Le Diable dans un bénitier (Pelleport)

Anonyme ()
Imprimerie royale (p. 4-159).


LE DIABLE
DANS UN BÉNITIER,
ET la Métamorphose du GAZETIER CUIRASSE en mouche, ou tentative du Sieur Receveur, Inspecteur de la Police de Paris, Chevalier de St. Louis pour établir à Londres une Police à l'instar de celle de Paris.


Dédié à Monseigneur le Marquis de Castries, Ministre et Secrétaire d'État au Département de la Marine, etc. etc. etc.


Revu, corrigé et augmenté par Mr. l’Abbé
Aubert, Censeur – Royal.



Par Pierre le Roux, Ingénieur des Grands Chemins.


A PARIS
De l’Imprimerie Royale.


Avec Approbation et Privilège du Roi


LE DIABLE
DANS UN BÉNITIER, &c.


ou Tentative du Sieur Receveur, Inspecteur de la Police de Paris, chevalier de St Louis ; pour établir à Londres une Police à l’Instar de celle de Paris, &c. &c.


LE despotisme que le plus léger obstacle irrite & désespere, ne peut soutenir l’idée de l’existence de la liberté. Le plus cruel de tous les supplices est pour lui le spectacle du bonheur de ceux qu’une fuite rapide a dérobés à la violence de ses coups, & qui jouissent en paix dans son voisinage des douceurs d’un Gouvernement aux yeux duquel les droits de l’humanité sont comptés pour quelque chose. Il frémit de rage en contemplant ses victimes à l’abri de ses traits ; il rode sans cesse autour d’elles et ne se brise les dents contre les pierres de la forteresse, du haut de laquelle ils le regardent avec mépris mêlé de pitié. Les droits sacrés de la nature, ceux des nations ne sont à ses yeux que des conventions ridicules : il emploie pour les détruire, la force, la ruse, l’argent et la calomnie ; le poison et l’assassinat ne sont pas des ressources qu’il dédaigne et s’il ne peut réussir dans ses desseins sinistres, au moins jouit-il de l’inquiétude qu’il cherche à semer dans le cœur des fugitifs.

Il n’est point de spectacle plus digne d’attirer les regards d’un observateur, que celui de la rage impuissante avec laquelle les ministres français poursuivent en Angleterre ceux que leur mauvaise administration a contraint de s’y retirer. C’est une des maximes établies par Louis XIV, de qui l’orgueil a si fortement révolté l’Europe, que tous les Français retirés en pays étrangers sont les sujets jusqu’à la troisième génération. Il cherchait à les flétrir en les nommant réfugiés et il avait réussi à en peupler l’Europe entière ; sans doute, que par une suite de ses principes il espérait rendre un jour ses successeurs les Rois de toute la terre. Nous oserions presque dire que le quart des habitants de la Hollande et de l’Angleterre est de race Française, et tout au plus aujourd’hui à la troisième génération ; que de sujets le Roi de France a, suivant son système, dans les États voisins, que de gens à pendre, si on les prenait et qu’on suivit la loi de Louis XIV[1] ! Elle ne ressemble pas mal à la punition réservée au péché originel ; mais avec cette différence qu’il n’y a point de baptême qui puisse régénérer un réfugié.

Quel est l’État en Europe, si on exempte l’Angleterre, qui ait le courage de refuser à la France un sujet qui l’a offensé ? Le magistrat du Brabant a donné à cet égard plus d'une preuve de sa lâcheté. Les petites républiques de la Suisse, osent, tout au plus, faire échapper le proscrit. Les Hollandais gémissent sous une aristocratie que la France gouverne. Genève a disparu de dessus la surface du globe. Les grands États se rendent leurs sujets à charge de revenge, il ne reste donc que l’Angleterre qui ne puisse être corrompue par l’argent de la France, ni effrayée de ses menaces.

A Constantinople l'influence de la France est telle qu'un sujet du Roi, sous la protection du Grand-Seigneur, n'a d'autre ressource pour se mettre à l'abri de l'avidité et de la tyrannie de l'ambassadeur que celle de se ranger sous la bannière britannique. Le Turc est moins à redouter pour lui que l'Ambassadeur de son maître !

Il est souvent arrivé qu’un François marié dans le pays, a été embarqué de force à la requête de son Ambassadeur, et transporté dans l’a patrie chargé de fers. Il est vrai qu’on a rendu au Grand-Seigneur un Turc qui s’était réfugié en France. La plupart des Puissances de l’Europe sont comme les médecins de Molière. — Passez-moi l’émétique et je vous passe la saignée ! Ce n’est pas que la France n’ait fait à plusieurs reprises tous les efforts qu’a pu lui suggérer son imagination fertile en ressources ; mais c’est que la politique droite, et la fermeté de l’Angleterre ontt été constamment au-dessus des tentatives de sa cauteleuse ennemie.

Ô vous infortunés, que des tyrans sous le nom de Ministre ont forcés de fuir une patrie qui vous est toujours chère ! Sachez au moins, pour votre consolation, que la rage étouffe à Versailles les auteurs de vos maux, quand ils songent à la liberté dont vous jouissez en Angleterre, à la comparaison que vous faites de l’homme possédant les droits de l’homme, à l’esclave qu’ils enchaînent à la glèbe ou qu’ils dédaignent de leur anti-chambre ; tels que des tigres enfermés dans une cage dont les barreaux les empêchent de se jeter sur les passants, ils écument toutes les fois qu’ils pensent à vous et au mépris avec lequel vous contemplez leurs vains efforts. Vous les regardez du sommet de cette île heureuse, du même œil que Dieu lui-même observait les hommes occupés de la folle entreprise de la Tour de Babel. Et les lois sont pour eux une barrière insurmontable dès qu’ils ont passé la mer.

Le comte de V——s qui dirigent aujourd’hui le Cabinet de Versailles tout dissimulé, tout habitué aux petits moyens et à la ruse, tout façonné qu’il est à se masquer aux yeux des Français, du Roi, et de Dieu-même, qu’il joue par un cagotisme affecté, n’a pu nous ôter le plaisir de rire un instant de sa rage impuissante.

Le Comte de M——, subalterne, sans talents, sans esprit, sans génie et sans connaissances, a laissé trop bien apercevoir son dépit et celui de la Cour pour que nous n’en ayons pas joui ; les accès de folie de son associé Receveur[2], la lourde agitation du Gazetier Cuirassé[3], formaient un spectacle qui pourra divertir un instant ceux qui se plaisent aux scènes de la foire. Mais comme nos lecteurs auraient, sans doute, peine à imaginer l’origine d’un triumvirat, formé entre le Plénipotentiaire d’un Roi, un satellite du lieutenant de Police, et un échappé de Bicêtre, nous lui découvrirons d’abord l’amalgame qui a pu réunir ces êtres incompatibles en apparence. Le centre de cette opération fut l’illustre marquis de Castries. Cet habile guerrier qui a voulu joindre aux lauriers dont il s’est couvert à Minden, la gloire et le profit qu’on peut tirer du trident de Neptune.

Il a, comme on sait, succédé à M. de S_ [Antoine de Sartine] qui, malgré la vente de ses chevaux et les deux cents milles livres de rente de plus qu’elle a ajouté à sa retraite, n’en a pas moins prêté, peu de temps après, par le ministère de son fidèle Pacot [Pacaud], un million au comte d’A_ [Artois]. Il en avait fait offrir autant à M. le Duc de C_ : à la vérité celui-ci l’a refusé, parce que l’ex-Ministre ne voulait s’en dessaisir que pour deux ans ; c’est quoiqu’il ait pu nous en dire, une fort bonne place que celle de Ministre de la marine, on ne perd rien en l’occupant.

Il est vrai qu’il a fallu des avances pour changer en espions et en délateurs quelques Officiers du corps de la marine, pour mettre les Bureaux sur le pied de la police, pour entretenir des espions en Angleterre, mais tout cela n’est rien. Que dis-je, rien ! C’est une mine inépuisable pour celui qui l’ l’exploite, c’est une source de dépenses dont on ne rend aucun compte, & de trésors que l’on envoie aisément en Espagne[4].


§. I.


Mission de d’Anouilh ; premiers exploits de Receveur en Angleterre ; Noviciat du Gazetier Cuirassé.


J’en demande pardon à M. l’abbé Aubert, conservateur des privileges de la Gazette de France ; immortel auteur des petites Affiches, Censeur-Royal de la Librairie, Professeur au College Royal, peut-être même Docteur de Sorbonne ; mais loin que la Police de Paris me semble, comme à lui, le chef-d’œuvre de l’esprit humain, je ne puis m’empêcher de la regarder comme une pepiniere d’espions, de délateurs, & de bourreaux. Ce corps abominable doit faire trembler tout homme qui réfléchit tant soit peu. Les Rois eux-mêmes ne sont pas au-dessus de ses coups. Semblable au vieux de la Montagne, le Lieutenant de Police a sous sa banniere, des assassins de toutes les classes, il sait qui choisir pour faire périr telle ou telle victime au moyen d’un poison lent[5] : il connoît le lâche qui peut assassiner par derriere un homme libre, ou étrangler en prison celui dont il faut étouffer la voix : il nourrit ces monstres odieux du produit des crimes, il a, comme autrefois, à Rome une taxe pour tous les forfaits. Le tapis vert du joueur[6], le grabat de la raccrocheuse, l’année littéraire des Frérons qui déchirent à Paris tous ceux qui pensent & écrivent avec liberté, en un mot, tous les foyers pestilentiels qu’il tolere au centre de la Capitale lui paient un tribu. Inutile si l’on faisoit naître des mœurs, le Lieutenant de police a soin de corrompre aujourd’hui la générosité naissante pour s’attacher un jour, lui & les corbeaux qu’il nourrit de carnage, sur les cadavres dans lesquels il fait d’avance germer tous les genres de putréfaction qui doivent les infecter par la suite. Il préleve un impôt sur les crimes d’aujourd’hui ; il est le complice des forfaits qui se commettront un jour ; c’est parmi les voleurs qu’il choisit ceux qui l’emploie, & si la race du bourreau venoit à s’éteindre, il le remplaceroit bien vîte par quelqu’un des cordons bleus de sa bande[7].

