collier de son bassin, qu’il lui casse sur la tête, et s’enfuit.

SOTINET
, court après, en criant.

Arrête ! Arrête ! Arrête !


Scène VI

Isabelle, Colombine.

Le théâtre représente l’appartement d’Isabelle.

ISABELLE.

Ah ! Colombine, quel bruit épouvantable ! Quelle rumeur ! Mais il faut qu’on ait perdu l’esprit, de faire un tintamarre semblable dans mon antichambre ! Quelle brutalité de m’éveiller à l’heure qu’il est ! Non, je ne crois pas qu’il soit encore midi ; il n’y a pas trois heures que je suis rentrée. Je crois, Colombine, que je suis faite d’une jolie manière.

Elle se regarde dans un miroir.

Ah ! L’horreur ! Quelle extinction de teint !

COLOMBINE.

Eh ! Là, là ; consolez vous, madame ; vous avez des yeux à défrayer tout un visage. Et de quoi vous embarrassez vous de votre teint ? Il ne tiendra qu’à vous de l’avoir comme il vous plaira. Que ne me laissez vous faire ? Je ne veux qu’une petite couche de rouge pour réparer de trente méchantes nuits la plus obstinée.

ISABELLE.

Ah ! Fi, Colombine, avec ton rouge ! Tu me mets au désespoir. Crois tu que je puisse me résoudre à donner tous les jours un habit neuf à mes appas ? J’ai une conscience si délicate, que je me reprocherois les conquêtes qui ne se seroient pas faites de bonne guerre, et je crois que je mourrois de honte d’avoir dix années de plus que mon visage.

COLOMBINE.

Bon, bon, mademoiselle, vous avez là un plaisant scrupule ; la beauté que l’on achète n’est elle pas à soi ? Qu’importe que vos joues portent les couleurs d’un marchand ou les vôtres, pourvu que cela vous fasse honneur ? Pour moi, je trouve quelques femmes d’aujourd’hui d’un parfaitement bon goût ; de toute l’année elles en ont fait un carnaval perpétuel ; elles peuvent aller au bal à coup sûr, sans crainte d’être connues.

ISABELLE.

Mon dieu ! Les femmes ne sont elles pas assez déguisées sans se masquer encore ? Et pourquoi veulent elles peindre leur peu de sincérité jusque sur leur visage ? Pour moi, je ne suis point de ce nombre là ; j’aime mieux qu’on me trouve un peu moins jolie, et être un peu plus vraie.

COLOMBINE.

Ho ! Par ma foi, voilà une belle délicatesse de sentiments. Il n’y a plus que le rouge qui se met à la toilette qui marque la pudeur des femmes d’aujourd’hui ; elles ne rougiroient jamais sans cela. Et que seroit ce donc, madame, s’il vous falloit peler avec de certaines eaux, comme la dernière maîtresse que je servois, qui changeoit tous les six mois de peau.

ISABELLE.

Bon ! Tu te moques, Colombine : est ce que tu as vu cela ?

COLOMBINE.

Si je l’ai vu ? C’étoit moi qui faisois l’opération ; elle me faisoit prendre la peau de son front, que je tirois de toute ma force ; elle crioit comme un beau diable, et moi je riais comme une folle ; il me sembloit habiller un levraut : mais ce qui est de meilleur, c’est qu’elle portoit toujours sur elle, dans une boîte, la peau de son dernier visage calcinée, et disoit qu’il n’y avoit rien de si bon pour les élevures et les bourgeons.

ISABELLE.

Tu veux t’égayer, Colombine.

Un LAQUAIS.

Mademoiselle, voilà un homme qui demande à vous parler.

ISABELLE.

Qu’on le fasse entrer.


Scène VII

Isabelle, Colombine ; Monsieur de Trotenville, maître à danser, sur un petit cheval.
TROTENVILLE

Je crois, mademoiselle, que vous n’avez pas l’honneur de me connoître ; mais quand vous saurez que je m’appelle Monsieur De La Gavotte, sieur de Trotenville, vous devinerez aisément que je suis maître à danser.

ISABELLE.

Votre nom, monsieur, est assez connu dans Paris ; et j’espère devenir une bonne écolière, ayant pour maître le plus habile homme du métier.

TROTENVILLE

Ah ! Madame ! Vous mettez ma modestie hors de cadence ; et quand on n’a, comme moi, qu’un mérite léger et cabriolant, pour peu qu’on l’élève par des louanges un peu fortes, il court risque, en tombant, de se casser le cou.

COLOMBINE.

Miséricorde ! Que Monsieur De Trotenville a d’esprit !

ISABELLE.

Il est vrai que voilà une pensée qui est tout à fait bien mise en œuvre ; c’est un brillant.

TROTENVILLE

Pour de l’esprit, mademoiselle, les gens de notre profession en regorgent. Eh ! Qui en auroit, si nous n’en avions pas ? Nous sommes tous les jours parmi tout ce qu’il y a de gens de qualité. Je sors présentement de chez la femme d’un élu, où je me suis fait admirer par mon esprit ; j’ai deviné une énigme du Mercure galant. Vous savez, madame, que c’est là présentement la pierre de touche du bel esprit.

COLOMBINE.

Ah ! Par ma foi, les beaux esprits sont donc bien communs ? Car la moitié du Mercure n’est remplie que des noms de ceux qui les devinent. Pour vous, monsieur, vous n’avez pas besoin que l’on imprime le vôtre, pour faire connoître votre mérite au public ; on sait assez que vous êtes l’honneur de l’escarpin. Mais je vous prie de me dire pourquoi vous avez un si petit cheval.

TROTENVILLE

J’avois autrefois un carrosse à un cheval ; mais mes amis m’ont conseillé de changer de voiture, afin de ne pas causer une erreur dans le public, qui prend souvent, dans cet équipage là, un maître à danser pour un lévrier d’Hippocrate.

COLOMBINE.

Vous devriez bien avoir un carrosse à deux chevaux : depuis que l’on ne joue plus, il y a tant de chevaliers qui en ont à vendre.

TROTENVILLE

Je ne donnerois pas ce petit cheval là pour les deux meilleurs chevaux de Paris ; c’est un diable pour aller. Toutes les fois que je veux aller à la Bastille, il m’emmène à Vincennes. Nous appelons ces petits animaux là, parmi nous, un tendre engagement.

COLOMBINE.

Comment donc ! Qu’est ce que cela veut dire, un tendre engagement ?

TROTENVILLE

Vraiment oui. Est ce que vous ne savez pas " qu’un tendre engagement va plus loin qu’on ne pense ? "

Il chante ces derniers mots.

COLOMBINE.

Ah, ah ! On voit bien que monsieur sait son opéra, et qu’il en est.

TROTENVILLE

Moi, de l’opéra ? Moi ? Fi ! Fi !

COLOMBINE.

Comment donc, fi, fi ?

TROTENVILLE

Hé fi ! Vous dis je : j’en ai été autrefois ; mais il m’a fallu plus de vingt lavements et autant de médecines pour me purifier du mauvais air que j’y avois respiré.

ISABELLE.

Vous me surprenez, monsieur : j’avois toujours cru que l’opéra étoit le lieu du monde où l’on prenoit le meilleur air.

COLOMBINE.

Bon, bon ! Monsieur De Trotenville a beau dire, il voudroit y être rentré, comme tous ceux qui en sont sortis : c’est un Pérou ; il n’y a pas jusqu’aux violons qui n’aient des justaucorps bleus galonnés.

TROTENVILLE

Je veux que le premier entrechat que je ferai me coupe le cou, si jamais j’y mets le pied ! Vous moquez vous de moi ? Quand on me donneroit un tiers dans l’opéra, je n’y rentrerois pas. Pour quelques… quelques femmes, que l’on achète bien, de par tous les diables ! J’irais prostituer ma gloire, et figurer avec le premier venu ! Nous sommes glorieux comme tous les diables dans notre profession. Voulez vous que je vous parle franchement ? L’opéra n’est plus bon que pour les filles. Il n’y a pas aussi une meilleure condition au monde. Je ne conçois pas l’entêtement des jeunes gens. C’est une fureur, mademoiselle, et toutes les coquettes s’en plaignent hautement, et disent que l’opéra leur enlève les meilleures pratiques, et qu’elles sont ruinées de fond en comble.

