Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 71-72).


CHAPITRE III

(19)

Comment cette âme, de plus en plus embrasée d’amour, désirait la sueur de sang. Se réprimandant elle-même, elle faisait à Dieu une prière particulière pour son père spirituel.

Alors cette âme, comme en ivresse et hors d’elle-même, dans l’ardeur de plus en plus grande de son désir, se sentait tout à la fois bienheureuse et douloureuse. Bienheureuse elle était, par l’union qu’elle avait eue en Dieu, goûtant sa joie et sa bonté, et comme toute immergée dans sa miséricorde. Et douloureuse elle était aussi, en voyant offenser une si grande bonté, et elle rendait grâce à la divine Majesté, comme si elle comprenait que Dieu lui eût manifesté les misères des créatures, pour la contraindre à élever plus haut son zèle et à dilater son désir. Elle sentait son affection se renouveler au sein de la Déité éternelle, et si vif devenait ce feu sacré de l’amour qu’elle désirait voir changer en sueur de sang, la sueur d’eau qu’elle répandait sous la violence que l’âme faisait subir à son corps. Car plus étroite était cette union que l’âme avait contractée avec Dieu que l’union qui existe entre l’âme et le corps ; aussi l’ardeur d’amour qu’éprouvait cette âme et la violence qu’elle lui faisait subir mettait-elle le corps en sueur. Mais l’âme méprisait cette sueur d’eau, à cause du grand désir qu’elle avait de voir sortir de son corps cette sueur de sang. "O mon âme, se disait-elle à elle-même, tout le temps de ta vie tu l’as perdu ; c’est pour cela que tant de maux, tant de calamités se sont abattus sur le monde et sur la sainte Église, en général et en particulier ; voilà pourquoi je veux que tu remédies à tant de misères par une sueur de sang."

Vraiment, cette âme avait bien retenu la doctrine que lui avait enseignée la Vérité, de toujours se connaître soi-même et la bonté de Dieu à son égard, ainsi que le remède nécessaire pour porter secours au monde entier en apaisant la colère de Dieu et la justice divine, c’est-à-dire les humbles, continuelles et saintes prières.

Alors, éperonnée du saint désir, cette âme s’élevait beaucoup plus haut et ouvrant l’œil de l’intelligence, elle se contemplait dans la divine charité. Elle y voyait et goûtait combien nous sommes obligés d’aimer et de chercher la gloire et l’honneur du nom de Dieu, par le salut des âmes. Elle voyait que c’était à cela qu’étaient appelés les serviteurs de Dieu ; à cela, qu’en particulier, la Vérité éternelle appelait et élisait le Père de son âme. Ce Père, elle le portait toujours devant la divine Bonté, la priant de répandre en lui une lumière de grâce, pour que vraiment il pût suivre cette Vérité.