Aussi Mr. de S— jeta-t-il les yeux sur cette pépinière, quand parvenu au Ministere de la Marine il eut besoin d’espions en Angleterre ; il y fit passer ce malheureux de la Mothe que nous avons vu pendre, & à qui il donnoit, dit-on, 2000 écus par mois. On sait que cet infortuné étoit avant dans les emplois subalternes de la Police : il a payé bien cher l’avancement qu’il a obtenu : mais comment un vil Mouchard résisteroit-il aux sollicitations d’un homme qui lui promet les trésors du Pérou & les délices de l’Enfer ? Quand un Ministre a besoin en temps de guerre d'un homme familiarisé avec l'idée de la corde, il s'adresse au Lieutenant de Police on ouvre les registres on choisit le plus digne, le Sanhedrein s'assemble, on introduit le récipiendaire ; l'orateur lui sait un discours selon son âme il offre à ses yeux le tableau du sang qui va couler, des larmes qui vont être versées par son adresse, & ses fourberies, il n'oublie pas l'argent, l'argent, l'âme de la machine. Le coquin jouit d'avance de cette infernale peinture, il baise à genoux l'ergot de son Seigneur, reçoit l'accolade & vole affronter les hasards. Mr. de Sartine connaissait trop bien le corps auquel il a donné l'être pour choisir des sujets infidèles. Il n'en fut pas de même de son successeur bien moins habitué que lui avec la gent espionne. Aussi l' un des premiers sur qui il jeta les yeux lui joua-t-il un tour dont il faillit être la dupe. On nous assure qu'il en a l'obligation à son prédécesseur cet ex-Ministre tremblant de voir un autre recueillir le fruit de ses projets eut soin de les tous faire avorter. Il se lia plus étroitement que jamais avec la maison d'Orléans et après avoir sait manquer l'expédition des Espagnols fait perdre des convois sauvé l'Amiral Hardy sait retirer d'Orvilliers et Duchaffaur employé de Grasse. Il avait dit-on encore le soin d'informer l'Angleterre de tout ce qui se projetait en France. Outré d'être sans cesse pénétré C_s voulut construire une contremine & établir à Londres un Bureau d'inspection qui veillât sans cesse sur ceux qu'il envoyait en Angleterre. La chose était assez difficile. L'exemple de la Mothe en imposait aux plus hardis. Dans cette anxiété, il imagina de faire un sacrifice & de tirer d'un Anglais le nom des gens qui vendaient les secrets de la France. II s'adresse pour cet effet à Le Noir [Jean-Charles-Pierre Lenoir] et au chaste et savant Amelot. Ces aigles ne planèrent pas long temps sur l'Horizon sans découvrir l'homme qu'ils cherchaient leur vue perçante s'arrêta sur d'Anouilh ils le portèrent sur leurs ailes vers le trône du Dieu de la mer et vinrent ensuite modestement se reposer sur une perche dans la basse cour d Arlequin Jupiter Voilà donc d'Anouilh d'espion des poissardes et des filous devenu commis du bureau de la marine au département de l espionnage. Les Avards, les Barthélemy manquaient de courage sans quoi l'on n'aurait pas cherché ailleurs. La besogne était délicate et d'Anouilh qui prétendait être en grande liaison avec Mr Scher_n [Sheridan] se flattait d'en tirer le secret tant désiré. Mais il fallait de l'argent. C_s fit un effort généreux et lui confia 5.000 louis partie en billets de banque partie en argent et partie en billets de la caisse d'escompte. Quelle joie ! Quelle somme ! quel trésor ! Fier de sa nouvelle charge et bien amoureux de sa proie, il part aussitôt avec elle pour son nouveau département? Arrivé à Londres déguisé en marchand de parapluie, court les cafés, voit des filles, fait des paris pour la prise de Gibraltar, enfin mange en un mois 12.000 livres des fonds destinés à la Marine. Quoique très au fait de ce qui s'est passé entre le sage agent et celui qui l'employait, comme il pourrait nous être échappé quelque chose - notre projet étant de faire passer un exemplaire de cet ouvrage aussitôt sa publication à chacun des héros qui y jouent un rôle - nous espérons que Mr. le Marquis de C_s (Castries) nous sera au plutôt parvenir les détails propres à satisfaire la curiosité de nos lecteurs. Qu'il nous adresse seulement l'histoire de ses sottises des traits d incapacité bêtises âneries de commis de son département et depuis qu’il est dans le ministère, & notre fortune est faite ; nous aurons de quoi composer plus de volumes, & de plus gros que ne sont les ouvrages des bénédictins de la congrégation de Saint-Maur. Quoi qu'il en soit des motifs qui purent décider d'Anouilh à repasser la mer, il est certain qu'il ne tarda pas à faire cette sottise. Mais il l'est aussi qu'il n'emporta d'Angleterre ni tout son argent, ni la volonté d'en rendre les restes. Il aborda le marquis avec un petit conte dont il avait mesuré les probabilités sur l'intelligence du Ministre plutôt que sur sa crédulité ce Mr. d'Anouilh croyais sans doute à la vertu des gens en place le pauvre homme ne savait pas qu'en France un Ministre croit tout hors la vérité et fait tout excepté le bien. Jugez comme il ajoute foi au mensonge quand il choque les intérêts de sa vanité ou de son avarice mais un espion n en sait pas tant On avait disait il trouvé la somme bien au dessous de l'appétit d'un Membre du Parlement d Angleterre. Semblable au Héron de la fable Sh_ avait dit : « J'ouvrirais pour si peu le bec ». Toutefois comme ce qui est bon à prendre est bon à garder, on avait député une société de connétables qui l'ayant traité en gens de la police, s'étaient emparés de son argent de peur qu'il ne réussit à corrompre enfin quelqu'un de ces sénateurs qui vendent leurs voix à l'enchère. En un mot C_s [Castries] et son plénipotentiaire étant coupables de briberie, guilty of bribery. Ils surent jugés par les connétables leurs pairs, condamnés solidairement et exécutés aussitôt d’une voix unanime par ce juré qu’il n avait pas été besoin disait il d’envoyer en chambre pour l’engager à dépouiller un malheureux bribeur. Pardonnez moi ce terme cher lecteur ! il est vieux mais depuis que la Cour de France bribe dans le vaste corps germanique, dans le gros corps helvétique, au sein du pesant corps batavique, sur les glaces de la mer Baltique, elle a fait ôter du Dictionnaire de l’Académie ce mot si propre à peindre l’une de ses opérations favorites. Vous savez, sans doute, qu’il lui en coûte plus en bribes ou briberies qu’elle ne devrait dépenser pour se rendre l’État de l’Europe le plus commerçant et le plus redoutable. Mais le Ministère n’est qu’une grande police. S_ et l’espionnage, M. le N_[Lenoir] et délation, Receveur et la roue, A_ et lettres de cachets. Tels sont les mots de l’ ordre que l'on donne aujourd’hui dans tout ce qui s'appelle bureau. Le sieur d'Anouilh arrive donc à Paris, son petit roman tout prêt. Il a aussitôt audience. Un espion attend moins le temps, dans l'antichambre d'un Ministre, que ne le ferait un Général d'armée. Il est si bien accueilli par ses pareils; il en trouve à chaque bureau, à chaque pas, depuis le maître jusqu'au Suisse. Vive, vive Versailles ! pour les espions, mais c’est quand ils révèlent les pensées de leurs meilleurs amis, trahissent leurs secrets, violent l’asile que leur donne les nations étrangères, font rouer leur père, écarteler leur frère ; car on a soin de leur dire : « Calceo perge patrem ». C’est la formule d’initiation de la police. Ce pauvre d'Anouilh était encore trop honnête homme, c'était un faux frère. Cependant, le Neptune gendarme l’accueille agréablement, fait semblant de croire son histoire, lui promet des récompenses : « Allez, lui dit-il, mon cher d'Anouilh, distinguez-vous dans votre état !Prenez le cœur de Morande et l'esprit de Receveur, la sensibilité de M. le N_ et la droiture de V_s, et je me charge de votre fortune. Allez, mon ami, marquez du zèle, tout est ouvert à votre état. Les Croix de St. Louis, les millions, vont combler vos désirs. Le plus dur est passé, la saison des gourmandes, des coups de pied au cul, des soufflets et autres pareilles gentillesses est déjà loin de vous. Rien n'est au-dessus d'un bon espion. S_ n'a-t-il pas occupé avec gloire la place que je remplis aujourd'hui, qui fait si d'Anouilh ne me succédera pas un jour ? » C'est ainsi que jadis Polyphème cherchait à persuader à Ulysse de se rapprocher son île. Les caresses des Ministres ressemblent aux invitations des Cyclopes. Ils ne vous flattent que pour vous dévorer. Sans connaissances dans leur partie, il faut bien qu’ils profitent des talents des subalternes : ils tirent d’eux, jusqu’à la dernière goutte de sang, puis les laissent vieillir dans la misère et infamie. Ô ! vous qui vous voyez tout d'un coup accueillir par ce sirènes, souvenez-vous qu'à la Cour : « Une traitresse voix bien souvent nous appelle, Ce n'était pas un sot, non, non, & croyez m'en, Que le chien de Jean de Nivelle. » A peine l'infortuné d'Anouilh eut-il quitté M. de Castries, que ce Ministre manda l'illustre Receveur. Receveur, le précurseur du bourreau et le plus redouté de tous les coquins employés par la police! Ce cruel Tristan qui joue le premier rôle dans l'histoire que nous avons à raconter, sourit en entrant chez le Ministre, de la seule idée qu'il allait faire du mal à quelqu'être sensible. Le Marquis lui conta en rougissant de colère le tour qui voulait lui jouer d'Anouilh. Ô ! Monsieur, s’écria l’alguazil, ce coquin là nous prend pour de grandes bêtes ! Je lui chaufferai les mollets de si près, que nous saurons bien ce qu’il a fait de l’argent (note - I Nous avons tâché de conserver les propres paroles de nos héros autant qu'il nous a été possible de le faire. Comme ils ont eux-mêmes raconté tout ce qu'on lit ici, la chose n'a pas été difficile.). On expédie aussitôt un ordre et dès que le soleil eut cessé d'éclairer Paris, quand il jugea que tout était en paix dans la ville, hors le fripons et les mouchards, le Receveur s'avance suivi de six ou sept autres coquins, enfonce la porte d'Anouilh dormant, s'empare de sa personne, fouille dans toutes les fentes de son taudis et malgré ses protestations d'innocence, le conduit dans les sombres cachots où de Launay[8] tourmente les infortunés qui lui libre l'âme vindicative des Ministres. C’est ordinairement dans le silence de la nuit que les cruels suppôts du despotisme , les lâches Vaugiens, les sanguinaires Receveur exécutent ces ordres affreux & illégitimes que donnent les monstres qui font du nom du Roi un trafic honteux et illicite. De jour les citoyens prendraient l’alarme, le grand nombre de victimes innocentes les ferait trembler, peut-être que la vue de tant de crimes d’État rappellerait aux Français ce temps où leurs pères élevant leur chef sur un bouclier, lui recommandaient d’être juste. Peut-être le fainéant payerait-il au fonds de son château de Versailles pour les la V_e & les A. Quand donc la capitale est couverte de ténèbres et que les honnêtes gens se livrent au repos, il est ordinaire de rencontrer de ces bandes d'estafiers que la police autorise. Un homme de robe, Magistrat délégué par nos Magistrats, les accompagne, le lâche vient violer les lois au nom de la loi. Un serrurier les suit muni d'instruments qui paraissent réservés pour les voleurs, ils entourent une porte, frappent, d'abord à petits coups, la font ouvrir en prononçant le nom du Roi, ou l'enfoncent si l'on résiste. Aussitôt ils pénètrent en foule d'appartements en appartements, commencent par curiosité et par malice par ceux où ils savent bien que leur proie peut être. Ils violent ainsi le secret des famille et la sûreté des citoyens, frappent, écartent et sans égard pour la pudeur des femmes, souillent jusque dans leur lit. Leur recherche est assaisonnée de plaisanteries qui font rire toute la canaille[9]. Souvent on a vu une jeune femme alarmée pour son époux couché à ses côtés, accoucher avant terme et périr avec son enfant par une suite de la frayeur que lui avait causé une recherche inutile et mal conduite.

C’est par des pareils exploits que Receveur a gagné cette croix de Saint-Louis qu’il n’a pas osé porter à Londres. Par un autre abus qui fait frémir, le subalterne est lui-même le premier juge, il fait subir le premier interrogatoire au soit disant coupable et ce n’est qu’après avoir été prévenu par son inférieur que le Lieutenant de Police voit enfin celui qu’il a plongé dans les cachots.

D’Anouilh soutint avec assez de fermeté tous ces premiers interrogatoires. Receveur emploie les menaces et les promesses pour lui tirer, comme il dit dans son langage bizarre, la carotte. Mais n’ayant pas réussi à rien, le Ministre résolut d’envoyer à Londres cet émissaire pour tirer, non des preuves du crime de l’espion, mais le lieu où il avait mis l’argent. Qu’importe qu’un malheureux soit innocent ou coupable ? Les Castries et leurs pareils se moquent bien de la vie et de la liberté des François, mais ce qu'il cherchait dans l'affaire, c'était à ravoir les 5000 louis. Le moderne Tristan se rend donc aussitôt à Calais, accompagné d’un acolyte nommé Barbier ( I ), qu’il appelait son Secrétaire. Hé ! sans doute le Gazetier Cuirassé a aussi un Secrétaire mais qui sans culottes comme celui de Receveur, n’a de secrets à garder que la turpitude de son maître et ses indignes manœuvres. Ceci se passait vers Noël dans un instant où la paix n’était pas encore signée, quelque homme trop officieux fit remarquer à Receveur que son voyage pourrait le conduire à Tyburn et qu’il n’était pas trop prudent à lui de passer l’eau, ces réflexions parurent solides au brave Chevalier et en conséquence il se contenta d’envoyer à Londres son substitut. Il était question de l’adresser à quelqu’un et on ne savait pas trop à qui. Beaumarchais membre né de tous les Conseils honteux, est à la tête de la police, il donna des recommandations pour le Gazetier Cuirassé. Cet homme né de citoyens de la dernière classe dans la fange d’Arnay-le-Duc en Bourgogne ( I ), d’abord dragon dans le régiment de Beaufremont, était parvenu à se faufiler à Paris parmi quelques jeunes gens qui dépensent leur fortune et la partagent involontairement avec des escrocs plus fins qu’eux ; il avait alors, dit-on, une assez jolie figure, quantùm mutatus ab illo. Imaginez, lecteurs, une face large et plate, dont tous les traits sont formés avec une graisse livide et flottante, des yeux couverts et hagards, exprimant la frayeur et la perfidie. Un nez aplati, des naseaux larges & ouverts, qui semblent respirer la luxure la plus effrontée.

Tauri anhœlantis in venerem

Une bouche de chaque côté de laquelle découle continuellement une sanie liquide, fidèle emblème du venin qu’elle ne cesse de répandre. En un mot, la figure d’un tigre foulé, mais non rassasié de carnage, à qui l’on aurait fait la barbe. Tel est le portrait fidèle du Gazetier Cuirassé. Arrivé à Londres sans souliers, il y gagna d’abord quelques guinées par des liaisons secrètes avec des richards usés qui ont renoncés aux femmes. Après avoir acquis des preuves de leurs goûts, & servi à leurs plaisirs infâmes, il les faisait contribuer en les menaçant d’une diffamation publique. Échappé de Bicêtre déguisé en marmiton, il était au fait de la vie et des ressources des canailles qui habitent ce cloaque. On sait qu’il écrivit sans esprit et sans ordre le Gazetier Cuirassé, ouvrage dont une dame de Courcelles avec laquelle il est encore en correspondance, lui fournit les anecdotes. Cette rapsodie était si dégoûtante qu’elle ne rapporta presque rien à son auteur. Mais la fameuse Comtesse du Barry ayant, par un de ces jeux de la fortune qui ne sont pas rares en France, partagé la couche de l’imbécile de Louis XV, le Gazetier recueillit quelques anecdotes dont il composa un volume qu’il vendit plus d’argent que Rousseau n’en a jamais retiré de tous ses ouvrages. Assurément celui du Gazetier quoique fait dans une circonstance pareille, ne valait pas cette chanson dont je me rappelle les derniers vers et qui fut faite sur Louis XIV, quand il eut épousé la Marquise de Maintenon. En voici la fin :

« Il est si pauvre en son vieil âge « Qu’on craint que la veuve Scarron « N’ait fait un mauvais mariage,

Bonne ou mauvaise, vraie ou fausse, la favorite paya l’histoire de la vie 32000 livres tournois et une pension de 4800 livres dont la moitié est réversible sur la tête de la femme de l’écrivain mercenaire, qui passa tout-à-coup de la misère la plus horrible à une richesse inattendue. Ce fut précisément à la veille de la mort du feu Roi que Beaumarchais vint à Londres conclure ce marché. On avait commencé par envoyer des exempts de police, pour effrayer de l’enlever par la force. Il se douta de leur dessein ; pour le prévenir il grisa son valet et lui fit faire sous serment une fausse déclaration entre les mains d’un Juge de paix. Les exempts n’eurent que le temps de repasser l’eau bien vite. La négociation avec Beaumarchais était à peine finie que Louis XV vint à mourir. Les fonds qu’avait produit le libelle étaient bien loin de suffire à l’imprudent Gazetier et l’argent de la catin titrée ne fit que passer de sa poche dans celles d’une légion d’autres malheureuses, par le canal du crapuleux débauché. Les suppléments qu’y ajouta Beaumarchais[10] venu à Londres dans le dessein de profiter des troubles d’Amérique, furent encore insuffisants. L’éloquent Barbier put engager son confère à aller effrayer en Amérique la trempe de la cuirasse. Beaumarchais accepta de sa main, pour Secrétaire, son frère, Francis, qui au moyen d’une correspondance bien réglée informait le gros Gazetier de ce qui partait

d’Amérique et recevait des avis de ce qu’expédiait la France. Malheur aux convois sur lesquels le trio n’avait pas un intérêt raisonnable. L’une des Puissances belligérantes le prenait immanquablement, après avoir payé une prime à l’aviseur. Ces Messieurs avoient adopté la devise :

