Le Dialogue (Hurtaud)/Prélude

Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 3-6).


PRÉLUDE

(1)


Comment une âme, ravie hors d’elle-même par le désir de l’honneur de Dieu et du salut du prochain, s’applique à l’humble oraison. Puis, après avoir vu l’union de l’âme avec Dieu par la charité, elle adresse à Dieu quatre demandes.


En s’élevant au-dessus d’elle-même, une âme tourmentée d’un très grand désir de l’honneur de Dieu et du salut des âmes, en arrive à s’exercer pendant quelque temps dans la pratique des vertus ordinaires et s’enferme dans la cellule de la connaissance d’elle-même, pour mieux connaître la bonté de Dieu envers elle. Car l’amour suit la connaissance et, en aimant, l’âme cherche à suivre la vérité et à se revêtir de la vérité.

Rien ne fait mieux goûter à la créature cette vérité, rien ne lui procure tant de lumière que l’oraison humble, continue, fondée sur la connaissance de soi-même et de Dieu. L’oraison ainsi comprise et pratiquée unit l’âme avec Dieu. En suivant les traces du Christ crucifié, par désir, par affection, par union d’amour, elle devient un autre lui-même. N’est-ce-pas ce que le Christ a voulu nous apprendre quand il nous dit : À qui m’aimera et gardera ma Parole, je me manifesterai moi-même à lui : il sera une même chose avec moi et moi avec lui[1]. Nous trouvons en maints endroits des paroles semblables. Puisque le Christ est Vérité, elles nous font bien voir que, par l’amour, l’âme devient une même chose avec lui.

Pour le montrer plus clairement, je me souviens d’avoir appris d’une servante de Dieu que, dans un grand ravissement de l’esprit qu’elle eut dans son oraison, Dieu, déchirant les voiles, lui avait fait contempler l’amour qu’il a pour ses serviteurs. Il lui disait entre autres choses : « Ouvre l’œil de ton intelligence et regarde en moi ; tu y verras la dignité et la beauté de ma créature raisonnable. Outre la beauté que j’ai donné à l’âme en la créant à mon image et ressemblance, contemple ceux qui sont revêtus de la robe nuptiale, c’est-à-dire de la charité, ornée de la multitude des vertus. Ceux-là, ne font qu’un avec moi par l’amour. C’est pourquoi je te dis : Si tu me demandais qui sont ceux-là, je te répondrais comme le doux Verbe d’amour : Ils sont un autre moi-même, car ils ont dépouillé et perdu leur volonté propre, et ils ont revêtu la mienne, ils se sont unis et conformés à la mienne.

Il est donc bien vrai que l’âme s’unit à Dieu par sentiment d’amour.

Aussi, voulant plus virilement suivre et connaître la vérité et considérant d’abord que l’homme ne peut être vraiment utile à son prochain, par son enseignement, par son exemple, par sa prière, s’il n’est d’abord utile à soi-même, s’il ne cherche à posséder et à acquérir la vertu pour soi-même, cette âme, élevant son désir, adressait au Père souverain et éternel quatre demandes :

La première pour elle-même ;

La seconde pour la réformation de la sainte Église ;

La troisième pour le monde entier, et particulièrement pour la paix des chrétiens, qui avec tant d’irrévérence et d’injustice sont en révolte contre la sainte Église.

Dans la quatrième et dernière, elle priait la divine Providence de pourvoir aux besoins généraux du monde et à un cas particulier qui était survenu[2].

  1. Jean, 14, 21
  2. L’Ordre des répondes faites par la Miséricorde ne suit pas exactement l’ordre de ces demandes. La deuxième réponse est faite à la troisième demande. La troisième réponse est relative à la deuxième demande.

    Dans le Résumé de tout le Dialogue (ch. 166), le Père éternelle rétablit l’Odre des demandes suivant l’ordre des réponses.