COLOMBINE.

Je le crois bien : ces personnes là ont grande raison ; et si j’étois d’elles, je leur ferois rendre jusqu’à la moindre petite faveur qu’elles auroient reçue.

TROTENVILLE

Eh ! Là, là, donnez vous patience ; on leur fera peut être tout rendre : mais cependant elles usent en toute rigueur de leurs privilèges ; et un amant qui n’exprime son amour qu’avec des fontanges et des bas de soie, se morfond dix ans derrière leur porte.

ISABELLE, regardant l’habit de Trotenville.

Mon dieu, que voilà un joli habit ! Je vous trouve un fonds de bon air que vous répandez sur tout.

TROTENVILLE

Fi, madame ! Vous vous moquez ; c’est une guenille. Que peut on avoir pour cinquante ou soixante pistoles ? Je voudrois que vous vissiez ma garde robe ; elle est des plus magnifiques, et si, sans vanité, elle ne me coûte guère.

COLOMBINE.

Ho bien, monsieur, nous la verrons une autre fois ; mais présentement je vous prie de danser un menuet avec moi.

TROTENVILLE

Oui dà, très volontiers : allons.

COLOMBINE.

Qui est cet homme là qui est avec vous ?

TROTENVILLE

C’est ma poche. Tel que vous le voyez, il n’y a point d’homme au monde qui gourmande une chanterelle comme lui ; il feroit danser, s’il l’avoit entrepris, tous les invalides et leur hôtel. Vous allez voir.

L’homme prend la poche dans la queue du cheval, et en joue ; Colombine et Trotenville dansent.

Eh bien, madame ! Que dites vous de ma danse ?

ISABELLE.

J’en suis charmée.

TROTENVILLE

Ne voulez vous point que j’aie l’honneur de danser avec vous ?

ISABELLE.

Pour aujourd’hui, monsieur, il n’y a pas moyen ; je suis d’une fatigue, cela ne se conçoit pas. Mais avant que de me quitter, je vous prie de me dire combien vous prenez par mois.

TROTENVILLE

Par mois, madame ! C’est bon pour les maîtres à danser fantassins. On me donne une marque chaque visite ; et je veux vous montrer quel a été le travail de cette semaine. Hé ! Qu’on m’apporte ma valise. Vous allez voir. Allez donc.

On détache une valise, que l’on apporte pleine de marques faites de cartes.

COLOMBINE.

Ah, mon dieu ! Vous avez été plus de vingt ans à faire toutes ces leçons là.

TROTENVILLE

Bon, bon ! C’est le travail d’une semaine ; et si, ce que je vous montre là, c’est de l’argent comptant. Je n’ai qu’à aller chez le premier banquier, je suis sûr de toucher un demi louis d’or de chaque billet.

COLOMBINE.

Un demi louis d’or pour une leçon ! On ne donnoit autrefois aux meilleurs maîtres qu’un écu par mois.

TROTENVILLE

Il est vrai ; mais dans ce temps là les maîtres à danser n’étoient pas obligés d’être dorés dessus et dessous, comme à présent ; et une paire de galoches étoit la voiture qui les menoit par toute la ville. Mais présentement on ne nous regarde pas, si nous n’avons le cheval et le laquais.

COLOMBINE.

Ah ! Mademoiselle, voilà votre maître à chanter, Monsieur Amilaré Bécarre.

ISABELLE.
, à Trotenville.

Ne vous en allez pas, monsieur, je vous prie. Je veux que vous entendiez chanter cet homme là ; c’est un italien.

TROTENVILLE

Très volontiers, madame ; cela me fera bien du plaisir : car tel que vous me voyez, je suis à deux mains, et je chante aussi bien que je danse.


Scène VIII

Isabelle, Colombine, Monsieur De Trotenville, Monsieur Amilaré.
TROTENVILLE, après avoir examiné Amilaré

Voilà un visage bien baroque ! Les musiciens italiens sont de plaisants originaux. Ne diroit on pas que ce seroit là un siamois échappé d’un écran ? Comment vous appelez vous, monsieur ?

Amilaré répète une douzaine de noms.

Voilà bien des noms : il faut, monsieur, que vous ayez bien des pères. C’est un calendrier que cet homme là.

ISABELLE.

Je suis ravi, messieurs, que vous vous trouviez ensemble. L’on n’est pas malheureux, quand on peut unir deux illustres.

Au maître à chanter.

Je vous prie, monsieur, de vouloir bien chanter un air.

AMILARÉ, bégayant

Je, je, je, je, le, le veux bien.

TROTENVILLE

Quoi ! C’est là un maître à chanter ? Miséricorde !

Amilaré chante.

ISABELLE, après qu’il a chanté

Eh bien ! Monsieur, que dites vous de ce chant là ?

TROTENVILLE

Ah, ah ! Voilà une voix d’un assez beau métal ; cela n’est pas mal.

COLOMBINE.

Comment pas mal ! Il faut se jeter par les fenêtres, quand on a entendu chanter ainsi.

TROTENVILLE

Ho ! Tout doucement, s’il vous plaît ; je ne sais point faire de ces cabrioles là. Voyez vous, mademoiselle, je ne suis point de ces gens qui louent à plein tuyau. Un homme comme moi, qui a été toute sa vie nourri de dièses et de bémols, est diablement délicat en musique.

AMILARÉ, bégayant

Monsieur apparemment n’aime pas l’italien ; mais j’ai fait depuis peu un petit duo en françois, que je veux chanter avec lui, et je suis sûr qu’il ne lui déplaira pas.

Il lui présente un papier de musique.

TROTENVILLE

Voyons. Qu’est ce donc, s’il vous plaît, que tous ces pieds de mouche qui sont au commencement des lignes ?

AMILARÉ

Ce sont des dièses, pour montrer que c’est un a mi la ré bécarre. Je ne compose jamais que sur ce ton, et c’est pour cela que j’en porte le nom.

TROTENVILLE

Ah, ah ! Vous composez donc toujours sur ce ton là ?

AMILARÉ

Oui, monsieur.

TROTENVILLE
, rendant le papier.

Et moi, monsieur, je n’y chante jamais.

AMILARÉ

Eh bien ! Monsieur, voilà un autre air en d la ré sol.

TROTENVILLE

La rissole vous même. Je vous trouve bien admirable de me donner des sobriquets.

AMILARÉ

Voilà un homme qui est bien fâcheux ! Je vous dis, monsieur, que cet air là est en d la ré sol, et qu’il n’est pas si difficile que l’autre.

TROTENVILLE

Qui n’est pas si difficile que l’autre ! Croyez vous, mon ami, que la musique m’embarrasse ? Je vous trouve plaisant.

AMILARÉ

Je ne dis pas cela… Allons.

Ils chantent ensemble.

Cupidon ne sait plus de quel bois faire flèche. Cela ne vaut pas le diable.

Bégayant.

Cu, cu, cu.

TROTENVILLE

Cu, cu, cu… Voilà un air bien puant.

AMILARÉ

Allons, monsieur, tout de bon : cu, cu, cu… Chantez donc juste, si vous voulez.

TROTENVILLE, lui jetant le papier au nez

Oh ! Chantez juste vous même ; je sais bien ce que je dis. Est ce que je ne vois pas bien qu’il faut marquer là une dissonance, et que l’octave s’entrechoquant avec l’unisson, vient à former un dièse bémol. Mais, voyez cet ignorant !

AMILARÉ

Monsieur, avec votre permission, si les musiciens n’en savent pas plus que vous, ce sont de grands ânes.

TROTENVILLE

Plaît il, mon ami ? Savez vous que vous êtes un sot par nature, par bémol et par bécarre ? Je vous apprendrai à insulter ainsi la croche française.