Tros Tyriusne mihi nullo discrimine habetur

Ils vendaient l’Angleterre à l'Amérique, l'Amérique à l’Angleterre, celle-ci à la France, et la France à toutes. Leur conduite était marquée au coin de l’impartialité la plus exacte, ils ne faisaient aucune différence entre les trois Nations belligérantes. On croirait que tant de sources diverses d'où découlaient journellement des trésors, auraient pu enrichir le fils d’un procureur d’Arnay-le-Duc. Point du tout : cet homme, véritable tonneau des Danaïdes n’a jamais cessé d’éprouver le besoin. Son goût pour le jeu et pour la débauche l’a tenu constamment dans un malaise qui l’a enfin réuni à cette police qui finit toujours par flatter et chercher à corrompre ceux qu’elle ne peut réussir à immoler à ses vengeances. Le pauvre La Mothe que nous avons vu pendre à Londres a été l’une des victimes de leurs affreux traités, et l’on croit que c’est du prix de son sang qu’il a formé le fameux jardin de Standmore, que nous avons vu et qui contenait alors une quantité immense de fleurs, de toute beauté. Enfin il paraît qu’aujourd’hui il tient à la Police de Paris par les liaisons les plus intimes, qu’il est ici son directeur principal, l’introducteur des Ambassadeurs qu’elle envoie, en un mot un vrai M. le N_ à Londres. Le Public ne cesse de s’étonner des nombreuses sottises de nos amiraux et de celles des officiers de la Marine. C’est bien moins à eux qu’il doit s’en prendre qu’aux ministres qui conduisent ou qui ont conduit le Cabinet de Versailles. Qui ne connaît la joie de S_ à la prise des vaisseaux du comte de G_, à celle du convoi M. de G_n ? Le premier porté à la tête de notre Marine par un nommé Thiery, valet de chambre du Roi, contre le vœu de tous ceux qui connaissaient son imbécillité, a compromis non seulement la fortune de sa flotte, mais encore la réputation des plus braves & des meilleurs Officiers de la Marine du Roi. Quand à la prise du convoi de M. de G_n elle a été accompagnée de circonstances si étonnantes, que bien des gens l'ont attribuée à la vengeance de S_, qui a placé prés du marquis De C_c [Castries], un nommé Parmentier qui l'informe de tous les projets et lui fournit les moyens de les faire avorter. C’est ainsi que les hommes, vils troupeaux, sont sans cesse le jouet des passions de ceux qui les gouvernent. Le blâme et la honte rejaillirent sur ceux qui doivent exécuter des ordres ridicules et absurdes. C’est surtout dans la Marine que ces vérités se font sentir plus clairement. Presque toutes les fautes qu’on reproche à ce corps respectable sont la suite de la bêtise, de l’insolence, de la friponnerie, des commis et des ministres. Et ces malheureux ne permettent pas à de braves gens de dire le mot qui pourrait découvrir leur turpitude. Voilà ce que les Peuples & les Princes gagnent à ce mystère, à cet espionnage que leurs Ministres leur représentant comme l’âme de toutes les opérations. Voilà ce qu’ils gagnent à passer des sommes immenses pour le service secret, & à payer chez l’ennemi, des la Mothe et des Gazetier cuirassé. Ce fut à ce dernier que s’adressa à son arrivé ce Barbier que l’on avait envoyé pour se procurer des renseignements sur la conduite de d’Anouilh et sur le sort de l’argent. Cet homme qui ne savait pas un mot d’anglais n’aurait pu réussir à rien sans le secours de M. le Résident. Ils brûlaient tous les deux d’un désir égal de faire trouver d’Anouilh coupable. Les canailles dont se sert la police mettent tout en usage pour se détruire réciproquement. Dès qu’il s’agit de faire la cour au chef rien ne leur est impossible. Ils ne réfléchissent pas que demain peut-être ce sera leur tour et qu’en perdant leurs camarades, ils ouvrent une porte, frayent un chemin aux petites mouches qui les suivent dans la hiérarchie de la pousse. Fripons et lâches en prenant ce métier, ils deviennent sous peu si coquins, qu’ils ne peuvent l’exercer longtemps. Tout au plus jusqu’à ce qu’imbus des principes de leurs chefs mais les mettant en pratique sans pudeur, ils finissent par être pendus ou envoyés aux galères par les soins et le ministere de quelqu’un de leurs camarades et par nous délivrer des effets, de leur infernale malice. C’est ainsi que nos moissons seraient détruites en peu de jours par les rats si ces animaux, immondes, ne se faisaient entre eux une guerre cruelle et ne diminuaient leur nombre immense en se dévorant les uns les autres. Barbier tenait ici son tribunal avec la même gravité que le Lieutenant de Police donne à Paris celle du premier Vendredi du mois[11]. Il avait placé son siège de Justice dans un de ces petits cabarets borgnes de Saint Martin’s Lane. Le Gazetier-cuirassé allait et venait, citant et amenant les témoins. Barbier recevait les dépositions et les écrivait sur un de ces brouillards dont la Police tire son grand livre. Entre autres témoins qu’il entendit nous citerons O_r [Olivier], petit maître d’Armes qui joue assez bien quand il rencontre des dupes qui avait souvent fait la partie de d’Anouilh et ramassé quelques-unes des guinées du département de la Marine. Il donna des renseignements sur les liaisons d’Anouilh avec M. Sh_n [Shelburn] : mais il prétendit avec raison que celui-ci n’avait pas fait voler celui-là qu’à la vérité il avait été question d’argent et d’offres mais pas assez considérables pour ébranler un homme de cette conséquence. « Ce que nous trouvons de plus intéressant à cet égards sur les livres de la Police, nous écrit un correspondant, c'est l'histoire de Sh_n. Ce membre du Ministère de votre île est fils d’un comédien. On l’a vu dans son enfance réciter sur le petit théâtre de Hay-Market des vers de Milton. Après avoir joué la comédie sur divers théâtres, il s’amouracha de Miss _ dont il disputa le cœur et la main à Mr._ . Il en résulta un duel dans lequel Sh_n fut le vainqueur et qui le mit en possession de l’objet de ses désirs. On prétend qu’il ne laissa pas de partager sa conquête avec quelques amis, qui le dédommagèrent par leur protection et l’aidèrent de leur bourse. Il lia une connaissance étroite avec le fameux Charles F_x [Charles James Fox] et vint à Londres où il trouva des fonds à l’aide desquels il fit l’entreprise de l’opéra. Enfin dans ce pays où rien ne dégrade un homme qui a de l’argent ; son ami Charles se l’adjoignit et lui acheta les voix d’un petit bourg qui des théâtres du marché au foin le portèrent sur celui des affaires. Ce passage de la foire à la chambre des Communes ne révolte ici personne. On estime guère le sujet mais il n’en a pas moins une voix à vendre et le ministère l’achète. Je ne sais trop jusqu’à quel point un citoyen qui vend aussi la nation à son Roi, résisterait aux offres immenses d’un prince étranger. Mais je ne puis m’empêcher d’admirer la sagacité des Ministères français. Ils avaient choisi l’un des membres qu’il était le plus probable qu’on réussirait à corrompre. Olivier déclara avoir reconduit lui-même d’Anouilh à la diligence de Douvre et certifia que l’histoire de ce malheureux était un conte inventé pour garder l’argent du ministre. C'est en conséquence de cette déposition et d'une foule d'autres également recueillies dans la fange des cabarets, sous les auspices d'un homme également odieux aux deux nations que la Police administra à d'Anouilh la question ordinaire et extraordinaire. Ils lui promirent sa liberté et l'obligèrent à découvrir l'endroit où il avait caché son magot. Enfin pour sortir de la Bastille il fallut rendre gorge. Il tira donc de la ceinture de sa culotte, au grand plaisir de C_s et du vice-Ministre Receveur un porte-feuille de satin gris qui renfermait les précieux restes de la fortune du marchand de parapluies. J’ignore si on lui a tenu parole ou si conduit à Bicêtre il y expie dans les galbanums, la bêtise du ministre et la sienne. A ce récit fidèle de la première tentative de la Police de Paris & de ses émissaires, je n'ajouterai que peu de réflexions. Elles ne porteront pas sur l'imbécilité du Ms. de C_s qui s'était figuré pouvoir corrompre avec quelques mille livres un homme qui a bien d'autres ressources. Je ne m'arrêterai pas à faire sentir la lâche coquinerie de tous les employés de la police mais j'observerai combien cette institution de la tyrannie est dangereuse pour toutes les nations. On a besoin d'un espion, la police de Paris le tire de son corps et le prête à la Marine. On désire un corrupteur, elle choisit parmi ceux qu'elle a corrompus. Elle violent en même temps le droit des Nations, la foi publique. Et tandis que nos guerriers combattaient pour la liberté en Amérique, ses pousses-culs de toutes les classes travaillaient à resserrer les fers des Français et à corrompre la sage constitution d’Angleterre. Nos lâches ministres véritables chefs de ce corps détestable sentent bien que l’Angleterre ne doit sa supériorité qu’à la liberté dont elle jouit. Ils craignent qu’enfin nous n’ouvrions les yeux et qu’à l’exemple de nos voisins nous ne censurions comme elle le mérite leur infâme conduite. Ils aiment mieux se débarrasser d’une rivale en corrompant son sang dans les sources de la vie qu’acquérir la gloire de réformer leur nation en l’éclairant. Puissent leurs efforts pour augmenter les maux du genre humain être à jamais infructueux. Puisse une longue paix donner aux Français la force et le courage d’établir chez eux un gouvernement raisonnable et aux Anglais celle de corriger les abus dont la corruption politique les rendra un jour ou l’autre les victimes. Puissent les espions, les corrupteurs, les délateurs, les bourreaux gagés par la Police rentrer dans le néant comme ces sauterelle qu'un vent impétueux précipite dans la mer avant qu'elles aient tout à fait détruit la verdure.


§. II.


Motif du voyage de Receveur, sous le nom du Baron de Livermont. Son arrivée à Londres.


Le succès du voyage de Barbier et de l’information de Receveur, sur un nouveau fleuron ajouté à la couronne de Barigel. Il se présente presque aussitôt une nouvelle occasion de montrer son zèle et d'exercer ses talents. La commission délicate dont on le chargea pouvait augmenter sa fortune qui se monte déjà à plus de 40.000 livres de rente, gagnée partie à arrêter des voleurs, partie à tourmenter d'honnêtes gens. On y joignit pour l'encourager le brevet de colonel et la croix de Saint- Louis. Voici ce qui donna lieu à sa nouvelle campagne. Il y a environ deux ans qu'un nommé Jacquet [Jean-Claude Jacquet de Douai], inspecteur de la police de la librairie, fit imprimer un petit roman qui renfermait les aventures galantes d’une princesse, que nous respectons infiniment. Nous n'avons aucun doute que ce petit livre ne soit un tissu de calomnies atroces auxquelles l'auteur a eu l'adresse de donner trop de vraisemblance, en ramassant des dates des événements tous naturels dans une Cour qui a substitué la galanterie et la gaieté à la ridicule morgue des règnes passés. De qui ne peut-on empoisonner les actions par une estampe, une chanson, un calembour ? Quelque élevé que soit un homme, il ne peut être au-dessus de la malice de ses contemporains. Et la garde qui veille aux barrières du Louvre n'en défend par les Rois. L’infidèle suppôt du despotisme avait joint à ses récits des Noëls, copies assez bien faites, de ceux que l’on fit sous le règne passé et plusieurs estampes dont nous ne parlerons pas, dans la crainte de contribuer à tirer de l’oubli des productions de ténèbres. On assure que Jaquet n’avait jamais eu le désir de publier ses publier ses pamphlets mais seulement d’en vendre la suppression à ceux qu’ils intéressaient et de se faire un mérite de son zèle et de la vigilance. Il imitait, dans un autre genre, ce malheureux garde-du-corps qui s’était blessé lui-même pour faire croire au feu Roi qu’il lui avait sauvé la vie et que ce prince imbécile eut la cruauté de faire pendre. Les lettres que faisait écrire Jaquet mirent sur pied le lieutenant de police. Il envoya secrètement Receveur en Hollande, en juillet et août 1781, le duc de la V_n [La Vauguyon] requit le magistrat d’Amsterdam qui prêta sur le champ main-forte à l'inspecteur de police. Il se rendit chez les imprimeurs, tira d'eux le nom des gens qui envoyaient les ouvrages, vint les enlever à Bruxelles, partit dans l'instant à Paris et y arrêta le pauvre Chevalier de Launay qu'ils ont étranglé à la Bastille et Jaquet dont l'existence est aujourd'hui un problème. Nous ignorons si on lui conservé la vie pour rendre plus longs ses tourments ou si on a, comme on a dit, terminé sa carrière, par le ministère de quelqu'un des chevaliers de Saint-Louis de la police. Car ce sont ces seigneurs là qui font à la Bastille le métier de bourreaux. Il est probable qu’il n’a pu réussir à conserver ses jours qu’en menaçant de la réimpression des mêmes libelles dont il a confié plusieurs exemplaires à un homme ferme et incapable de trahir sa confiance et qui lui a promis de les publier si on attentait à sa vie. Un accident assez singulier pensa procurer la publication de ces productions scandaleuses et des estampes qui les accompagnaient. Un autre homme de la police nommé Goupil, renfermé à Vincennes pour des libelles contre cette pauvre princesse de Guimenée [Rohan-Guémené] qu’on a sacrifiée avec son mari, sous prétexte d’une banqueroute mais en effet pour donner leurs places à d’autres. Ce Goupil, dis-je, las de vivre dans le donjon de ce château, se précipita dans un puits. Horriblement froissé de sa chute et ne trouvant pas assez d'eau pour terminer ses jours, il attira par ses cris les Invalides e enfin le Gouverneur qui le fit retirer de cette fosse pour le mettre dans une autre. On attribua cette aventure à Jacquet, on ajouta même que l’on avait écrit ministériellement à sa famille en Bourgogne, de ne plus s’en embarrasser et qu’il était mort en prison. Receveur et le Gazetier ont prétendu que tout cela était faux qu’il a été conduit de la Bastille à Charenton pour y passer les remèdes et qu’il est aujourd’hui entre les mains de ces coquins de moines qui font vœu de tourmenter les hommes qui ont déplu ou déplairont à la Cour. Si la nouvelle de sa mort eût été appuyé d’une probabilité suffisante, il y a tout lieu de croire que les libelles seraient aujourd’hui publics. Le dépositaire des ouvrages de Jaquet ayant appris par hasard le bruit de la mort de cet infortuné, crut l'instant favorable pour faire réimprimer ses ouvrages et consulta, sur ce qu'ils pourraient produire, un libraire de Saint-James Street [David Boissière] qui est assez bien assorti en petits ouvrages de ce genre. On assure même que le propriétaire eut assez de confiance en lui pour prêter un exemplaire. Nous savons mieux que personne ce qui en est, mais nous ne le dirons pas pour cette fois. Une personne qui a suivi cette affaire prétend qu’on ne s’était adressé à B…re [Boissière]qu’à cause de ses liaisons avec un ancien président du parlement Maupeou [Louis Valentin Goëzman de Thurn], avec qui Beaumarchais a eu un célèbre procès qui avait déjà négocié la suspension d’un ouvrage dans lequel feu M. de Maurepas était maltraité. On l’avait payé très cher et fait à l'entremetteur un cadeau de 250 louis. Le fruit qu'il avait alors tiré de son zèle pour le vieillard qui a gouverné la France, encouragea l'ex-Président. Il écrivit à la Cour et donna avis à des dépositions faites au Libraire. Il imaginait être comme ci-devant le négociateur et l'intermédiaire entre la Cour de Versailles et celui qui la menaçait. Mais les ministres qui n'ont rien ménagé quand il s'est agi de faire bassement leur cour à une concubine, y ont regardé de plus près dès qu'il a été question de sauver un déplaisir, même léger, à une personne que nous respectons trop pour oser écrire son nom parmi ceux dont il est question dans cet ouvrage. D'ailleurs leur crasse ignorance leur faisait croire que le Gouvernement anglais pourrait à l'occasion de la paix frapper un coup d'autorité. Ils croyaient trouver à Londres les mêmes facilités qu’à La Haye. Et comme Receveur avait parfaitement bien réussi chez les Bataves dégénérés, ils l’envoyèrent essayer un coup de main en Angleterre. Il s’était muni de fers, de baillons, de menottes et d’autres outil de son noble métier. On avait joint à cet attirail toutes les lettres anonymes qui avoient été écrites à Madame de Bouillon, au marquis de Castries et à d’autres, et celle du négociateur du libraire de Saint-James. Il devait attaquer de trois manières : la première était à l’aide de la loi en intentant une action, pour libelle : la seconde en obtenant du ministère un coup d’autorité : la troisième en cherchant à s’emparer des possesseurs par force ou par adresse et à leur faire repasser l’eau. Il se présentait un grand obstacle contre tous ces projets. Celui qui devait les exécuter, ne savait pas un mot d’anglais. Le Comte de M_r [Moustier] n’en savait pas davantage : on leur donna pour adjoint ce vieux Godard [Pierre Ange Goudar], qui porte à Paris le nom de Chevalier Godart et qui sait un peu d’anglais. Ce vieux compilateur de l’Espion Chinois s’est avisé d’écrire contre M. Linguet pour faire sa cour à l’autorité. Il a, sans doute, par ce moyen augmenté les profits qu’il tire d’une charmante créature, autrefois sa servante et qu’il a vendue, tantôt à un petit roi d’Italie [Ferdinand Ier des Deux-Siciles], tantôt à un Russe, tantôt à d’autres. Elle a été sur le point de jouer à la Cour de ce petit monarque, dont nous venons de parler, le même rôle que la du Barry en France. Mais la reine de ce pays, qui n’était encore dans ce temps là qu’à son dix-septième amant, ne voulut pas partager les faveurs de son mari avec un Anglais. Elle la fit menacer du révérend père Poignardini et lui fit une petite pension à condition qu’elle n’augmenterait pas la neutralité maritale, ligue dans laquelle sont entrés plus de Princes que dans la neutralité armée. Sally partit et vint à Paris où son vieux Mercure joignit aux bienfaits de la reine effrayée les profits du jeu, autorisé par la police. Cette permission de jouer qu’on obtient de ce Bureau des mauvaises mœurs, équivaut à une licence pour faire des dupes. Gombaud a des Receveurs ambulants qui prélèvent sur les profits que doivent rapporter chaque sixain un droit de dix louis. Que de dupes il faut pour payer une semblable taxe ! Si à l’occasion d’un mariage, d’une fête quelconque, un particulier veut faire tailler au Pharaon, il faut qu’il s’adresse au désintéressé M. le N_. Ce magistrat respectable donne un banquier, qui lui paie dix louis à l’instant de sa nomination ; en un mot, nous le répétons, car on ne peut trop dire ces choses-là, cette détestable police qu’on ose vanter, se fait payer un droit sur chaque désordres et de surveiller ceux qui s’y livrent. Mais pourquoi ne pas faire comme je l’ai vu pratiquer à Londres dans le temps des funestes tables d’E-O [roulette « Even-Odd »] ? Les Juges de paix sont entrés partout où ils soupçonnaient que se recelaient les joueurs et ont livré les tables à la populace qui les a brisées avec fureur [The downfall of the E. O. table, 24 août 1782]. Ce bon peuple en les mettant en pièces criait « EO » ! avec une indignation qui montrait assez qu’il n’avait ni caissier, ni banquier, ni inspecteur des jeux, ni commis de ces secrétaires, ni familiers de cette inquisition parisienne qui vécussent de la ruine des familles et de celle du commerce. Godard donnait à jouer à Paris et recevait pour le petit espionnage qu'il fait au-dehors de chez lui six livres par jour ; à Londres on lui en donnait le double. Douze francs par jour paraissent une grosse somme quand on songe à la quantité d'espions mais c'est bien peu de choses pour un homme qui a, comme le Lieutenant de police, une main dans la poche du Roi et mille dans celles de ses sujets. Ô ce M. le N_ [Lenoir] est un vrai Briarée ! Mais un Briarée qui a les bras longs. On n'épargne rien pour la réussite de l'entreprise, & pour fournir aux dépenses de la bande, Receveur était muni de lettres de crédit considérables et il toucha 400 louis en arrivant. La maison de commerce qui les lui conta, fut indignée contre les correspondants quand elle apprit l'état de l'homme qu'on lui avait recommandé. Elle ne le fut pas d'abord, car le nom de Receveur n'étant pas un des plus honorables qu'on puisse porter dans ce bas monde, il l'avait changé en celui de Baron de Livermont. M. le Baron était accompagné d'un grand, gros et large coquin, qui a été abbé et hussard, il se nomme Humbert et qui prétend aussi parler Anglais ; le détachement débarqua chez le comte de Moustier, Plénipotentiaire du Roi de France.Ce Ministre leur fit promptement chercher un appartement, M. le Barin se logea au second dans Jermyn Street, auprès de l'ambassadeur, le chevalier Godard [Goudar], quelques portes plus bas et le mouchard près de son maître.


