Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 115-122).


CHAPITRE XXII

(131)

De la différence de la mort des justes d’avec celle des pécheurs. Et premièrement de la mort des justes.

Puisque je t’ai dit comment le monde, les démons et la sensualité propre accusaient le prévaricateur, je veux t’exposer plus longuement cette vérité, et t’entretenir en détail de l’état de ces malheureux, en cet instant suprême, pour t’en inspirer encore une plus grande compassion. Je te dirai combien différents sont les combats que doit soutenir l’âme du juste et ceux qui assaillent le pécheur, et combien différente aussi la mort de l’un et de l’autre. Tu apprendras quelle grande paix, plus ou moins profonde suivant la perfection de chacun, remplit l’âme du juste en ce dernier assaut.

Sache bien tout d’abord, que toutes les peines quelles qu’elles soient qu’endurent les créatures raisonnables, ont leur principe dans la volonté. Si leur volonté était bien ordonnée et en accord avec la mienne, elles n’auraient aucune peine. Elles ne seraient pas pour autant délivrées de toutes souffrances ; mais ces souffrances, volontairement supportées pour l’amour de Moi, ne seraient plus pour elles des peines, dès lors qu’elles les endureraient volontiers en voyant que telle est ma volonté. La sainte haine qu’elles conçoivent d’elles-mêmes, met ces âmes en hostilité permanente avec le monde, avec le démon, avec la sensualité propre. Aussi, à leur dernière heure, leur mort est paisible, parce que leurs ennemis ont été vaincus pendant leur vie.

Le monde ne peut accuser cette âme, qui a si bien connu tous les mensonges du monde qu’elle a renoncé au monde et a ses plaisirs.

La fragile sensualité ni le corps ne la peuvent non plus accuser, puisqu’elle a réduit sa sensualité en esclavage par le frein de la raison, et macéré sa chair par la pénitence, par les veilles, par d’humbles et continuelles prières. Elle a tué la volonté sensitive par la haine du vice et par l’amour de la vertu, et radicalement détruit le trop tendre amour, que l’homme a pour son corps. C’est cet amour, c’est cette tendresse que l’âme éprouve naturellement pour son corps qui fait paraître la mort si affreuse, et inspire à l’homme cette peur instinctive de la mort.

Mais, dans le juste parfait, la vertu triomphe de la nature : elle réprime la crainte naturelle, elle la domine par une sainte haine et par le désir de retourner à sa fin. La tendresse naturelle ne peut donc lui livrer assaut., et sa conscience demeure tranquille, parce que, durant sa vie, elle a fait bonne garde, elle a aboyé chaque fois qu’un ennemi paraissait, pour attaquer la cité de l’âme. Comme le chien, qui, à la porte, aboie dès qu’il aperçoit l’ennemi et réveille ainsi les gardes, le chien de la conscience a donné l’alarme à la garde de la raison ; et la raison, en compagnie du libre arbitre, a pu reconnaître, à la lumière de l’intelligence, si c’était un ami ou un ennemi qui se présentait.

A l’ami, â la vertu, aux saintes pensées du cœur, la raison et le libre arbitre ont ouvert avec plaisir, avec amour, et les ont entourés de soins et de sollicitude. L’ennemi, le vice, les pensées mauvaises, ils l’ont repoussé avec haine et dégoût.

La lumière de la raison et la main du libre arbitre armée de ce glaive de la haine et de l’amour se sont employées à donner la chasse à cet ennemi. Aussi, au moment de la mort, la conscience est-elle sans reproche, parce qu’elle a fait bonne garde : elle laisse donc l’âme en paix.

Il est vrai, cependant, que l’âme du juste, par humilité, et parce qu’aussi elle connaît mieux, a cet instant de la mort, la valeur du temps et le prix de la vertu, se reproche à elle-même de n’avoir pas assez bien employé ce temps. Mais la peine qu’elle en éprouve n’est pas afflictive ; elle lui est profitable, au contraire. Elle amène l’âme à se recueillir en elle-même, pour se mettre en présence du sang de mon Fils, l’humble Agneau sans tache. L’âme ne s’attarde pas a considérer ses mérites passés, car elle ne veut ni ne peut espérer dans sa propre vertu ; tout son espoir est dans le Sang où elle a trouvé ma Miséricorde. Comme elle a vécu avec le souvenir de ce sang, elle s’enivre encore de ce sang, elle s’y plonge jusque dans la mort.

Et les démons, comment pourraient-ils encore lui faire peur, si cette âme, en l’accusant de ses péchés, puisque, pendant sa vie, sa sagesse a triomphé de leur malice. Ils accourent cependant, pour voir s’ils ne pourront point gagner quelque chose sur elle. Ils se présentent sous des formes horribles, ils prennent des apparences hideuses, ils provoquent en elle mille imaginations diverses, pour l’effrayer. Mais, à l’âme pure de tout venin criminel, cette vision ne cause pas la crainte ni l’effroi qu’elle peut provoquer chez celui quin vécu dans l’iniquité du siècle. A la vue de ce juste, dont l’ardente charité s’est réfugiée dans le Sang de mon Fils, les démons ne peuvent soutenir ce spectacle, ils s’éloignent, et ce n’est qu’à distance qu’ils essayent encore de lui lancer leurs flèches.