AMILARÉ

Un sot ! À moi !

Il donne de son chapeau dans le visage de Trotenville.

TROTENVILLE, mettant la main sur son épée

Par la mort ! Par le sang !… Mesdames, je vous donne le bonsoir.

Il s’en va d’un côté, et Amilaré de l’autre.


Scène IX

COLOMBINE
COLOMBINE, seule, riant.

Ah ! Ah ! Ah ! De la manière qu’il s’y prenoit, je croyois qu’il alloit tout tuer.

ACTE II


Scène I

Arlequin, Mezzetin.

Le théâtre représente une place publique.

ARLEQUIN.

Oh çà ! Je vous dis encore une fois que nous nous brouillerons, si vous ne me tenez parole. J’ai fait le barbier ; j’ai volé la bourse ; il y avoit cent louis d’or dedans ; vous m’en avez promis dix : je prétends les avoir, ou je ne me mêle plus de rien.

MEZZETIN.

Que tu es impatient ! Je te les ai promis, et tu les auras ; et de plus, je te promets de te faire épouser Colombine ; mais il faut faire encore une petite fourberie.

ARLEQUIN.

Pour épouser Colombine, j’en ferois cinquante, des fourberies.

MEZZETIN.

Oh çà ! Tiens toi un peu en repos, et laisse moi rêver au moyen de t’introduire chez Monsieur Sotinet, pour rendre cette lettre à Isabelle.

ARLEQUIN., pendant que Mezzetin rêve.

J’aurai Colombine, au moins.

MEZZETIN.

Oui, vous dis je, vous l’aurez.

l rêve. I

ARLEQUIN.

Et Colombine m’aura t elle aussi ?

MEZZETIN.

Eh morbleu, oui ! Vous l’aurez, et elle vous aura. Laissez moi en repos.

Il rêve.

ARLEQUIN.
, comptant les boutons de son justaucorps.

Je l’aurai, je ne l’aurai pas ; je l’aurai, je ne l’aurai pas ; je l’aurai, je ne l’aurai pas : je ne l’aurai pas.

Il pleure.

MEZZETIN.

Qu’est ce ? Qu’avez vous ? Pourquoi pleurez vous ?

ARLEQUIN.

Je n’aurai pas Colombine : hi, hi, hi !

MEZZETIN.

Qui est ce qui vous a dit cela ?

ARLEQUIN, montrant ses boutons

C’est la boutonomancie.

MEZZETIN.

Que le diable t’emporte, toi et la boutonomancie ! Laisse moi songer en repos. Je t’assure, encore une fois, que tu auras Colombine, le colombier, les pigeons, et tout ce qui a relation à elle. Console toi donc, et ne m’interromps pas davantage.

il rêve.

ARLEQUIN.

Voilà Colombine.

Il montre le doigt index de sa main droite.

Et voici Arlequin.

Il montre le doigt index de sa main gauche.

Arlequin dit : bonjour, ma colombelle.Colombine répond : bonjour, mon pigeonneau… Adieu, ma belle… Adieu, mon…

MEZZETIN, lui donnant un coup de pied au cul

Adieu, vilain magot. Tu ne veux donc pas te tenir un moment en repos ?

ARLEQUIN.

Je répétois le compliment de noce.

MEZZETIN.

Pour vous empêcher de complimenter davantage, venez çà.

Il lui prend les mains, et les lui fourre dans sa ceinture.

Si vous ôtez vos mains de là, vous n’épouserez point Colombine.

Il rêve.

ARLEQUIN.
, les mains dans sa ceinture.

Mezzetin !

MEZZETIN.

Que vous plaît il ?

ARLEQUIN.

Y aura t il des violons à ma noce ?

MEZZETIN.

Oui, il y aura des violons, des vielles, et de toutes sortes d’instruments.

Il rêve.

ARLEQUIN.

Mezzetin !

MEZZETIN.

J’enrage ! Que vous plaît il ?

ARLEQUIN.

Et y dansera t on, à la noce ?

MEZZETIN.

On y dansera ; oui, bourreau. Ne te tairas tu jamais ?

Il rêve.

ARLEQUIN.

On dansera à ma noce, et je danserai avec Colombine ! Ah ! Quel plaisir !

Il danse.

MEZZETIN.

Oh ! Pour le coup, c’en est trop. Couchez vous, vite.

Arlequin se couche par terre.

Nous verrons un peu à présent si vous vous tiendrez en repos. Imaginez vous que vous êtes dans un lit, et que vous dormez.

ARLEQUIN.

Je suis dans un lit ?

MEZZETIN.

Oui, dans un lit, et Colombine est couchée avec vous.

Il rêve.

ARLEQUIN.

Mezzetin !

MEZZETIN.

À la fin, il faudra que je change de nom. Que voulez vous ?

ARLEQUIN.

Fermez les rideaux du lit, de peur du vent.

MEZZETIN.
, faisant semblant de tirer les rideaux du lit.

Quelle patience !


Il rêve.

ARLEQUIN.

Mezzetin !

MEZZETIN.

Encore ! Qu’est ce qu’il y a, double enragé chien ?

ARLEQUIN.

Donnez moi le pot de chambre.

MEZZETIN.
prend son bonnet et le met auprès de la tête d’Arlequin.

Tiens, voilà le pot de chambre ; puisses tu pisser la parole !

ARLEQUIN.

Ah ! Ma chère Colombine, que je t’embrasse, mon petit cœur, m’amour.

il se roule sur le théâtre.

MEZZETIN.

Tenez, tenez ! Si je prends un bâton, je te romprai bras et jambes à la fin. Veux tu t’arrêter ? Lève tes pieds.

Il lui fait lever les pieds, et s’assied sur ses genoux, un bâton à la main.

Si tu remues à présent, ou que tu parles, nous allons voir beau jeu.

Après avoir rêvé, il dit à lui même :

J’habillerai Arlequin en chevalier ; il ira heurter à la porte de Sotinet : d’abord, voilà Colombine…

ARLEQUIN.

Colombine ! Et où est ce qu’elle est ?

il ouvre ses genoux, et se lève pour voir Colombine. Mezzetin tombe, se relève, et court après Arlequin pour le frapper.


Scène II

. Monsieur Sotinet, Isabelle, Colombine.

Le théâtre représente l’appartement d’Isabelle.

SOTINET

Madame, je vous déclare, pour la dernière fois, que je ne veux plus voir tout ce train là dans ma maison. Je ne sais plus qui y est maître. Que ne payez vous les gens à qui vous devez ? Et pourquoi faut il que j’aie tous les jours la tête rompue de vos folles dépenses, qui me mènent à l’hôpital ? Je ne vois ici que des marchands qui apportent des parties, ou des maîtres qui demandent des mois.

ISABELLE.

Ah ! Vraiment, je vous trouve plaisant ! J’aime assez vos airs de reproches ! Et depuis quand les maris prennent ils ces hauteurs là avec leurs femmes ? Sachez, s’il vous plaît, monsieur, qu’un homme comme vous, qui a épousé une fille de qualité comme moi, est trop heureux quand elle veut bien s’abaisser à porter son nom. Mon mérite n’est il pas bien soutenu d’avoir pour piédestal le nom de Monsieur Sotinet ! Madame Sotinet ! Ah ! Quelle mortification ! Je sens un soulèvement de cœur, quand j’entends seulement prononcer le nom de Monsieur Sotinet.

COLOMBINE.

Et que n’en changez vous, madame ? N’est ce pas la mode ? Je connois un homme qui s’appelle Monsieur Josset, et sa femme se fait appeler la Marquise de Bas Aloi.

SOTINET

Taisez vous, impertinente ; on ne vous parle pas. Est ce à vous à mettre là votre nez ? Vous n’êtes pas plus sage que votre maîtresse.

ISABELLE.