§. III.


Portrait du comte de M_r, plénipotentiaire de F_cc.


Ce ne fut pas sans peine que le Gazetier Cuirassé obtint la Surintendance de l'espionnage de Londres, la rivalité des inférieurs et la défiance du maître lui ôtèrent presque cette bonne aubaine ; son indiscrétion était d'ailleurs si bien connue de tout le monde, qu'elle fournit un prétexte spécieux à Godard pour s'efforcer d'empêcher le baron de Livermont de se lier avec lui : mais un attrait invisible entraînait trop fortement le judicieux négociateur : peut-être même que des ordres de la Cour le forçaient à cette coalition, car il avait ses instructions secrètes et recevait et envoyait des volumes de papier tous les courriers. Le comte de M_r [Moustier] avait été témoin des efforts de Godard et fortement ébranlé par son éloquence, mais c'est un être si nul et si indécis qu'il céda au ton d’autorité qu’employait R_r [Receveur] ; il paraît que celui-ci était à-peu-près égal de l'autre, au moins traitait-il avec lui comme si la chose eût été telle. « Ma mission, disait-il assez hautement, est réelle, j'ai un objet et je viens pour négocier quelque chose. » Il n'achevait pas, mais ceux qui l'entendaient se disaient à eux-mêmes ; qu'est-ce que cette Ambassadeur par intérim ? Que vient-il faire ici ? Pourquoi n’avons-nous pas un Pitt qui le traite comme ce Ministre traita Buffy qu’on avait envoyé lors de la dernière guerre ?Le physique de comte de M...r n'en impose guère plus que celui de Buffy. C'est un petit brun d'assez mauvaise mine, qui sans être laid, a une de ces figures qui rebutent au premier abord et une morgue qui ne dément pas l’effet de sa physionomie ; on le prendrait plutôt pour un commis de bureau, pour un homme de l'espèce de Haynin, des Gambard que pour un homme de qualité. C'est pourtant le fils d'un vieux marquis de M...r que nous avons vu à Paris manquant du nécessaire et sans cesse aux expédients. Aussi le comte est-il un Ambassadeur de Fortune. D'abord secrétaire d'ambassade du comte de Guines, puis envoyé dans une petite cour d'Allemagne et enfin, plénipotentiaire à Londres, lors du traité entamé par Gérard de Reynneval . Il a toute l’insolence d’un parvenu du corps diplomatique, dont les membres s'imaginent qu'un air de réflexion et de hauteur en impose sur leur incapacité, ces Messieurs ont beau s'envelopper de la peau d'un ours, un petit bout d'oreille les trahit toujours : ne fait-on pas malgré leur ton et leur air que des gens qui pratiquent une science sans principe, qui n’ont eu pour s’instruire que la pratique absurde des bureaux, de qui les têtes sont troublées par des idées de monarchie universelle, d’empire de la mer, de droit des gens, qui n’est pas un droit, de lois de la nature fabriquée par les hommes, qui passent leur plus belle jeunesse à faire semblant d’étudier Grotius et le baron de Puffendorf, ne peuvent ni ne veulent procurer le bien de la Nation. On réussirait aussitôt à persuader qu’un Théologien entend la morale, ou un arpenteur la géométrie. Rien ne détruit plus le génie que les pratiques minutieuses : voilà pourquoi il est si peu de commis de ministres et d’Ambassadeurs qui en aient l’ombre la plus légère . M. de M_r [Moustier] est la preuve de la justesse de ces réflexions : on assure qu'il était assez bien dans les emplois subalternes, mais aujourd'hui le sentiment de sa propre incapacité, le tient continuellement sur les gardes. Il est toujours embarrassé du rôle important qu’il croit jouer. Il supplée à tout par l’insolence. Nous allons en donner un exemple. Étant Secrétaire d'Ambassade, il avait des liaisons très-intimes avec un artiste qui dessin pour les manufactures de soie, il lui avait fait plusieurs visites et même mangé chez lui à la campagne. Il était venu à Londres avec des recommandations du vieux marquis qui avait rendu quelques services à la mère du dessinateur. Le vieux marquis qui avait besoin de tout le monde ne dédaignait personne et L_u n'est pas à dédaigner. C'est un homme distingué dans sa patrie qui gagnent 500 louis par an dans une manufacture. Il a de l’esprit, fait de jolis vers, est très-honorable chez lui. Nous devons avouer qu'il ne hait pas les laides filles et qu'il aime le mauvais vin ; mais il avait ces goûts là dans le temps où le comte de M_r [Moustier], encore secrétaire d'Ambassade, le voyait avec plaisir. Il serait peut-être à souhaiter qu’un tempérament rigoureux permit à son esprit d’épurer ses passions et son style, mais tout homme raisonnable conviendra qu'il a précisément assez de mœurs pour être vu avec décence et avec plaisir et préférera les vices de L_u aux vertus du comte de M_r [Moustier]. Lors de la seconde apparition du comte, son ancien camarade de Collège, crut devoir à son titre une visite de politesse. Mais ce même titre fut une raison dont le Ministre se prévalut pour ne pas lui rendre. Il le reçut même avec une hauteur et un poids qui glacèrent d’ennui le Franc-Comtois, en conséquence de cet accueil, de son goût pour la liberté et de l’impolitesse du Ministre, il n’y retourna plus et laissa le champ libre aux Receveur et aux Morande. Assurément il fit très-bien ; je ne saurais m'empêcher de louer cette noble assurance avec laquelle un homme à talents se fait rendre ce que l'on doit à son état. Rien ne m’inspire du mépris pour certains hommes de lettres, comme la lâcheté avec laquelle ils encensent les gens en place. Si monseigneur l’abbé Aubert ne le trouvait pas mauvais, je révèlerais au public, à cette occasion, une petite anecdote qui est tout-à fait curieuse. Un jour Mr. le duc de la V_re [Vrillière] dormait après dîné au milieu d’une foule de gens de lettres. Marmontel était du nombre et notre illustre Abbé aussi ; on peut juger par-là la profondeur du sommeil du Duc. Quelqu’un de la compagnie remarqua la tranquillité avec laquelle il dormait parmi tant d’auteurs. Ah ! s’écria l’Abbé, quand on dort si bien, que l’on doit avoir l’âme pure ! c’est bien là le repos du juste ! J'espère que mon cher censeur laissera passer ce petit trait qui joint à notre admiration pour ses talents et aux fables de longueur qu’il intercale par fois dans le Courier de l’Europe, m’a paru propre à fournir à nos lecteurs une idée parfaite de son génie et de son âme. On sent bien qu’un censeur aussi judicieux n’a pu manquer de supprimer bien des morceaux de ce petit ouvrage. C’est à lui que nous devons notre modestie et notre retenue. J’en reviens à nos beaux-esprits. S’il se pouvait que la fumée de la gloire fit sur leur cerveau plus d’effet que celle des viandes, je les prierais de fuir les dîners qui leur sont destinés. Les grands Seigneurs les traitent comme les Anglais leurs fermiers, il y a toujours quelques pièces de résistance aux dîners académiques et souvent un mélange bien humiliant. On trouvait, par exemple, chez l’Ambassadeur de Naples, Mr. de la Place (ce n'est pas le Mercure, notre remarque tomberait, mais le géomètre) à côté de Coqueo, mangeant l'un et l'autre du même appétit. On voit par là que la science ne sert à rien ; un ignorant a un aussi bon estomac qu'un géomètre et souvent aussi mauvais cœur. Il est vrai que pour être à l’aise dans ces dîners il fallait être marqué du signe de la bête, tenir au parti par quelque coin : soit en qualité de héros, de trompette, d’espion etc. etc. car les partis littéraires se modèlent sur la police. Mais enfin si j'avais du mérite, je ne dînerais pas indifféremment par-tout. Rousseau ne dînait chez personne, ou mangeait au moins sans parler : mais l’abbé Aubert parle et mange, aussi n’est-il pas un Rousseau. Je m'aperçois, Lecteur, que j'ai fait comme un poète de l'antiquité qui avait entrepris l'éloge de deux athlètes et le récit de leurs combats. Il dit un mot de ces preux, puis loua Castor, Pollux et mille autres héros. Je comptais peindre le comte de M_r [Moustier] et je vous ai parlé de nos plus grands personnages. Quelle digression ! pardonnez-là moi, je vous en conjure et si je vous endors après dîné ; fussiez-vous aussi calomniateur que l’auteur de l’Année Littéraire, aussi hypocrite que V_s, plus bête que l’auteur du Mercure, plus vain et plus sot que Cadet l’apothicaire, plus fripon que M. le N_, plus ignorant qu’A_ : je m’écrirai « Ô comme il dort du sommeil du juste ! »


§. IV.


Réception du fameux Gazetier. Petits Manèges de Godard. Les Petits Soupers de l’Hôtel-de-Bouillon.


