Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 131-136).


CHAPITRE XI

(41)

De la gloire des bienheureux.

C’est ainsi la condition de l’âme juste qui achève sa vie dans la charité. Elle est enchaînée désormais dans l’amour, et ne peut plus croître en vertu : le temps est passé. Mais toujours elle peut aimer de la dilection qu’elle avait quand elle est venue à moi, et qui est la mesure de son amour. Toujours elle me désire, toujours elle m’aime, et son désir n’est jamais frustré ; elle a faim et elle est rassasiée, et rassasiée, elle a encore faim, échappant ainsi au dégoût de la satiété comme à la souffrance de la faim.

C’est dans l’amour que mes élus jouissent de mon éternelle vision, et qu’ils participent à ce bien que j’ai en moi-même et que je communique à chacun selon sa mesure ; cette mesure, c’est le degré d’amour qu’ils avaient en venant à moi.

Parce qu’ils sont demeurés dans ma charité et dans celle du prochain, et qu’ils sont unis ensemble par la charité soit générale, soit particulière, qui procèdent d’une seule et même charité, outre le Bien universel qu’ils possèdent tous ensemble, ils jouissent aussi et sont heureux du bonheur d’autrui ; ils participent par la charité, au bien particulier de l’un et de l’autre.

Les saints partagent la joie et l’allégresse des anges, au milieu desquels ils sont pacés, selon le degré et la qualité des vertus qu’ils pratiquèrent spécialement dans le monde, unis qu’ils sont avec eux par les liens de la charité. Ils participent aussi tout particulièrement au bonheur de ceux qu’ils aimaient sur terre, plus étroitement, d’une affection à part. Par cet amour ils croissaient en grâce et en vertu, ils se provoquaient l’un l’autre à procurer ma gloire et à faire honorer mon nom, en eux et dans le prochain. Cet amour ils ne l’ont pas perdu dans l’éternelle vie, ils le gardent toujours. C’est lui qui fait plus abondante leur félicité, par la joie particulière que chacun ressent du bonheur de l’autre, et qui s’ajoute pour tous deux à leur commune béatitude. Je ne voudrais pas d’ailleurs te laisser croire que ce bonheur particulier, ils sont seuls à en jouir entre eux : non il est partagé par tous les heureux habitants du ciel, par tous mes fils bien-aimés, par toute la nature angélique.

Dès qu’une âme aborde à la vie éternelle, tous participent au bonheur de cette âme, comme cette âme participe au bonheur de tous. Non que la coupe de leur félicité puisse s’agrandir ou ait besoin d’être remplie : non, elle est pleine et plus grande ne peut être ; mais ils éprouvent une ivresse, un contentement, une jubilation, une allégresse qui se renouvellent en eux par la vue de cette âme. Ils voient que, par miséricorde, elle a été enlevée de la terre, dans la plénitude de la grâce, et ils se réjouissent en moi du bonheur de cette âme, qu’elle a reçu de ma bonté. Cette âme, à son tour, est heureuse en moi, et dans les âmes et dans les esprits bienheureux, en contemplant et en goûtant en eux la beauté et la douceur de ma charité. Et tous ensemble, leurs désirs montent vers moi, ils crient devant moi pour le salut du monde entier. Leur vie a fini dans la charité du prochain, et ils n’ont pas pedu cet amour. Avec lui ils ont passé par la porte qui est mo Fils unique, comme je te le conterai plus tard : ils sont enchaînés par ce lien d’amour avec ils ont quitté la vie, et ils y demeureront éternellement. Ils sont tellement conformés à ma volonté, qu’ils ne peuvent vouloir que ce que je veux : leur libre arbitre est enchaîné par le lien de la charité, de sorte que, au sortir du temps, la créature raisonnable qui meurt en état de grâce, ne peut plus pécher. Leur volonté est si unie à la mienne que si un père, une mère voit son fils en enfer, si un fils voit en enfer son père et sa mère, ils n’en éprouvent aucun souci, ils sont même contents de les voir punis, parce que ce sont mes ennemis. Rien ne les peut mettre désormais en désaccord avec moi, et tous leurs désirs sont satisfaits.