Pourquoi voulez vous qu’elle se taise, quand elle a raison ? Ne sait on pas assez dans le monde l’honneur que je vous ai fait, quand je vous ai épousé ? Mais vous devez vous mettre en tête que je vous ai plutôt pris pour mon homme d’affaires que pour mon mari ; et je vous prie de ne plus vous mêler de ma conduite.

COLOMBINE.

Madame parle comme un oracle ; toutes les paroles qu’elle dit sont des sentences que toutes les femmes devroient apprendre par cœur.

SOTINET

Vous devriez mourir de honte de la vie que vous menez. On n’entend parler d’autre chose que de votre jeu et de vos dépenses. Nous demeurons dans la même maison, et il y a huit jours que je ne vous ai rencontrée. Vous vous allez promener quand je me couche, et vous ne vous couchez que quand je me lève.

ISABELLE.

Ah ! Colombine, ne te souviens tu point de ce petit air que m’apprit hier monsieur le marquis ? Je l’ai oublié.

COLOMBINE.

Non, madame ; mais, si vous voulez, je vais vous en chanter un que je viens d’apprendre. La, la, la.

SOTINET

Te tairas tu donc, coquine ? Il y a longtemps que je suis las de tes impertinences. C’est toi qui me la gâtes, et un grand traîneur d’épée qui ne bouge d’ici. Mais j’empêcherai bien que cela ne dure, et je veux que tu sortes tout présentement de chez moi.Allons, qu’on déniche tout à l’heure.

COLOMBINE.

Moi ? Je n’en ferai rien.

SOTINET

Tu n’en sortiras pas ?

COLOMBINE.

Non, je n’en sortirai pas.

SOTINET

Comment donc ? Est ce que je ne suis pas le maître ici ?

COLOMBINE.

Pardonnez moi.

SOTINET

Je ne pourrai pas mettre dehors une coquine de servante quand il me plaira ?

COLOMBINE.

Je ne dis pas cela.

SOTINET

Eh ! Pourquoi dis tu donc que tu ne sortiras pas ?

COLOMBINE.

C’est que je vous aime trop.

SOTINET

Je ne veux pas que tu m’aimes, moi ; je veux que tu me haïsses.

COLOMBINE.

Il m’est impossible ; je sens pour vous une tendresse… Allez, cela n’est guère bien de n’avoir pas plus de naturel pour des gens qui vous affectionnent.

Elle pleure.

SOTINET
Oh ! La bonne bête !
ISABELLE.

Eh bien ! Monsieur, aurez-vous bientôt fait ? Savez vous que je ne m’accommode point de tous vos dialogues. Je vous prie, monsieur, de vous en aller dans votre appartement, et de me laisser en repos dans le mien. Sitôt que je suis un moment avec vous, mes vapeurs me prennent d’une violence épouvantable.

SOTINET

Je m’ennuie bien aussi d’y être, madame, et je voudrais…

ISABELLE.

Ah ! Colombine, je n’en puis plus. Soutiens moi. De l’eau de la reine d’Hongrie. Hai !

COLOMBINE.

Hé ! Monsieur, retirez vous ; voilà madame qui trépasse, et je la garantis morte, si vous ne décampez tout à l’heure.


Scène III

. Isabelle, Colombine.
COLOMBINE.

Là, là, revenez ; il est parti : cela vaut bien mieux qu’une bouteille d’eau de la reine d’Hongrie. Ma foi ! Madame, je ne sais pas ce que vous faites de cet homme là ; mais je sais bien, moi, ce que j’en ferois, si j’étois à votre place. Quel moyen de vivre avec lui ? Il a toute la journée le gosier ouvert pour faire enrager tout le monde.

ISABELLE.

À te dire vrai, Colombine, je suis bien lasse de la vie que je mène. C’est un homme qui n’est jamais dans la route de la raison ; il a des travers d’esprit qui me désolent. Mais que veux tu ? Je suis mariée ; c’est un mal sans remède. Toute ma consolation est que nous nous ferons bien enrager tous deux.

COLOMBINE.

Mariée ! Voilà une belle affaire ! Est ce là ce qui vous embarrasse ? Bon, bon ! On se démarie aussi facilement qu’on se marie ; et je savois toujours bien, moi, que tôt ou tard il en falloit venir là ; il n’y avoit pas de raison autrement. Il ne tiendra donc qu’à faire impunément enrager les femmes, sous prétexte qu’elles sont douces et qu’elles n’aiment pas le bruit ! Oh ! Vous en aurez menti, messieurs les maris ; et quand il n’y auroit que moi, j’y brûlerai mes livres, ou cela sera autrement. Donnez moi la conduite de cette affaire là ; vous verrez comme je m’y prendrai.

ISABELLE.

Mon dieu ! Colombine, je voudrois bien n’en point venir là : je fais même tout ce que je puis pour avoir quelque estime pour Monsieur Sotinet ; mais je ne saurois en venir à bout. Je voudrois, Colombine, que tu fusses mariée ; tu verrois si c’est une chose si aisée que d’aimer un mari.

COLOMBINE.

Bon ! Est ce que je ne le sais pas bien ? N’allez pas aussi vous mettre en tête de le vouloir faire ; vous y perdriez vos peines et votre temps.

ISABELLE.

Et va, va ; je n’y tâche que de bonne sorte. Mais nous perdons bien du temps. Je dois aller passer l’après dînée chez la marquise : viens achever de m’habiller dans mon cabinet.

COLOMBINE.

Mais, madame, qui est ce qui entre là ?


Scène IV

Isabelle, Colombine, le Chevalier De Fondsec.
Le CHEVALIER

Un dévoiement, madame, causé à ma bourse par les fréquentes crudités d’une fortune indigeste, m’a obligé d’avoir recours au remède astringent d’un petit billet payable au porteur, que j’apportois à monsieur votre époux ; mais n’y étant pas, j’ai cru qu’un homme de ma qualité pouvoit entrer de volée chez les dames, et que vous ne seriez pas fâchée de connoître le chevalier De Fondsec.

Tout ce rôle du chevalier se prononce en gascon.

ISABELLE.

Je suis ravie, monsieur, de l’honneur que je reçois ; mais je voudrois que ce ne fût pas une suite de votre malheur, et devoir à ma bonne fortune, et non pas à votre mauvaise, la visite que je reçois : mais il faut espérer que vous serez plus heureux.

Le CHEVALIER

Comment voulez vous, madame ? Pour être heureux, il faut jouer ; pour jouer, il faut avoir de l’argent ; et pour avoir de l’argent, que diable faut il faire ? Car nous autres chevaliers de Gascogne, nous n’avons jamais connu ni patrimoine, ni revenu.

COLOMBINE.

Il est vrai que de mémoire d’homme on n’a jamais vu venir une lettre de change de ce pays là.

ISABELLE.

Monsieur le chevalier voudra bien passer toute l’après dînée avec nous ?

Le CHEVALIER

Ma foi, madame, je ne sais pas si je pourrai me prostituer à votre visite ; car c’est aujourd’hui mon grand jour de femmes. Je m’en vais voir sur mes tablettes.

il tire ses tablettes, et lit.

Le mercredi, à cinq heures, chez Dorimène. Oh ! Ma foi, il est trop tard. À cinq heures et un quart, chez la comtesse qui m’a envoyé cette épée d’or.

En riant

Ah ! Ah ! La sotte prétention ! Vouloir que je rende une visite pour une épée qui ne pèse que soixante louis ! Non, madame, je n’irai pas, vous dis je ; j’y perdrois. À six heures et demie, promis à Toinon, au troisième étage, rue Tireboudin. Oh ! Ma foi, cette visite là se peut remettre. Allons, madame, je suis à vous pendant toute l’après dînée, et pendant toute la nuit, si vous voulez : il en coûtera la vie à trois ou quatre femmes ; mais qu’y faire ? Le moyen d’être partout ?


Scène V

Isabelle, Colombine, le Chevalier, un laquais.
LE LAQUAIS

Monsieur, vos laquais sont là bas, qui demandent à vous parler.

Le CHEVALIER

Dis leur que je n’ai rien à leur dire.