Le baron de Livermont l’ayant, comme nous l’avons dit, emporté d’autorité et ministériellement sur l’avis de Godard et du comte de M_r, on manda le Gazetier Cuirassé, peu de gens étaient plus propres que lui à former une société agréable pour le baron. Godard lui-même avait encore trop de noblesse dans l'âme. Un cœur aussi noir, aussi dur, quoique pleurant quand il en a envie, une tournure d'esprit aussi commune, des expressions aussi basses, ce même argot qu'il a apporté à Bicêtre et que le Barin qui y passe la moitié de sa vie possède supérieurement, la même haine pour le genre humain, le même front qui ne rougit jamais, la même lâcheté dans l'âme, en un mot un si sympathie dont il est bien peu d'exemples dans ce monde, semblai entré destiner notre Gazetier Cuirassé à partager les plaisirs du recruteur de Bicêtre. Le Gazetier joignait à des qualités analogues à celles du sbire une grande connaissance du théâtre des exploits du baron, un plaisir à entendre le récit du destin de ses anciens compagnons, un certain goût qu’il a conservé pour les histoires de voleurs, dont se repaissent à Arnay-le-Duc, ses oncles, ses cousins, les savetiers de l’endroit, qui connaissent par leurs noms et sur-noms tous ceux qui ont fini en public en Bourgogne. À peine le Gazetier Cuirassé eut-il reçu le message qu'il se rendit à l'hôtel du négociateur, qui le reçut en cérémonie et lui adressa la harangue que vous allez lire. « Je suis chargé, Monsieur, par le Ministre du Roi, mon maître, de vous offrir un moyen de vous laver à jamais les taches dont les erreurs de votre jeunesse ont souillées votre existence. Vous avez fait trembler M. de Marigny, en le menaçant de révéler ses goûts contraire à la nature, vous avez tiré de lui une pension que ses héritiers vous continuent. On paie des gens pour faire du bien et l'on vous donne de l'argent pour ne pas nuire. Vous avez prêté votre nom et quelques-unes de vos phrases à une madame de Courcelle qui vous a fourni les anecdotes scandaleuses, que nous avons lues dans votre plat Gazetier Cuirassé : ouvrage qui vous a brouillé avec Apollon, tout autant qu'avec la cour de Louis XV. En dépit de votre réputation de plat écrivain, vous avez effrayé la du Barry et vous avez vendu la suppression de sa vie à un prix que Rousseau n'a pas tiré de tous ses ouvrages ; vous avez lâchement insulté le comte de Lauraguais. Vous vous êtes rétracté avec plus de lâcheté encore, pour éviter le juste châtiment de vos calomnies ; en un mot vous vous êtes aussi mal conduit en Angleterre qu'en France. C'est vous qui avez enseigné l’art de faire contribuer les riches vicieux en les menaçant d’un libelle et qui avez introduit dans la littérature de ces gens qui forcent les paysans de leur donner de l’argent en les menaçant de brûler leurs granges. En un mot, vous êtes le plus heureux de tous les libellistes et le digne précurseur de Jaquet. N'importe, R_r [Receveur] que vous voyez ici décor de la croix de Saint-Louis, n'a pas toujours fait la guerre aux voleurs. C'est après avoir appris, en vivant avec eux, les ruses de ces Messieurs qu'il est parvenu à les détruire. Nul n’est plus propre que vous à purger ce pays-ci, non-seulement des libellistes mais même de tous ceux qui écrivent en français. C’est à ce prix que l’on vous délivrera une indulgence plénière : c’est Mgr. De V_s [Vergennes] qui vous parle par ma bouche. Allez, m'a-t-il dit, tout ce que vous lierez à Londres sera lié à Paris et tout ce que vous délierez en Angleterre sera délié à Versailles. Partez, fantôme d’Ambassadeur. Allez mettre la main à un traité déjà conclu et songez que les articles secrets doivent être l’extinction de la liberté de la presse en Angleterre, l’expulsion écrivains, et s'il se peut, l’établissement d’une police qui correspond avec celle de Paris, ôte aux Anglais, par adresse, cette liberté que nous n’avons pu leur ravir par la force. C’est de mon département que partiront les boulets qui dirigés plus sûrement que ceux du comte de G_ [Guines], détruiront une rivale de qui la prospérité m’irrite et que dix siècles de combats n’ont pu réduire. Imitez ma modérations et mon hypocrisie ; je vous donne pour adjoint un de ces hommes nés heureusement pour le maintien du despotisme. Il vous servira de la tête et de la main : et, m'a-t-il dit à l'oreille, si quelqu'un vous paraissait de trop dans Londres, il trouvera quelque stratagème, quelque moyen de le faire rentrer à quatre pieds dans terre. Mais ce n'est pas tout, a-t-il ajouté : « Il est là bas un homme qui jadis opposé aux désirs de son maître, a été le fléau de mes prédécesseurs ; c'est le fameux Gazetier Cuirassé, dont la réputation a volée des bords de la Tamise aux coteaux de Bourgogne ; aussi chaste que Grécourt, aussi spirituel que Nonotte, aussi vertueux que des Fontaines, aussi désintéressé que Harpagon  ; il joint à une étonnante activité le plus vif désir de nuire ; fondez les replis tortueux de son cœur, et si vous l'en trouvez digne, initiez-le à vos mystères et recevez-le au nombre des élus ; c'est à ce prix qu'il peut effacer des livres de la police la note de son voyage à Bicêtre et de tous ses forfaits depuis son évasion. Vous répondez, sans doute, aux bontés du Ministres et m’aiderez à être l’heureux canal duquel couleront les grâces dont il va vous combler. » Le Gazetier se courbant, comme ces cruches qui ne se penchent que pour se remplir, lui dit : « Ô ! Monseigneur, votre Excellence et monseigneur le comte de V_s ont trop de bonté. Oui, sans doute, je brûle du désir de mériter mon pardon et de revoir ma chère patrie. Ah ! que j'ai versé de larmes depuis que par une jeunesse imprudente je me suis fermé la porte à jamais. » À ces mots, ses yeux se rapetissent, sa bouche se retire vers ses oreilles d'une manière effroyable, ses narines s'épanouissent et il laisse tomber quelques larmes. C'est ainsi que les compagnons d'Ulysse changés en pourceaux en versaient à la vue de leur chef. Il reprit en ces mots qu'interrompaient de moment à autre des sanglots qu'on aurait pris plus aisément pour l'effet d'une indigestion que pour des marques de sensibilité. « Croyez-en mes larmes, monseigneur, je brûle du désir de réparer ma faute, j'y cours et si Monsieur veut prendre en moi quelque confiance, nous ferons trembler ceux qui osent marcher sur mes traces. Qu'il me suive, je réponds de tout. » « Oui, sans doute, je m'y confie, répondit le Barrigel, avec une candeur égale à celle de M_s [Morande]. Je lis son mérite dans ses yeux. Voilà mon Ariane, il va me mettre en main le fil qui peut me guider dans ce labyrinthe. Humbert, Godart, éloignez-vous, saluez avec respect votre nouveau camarade ou plutôt reconnaissez un maître. » A ces mots on apporte le collier de l’Ordre, une roue suspendue à une corde de chanvre de six lignes de diamètre, une Croix de Saint-André, sur laquelle un malheureux semblait prêt à expirer, une Croix de Saint-Louis attachée à une chaîne, deux bagues en forme de menottes, tels sont les attributs de l’ordre dont R_r [Receveur] est Grand Maître. Le Plénipotentiaire s'assit sur un fauteuil, le Gazetier s’agenouille et prête entre ses mains le serment de trahison et d'espionnage et donne la foi de Bohême. R_r [Receveur] lui applique à l’instant sur la nuque un grand coup de pincette, Godart lui passe la corde au cou, Humbert lui chausse les menottes et tous l’embrasse en chorus. C’est ainsi que fut reçu parmi les ambulants de la police l’illustre Gazetier Cuirassé. Cependant Godard ne restait pas oisif. Il venait, disait-on, en Angleterre pour faire imprimer un ouvrage contre Linguet, la ruse était grossière, la France n’était-elle pas le pays le plus propre pour une semblable opération ! Il demandait de l’écriture de tous les Français sous prétexte d’en choisir un pour recopier ses ouvrages. Son entremetteur était le bon homme Dupré, le ferme soutien de la table de Grobetty. Il se procura par son moyen de l’écriture de tous ceux qui étaient sans place.

Vous ne concevez guère, Lecteur, ce qui pouvait faire désirer l’écriture d’une foule de Français faméliques qui inondent le pavé de Londres. Je vais satisfaire votre curiosité. Il est dans Londres une dame de Bouillon [Hedwig de Hesse-Rheinfels-Rotenburg, épouse de Jacques Léopold de La Tour d'Auvergne, duc de Bouillon] qui ne passe pas pour l’imitatrice des vertus de Lucrèce. Je ne sais qu’elle manie a prise à son cocher, mais il est pendu l’hiver dernier, avec la corde de son fouet. Comme il est fort rare que les cochers prennent la peine de se pendre eux-mêmes, cet événement fit grand bruit à Paris. Un écrivain dans le goût de Morande, recueillit le fait, en expliqua les causes à sa manière ; il prétend qu’après essayé inutilement de démonter le grand écuyer, Mme. de B_n voulut remonter M. de Castries : il assure qu’avant d’être mariée, elle avait eu un enfant d’un jardinier du Margrave son père [Les Petits soupers, p. 22] et qu’ayant conservé son goût pour l’opération, elle a substitué l'allègre marquis de Castries à son important mari. Il prétend que cette union a été le fruit de l’appareillage du chevalier de C_y [Coigny], grand Mercure de son métier. Mais comme nous avons déjà parlé de M. de Castries et que nous espérons que ceci servira à la postérité à composer l’histoire de sa vie, nous allons raconter ce qu’en dit l'écrivain des Soupers [Les Petits-Soupers et les nuits de l'Hôtel de Bouillon, Londres, 1782] Le marquis de Castries, nous dit-il, est un seigneur qui, pour avoir été gendarme, n’en est pas moins modeste. Malheureusement, la nature l’a doué d’un tempérament qui ne s’accorde guère avec la morale de l'Évangile. D’ailleurs, ses plans de campagne et l’étendue assidue des affaires de son département, l’ont échauffé à un point extraordinaire. Toutes ces causes font que souvent la chair se révolte contre l’esprit. Depuis bien des années il a eu en madame Gourdan la confiance la plus étendue. Mais las de donner toujours son corps, sans son cœur, il a pris enfin le pari de l’offrir en sacrifice à Madame de Bouillon. Il s’est trouvé entraîné plus qu’il ne croyait. Madame avait perdu et n’avait pas assez d’argent, il tire sa bourse ou plutôt celle de la Marine, croit que la dame en usera modestement, la princesse prend tout. On n’aime pas faire des avances inutiles et les avares amoureux sont avec leurs maîtresses comme avec ceux à qui ils prêtent le premier écu est plus difficile à tirer d’eux que le premier million. Le nouveau marin court donc le lendemain chez sa débitrice et en peu de temps se paie, non pas in oere, mais in cutte. On charge une femme de chambre vieille et laide d’introduire l’amant dans l’hôtel par une petite porte du jardin. La soubrette se repose de ce soin sur un cocher qui fait pour elle, bien mieux que n’eût pu faire tout le Ministère ensemble. Enfin l’inconstance de cette vieille Messaline l’oblige à changer son cocher épuisé contre un Théatin frais et vigoureux. Elle retire la clef à Hippolyte amoureux et jaloux, pour la donner au Frappart effronté ; mais la jalousie qui depuis Phaeton n’a jamais tourmenté un cocher, s’alla fourrer le cœur de celui-ci. Il épie, fait sentinelle, rencontre le Théatin en chemise, allant regagner sa jaquette et l’étrille à coups de fouet de manière à calmer pour quelque jour l’inquiétude de la chair. Les moines sont vindicatifs ; celui-ci qui se partageait entre la vieille femme de chambre [Bours] qu’il attaquait en proue et le Ministre qu’il prenait en poupe, au lieu de remplir son devoir ordinaire, fait un demi tour à droite et se trouve dos à dos avec le Ministre. Le marquis se tourne prêt à se venger sur le moine de cette horrible indifférence, il aperçoit le dos du frère, diapré d’une manière inaccoutumée ; ô ! Frappart, s’écrie-t-il, te donnestu donc toi même la discipline, ou M le N_ t’aurait-il envoyé chanter un miserere sur le parvis de Notre-Dame, avec un flambeau du poids de quatre livres à la main. Le moine s’explique aussitôt, vole de la femme-de-chambre au ministre et du ministre à la femme-de-chambre. Le marquis s’anime, rend à la duchesse ce qu’il a reçu du Moine et l’on décide en comité qu’on fera mettre à Bicêtre le cocher flagellant. Le malheureux entend sa sentence, se voit déjà entre les mains de R_r [Receveur] ou de du Tronchai. Le désespoir, la frayeur des tortures, lui troublent la tête, il se pend avec la corde du même fouet qui lui avait servi à rosser le gribourdon du marquis Conculix. Voici un extrait fidèle et court de la brochure intitulée, les Petits Soupers de l'Hôtel de Bouillon. Avec ce que je vous en dis, vous savez ce qu’il y a de plus intéressant ; au reste, vous trouverez cette petite ordure sur la boutique du libraire de Saint-James.

Cet ouvrage paraît avoir été composé pour faire contribuer la duchesse. On lui avait écrit des lettres anonymes, elle s’était décidée à faire faire à Castries un sacrifice de 150 louis pour supprimer cette caricature. On en voulut 175. On laissa paraître, mais on envoya ici R_r [Receveur] pour en poursuivre l’auteur et traiter en même temps avec les possesseurs des Passe-temps d’Antoinette et du Vizir de V_s.


§. V.


Manifeste de la Canaille. Le Tocsin.


À peine l’esprit de la police fut-il descendu sur le Gazetier Cuirassé, que comme autrefois les Apôtres, il se crut doué du don des langues et celui des miracles. Il rassura d’un ton d’inspiré son nouvel ami à qui deux objets laissaient peu de repos. L’un était l’idée d’être déchiré par la populace et l’autre d’être berné dans les papiers-nouvelles ; quant au premier, on lui promit d’aider le mouchard, à suppléer aux poings affaiblis par l’âge ; et quant au second on lui raconta le singulier combat avec l’auteur d’un des papiers éphémères, on s’engagea même à obliger ces Cigales à chanter les louanges de la bande et à étourdir de leurs cris ceux qui pourraient être tentés de faire insérer quelques paragraphes dans leur gazette. L’occasion s’en présenta bien-tôt et fut saisie avec avidité par le Gazetier Cuirassé , brûlant du désir de montrer ses talents et de persuader au baron qu’il écrivait parfaitement bien Anglais. La disparition subite de quelques François fournit matière à ses plaisanteries qui sont toujours ainsi assaisonnés de sel attique comme le Gazetier Cuirassé. Il avait, à son ordinaire, mené le baron de cabaret en cabaret : mais outre que la simplicité de la cuisine des endroits où mangent ceux des étrangers qui vivent de quelques talents, ou même d’un métier, éloignait de ces tables bruyantes le Gazetier affamé, une crainte des assiettes, des bâtons qui aurait pu tout-à-coup pleuvoir sur le couple illustre, ne leur permit en aucune manière de s’exposer à satisfaire leur curiosité aux dépens de leur délicatesse. On se contentera d’y députer Humbert, Humbert dont les épaules et les poignets semblaient provoquer les braves de la Halle ! on l’avait chargé d’écouter et de tenir de tout ce qui se dirait un registre fidèle et exacte. La subite apparition de cette grosse mouche fit disparaître comme un ombre la foule qui dîne chez Grobetty [Benjamin Grobety] Ô Grobetty, divin Suisse, de qui les plats ne font que toucher la table ! Il resta pour la première fois quelques débris de tes ragoûts dégoûtants. Marguerite en gémit, ton épouse en recula d’horreur et le graveur Beneset pensa mourir d’indigestion pour te sauver une pareille avanie. À peine l’homme à la cuirasse fut-il instruit de l'accident de l’illustre Grobety, qu’il saisit cette occasion pour célébrer dans les papiers éphémères le Voyageur cause de tous ces maux. Peut-être n’était-il pas fâché de fixer les yeux du public sur les démarches de gens dont il n’était pas très-sûr et qui étaient arrivés à Londres avec des soupçons qui n'étaient pas tout-à-fait dénués de vraisemblance : ils croyaient les petits Soupers et le Gazetier de la même main. Ils fondaient leur conjectures sur les liaisons continuelles du Gazetier avec Mme. de Courcelles sur les fréquents voyages du Secrétaire sans culotte, sur une certaine note où on lisait, humer la bavaroise [« Liqueur chaude, composée de thé et de sirop de capillaire. Quand on y mêle du lait, on l'appelle bavaroise au lait. » Dictionnaire de Trévoux.] et étrangler le pain au lait. Enfin, ils ne croyaient pas imprudent de mettre le public dans la confidence d’un voyage don les suites pouvaient êtres funestes, même à ceux que l’on ne faisait que soupçonner.