le désir des bienheureux c’est de voir mon honneur réalisé en vous, pèlerins voyageurs, qui toujours courez vers le terme de la mort. Par conséquent, en même temps que mon honneur, c’est votre salut qu’ils désirent : aussi sans cesse me prient-ils pour vous. Autant qu’il est en moi, j’exauce leur désir : alors que, dans votre ignorance, vous résistez à ma miséricorde. Ils désirent aussi posséder à nouveau leur corps. Bien qu’ils ne le possèdent point actuellement, ils n’en éprouvent aucune affliction : ils en jouissent à l’avance, par la certitude qu’ils ont de l’obtenir un jour. Le fait de ne point l’avoir présentement, ne leur cause donc aucune tristesse, il ne diminue en rien leur béatitude, ils n’en ressentent aucune peine.

Ne crois pas que la glorification du corps après la résurrection, accroisse la béatitude de l’âme. Il s’en suivrait que tant qu’elle demeure séparée de son corps, l’âme ne jouit que d’un bonheur imparfait. Or cela ne peut être, car rien ne manque à sa perfection. Ce n’est pas le corps qui fait l’âme bienheureuse, c’est l’âme qui fait participer le corps à sa béatitude. C’est elle qui l’enrichira de sa propre abondance, lorsqu’au dernier jour, elle se revêtira de sa propre chair qu’elle avait laissée comme une dépouille.

Comme l’âme est immortelle, comme elle a été établie et fixée en moi, le corps, par cette union avec elle, devient immortel, il perd sa pesanteur, pour devenir subtil et léger. Le corps gorifié, sache-le bien, passerait à travers un mur : ni le feu ni l’eau ont sur lui de prise. Ce n’est pas là une vertu propre au corps, mais une vertu de l’âme, qui est un privilège de grâce, à elle accordé par l’amour ineffable qui me l’a fait créer à mon image et ressemblance. Le regard de ton intelligence, ne saurait contempler, ni ton oreille entendre, ni ta langue raconter le bonheur de mes élus.

Quelles délices pour eux, de me voir, Moi le Bien absolu ! Quelle joie quand ils posséderont leur corps glorifié ! Ce bonheur ils ne l’auront qu’au jugement général ; mais d’ici là, ils n’en ressentent aucune peine. Rien ne manque à leur béatitude : car elle-même est comblée, et le corps ne fera que participer à cette plénitude, comme je t’ai dit.

Que te dire du bonheur que recevront les corps glorifiés, de l’humanité glorifiée de mon Fils unique, qui vous donne la certitude de votre résurrection ? Ils tressailleront d’allégresse, à la vue de ses plaies toujours fraîches, de ses blessures toujours ouvertes dans sa chair, et qui sans cesse crient miséricorde pour vous, à Moi, Père éternel et souverain. Tous goûteront la joie d’être semblables à lui. Leurs yeux seront conformes à ses yeux, leurs mains à ses mains, tout leur corps pareil au corps du doux Verbe mon Fils. Etant en moi ils seront en lui, qui est une même chose avec Moi. L’œil de leur corps se délectera dans l’humanité glorifiée du Verbe, mon fils unique. Pourquoi ? Parce que leur vie s’est achevée dans la dilection de ma charité, et pour cela leur amour durera éternellement. Non qu’ils puissent encore accomplir aucun bien, mais ils trouvent leut joie en celui qu’ils ont fait. Je veux dire qu’ils ne peuvent plus faire aucun acte méritoire dont ils puissent attendre une récompense. Ce n’est qu’en cette vie que l’on mérite ou que l’on pèche suivant l’usage qu’il plaît à la volonté de chacun de faire de son libre arbitre.

Ce n’est donc pas dans la crainte, mais dans l’allégresse que ceux-là attendent le jugement divin. A eux, le visage de mon Fils ne paraîtra pas terrible ni plein de haine, parce qu’ils ont fini dans la charité, plins d’amour pour moi, et de bienveillance pour le prochain. Tu vois donc bien que lorsqu’il viendra avec ma Majesté pour juger le monde, son visage ne subira aucun changement ; ceux-là seuls qui seront jugés seront différents par rapport à lui. Aux damnés il pparaîtra plein de haine et de justice ; les élus le verront tout rempli d’amour et de miséricorde.