LE LAQUAIS

Ils font un bruit de diable ; ils disent qu’il y a trois jours qu’ils n’ont mangé.

Le CHEVALIER

Voilà de plaisants marauds ! Est ce à faire à ces coquins là à manger ? Et que feront donc les maîtres ?

vers Isabelle.

Madame, voyez là bas s’il y a quelque chose de reste, et qu’on leur donne seulement pour les empêcher de crier.

ISABELLE, au laquais

Dites là bas qu’on leur donne à manger.


Scène VI

Isabelle, Colombine, le Chevalier.
COLOMBINE.

Il faut dire la vérité ; monsieur le chevalier est d’un bon naturel : il ôteroit volontiers le morceau de sa bouche pour le donner à ses gens.

Le CHEVALIER

Ces gueux là sont trop heureux avec moi. C’est une commission que de me servir.

COLOMBINE.

Ils sont quelquefois trois jours sans manger ; mais aussi je crois que vous leur donnez de gros gages.

Le CHEVALIER

Je le crois, vraiment ; au bout de trois ans je leur donne congé pour récompense.

COLOMBINE.

Ils ne sont pas malheureux. Voilà le meilleur de votre condition.

ISABELLE.

Oh ! çà, monsieur le chevalier, voilà un chagrin qui me saisit. Que ferons nous après la collation ? Quand je n’ai plus que deux ou trois plaisirs à prendre dans le reste du jour, je suis dans une langueur mortelle ; et je m’ennuie presque toujours, dans la crainte que j’ai de m’ennuyer bientôt. Il faut envoyer voir ce que l’on joue aux italiens. Broquette, broquette !


Scène VII

.
Isabelle, Colombine, le Chevalier, un Laquois.
Le LAQUAIS

Madame ?

ISABELLE.

Allez voir ce que l’on joue aujourd’hui à l’hôtel de Bourgogne.


Scène VIII

Isabelle, Colombine, le Chevalier.
COLOMBINE.

Je ne sais, madame, ce que vous voulez faire ; mais je vous avertis que monsieur a enfermé une roue du carrosse dans son cabinet, pour vous empêcher de sortir.

ISABELLE.

Qu’importe ? Nous irons dans le carrosse de monsieur le chevalier.

Le CHEVALIER

Cela ne se peut pas, madame ; mon cocher s’en sert : c’est que je lui donne mon carrosse un jour la semaine pour ses gages ; c’est aujourd’hui son jour, et il l’a loué à des dames qui sont allées au bois de Boulogne.

COLOMBINE.

Cela ne doit pas nous arrêter. Si madame veut aller à l’opéra, je trouverai bien un carrosse.

ISABELLE.

Ah ! Fi, Colombine, avec ton opéra. Peut on revenir à la demi Hollande, quand on s’est si longtemps servi de batiste ? J’y allai dès deux heures à la première représentation ; j’eus tout le temps de m’ennuyer avant que l’on commençât ; mais ce fut bien pis, quand on eut une fois commencé.

COLOMBINE.

Je ne conçois pas comment on peut s’ennuyer à l’opéra ; les habits y sont si beaux !

ISABELLE.

Je vois bien que nous ne sommes pas engouées de musique aujourd’hui, et qu’il faudra nous en tenir à la comédie italienne.

Le CHEVALIER

En vérité, madame, je ne sais pas quel plaisir vous trouvez à vos comédies italiennes ; les acteurs y sont détestables. Est ce qu’Arlequin vous divertit ? C’est une pitié. Excepté cet homme qui parle normand dans l’empereur de la lune, tout le reste ne vaut pas le diable. J’étois dernièrement à une pièce nouvelle ; elle n’étoit pas encore commencée, que j’entendis accorder les sifflets au parterre, comme on fait les violons à l’opéra. Je m’en allai aussitôt, pestant comme un diable contre ces nigauds là, et je n’en voulus pas voir davantage.

ISABELLE.

Vous n’attendîtes donc pas que la toile fût levée ?

Le CHEVALIER

Hé ! Vraiment non. Ne voit on pas bien d’abord à ces indices là qu’une pièce ne vaut rien ?


Scène IX

Isabelle, Colombine, le Chevalier, un Laquois.
ISABELLE, au laquais

Approchez, petit garçon. Eh bien ! Quelle pièce joue t on ?

Le LAQUAIS

Madame, on joue "Le Sirop pour purger".

Le CHEVALIER

Ne vous l’avois je pas bien dit, madame ? Ces gens là ne jouent que de vilaines choses.

Le LAQUAIS

Madame, combien mettra t on de couverts ?

ISABELLE.

Deux : un pour monsieur le chevalier, et l’autre pour moi.

Le LAQUAIS

N’en mettra t on pas aussi un pour monsieur ?

ISABELLE.

Non. Ne savez vous pas bien que monsieur ne mange point à table quand il y a compagnie ?

Le CHEVALIER

Parle, mon ami ; mets deux couverts pour moi ; je mangerai bien pour deux personnes.


ACTE III


Scène I

Aurélio, Mezzetin.

Aurélio dit à Mezzetin que sa sœur Isabelle est presque déterminée à souffrir qu’on la sépare d’avec son mari ; que Colombine, qui travaille de concert avec lui, est après elle pour la déterminer entièrement ; qu’on plaidera devant le dieu d’Hymen, et que lui même sera la divinité qui prononcera l’arrêt. Mezzetin s’en réjouit, et dit qu’il cherchera un avocat pour plaider en faveur d’Isabelle : après quoi ils s’en vont.


Scène II

Isabelle, Colombine.
COLOMBINE.

Dieu merci, madame, ce que je demandois est enfin arrivé : nous plaiderons, morbleu ! Nous plaiderons ! La gueule du juge en pètera, et je ne souffrirai pas que vous soyez plus longtemps le rendez vous des violences de Monsieur Sotinet. Vous ne serez plus Madame Sotinet, ou j’y perdrai mon latin. Je viens de consulter un avocat de mes amis sur votre affaire. Bon ! Il dit que cela ira son grand chemin, et qu’il y auroit là de quoi faire casser aujourd’hui vingt mariages.

ISABELLE.

En vérité, Colombine, j’ai eu bien de la peine à me résoudre à ce que tu as voulu. On va me tympaniser par la ville, et je vais donner la comédie à tout Paris.

COLOMBINE.

Ah ! Vraiment, nous y voilà ! On va vous tympaniser ! Eh ! Mort non pas de ma vie, madame, c’est vous éterniser, que de faire un coup d’éclat comme celui là ! Dites moi, je vous prie, auroit on tant d’empressement à lire l’histoire galante de certaines femmes, si une séparation ne les avoit rendues célèbres ? Sauroit on la magnificence de Madame Lycidas, en justaucorps de soixante pistoles, les discrétions qu’elle perd avec son galant, si elle n’avoit pas plaidé contre son mari ? Et l’on n’auroit jamais connu tout l’esprit d’Artémise, sans ses lettres, qui ont été produites à l’audience. Je vous le dis, madame, il n’y a rien tel que de bien débuter dans le monde, et voilà le plus court chemin. On avance plus par là en un jour d’audience qu’en vingt années de galanterie ; et vous me remercierez dans peu des bons avis que je vous donne.

ISABELLE.

Il falloit donc, Colombine, que j’apprisse de longue main à mépriser, comme ces femmes dont tu me parles, les chimères et les fantômes de réputation et d’honneur qui font peur aux esprits simples comme le mien. Je conviens, avec toi, qu’il y a beaucoup d’honnêtes femmes qui sont lasses de leur métier et de leur mari ; mais, du moins, elles n’en instruisent pas la ville par la bouche d’un avocat, et ne se font point déclarer fieffées coquettes par arrêt de la cour.

COLOMBINE.

C’est qu’elles n’ont pas un mari aussi bourru que vous en avez un. Vous êtes trop bonne, et vous gâtez les maris. Une bonne séparation, madame, une bonne séparation ; et le plus tôt, c’est le meilleur. Il y a déjà près de deux ans que vous êtes femme de Monsieur Sotinet ; et quand ce seroit le meilleur mari du monde, il seroit gâté depuis le temps.