Voici le manifeste que répandit en mauvais anglais (broken English) le guide de la bande transplantée. Nous allons en donner ici la substance, on avait choisi le New Daily Advertiser pour champ de bataille. « Des Officiers de la police de Paris, dit-on dans celui du 27 Mars, étant venus à Calais à la poursuite de quelques coquins qui avait volé à Paris avec effraction et ayant appris dans ce port que ces fripons avoient été arrêtés par la maréchaussée de l’Ile de Flandre, ayant d’ailleurs de l’argent à dépenser, sont venus en Angleterre. « Leur présence a fait déserter une foule de François qui mangent ordinairement à table d’hôte et qui connaissent très-bien ces Messieurs par le ministère desquels la police de Paris les envoie de temps en temps prendre l’air à Bicêtre. » La plaisanterie allait d’autant moins dans la bouche du Gazetier, que c’est pas le ministère même de Receveur qu’il avait été envoyé à Bicêtre pour avoir privé sa maîtresse, du moyen de savoir promptement qu’elle heure il est[12]. Cet avis répandit l’alarme parmi tous ceux qui avoient à redouter la vengeance des Ministres François. M. Linguet venait de publier ses Mémoires sur la Bastille. Il put avec raison concevoir des défiances. M de Sainte Foi [Radix de Sainte-Foy], de qui le procès ne prenait pas une bonne tournure n’était pas sans quelque crainte. Chacun se défiait et se mettait sur ses gardes, ce qui était aussi naturel qu’il est à des voyageurs de charger leurs pistolets pour traverser un bois dans lequel on dit qu’il y a des voleurs. Mais la circonstance la plus fatale pour ces honnêtes Messieurs, fut que le hasard conduisit dans un café un M. de la F....[M de le Fite] le plus étourdi de tous les hommes et le plus grand ennemi des espions et autres suppôts du despotisme. Il ne se cache pas de l’horreur que lui inspire ces Messieurs et il disait publiquement que si on les pendait, il irait les voir à Tyburn, quoiqu’il n’eût jamais voulu voir exécuter personne. Il ne se borna pas à souhaiter une fin brillante à ces Messieurs, il se hâta de prévenir cet heureux événement et d’en donner avis à ses amis à Paris. Il eut même la folie, après dîner, d’écrire à messieurs A_ et le N_ des missives en forme de lettres de cachet, dans lesquelles il leur annonçait que Receveur avait été mis à Newgate et priait Dieu qu’il les eu en la même garde. Les Ministres envoyèrent les lettres à Receveur pour chercher à connaître l’écriture. Le fou qui les avait écrites eut la bonhomie de s’en avouer l’auteur. On ne sait si c’est par imbécillité ou par envie de témoigner sa haine impuissante à ces Messieurs ; mais quelque ait pu être son motif le fait est certain.

A peine eut-il lu le New Daily qu’il se mit en quête et découvrit la canaille. Il donna avis de l'arrivée de Receveur à M. Linguet et à d’autres personnes, afin qu’on se tînt sur ses gardes. On le soupçonne même, quoiqu’il s’en défende, d’être l’auteur de la pièce dont nous allons donner la traduction et qu’on distribuait dans les rues.


TOCSIN,


Ou avis à toute Personne et sur-tout aux Étrangers


L’esprit généreux des Anglais est indigné contre une bande de désespérés coquins[13], arrivés à Paris, munis de baillons et de poignards pour enlever de trois brochures suivantes.

Les Passes-Temps d’Antoinette.

Les Amours du Vizir V_s.

Les Petits Soupers de l’Hôtel de Bouillon.

Ils ont amené des chaises de postes à panneaux, dans lesquelles on peut aisément cacher un homme et qu’ils tiennent aux environs de Duke-Street.


Cette pièce fit un effet terrible sur l’esprit de la populace Anglaise. Les gens de métier, sur-tous les Compagnons-Imprimeurs, qui sont les fermes soutiens de la liberté de la presse, promirent tous de mettre les espions en pièces s’ils pouvaient les découvrir. Plusieurs personnes firent des efforts inutiles pour engager les auteurs des papiers publics à les démasquer. Tous les propriétaires de ces papiers avoient été gagnés et ne voulurent rien insérer.


§. V.


Démarches du comte de M_r et de R_r auprès du Sr. Boissière, Libraire de St. James-Street.


Ce qui se présentait de plus naturel, était de s’aboucher avec l’Auteur des lettres qui avoient attirées la députation à Londres. Mais comme on imaginait bien que M. de G_n, ne se prêterait pas facilement à négocier avec un homme de l'espèce de Receveur ; le comte de M_r [Moustier] se décida à la faire prier de passer chez lui. Celui-ci trouva le Plénipotentiaire accompagné de son adjoint Receveur, témoigna sa surprise de ce que le Ministre avait renvoyé ses lettres à Londres et chargé de traiter avec lui des intermédiaires dans l’affaire. Son étonnement augmenta quand il entendit le nom de l’homme que le Ministre présentait et qu’il se vit interrogé avec une hauteur et une astuce de Président, par un alguazil du Lieutenant de Police. Le pauvre comte faisait aussi des questions et interrogeait avec un air d’importance. Cependant après s’être bien assuré que rien n’en imposerait à l’homme à qui ils s'adressaient, ils prirent le parti d’en revenir à la douceur et de prier M. de G_n [Goëzman] voulut bien se prêter à leurs désirs et conduisit le mouchard décoré dans la boutique du Sr. Boissiere. « Monsieur, dit-il, en entrant, je vous présente M. Receveur, successeur de l’avocat Limon et chargé, à ce qu’il prétend, d’acheter la suppression des Soirées d’Antoinette ; je lui ai fait sentir qu’on ne se prêterait pas sans peine à traiter avec lui, qu’on ne lui laisserait même probablement pas voir l’ouvrage dont il s’agissait. Il croit que j’ai alarmé la Cour de France par la menace d’un ouvrage qui n’existe pas ; vous savez ce qu’il en est. M’avez-vous montré cet ouvrage ? Oui, Monsieur, je vous l’ai montré ; où est-il, reprit avec chaleur le Barrigel, qui s’imaginait n’avoir qu’à mettre la main dessus. Monsieur, je n’en sais rien, je l'avais alors, je l’ai rendu et je ne sais plus rien qui ait trait à cette affaire. » En disant ces paroles, Boissière conduisait l'interrogeant R_r [Receveur] du côté de la porte et parvint ainsi à se défaire d’une visite qui ne pouvait en aucune manière faire honneur à sa boutique. Le baron de Livermont accoutumé à ne voir dans ce monde que des ministres devant lesquels il rampe et des faquins qui rampent devant lui, sortit de la boutique du Libraire, bouillant de colère et écumant de rage. Les yeux lui sortaient de la tête, ses joues se gonflaient comme un ballon, son agitation d’une espèce différentes de celle du Gazetier Cuirassé, n’en était pas moins ridicule. Il court exhaler sa douleur et sa colère dans le sein de son nouveau compagnon d’armes  et pour se consoler va boire avec lui une bouteille de vin à Dog and Duck[14].


§. VI.


Histoire de Receveur, Inspecteur de Police et chevalier de Saint-Louis.


Il faut avouer, disait le patron de M_s [Morande], que tous ces gens qui écrivent des livres sont bien dangereux dans un État et que si les Rois faisaient bien, ils n’en souffriraient aucun dans leur royaume fut-il cent mille fois plus grand que l’Europe. Ah ! si le bonheur de la France eût voulu qu’ils fussent de mon département, j’en aurais fait comme de la bande de la jambe de bois et de celle de la Giroflée[15]. Ils ont beau être de celle de M. l’encyclopédiste ou de ce coquin de Voltaire ou de ce fripon de Rousseau de Genève, ou mathématiciens, ou géographes, j’en eusse purgé la France, tout aussi aisément que des autres hérétiques que j’ai détruit. Tel que vous me voyez, savez-vous, M de M_s, que j’ai arrêté 4000 hommes dont un tiers a été roué, un autre fouetté et marqué et le reste enfermé à Bicêtre ou dans d’autres prisons, parce qu’il n’y avait point de preuves contre eux. Cela n’a pas empêché qu’ils soient morts presque tous de faim, d’ennui, de chagrin ou de misère. Ainsi vous voyez, mon cher ami, que je n’ai pas eu la main malheureuse et que j'avais le tac[16]. « Assurément, Monsieur, je ne puis vous témoigner l’admiration que m’inspirent de si rares talents, mais vous n’avez pas tout d’un coup atteint ce degré de perfection dans votre état et je serais enchanté de savoir les évènements de la vie d’un homme aussi admirable que vous. »

Ce compliment chatouilla agréablement Receveur, ils passèrent dans un cabinet particulier, on apporta du vin aux dépens des affaires étrangères, comme ils disaient en plaisantant. On s’assit sur un banc, inde tero pater Aeneas sic orsus ab alto. «  Je suis né natif de Paris, mon père était carrossier de son métier, il me fit élever avec soin, mais quelque peine qu'il se soit donnée pour me faire apprendre à lire et à écrire, je n'ai jamais pu en avoir assez pour lire couramment le moulée ; et ce n’est qu’avec beaucoup de peine que je suis parvenu à former les sept lettres de mon nom. Toute mon occupation, tout mon plaisir dans mon enfance, était d'accompagner les mouches dans leurs captures et d'être un des premiers à sauter au collet des malheureux que la pousse arrêtait pour dette ou pour d'autres causes. Ces dispositions avoient été si bien remarquées par feu M. Samson[17], devant Dieu soit son âme, qu'il m'avait destiné une de ses filles et demandé pour elle en mariage à mon père, quoique je n'eusse encore que seize ans. La demoiselle me plaisait assez et semblait prévoir combien je devais un jour fournir de pratiques à M. son père, le mien de consentir à ce mariage. Il disait que la fille d'un bourreau avait apporté en en venant au monde quelque chose qui faisait en quelque sorte tache, que M. son père était trop connu dans le quartier et que cela pourrait faire parler le cousin l'épicier et la commerce la marchande de choux que les Receveur avoient toujours été honnêtes et qu'on remercierait M. Samson de l'honneur qu'il voulait bien nous faire. On chargea de la réponse Champion, huissier à verge et intime ami de l'une et l'autre maison. Il fut trouver M. Samson comme il venait d'expédier deux jeunes drôles qu'avoient l'air de devoir vivre encore cent ans. Il avait roué l'un deux avec tant de grâce que mon attachement pour sa famille s'en était accru du double, il me semblait que la gloire du père rejaillissait sur mademoiselle Samson et je croyais déjà jouir de l'honneur d'être admis aux charmes de se sa couche, lorsque Champion nous rencontrant au coin de la rue du Mouton, comme je complimentais le père Charlot sur son adresse, nous aborda en crachant du latin, comme à son ordinaire. « Ô, nous dit-il d'un ton aussi triste et aussi lamentable que s'il eût été un an sans porter d'exploits. Quel couple ! Juvenum pulcherrimus alter, altera quas oriens habuit proelata puellis. « Je viens au nom du père Receveur, former opposition à l'union la mieux assortie qui soi depuis long-temps formée sous le ciel. Je vous entends, dit le père irrité, un fatal préjugé. Ma fille, puisqu'il est ainsi, faisons un effort généreux et que Monsieur s'éloigne à jamais d'une famille dédaignée. Cet arrêt irrévocable fut pour moi un coup de poignard, je m'éloigne et traverse à grands pas la place encore fumante des débris des exploits de mon prétendu beau-père. Je marchais la tête languissamment penchée, j'avais déjà passé cet endroit où la justice prépare la besogne à Charlot et où la Morne fournit de continuels aliments la curiosité du peuple. Je me sens tout-à-coup frapper sur l'épaule. Je me redresse. C'était un sergent du régiment de Normandie. « Mon Gentilhomme, me dit-il, voudriez-vous servir le Roi.  - Père cruel, m'écriai-je ! Tu ne me reverras jamais. - Oui, Monsieur, je suis des vôtres. Nous entrons dans un cabaret, nous buvons les vins du marché. Je rejoins et ma famille ignorant mon destin, croit que peut-être j'ai fini mes mes jours par le ministère de mon prétendu beau-père[18] « C'est ainsi que je manquai une alliance qui m'aurait couvert de gloire et peut être conduit à succéder à Charlot. Mais si j'ai perdu l'occasion, mon cœur est resté pénétré de cette haine vigoureuse qui m'a fait immoler plus d'un voleur avant qu'il ait été convaincu. » « Ha ! Pourquoi, s'écria, les yeux baignés de larme, le sensible Gazetier Cuirassé, cette alliance n'a-t-elle pas eu lieu ? Quels illustres rejetons seraient sortis d'une souche si noble ; mais contez-moi, je vous prie, comment la providence vous a conduit des offices publics au service secret et quels heureux événements vous ont amalgamé à la Ste. Police. On parle d'une aventure, d'un coup d'éclat frappé en Allemagne. » - Je vous entends et vais vous satisfaire ...Crapet ... « J'avais été employé durant toute la guerre de 59 en qualité de garde de la connétablie auprès du Grand Prévôt de l’armée et je m'étais distingué par une foule d'action d'éclat. Chacune d'elles avait fini par faire pendre au moins un soldat. Je revenais chargé d'une mission importante et rêvais traverser une partie de la Hollande. Je m'arrête à dîner à une auberge où mangeait un commis aux vivres. Il m'aborde et me montrant un de des deux qui dînaient avec nous. « Voilà, me dit-il, le valet-de-chambre du comte d’Onge. C'est lui qui avait fait, il y a 15 ans, le complot d'assassiner son maître, ses complices ont été pendus, il s'est retiré en Allemagne, où il vit aujourd'hui en honnête homme, gémissant de sa faute, marié et père de sept enfants qu'il élève avec tout le soin imaginable. » Ces paroles me frappent, j'en écris la substance avec un crayon, je remplis ma mission et j'arrive à Paris. Étant à un souper de frairie avec plusieurs grands officiers du Lieutenant de Police, chacun était en gaieté et racontait ses exploits, chacun vantait les siens. « Voulez-vous, m'écrie-je, Messieurs, voir de qui de nous en exécutera un de la dernière importance ; il s'agit d'arrêter, en pays étranger, un homme, qui autrefois a médité un crime qu'il n'a pas exécuté qui s'y est marié, y jouit aujourd'hui d'une considération qui a fait oublier sa faute. » Les uns se récrièrent sur l'utilité et l'odieux d'un pareil exploit, d'autres sur les dangers, en un mot personne ne se sentit assez de courage pour attacher le grelot. Je ne dis mot, mais je fus trouver le Maître : « Tout vos gens sont des poules mouillées, lui dis-je, voici ce dont il est cas et je vous amènerai l'homme. » Je repars aussitôt pour l'armée. Je laisse les marques du métier, me déguise, vais trouver le coupable, en moins de trois mois, je gagne son amitié, loge, mange chez lui, l'entraîne au quartier-général sous un prétexte spécieux, l'arrête, l'envoie à Paris et viens à la Gréve le voir expirer sur la roue[19].