Leurs assauts et leurs cris ne troublent point cette âme, qui, je te l’ai dit ailleurs, a déjà commencé de goûter la vie éternelle. Éclairé par la lumière de la sainte foi, l’œil de son intelligence est tout occupé de moi, son Dieu infini et éternel, dont elle attend la possession de ma grâce et non de ses mérites, par la vertu de Jésus-Christ, mon Fils. Vers ce bien, son espérance tend les bras ; de ses mains l’amour l’étreint, elle commence ainsi à le posséder avant de l’avoir, comme je te l’ai expliqué en un autre endroit. Soudain, en un instant, toute baignée de ce Sang, elle passe par la porte de mon Verbe, pour arriver à moi l’Océan de Paix. Porte et Océan sont unis ensemble, puisque Moi et ma Vérité, mon Fils unique, nous ne faisons qu’Un…

De quelle allégresse est inondée l’âme, qui si doucement se voit arrivée à ce passage, et qui jouit enfin du bonheur angélique ! Tous ceux dont la mort a cette douceur participent à cette félicité ; mais combien plus encore mes ministres, ceux dont je t’ai dit qu’ils avaient vécu comme des anges, parce que, dans cette vie, ils ont eu une connaissance plus claire et un désir plus intense de mon honneur et du salut des âmes. Ils n’ont pas eu seulement la lumière de la vertu que tous généralement peuvent avoir, mais, en plus de cette lumière surnaturelle d’une vie vertueuse, ils ont possédé la lumière de la sainte science, qui leur a fait mieux connaître ma Vérité. Or, plus on connaît plus on aime, et qui plus aime, plus reçoit. La mesure de votre mérite est la mesure même de votre amour.

Si tu me demandais : Celui qui ne possède pas la science peut-il atteindre à cet amour ? Oui certainement, il y peut parvenir, mais exceptionnellement, et un cas particulier ne peut être érigé en loi générale pour tous. Ici, c’est d’après la règle commune que je te parle.

Mes ministres ont encore reçu, de par leur sacerdoce, une dignité plus grande. Leur office spécial à eux, c’est de se nourrir des âmes, pour l’honneur de moi. Certes, à tous et à chacun il a été donné, il a été commandé de demeurer dans l’amour du prochain. Mais à eux seuls, à mes ministres, a été confiée la charge de gouverner les âmes et de leur assurer le service du Sang. S’ils s’acquittent de ce devoir avec zèle, par amour de la vertu, comme je t’ai dit, ils recevront plus que les autres.

Ô combien heureuse l’âme de ces prêtres, quand elle arrive à cette extrémité de la mort ! Toute leur vie, ils sont demeurés les apôtres et les défenseurs de la Foi, pour leur prochain. La Foi a ainsi pénétré leur âme jusqu’aux moelles ; et cette Foi leur découvre la place qu’ils obtiendront en moi. L’espérance qui soutenait leur vie n avait d’appui que dans ma Providence. Ce n’est pas en eux-mêmes qu’ils avaient mis leur confiance, ils ne se reposaient pas sur leur propre savoir. Comme ils s’étaient dépouillés de toute espérance en eux-mêmes, ils n’avaient point pour quelque créature d’attachement déréglé. Rien de créé ne prenait leur amour. Ils vivaient pauvres, et volontairement : ainsi détachés de tout le reste, ils dilataient à l’aise l’unique espoir qu’ils plaçaient en moi.

Leur cœur était un vase d’amour rempli de la plus ardente charité, qui portait mon nom et l’annonçait au prochain, par les exemples d’une bonne et sainte vie, non moins que par les enseignements de la parole. Ce cœur s’élève donc vers moi, à cette heure, avec un amour ineffable ; il m’étreint de toutes ses forces, Moi qui suis sa fin, en me présentant la perle de la justice que toujours il porta devant soi, faisant droit à tous, et rendant à chacun fidèlement ce qui lui était dû. Aussi, me rend-il à moi-même, par son humilité, la justice à laquelle j’ai droit. Il rend honneur et gloire à mon nom, en proclamant que c’est par mn grâce, qu’il lui a été donné de passer le temps de sa vie, avec une conscience pure et sainte ; et il a pour lui-même la justice qu’il mérite en se confessant indigne d’avoir reçu et de recevoir une si grande grâce. Sa conscience me rend bon témoignage, et moi, je lui rends, suivant son mérite, la couronne de justice, ornée de perles précieuses, qui sont les bonnes œuvres que la charité a fait produire à ses vertus.

O Ange de la terre, bienheureux es-tu, de n’avoir pas été ingrat pour les bienfaits que tu as reçus de moi, de ne les avoir ni négligés ni méconnus !

Eclairée de la vraie lumière, ta sollicitude a toujours en l’œil ouvert, sur ceux qui t’étaient confiés. Pasteur fidèle, au cœur viril, tu as suivi la doctrine du vrai et bon Pasteur, le doux Christ Jésus, mon Fils unique. Aussi, est-ce par lui, en vérité, que tu es arrivé à Moi, baigné et noyé dans son sang, avec le troupeau de tes brebis, dont tu as déjà conduit un grand nombre à la vie éternelle, par la sainte doctrine et par tes exemples, et dont tu laisses beaucoup d’autres encore, en état de grâce.

O fille très chère, comment ceux-là pourraient-ils être troublés par la vue du démon, qui me voient déjà par la Foi et qui me possèdent par l’amour. En eux, point de corruption, point de péché : les ténèbres, les terreurs du dernier passage, ne leur causent donc aucune épouvante, aucun effroi. Ils n’ont point de crainte servile tout est saint dans leur crainte. Ils n’ont pas peur des illusions du démon, dont la lumière surnaturelle et la révélation des saintes Ecritures leur ont fait connaître les pièges ; aussi leur âme n’en est-elle ni obscurcie ni troublée. C’est ainsi qu’ils passent, glorieusement, baignés dans le Sang, dans un ardent désir du salut des âmes, tout embrasés de l’amour du prochain. Ils passent par la porte du Verbe, ils entrent en Moi, et ma Bonté assigne à chacun sa place et son rang, selon le degré de la charité qu’ils ont eue pour moi.