ISABELLE.

Fais donc tout ce que tu voudras. Mais, faudra t il que j’aille solliciter toutes ces jeunes barbes de juges, qui me riront au nez, et qui sont ravis d’avoir des affaires de cette nature là ?

COLOMBINE.

Oh ! Madame, ne vous mettez point en peine, vous n’irez point aux juridictions ordinaires : le dieu d’Hymen est arrivé depuis quelque temps en cette ville, pour démarier toutes les personnes qui sont lasses du mariage. Il aura de la pratique, comme vous pouvez juger. Je veux qu’il commence par vous. Laissez moi faire ; j’ai une peste de tête…


Scène III

Arlequin, Isabelle, Colombine.
COLOMBINE.

Ah ! Mon pauvre Arlequin, tu viens ici bien à propos.

à Isabelle.

Tenez, madame, voilà l’avocat que je vous veux donner.

à Arlequin.

Viens çà, sais tu plaider ?

ARLEQUIN.

Si je sais plaider ? J’ai été quatre ans cocher du plus fameux avocat de Paris. Il me fit une fois plaider en sa place pour un homme qui avoit fait quelque petite friponnerie. Il devoit naturellement, et suivant toutes les règles de la justice, aller droit aux galères : je lui épargnai la fatigue du chemin : je fis tant qu’il n’alla qu’à la grève. Je criai comme un diable.

COLOMBINE.

Tu plaides donc bien ? Il n’en faut pas davantage pour gagner le procès le plus désespéré. Allons, viens ; suis moi : je te dirai ce qu’il faut que tu fasses.

ISABELLE.

Je ne sais pas, Colombine, dans quelle affaire tu m’embarques là. Ne vous mettez pas en peine, madame ; je vous en tirerai. Je ne vous dis pas ce que j’ai envie de faire.


Scène IV

. Arlequin, Mezzetin.
MEZZETIN.

Je te cherchois. Colombine m’a dit que tu avois servi chez un avocat.

ARLEQUIN.

Cela est vrai.

MEZZETIN.

Étois tu clerc ?


ARLEQUIN.

Non. C’étoit moi qui recousois les sacs et les étiquettes.

MEZZETIN.

J’ai besoin de toi. Voici la dernière fourberie que tu feras : il faut que tu plaides la cause de Mademoiselle Isabelle devant le dieu de l’Hyménée.

ARLEQUIN.

Et comment m’y prendre ? La profession d’avocat n’est pas si aisée.

MEZZETIN.

Bon ! Il n’y a rien au monde de si aisé.

À part.

Il le faut prendre par la gueule.

haut.

Un avocat va le matin en robe au palais. Dès qu’il y est, il entre à la buvette, où il mange des saucisses, des rognons, des langues, et boit du meilleur.

ARLEQUIN.

Un avocat mange des saucisses ? Oh ! Si cela est, je serai avocat, et bon avocat ; car je mangerai plus de saucisses qu’un autre : je les aime à la folie.

MEZZETIN.

D’abord, tu commenceras ton plaidoyer en disant : messieurs, je parle pour Mademoiselle Isabelle, contre son mari, qui est un débauché, un puant, un fou, et autres choses semblables.

ARLEQUIN.

Laisse moi faire, pourvu que les saucisses marchent…

MEZZETIN.

Oh ! Cela s’en va sans dire. Oh ! çà, prends que je sois le juge ; commence par plaider.

ARLEQUIN.

Je ne puis pas.

MEZZETIN.

Et d’où vient ?

ARLEQUIN.

C’est que je n’ai pas encore été à la buvette.

MEZZETIN.

Nous irons après : répétons toujours auparavant.

ARLEQUIN.

Mais répétons donc aussi la buvette.

MEZZETIN.

Voilà une buvette qui te tient bien au cœur ! Tiens, prends que je sois le juge.

Il fait semblant de s’asseoir dans un fauteuil, puis dit :

Avocat, plaidez.

ARLEQUIN.

Messieurs…


MEZZETIN.

Fort bien.

ARLEQUIN.

Messieurs… Messieurs… Messieurs, je conclus…

MEZZETIN.

À quoi concluez vous ? Je conclus à ce que nous allions manger les saucisses, avant qu’elles refroidissent.

il s’en va, Mezzetin court après.


Scène V

Monsieur Sotinet, Pierrot.
SOTINET

Eh bien ! Que t’a dit Monsieur De La Griffe, mon avocat ? Viendra t il bientôt ?

PIERROT.

Monsieur, il est bien malade ; il ne pourra pas venir : en taillant sa plume, il s’est coupé un peu le doigt ; il dit qu’il ne pourra pas plaider dans l’état où il est.

SOTINET

Comment ! Est il fou ?

PIERROT.

Il m’a dit qu’il alloit envoyer un jeune homme en sa place, qui plaide comme un diable, et qui vous fera aussi bien perdre votre procès que lui même.

SOTINET

Cette affaire là me fera mourir ; je n’en sortirai jamais à mon honneur. Ma femme m’a fait assigner devant le dieu d’Hymen ; on n’est guère favorable aux maris à ce tribunal là. Ce qui me fâche le plus, c’est que l’on me fera rendre vingt mille écus que je n’ai point reçus. Allons.

PIERROT.

Hé ! Monsieur, consolez vous : il y a bien des gens qui voudroient être quittes de leurs femmes à ce prix là.


Scène VI

Aurélio, en dieu de l’Hymen ; Colombine, en avocat, sous le nom de Braillardet ; Arlequin, en avocat, sous le nom de Cornichon ; Monsieur Sotinet, Isabelle, plusieurs assistants.

Le théâtre représente le temple de l’Hyménée, au milieu duquel est un tribunal soutenu de bois de cerfs et de cornes d’abondance. Le dieu de l’Hymen, vêtu de jaune, avec une très grande mante, doublée de souci et parsemée de petits croissants, sort au son des instruments. Il est précédé de la joie et des plaisirs, et suivi du chagrin et de la tristesse. Après qu’il a fait le tour du théâtre, il va se mettre sur son tribunal, qui est entouré tout aussitôt par une infinité d’enfants et de nourrices, qui tiennent des berceaux, des poêlons, des langes, et autres ustensiles qui servent à élever les petits enfants.

BRAILLARDET, plaidant

Pour Messire Mathurin Blaise Sotinet, sous fermier, contre la dame Sotinet, sa femme, demanderesse en séparation.

Je ne suis pas surpris, messieurs, de voir à ce nouveau tribunal une femme qui veut secouer le joug d’un mari ; mais je m’étonne de n’y pas voir avec elle la moitié des femmes de Paris.

CORNICHON

Donnez vous un peu de patience ; nous n’aurons pas plus tôt démarié la première, qu’elles y viendront toutes les unes après les autres.

BRAILLARDET

En effet, messieurs, une jeune femme qui épouse un vieillard, dans l’espérance de l’enterrer six mois après, n’est elle pas en droit de lui demander raison de son retardement ; et n’est elle pas bien fondée à faire rompre son mariage, puisque son mari n’a pas satisfait à l’article le plus essentiel du contrat, par lequel il s’est obligé tacitement à ne pas passer l’année ? Celui pour qui je parle, après avoir longtemps contemplé du port les naufrages de tant de malheureux époux, s’embarqua enfin sur la mer orageuse du mariage ; et quand il fit ce solécisme en conduite, qu’il souffrit cette léthargie de bon sens, cette éclipse de raison, s’il se fût mis une corde au cou, ou qu’il se fût jeté dans la rivière, il n’auroit jamais tant gagné en un jour.

CORNICHON

Ni sa femme aussi.

BRAILLARDET

Il fit ce qu’ont accoutumé de faire les gens sur le retour, quand ils épousent de jeunes filles, c’est à dire qu’il confessa avoir reçu vingt mille écus, quoiqu’elle ne lui eût jamais apporté en mariage qu’un fonds de galanterie outrée, et une fureur effrénée pour le jeu : voilà la dot de la Dame.