En disant ces derniers mots, les traits du Barrigel s'altèrent, ses yeux se gonflent, il lui prend un hoquet intermittent. « Ô ! Dieux, s’écrie-t-il, sauvez moi de cette ombre en furie … Un poignard… Des flambeaux ardents, ses yeux brillent comme des tisons allumés aux yeux de l’enfer … sa gueule est prête à m’engloutir … » À peine il peut achever ces mots, il tombe dans des convulsions horribles entre les bras du Gazetier qui appelle le Waiter, demande le secours et met en évidence autant qu’il peut la folie de Receveur. L’ombre du malheureux Crapet le poursuit, l’effraie et le jette de temps à autre dans une sorte de manie dont il a été affecté cinq ans sans discontinuer et qu’il n’a plus que par intermittence. Il eut à peine reprit ses sens qu’il raconta pour s’égayer et distraire son âme de cet objet sinistre, l’histoire d’une révolte Bicêtre. Il l’avait calmée en faisant pendre quarante malheureux, à commencer par celui qui avait découvert le complot. Il ajouta l’histoire d’un homme soupçonné qu’il a tué d’un coup de talon entre deux guichets de prison, puis tirant sa croix de Saint-Louis d’une petite poche qu’il avait sur le cœur en-dedans de son habit : « Oui, dit-il, j’en atteste cette croix respectable que j’ai gagnée par vingt ans de pareils exploits. J’ai suivi les voleurs avec une ardeur sans égale. Parjures, caresses, faussetés, calomnies, tous moyens m’ont paru légitimes contre cette engeance que j’ai prise en horreur, nulle action ne m’a parue trop noire, dès qu’il a été question d’en purger la terre, les crimes, les violences et la perfidie ont été anoblies par ce motif et ma carrière glorieuse fait l’envie des Dutronchay et des Des Burguiere[20] : terminons-la par un coup d’éclat et de vigueur et montrons à Londres étonné ce qu’ose un colonel de la police.


§. VII.


Suite des négociations de Receveur


Il serait trop long de suivre la bande dans toutes ses diverses négociations, qui ne produisirent que peu de choses. Il paroît qu’elle ne perdit point de vue le libraire B_re, qu’elle eut même des desseins que la prudence l’empêcha d’exécuter ; car le Plénipotentiaire l’ayant fait demander par trois fois et le Libraire ayant refusé tout autant, le Ministre qui lui avait fait dire par son valet-de-chambre, que l’Ambassadeur de France ne mangeait personne, (ce sont ses propres paroles) s’écria, on l’a donc averti.

Le refus obstiné du Libraire jetta le désespoir dans le cœur de Receveur. Ne sachant à qui se fier, il s’adressait à tout le monde, il courait de café en café, de cabaret en cabaret, je viens, disait-il à tout venant, pour acheter les Passes-Temps d’Antoinette et les Aventures du Vizir de Vergennes. M. de Limon qui m’a précédé dans cet emploi, à voulu donner 150 louis des Petits-Soupers, on en voulait donner 175, on a refusé et ils sont en vente. « O vous ! qui avez des libelles ; approchez, hâtez-vous, je pars dans quinze jours ; ceux qui avoient besoin d’argent, ouvraient les oreilles, il n'était fils de bonne mère qui ne fut prêt à écrire les Contes de l’œil de bœuf et ceux des antichambres de Paris. » Entre autres personnes à qui il s’adressa, il ne faut pas oublier ce M. de la F…. dont nous avons déjà parlé, il avait des liaisons avec le possesseur des libelles de Jaquet : il rencontre par hasard Receveur qu’il ne connoissait pas. « Prenez garde, M. dit-il, au chevalier de St. Louis ambulant, il y a ici des Inspecteurs de police, entre autres un certain Receveur, le plus cruel de tous les suppôts de l’inquisition à cachet. Nous espérons l’aller voir pendre au premier jour, je vous avertirai et vous viendrez avec nous. » Le Chevalier de St. Louis se nome justifia les desseins qu’on lui imputait et répondit qu’il ne venait pas pour enlever, pais pour traiter.

M. de la F… [Pelleport]tout étourdit qu’il est, ne manque d’une forte de pénétration, il crut apercevoir la possibilité de gagner quelques louis, en servant le Roi et la Reine. On dit qu’il est assez bien né et que son père est attaché au Roi ; il crut se faire valoir auprès des deux partis et offrit de réussir dans la négociation désirée ; mais comme il n’était pas fait, disait-il, pour tenir une commission des frères de Saint-André, il exigeait que le Ministre lui en donne un ad hoc, en lui permettant de garder le secret sur le nom du possesseur des libelles. Il écrivit dans cette vue à M. le comte de V_s [Vergennes] une lettre dans laquelle ils se disait sur le point d’arriver à sa source. On devait, à l’entendre, le croire au-dessus des délations et de l’argent ( I Il prenait le possesseur du libelle pour l’auteur lui-même) : au reste, son avis était de mépriser ces libelles et les libellistes, il assurait que le moyen pour n’en pas craindre, était d’avoir une conduite exemplaire et qu’on ne calomniait jamais ceux de qui il offrait ses services en désirant qu’ils fussent refusés. On prétend qu’en attendant le réponse, M. de la F_ composa un petit ouvrage dans le genre de ceux qu’on cherchait et qu’il tira des libelles de Hollande. On dit que ce n’est que l’analyse de tous ceux de Jaquet. La Gazetier Cuirassé, en qui M. de la F.... a beaucoup de confiance et à qui il a communiqué le libelle, était de moitié avec lui. Ils devaient partager le produit ; on croit même que M_s a fourni les anecdotes, vu que le jeune homme n’a pas beaucoup de correspondances à la Cour. Un ami de M. de la F_ a assuré en plein café que l’ouvrage était parfaitement bien fait et écrit fort chaudement ; nous n’en savons rien, mais nous en doutons fort. Cependant la réponse de Vergennes se faisait attendre parce qu'il avait jugé à propos de prendre des informations sur celui à qui il devait la faire. Pendant tout ce temps, Receveur ne restait pas oisif. Il voyait régulièrement G_n et faisait mettre en anglais par feu l’abbé Landais [Landis], Les Petits Soupers de l’Hôtel de Bouillon. A peine cette traduction fut-elle finie, qu’il la confia a un Avocat nommé Greenland, en lui ordonnant de faire un mémoire sur les moyens d’attaquer l’auteur et le libraire. On proposa de faire venir les acteurs des petits soupers que l’obscurité de leur état permettait d’employer ici à poursuivre et de faire mettre le libraire au pilori. M. de Castries mêlé de tous côtés dans cette affaire, aima mieux l’ensevelir dans l’oubli et on ne poursuis pas. Cependant M_s et R_ avaient fait conjointement un plan de police, qu’ils présentèrent à M. Sh_n ; ils esperaient mettre l’ordre sur le pied de Paris et y détruire toute espèce de liberté, sur-tout celle de la presse. On trouve dans les papiers du malheureux abbé Irlandais un mémoire auquel il devait répondre et dont voici la substance.

Mémoire adressé à M. __ Conseiller d'Etat, au sujet de la Requisition d'une Cour Etrangere, qui a fait demander par son Plénipotentiaire, qu'on restreignit la Liberté de la Presse à Londres. Vous demandez, Monsieur, quels sont les principes sur lesquels doit poser votre réponse, au Plénipotentiaire, qui exige que l’on fasse un acte pour autoriser le Procureur-Général à poursuivre les auteurs qu’attaquent ans les libelles la réputation des Princes étrangers. Je crois que l’exposé de l’esprit de nos lois suffira pour le guérir de la manie de se mêler de notre police et de nous envoyer en qualité de législateur un Thiefcatcher et un homme qui ne vit ici que du produit de ses libelles : voici ce qu’on peut lui répondre. Avant de commencer un procès il faut, 1° qu’il y ait un corps de délit constaté. 2° Qu’il ait été commis dans le pays. 3° Que la loi ait prononcé une peine contre ce délit.

1° On ne peut constater de délit qu’en supposant le livre contre lequel on veut sévir, libelle séditieux, ou Scandaleux. Dans les deux cas il faut que le scandale, ou la sédition produisent des effets sur le peuple de ce pays pour les auteurs et coopérateurs soient punissables, car nous ne pouvons nous charger de faire la police chez nos voisins, ni de punir les auteurs d’un délit dont les effets ne se font sentir que chez eux. C’est à se garder et à se préserver eux-même. Autant vaudrait qu’ils exigeassent de nous la punition de leurs contrebandiers. Un libelle qui attaque un François vivant en France, est une chose aussi indifférente aux yeux de nos lois, que s’il attaquait un lettré de Chine. On ne peut donc regarder comme un délit, l’action d’imprimer et de vendre à Londres un libelle, même diffamatoire, contre un étranger, à moins qu’il ne demeure en Angleterre et n’ait droit au moins pour un temps à la protection de nos lois. 2° Il n’y a pas de loi en Angleterre qui ait défendu d’attaquer, par écrit, la réputation d’un homme vivant hors du Royaume, fut-il Prince ou Souverain. Le Procureur Général ne peut poursuivre la réparation d’un délit qui ne blesse ni la Majesté, ni la sûreté, ni les intérêts du peuple anglais. C’est à ceux qu’un écrit scandaleux attaque à en empêcher l’introduction dans leur pays, à en punir les auteurs et colporteurs conformément à leurs lois. Un libelle contre un étranger est chez nous une action méprisable, s’il découvre des vices secrets sans motif : odieuse si c’est une calomnie, mais dans tous les cas indifférente à l’ordre public. Si nous souffrions qu’on punît un homme pour un libelle scandaleux, attaquant un Prince étranger, pourquoi ne punirionsnous pas celui qui fait un mémoire pour appuyer les droits du Roi d’Angleterre à la Couronne de France et notre Chancellerie, qui tous les jours donne à notre Monarque un titre qu’il n’oserait prendre au-delà du pas de Calais ? Assurément de l’autre côté de l’eau, on appellerait un pareil ouvrage libelle séditieux et on punirait son auteur. Si nous ne punissons pas un libelle séditieux en France, pourquoi punirions nous un libelle scandaleux. Il faut être conséquent et mépriser les libelles de toute espèce. Pour qu’un homme puisse être actionné il faut que le libelle intéresse des gens vivants en Angleterre, pendant la composition et l’impression de l’ouvrage. Assurément je puis écrire ici, que la Sultane favorite de Roi de Perse couche avec le Grand-Écuyer de l’Empire sans enfreindre les lois d’Angleterre. Princes, soyez vertueux, bons sages humains, économes, ayez, comme Princes, la conduite de Joseph II, comme citoyens celle de Georges III et si quelque fou vient à vous insulter, vous ne ferez qu’en rire.

On n’a pas trouvé la réponse de l’Abbé au mémoire dont nous venons d’extraire quelques réflexions. Il paraît qu’elle détourna tout-à-fait Receveur du désir de poursuivre en justice, qu’il s’en tint au plan d’abord adopté et voulut tenter un coup de main, ou acheter à vil prix.


§. VIII.


Nouvelle indignités du Gazetier. Démarches ridicules du comte de M_, de R_ et de Godard.


On ne saurait dire combien de délations calomnieuses donna lieu le séjour de Receveur à Londres. Il écoutait tout ce que venaient lui déclarer des gens sans aveu, sans pain, sans honneur et qui envoyait tout à la police. Il ne serait pas étonnant qu’un homme, qui de la vie n’a oui parler de tous ces méprisables coquins et que les affaires appelleraient un jour en France, y fut arrêté, mis en prison et y mourut sans connaître la cause de sa détention dont l’a fait accuser à Londres par-devant le Sr. Receveur. Rapportons quelques-unes des délations qu’il a recueillies. Il y a à Londres un François nommé Maurice qui a été Secrétaire ou clerc de M. Gerbier. C’est un gros lourdaud qui peut tout au plus écrire une petite carte de visite. Il loge avec une assez jolie petite femme qui va vendre des modes de maison en maison. Morande la rencontra un jour dans un lieu de débauche où elle apportait des bonnets aux malheureuses, qui se dévouent dans de pareils endroits aux plaisirs des gens sans délicatesse. Elle lui plut, il lui proposa de l’entretenir, lui offrit une maison de campagne et 50 louis pour la tirer du besoin le plus pressant. Il la fit par ce moyen condescendre à ses désirs, la mena ensuite au fond de la Cité sous prétexte de prendre de l'argent chez un banquier ; l'a trompée de toutes les façons imaginables, il la renvoie à pied sans argent et ne remportant que le dégoût qu'inspirent la personne et les propos d'un vieux libertin, usé et blasé. Jusqu'ici cette action est celle d'un avare crapuleux et débauché, voici celle d'un monstre qui voudrait anéantir ceux devant qui il rougirait, s'il pouvait rougir de quelque chose. Il s'apercevait que le soupçons de Receveur, qui le regardait au fond de son âme comme l'auteur des Petits Soupers, se fixaient sur lui, à mesure que l'impossibilité de rien découvrir augmentait ; il avait besoin d'un être sur qui il détourner les regards du maître espion, il choisit Maurice ; sans autre motif, que celui de perdre un homme dont il avait trompé la compagne. Il fit entendre à son maître que ce pauvre hère était l'auteur des Petits Soupers et qu'il fallait avoir de son écriture pour la comparer avec celle des lettres anonymes, adressées dans le temps à Mm de B_n.

Un jeune Officier François, ad turpia cogit oegeflas, se chargea d’en procurer, à condition qu’on la lui payerait cinq louis. Bien certain qu’on ne la connoissait pas, il se fit écrire par le premier venu, une lettre indifférente et la vendit comme écrite par Maurice. Le Barrigel court avec son excellente emplette chez le Pléni…, ils s’assoient ; après quatre heures de l’examen le plus sérieux, ils décident que l’écriture est du pauvre home que Morande avait voulu faire soupçonner et en rendent compte au Ministre. Peu de jours après celui qui l’avait écrite en fit des plaisanteries, elles revinrent à Maurice qui courut aussi-tôt chez Receveur : « Monsieur, lui dit-il, me connoissez-vous ? – Non, Monsieur, je n’ai pas cet honneur – Je suis Maurice, - Ah ! M. Maurice, bien flatté de vous voir, il y a longtemps que je vous connais de réputation – Et mon écriture la connoissez-vous ? – Oui, je crois en avoir ici. – Voulez-vous me la faire voir ? – Non, mais voulez-vous écrire vous-même ici quelques mots ? – Volontiers – Ciel ! que vois-je, l’écriture que l’on m’a fournie n’est pas la vôtre. – Non, sans doute, on s’est moqué de vous et on a eu votre argent. Tout cela est dans l’ordre des choses et doit vous apprendre qu’il ne faut pas acheter en cachette des dépositions de ceux qui calomnient pour de l’argent et pour le plaisir de rire de vos sottises. » Receveur au désespoir coure chez le comte de M_r [Moustier, lui fait part de la manierèe dont on les a joués tous les deux. Ils se plaignent l’un et l’autre au Gazetier [Morande] qui avait conduit toute la machine et qui ne fit qu’en rire.