SOTINET

Cornichon.Avec votre permission, Maître Braillardet, vous ne vous tiendrez pas pour interrompu si je vous dis que vous en avez menti : il a reçu vingt mille bons écus.

BRAILLARDET

Des démentis, messieurs, des démentis ! Il est vrai que voilà le style ordinaire de Maître Cornichon.

CORNICHON

Eh ! Allez, allez votre chemin : je vous vois venir avec vos suppositions. Une fureur pour le jeu ! Une femme qui n’a pas vingt ans, une fureur pour le jeu !

BRAILLARDET

Oui, oui, messieurs ; quand je dis que voilà la dot de la Dame Sotinet, je n’avance rien que de véritable ; mais ne croyez pas que, parcequ’elle n’a rien eu en mariage, elle en dépense moins en se mariant. Les jeunes filles qui se vendent à des vieillards achètent en même temps le droit de les envoyer à l’hôpital promptement, par leurs dépenses extravagantes : c’est ce qu’a presque fait la Dame Sotinet ; car enfin le pauvre homme ne fut pas plus tôt marié, qu’il vit bien comme presque tous les autres qui s’enrôlent dans cette milice qu’il avoit fait une sottise ; que le mariage est une affaire à laquelle il faut songer toute sa vie ; qu’un bon singe et la meilleure femme sont souvent deux méchants animaux ; et que ce grand philosophe avoit bien raison de s’écrier, en voyant trois ou quatre femmes pendues à un arbre : que les hommes seroient heureux, si tous les arbres portoient de semblables fruits !

CORNICHON

Ce fruit là seroit diablement âcre, et il ne seroit bon, tout au plus, qu’en compote.

BRAILLARDET

Il vit, dès le jour même de son mariage, introduire chez lui l’usage des deux lits, usage condamné par nos pères, inventé par la discorde, et fomenté par le libertinage ; usage que je puis nommer ici la perte du ménage, l’ennemi mortel de la réconciliation, et le couteau fatal dont on égorge sa postérité.

CORNICHON

Est ce que l’on se marie pour coucher avec sa femme ? Fi ! Cela est du dernier bourgeois.

BRAILLARDET

Il vit fondre chez lui, dès le lendemain, tous les fainéants de la ville, chevaliers sans ordre, beaux esprits sans aveu ; cent petits poètes crottés, vrais chardons du Parnasse ; de ces fades blondins, minces colifichets de ruelles ; en un mot, il vit faire de sa maison une académie de jeux défendus, et fut obligé de payer une grosse amende, à quoi il fut condamné. Oui, oui, messieurs, je n’avance rien que de véritable ; et, malgré toutes les précautions, il n’a pas laissé de la payer cette amende, dont voici la quittance signée Pallot. Mais qui fut le dénonciateur ? Vous croyez peut être que ce fut, comme d’ordinaire, quelque fripon de laquais, enragé d’avoir été chassé de la maison ; ou quelque joueur, outré d’avoir perdu son argent ? Non, messieurs, non ; ce fut la Dame Sotinet. La Dame Sotinet ! Oui, messieurs, ce fut elle qui, ne sachant plus où trouver de l’argent pour jouer, alla dénoncer elle même que l’on jouoit chez elle : elle fut condamnée à trois mille livres d’amende. Son mari les paya ; elle reçut son tiers comme dénonciatrice. Que direz vous, races futures, d’un pareil brigandage ? Quid non muliebria pectora cogis, auri sacra fames ?

CORNICHON

Vous devriez garder vos passages pour une meilleure cause. Voilà bien du latin de perdu. S’il ne tient qu’à parler latin…

BRAILLARDET

Hé ! Je parle bon françois, Maître Cornichon ; on m’entend bien. Mais ce n’étoit là qu’un prélude des pièces qu’elle devoit faire par la suite à son mari. Les pierreries engagées ; la vaisselle d’argent vendue ; des tableaux d’un prix extraordinaire enlevés : car le Sieur Sotinet a toujours été extrêmement curieux d’originaux, et se connoissoit parfaitement en peinture.

CORNICHON

Je le crois bien : il a porté les couleurs assez longtemps pour s’y connoître.

BRAILLARDET

Cela est faux : il n’a jamais porté que du gris chez un homme d’affaires, et cela s’appelle apprenti sous fermier, et non pas laquais, Maître Cornichon, et non pas laquais. Mais, messieurs, s’il n’y avoit que de la dissipation dans la conduite de la Dame Sotinet, vous n’entendriez pas retentir votre tribunal des plaintes de son mari ; mais puisqu’il est aujourd’hui obligé d’avouer sa honte et son malheur, approchez, financiers, plumets, chevaliers, et vous godelureaux les plus déterminés ; paraissez sur la scène. Oui, oui, messieurs, nous trouverons de tous ces gens là dans l’équipage de la Dame Sotinet, équipage qu’elle promène scandaleusement par toute la ville, et la nuit et le jour. Mais, que dis je, le jour ! Non, ce n’est point pour elle que le soleil éclaire, elle méprise cette clarté bourgeoise ; elle ne sort de chez elle qu’avec les oublieurs, et n’y rentre qu’à la faveur des crieurs d’eau de vie.

CORNICHON

La pauvre femme y est bien obligée. Son mari a la cruauté de lui refuser un flambeau ; il faut bien qu’elle attende le jour pour s’en retourner chez elle.

BRAILLARDET

On ne manquera pas de vous dire que celui pour qui je suis est un brutal ; j’en tombe d’accord : un ivrogne ; je le veux : un débauché ; j’y consens : un homme même qui est quelquefois attaqué de vertiges ; cela est vrai : mais, messieurs…

SOTINET

Mais, monsieur l’avocat, qui vous a donné charge de dire tout cela ?

BRAILLARDET

Hé ! Taisez vous, ignorant, ce sont des figures de rhétorique qui persuadent.

Aux juges.

Quand tout cela seroit, dis je, messieurs, sont ce des raisons pour faire rompre un mariage ? Si je vous parlois des intrigues de la Dame Sotinet, de ses aventures galantes, de ses subtilités pour tromper son mari ; mais… vous rougiriez, illustres et vieilles coquettes de notre temps, de voir qu’une femme de dix huit ans vous a laissées bien loin après elle dans la carrière de la galanterie et j’apprendrois aux femmes qui m’écoutent de nouveaux tours de souplesse (elles n’en savent déjà que trop). Et après cela, messieurs, une femme, qui est le précis, l’élixir, la mère goutte de la transcendante coquetterie, viendra vous demander une séparation ! Ne tiendra t il qu’à donner de pareilles détorses à l’Hymen ? Ordonnerez vous qu’un mari soit déclaré veuf, avant que d’avoir eu le plaisir d’enterrer sa femme ? Non, non, vous n’autoriserez point une telle injustice. Nous espérons, au contraire, que vous obligerez la Dame Sotinet à retourner avec son mari, pour mieux vivre avec lui, s’il est possible. C’est à quoi je conclus.

CORNICHON

Voilà une belle conclusion. Oh ! çà, çà, nous allons voir.

Il plaide.

Messieurs, je parle pour Damoiselle Zorobabel de Roqueventrousse, demanderesse en séparation, contre Mathurin Blaise Sotinet, sous fermier, ci devant laquais, et défendeur. L’aspect de ce sénat cornu, pompe digne de l’Hymen ; cet attirail funeste et menaçant, tout cela, je l’avoue, m’inspire quelque terreur : mais, d’un autre côté, l’équité de ma cause me recreat et reficit ; puisque je parle ici pour quantité de femmes, qui vous disent par ma bouche qu’un mari est à présent un meuble fort inutile ; et que, quand il n’y en auroit point, le monde ne finiroit pas pour cela. Le mois de mars 87, Mathurin Blaise Sotinet, âgé de soixante dix ans, sentit un prurit pour la noce, une démangeaison pour le mariage ; cette vieille rosse, refaite et maquignonée, cette mèche sèche et ridée, prit feu aux étincelles des yeux de celle pour qui je parle. Il l’épousa, et il ne tint qu’à lui de voir qu’il avoit mis dans sa maison un trésor de sagesse et de prudence, puisqu’elle ne dépensa, en se mariant, que les vingt mille écus qu’elle avoit eus en mariage. Rare exemple de modération pour les femmes d’aujourd’hui, qui montent insolemment sur une grosse dot, pour insulter à l’économie de leurs maris.

BRAILLARDET, en riant

Ah, ah, ah ! L’économie de la Dame Sotinet ! J’avois oublié de vous dire, messieurs, que le mariage fut presque rompu, parceque le futur n’avoit envoyé qu’un carreau de cinq cents écus.

CORNICHON

Je le crois bien : je connois la fille d’un drapier qui en a renvoyé un de deux mille livres ; et si, dans ce temps là, les drapiers n’avoient pas gagné leur procès contre les marchands de soie.

BRAILLARDET

La femme d’un sous fermier, un carreau de cinq cents écus !

CORNICHON

Oh ! Taisez vous donc, si vous pouvez. Si on n’impose silence à Maître Braillardet, je n’achèverai jamais ma plaidoirie. C’est une femme que cet homme là ; il ne débabille pas. Vous la voyez, messieurs, à votre tribunal, cette innocente opprimée, cette femme qui engage ses pierreries, vend sa vaisselle d’argent. Mais pourquoi fait elle tout cela ? Pour tirer son mari de prison. Le Sieur Sotinet étoit entré malheureusement dans l’affaire du bois carré. Tous ses associés sont en fuite. On l’appréhende au corps ; on l’entraîne au for l’évêque. Cette chaste tourterelle, privée de son tourtereau, que d’impitoyables sergents lui ont enlevé, va, court, engage tout. Mais pourquoi, messieurs ? Pourquoi encore une fois ? Pour tirer son mari d’un cul de basse fosse.

BRAILLARDET

En vérité, messieurs, voilà une calomnie atroce. Le Sieur Sotinet n’a jamais été en prison. Je demande réparation.

CORNICHON

Un sous fermier, jamais en prison ! Eh bien ! Donnez vous un peu de patience, nous l’y ferons bientôt aller. Mais que dirons nous, messieurs, de ses débauches, ou, pour mieux dire, que n’en dirons nous pas ? Car, jusques à quel excès de crapule cet homme là ne s’est il point laissé emporter ? Mais, que dis je, un homme ? Non, messieurs, c’est plutôt une futaille, ou, pour mieux dire, un râpé qui ne fait que se remplir et se vider à tous moments. C’est un bouchon ambulant ; c’est une éponge toute dégouttante de vin, dont les vapeurs obscurcissent et soufflent enfin la chandelle de sa raison.

BRAILLARDET

Je vous arrête là. C’est une calomnie diabolique… Le Sieur Sotinet ne boit que de l’eau ; cela est de notoriété publique.

CORNICHON

Un homme qui a été toute sa vie dans les aides ne boit que de l’eau ! N’avoit il bu que de l’eau, Maître Braillardet, quand, sortant tout chancelant d’un cabaret, pour assister à l’enterrement d’un de ses meilleurs amis, il se laissa tomber dans la fosse, où il seroit encore, si, par malheur pour sa femme, on ne l’en eût retiré ? N’a t il bu que de l’eau, quand il revient chez lui le soir, amenant avec soi des femmes d’une vertu délabrée, et qu’il maltraite celle pour qui je suis de paroles et de coups ?

BRAILLARDET

De coups ! Ah ! Messieurs, on ne sait que trop que c’est le pauvre homme qui les a reçus. Il a porté plus de trois mois un emplâtre sur le nez, d’un coup de chandelier que sa femme lui a donné.

SOTINET
, en pleurant.

Cela est vrai. Je ne saurois m’empêcher de pleurer toutes les fois que j’y songe.

CORNICHON

Vous êtes sous fermier, monsieur, et vous pleurez ! Mais, s’il n’y avoit que des coups à essuyer, je ne m’en plaindrois pas ; car on sait bien qu’une femme veut être un peu pansée de la main ; mais de se voir, à tous moments, exposée aux extravagances d’un fou !

SOTINET

Moi, fou !

CORNICHON

Oui, messieurs, je vous le garantis tel, et des plus fous qui se fassent. On n’a qu’à lire les dépositions des témoins, on verra qu’on l’a encore vu aujourd’hui courir les rues à pied, la barbe faite d’un côté, et le bassin passé à son cou.

SOTINET

Je n’ai jamais fait d’autre folie que celle de prendre ma femme. Hé ! Morbleu, plaidez votre cause si vous voulez.

Il lève sa canne, et en menace Cornichon.

CORNICHON

Vous voyez, messieurs, que votre présence ne sauroit servir de gourmette à ce furieux. Que seroit ce, si cette pauvre innocente se trouvoit toute seule avec lui ? Approchez, malheureuse opprimée ; venez, épouse infortunée : c’est à l’ombre de ce tribunal que vous trouverez un asile assuré contre la pétulance de votre persécuteur. Souffrirez vous, messieurs, qu’une femme qui (comme dit fort élégamment un savant philosophe) doit être, vas dignitatis, non voluptatis, devienne un grenier à coups de poing ? Qu’une femme, qui doit être la soucoupe des plaisirs d’un mari, soit le ballon de ses emportements ? Non, messieurs, vous ne souffrirez pas que ces innocentes brebis soient si cruellement égorgées par ces loups ravissants ! Eh ! Qui voudroit dorénavant se mettre en ménage, si vous fermiez la porte aux séparations ? Le divorce ayant été de tout temps tout ce qu’il y a de plus piquant dans le mariage, ce ragoût de veuvage anticipé, cette viduité prématurée que vous allez servir à la Dame Sotinet, va faire venir l’eau à la bouche à quantité de femmes de Paris : elles en voudront tâter. Songez, messieurs, aux honneurs que vous allez recevoir ! Cornuum quanta seges ! Vous aurez plus d’affaires que toutes les juridictions de la France. L’hôtel de Bourgogne crèvera de monde : vous en aurez toute la gloire, et les comédiens italiens tout le profit. Dixi.

Pendant que le Dieu de l’Hymen va aux opinions, les avocats parlent tous deux à la fois.

BRAILLARDET

Quand il y auroit quelque petit grain de folie, il y a des intervalles…

CORNICHON

Ah ! Taisez vous, taisez vous.

Cela se dit à haute voix.

JUGEMENT.

Le DIEU de L’HYMEN.

Ayant aucunement égard à la requête de la partie de Maître Cornichon, le dieu de l’Hymen a ordonné que la Dame Sotinet demeurera séparée de corps et de biens d’avec son mari ; qu’elle reprendra les vingt mille écus qu’elle a apportés en mariage ; qu’elle jouira, dès à présent, de son douaire, étant réputée veuve, et d’une pension de trois mille livres ; et, attendu la démence avérée du Sieur Sotinet, nous avons ordonné qu’à la diligence de sa femme, il sera incessamment enfermé aux Petites Maisons, ou à Saint Lazare.

SOTINET

Moi, enfermé ! Moi, à Saint Lazare !

CORNICHON

Bon ! Il y a dix ans que vous devriez y être.

On emmène le Sieur Sotinet ; Aurélio se découvre à Isabelle.

ARLEQUIN.

Monsieur L’Hyménée, ce n’est pas tout : vous venez de défaire un mariage ; mais il s’agit d’en refaire un autre entre Colombine et moi.

COLOMBINE.

Ah ! Très volontiers, à condition que l’on nous démariera au bout de l’an.

ARLEQUIN.

Je le veux bien ; car j’ai toujours ouï dire qu’une femme et un almanach sont deux choses qui ne sont bonnes tout au plus que pour une année.