« Quoi, disait le commandeur de Saint-André, moi, moi qui me suis signalé par mille exploits divers, un enfant me trompe et se joue de mon adresse. Je sors avec Morande ; à ses côtés on m’escamote une tabatière d’or de soixante louis et c’est un petit Savoyard qui fait ce bel exploit ? Quel pays ! Quelle Nation ! partons au plus vite. » Comme il en était au plus beau de ses jérémiades, un courrier arrive, il apportait une lettre de M. de V_s [Vergennes] en réponse à celle de M. de la F_e.


§. IX.


Négociation du comte de Moutier avec M. de la F_e.


Dés que le comte de M_r. [Moustier] eut reçut la lettre de M. de V_ [Vergennes], il manda M. de la F_e et la lui communiqua, l’article qui le regardait, l’autorisait à faire des démarches pour la suppression du libelle et à taire le nom de l’auteur. Le comte expédia un extrait de cette lettre et le remit entre les mains de Receveur pour le déposer chez un Notaire où il devait rester pour la sûreté de M. de la F_e. Voici, si on peut l’en croire, le contenu de cet extrait.

« Vous pouvez assure, sur votre parole d’honneur, à M… ; qu’on lui saura gré du zele qu’il témoigne pour la suppression des libelles et qu’il peut revenir en France, sans craindre que personne lui fasse jamais la plus légère question, sur le nom de l’auteur ou des auteurs du libelle ou des libelles dont il a connaissance. Bien entendu qu’il en procurera la suppression et qu’on ne sera plus inquiété par ceux qui les ont composés. » Je certifie sur ma parole d’honneur que le présent extrait renferme les volontés du Ministre telles qu’elles sont énoncées dans sa lettre. A Londres le 4 mai 1783. (Signé) Le comte de M_r, plénipotentiaire du roi de F_e. M. de la F_e dit à qui veut l’entendre qu’il reçut avec un mépris souverain cet extrait qui lui découvrait la ruse et lui faisait voir le piège qu’on lui tendait. Il expliqua de sang froid à celui qui l’avait signé, le bien entendu qui lui déplaisait et l’obligea à la troquer contre ces paroles : « quand bien même il ne réussirait pas à en procurer la suppression et à empêcher qu’on ne soit à l’avenir tourmenté par ceux qui les ont composés. » Ce second extrait contradictoire au premier, était muni du même certificat et M. d la F_e , à qui celui qui écrit ceci a entendu raconter la chose, en assure la vérité sur son honneur, il dit de plus qu’il le soutiendra même au comte de M_r, unguibus et rostro et que si quelqu’un des employés de la police prétend le contraire, il a menti. Il ajoute sur ses conversations avec le Plénipotentiaire des détails qui sont bons à rapporter. Lors de la première entrevue, le ministre avait des vapeurs, ses rideaux étaient entr’ouverts, il ne pouvoir qu’à peine ouvrir la bouche. Cependant il essaya de faire donner M. de la F_e dans un piège assez grossier. « Sachez, Monsieur, que je quitte dans l’instant le Renard des caricatures ( I - C'est un Ministre Anglais qu'on peint avec un tête de Renard. ) et qu’il m’a promis de faire pendre, sans forme procès ceux qui oseraient écrire contre la Reine. Le renard a voulu rire ; avant de faire le procès d’un homme, il faut qu’il y ait un délit, un libelle contre un étranger n’est pas un délit ; et le fut-il même, il faut un Juré qui constate son existence et en fasse connaître l’auteur. Enfin il faut encore une loi qui prononça la peine. - Ho ! ho ! on les pendra, sans toutes ces bêtises de ce Juré là. – Ne vous rappelez-vous pas, monsieur le comte, que lorsqu’on arrêté l’ambassadeur de Russie, ceux qui lui firent cette avanie, ne purent être punis, faute d’une loi expresse et que celles qu’on a faites n’ont pas eu un effet rétroactif ? Mais combien demandent ces marchands de libelles ? Ils ont parlé de 400 louis. – Fi donc, 400 louis ils n’auront rien. – En ce cas-là, je vous suis inutile, bonjour, Messieurs. – Eh ! attendez donc, il faut au moins voir la chose. – Déposons votre lettre et j’aboucherai, Monsieur, avec l’homme commis par l’auteur. M. de la F_e, en qui le dépositaire n’avait pas eu une confiance très–étendue, le croyait l’auteur du libelle et ne savait pas l’histoire de Jaquet ; mais on n’avait confiance en lui ni d’un côté ni de l’autre ; on fit des difficultés pour lui remettre l’extrait de la lettre, il s’était rendu suspect aux négociateurs. Il avait appris par voie indirecte que M_s avait composé un plan de police pour la ville de Londres, ce plan n’était qu’une copie de la police de Paris. Il écrivit dans le Courier de l’Europe trois ou quatre lettres assez fortes ; non seulement le Gazetier lui répondit par des platitudes sous le nom de Charles des Rameaux, mais à l’aide du vieux Goy, frère du mystificateur qui a été si fort à la mode à Paris sous le nom de Mylord Goy et qui s’est cassé le cou par la mystification de Mme. de Crussoles ; il obtint le manuscrit des lettres de M. de la F_e. Dès qu’elles furent imprimés, il les envoya au Lieutenant de Police, persuada aisément à ce Magistrat qu’on avait voulu le peindre et que ces lettres faisaient allusion à ce qui se passe en France ; le Magistrat eut la sotise de les faire supprimer, mais elles se trouve dans l’édition de Londres depuis le N° 30 jusqu’au N° 40, quoiqu’elles ne soient pas dans celle de Paris, où le Courier se réimprime après avoir passé à la censure. Vous avez écrit disait le Ministre, des lettres dans lesquelles la police de Paris s’est reconnue. Pourquoi vous brouiller avec le Gouvernement ? Eh ! Monsieur, j’ai écrit contre un plan fait pour Londres ; vous savez vous-même que ce plan existe : - oui, oui, mutato nomine ; mais Morande a déjà gagné quelques Membres du Parlement. M. Receveur a corrigé son plan, c’est un chef-d’œuvre, - Eh ! Monsieur, comment voudriez-vous que le Parlement fit des lois qui sanctionnassent un projet qui renverse de fond en comble notre constitution ? Mais votre constitution n’a pas le sens commun. Quoi, pour arrêter un homme, il faut ou le cri public, ou un ordre du Juge ! Le roi, ni ses Ministres, n’ont pas le droit de fourrer un mauvais sujet à la Tour ! Il faut que l’Officier qui a fait une capture, la mène d’abord au Juge de Paix, que celui-ci décide en présence de tout le monde, patentibus foris, si l’accusé doit être conduit en prison ou relâché sur le champ ; sa décision doit être publiée dans les papiers publics ; on ne peut le séquestrer, le faire disparaître, l’envoyer chez des moines qui le font mourir à petits feux, ou tout d’un coup s’il est nécessaire : la sentence du Juge de Paix est soumise au Grand-Juré qui décide de sa validité et peut mettre le prisonnier en liberté. Enfin, ce gueux, cet homme de la lie du peuple, est jugé par ses Pairs comme le serait un Lord. Il a le choix sur plus de 60 personnes et de 48 qu’on lui présente, il peut en récuser 36. Enfin, ces gens qui ne le connaissent pas, sont obligés d’être tous du même avis, comme s’il ne pouvait pas paraître vraisemblable à celui-ci qu’un tel crime a été commis par un tel homme, tandis que son voisin voit le contraire ! Comme si tous les hommes devaient être d’accord sur une question de fait tous ont les mêmes preuves dans le même instant et qu’il ne suffisait pas du plus grand nombre pour pendre un faquin, un homme de la lie du peuple ! Point de Ministre qui puisse intervenir au nom du Roi et aggraver la peine si bon lui semble : point de secret qui couvre la vengeance et les passions des grands. Une procédure publique qui révèle………Fi………..Fi………..

Vous avez pris là une bien mauvaise thèse : vous êtes sûr de déplaire à notre Parlement qui n’y regarde pas de si près et à nos Ministres qui n’y regardent pas du tout. La justesse d’esprit du négociateur perçoit à travers son discours, elle inspira à celui qui l’entendait la plus haute idée de la clarté, de la lumière que devait répandre ce négociateur sur le traité qu’il venait de faire semblant de conclure ; voilà donc, disait-il hautement, les intérêts de deux grandes nations entre les mains d’un petit pédant qui ne peut seulement acquérir une idée nette de la différence essentielle entre la preuve de droit et la preuve de fait ! Quelle idée de faire du grand pédant qui a laissé tomber sur celui-ci un rayon de sa gloire. Le comte de M_r avait remis le second extrait à Receveur qui fut proposer à M. Bonnet, Notaire, de la recevoir en dépôt. Celui-ci refusa de s’en charger et tous les Notaires en firent de même. Morande proposa le dépôt à M. Van Hoec [Van Neck], qui ne voulut pas s’en mêler ; tout ceci décida M. de la F_e à abandonner une opération qu’il aurait toujours regardée comme infiniment au-dessous de lui, si elle ne lui eût fourni une occasion de servir des personnes qu’il respecte et qu’il aime plus que toute autre chose au monde.


§. X.


Bavardages et dîner de Philidor.


Qu’il est bête, ce Philidor ! Quelle mâchoire ! En vérité si jamais on le punissait des platitudes qu’on lui attribue, il faudrait être mille fois plus imbécile que lui.

Ce dernier avait été dans un café où les honnêtes gens se gardent de paraitre, mais que fréquente le peintre[21] dont nous avons déjà parlé et qui l’a chanté plaisamment. Philidor étant gris, se permit devant les valets qui peuplent ce taudis, des propos indécents sur une personne qu’il doit respecter et qu’il respecte quand il est de sang froid. L’une des vedettes du Gazetier Cuirassé se détache au plus vite et vint répandre l’alarme au quartier général. Vite Humbert court à la plume, Receveur reçoit des dépositions, dicte des commentaires et fait plier sous le poids de ses écrits, les chevaux qui portent les paquets du pacificateur. M. le N_ [Lenoir] lui-même est effrayé de l’énorme fatras et ne peut trouver dans toute la police un être assez courageux pour lire la lourde dépêche[22]. Godard ne fut pas plutôt informé de la nouvelle procédure qu’il courut en avertir l’échiquier. « Mon ami, lui dit-il, vous sentez Bicêtre d’une lieu de loin. Prenez garde ! Vous avez tenu des propos qui ne sont pas tout-à-fait autant dans le goût François que la musique du mmaréchal. Charles de M_s [Moustier] a entamé une partie dans laquelle ou pourrait bien vous donner un tour. Défendez-vous. » Ce discours ébranla le cœur de notre imprudent voyageur. Il tint conseil avec l’espion chinois [Goudar] et ils résolurent de donner à dîner à Receveur et aux matadors de la bande, excepté toutefois Charlot.Philidor l’aurait admis de reste mais Godard donna pour le coup l’exclusion à son rival. On prépara donc un grand dîner au Club des échecs. C’est ainsi que jadis Enée, voulant descendre aux enfers, jeta du pain à Cerbère pour fermer ses gueules d’airain. On fait toujours taire les mâtins en les mettant devant une assiette. Mais Philidor oublia de fermer la troisième et la plus large des gueules du chien de la police. Morande ne fut pas du dîner Perdre un bon dîner, laisser un ami seul, être exposé soi-même au danger d’un mot, d’une plaisanterie ! Tout cela ne pouvait se pardonner. Aussi l’illustre Charlot qui brûle du désir de montrer, sans dangers, sa bravoure, voulait-il faire mettre l’épée à la main au vieillard ; le bon homme ne recula pas ; Charlot lui offrit des pistolets ; enfin quand les pistolets furent acceptés, il proposa de s’asseoir tous les deux sur des barils de poudre défoncés et d’y battre le briquets pour allumer une pipe. Godard ne goûta pas cette dernière proposition à cause du prix de la poudre en Angleterre, il représentera à son adverse partie qu’ils bruleraient d’un coup de briquets plusieurs mois de leurs appointements et l’on quitta ces idées sinistres. Faisons comme eux et revenons au dîner ; car il n’est ni chagrin, ni bravoure[23] qui puisse détourner tout-à-fait de la table l’esprit des pauvres humains. Le dîner fut des plus gais. Laboureau en fit mieux les honneurs que de celui de l’Hercule où Morande ayant conduit Receveur, le chantre du café d’Orange, avait monté sa lyre sur un ton propre a exciter l’esprit des Suisses qui mangent dans cette sombre caverne. Il leur avait peint dans un impromptu les dangers et la honte qui rejailliraient sur eux si les voyageurs curieux venaient souvent manger à l’Hercule, il avait mis un Suisse à chaque porte en leur disant : « Gardez que Receveur n’entre jamais céans. » Mais il avait bien changé de système en venant de Cornhill à Saint-James. C’est ainsi qu’un commis marchand de la Cité qui a fait fortune, perdu sa droite rusticité, dépouillé le gros drap, n’a pas plutôt pris un logement dans Westminster, qu’il paraît à la Cour les jours de gala et oublie les sentiments dont il était animé près du pont de Londres. Temple-Bar est un arc magique, qui fait d’un valet de comptoir un Monsieur, d’un Alderman un courtisan, d’un homme de morale austère un Jésuite à distinctions accommodantes. Mais revenons donc à ce dîner, car il faut finir. Rien n’est plus aisé, cher lecteur, on se grisa tout de bon, on se raccommoda à l’écuelle et Receveur remit le pauvre Humbert à griffonner une rame d’adoucissements. Ces Messieurs de la police entendent si bien l’art d’adoucir leurs couleurs quand on saupoudre d’or leur pinceau ! Un homme a d’abord, à les entendre, tenu les propos les plus sanglants. – Dix louis… Les propos étaient sanglants, mais Philidor était bien gris. – Dix louis, M. de Bruguieres -, Dix louis… les propos étaient forts, mais le ton fait la musique. Et les modes de Philidor sont froids et sans expression, demandez plutôt aux comédiens Italiens ordinaires du Roi. Dix louis, M. d’Hémery -Dix louis : je ne me mêle plus de rien. Colonel, retiré, foulant aux pieds les fleurs de lys, sur la liste des maréchaux de France de la dernière promotion…. Pardon, Monsieur, un rouleau de cinquante, ce sont des guinées parfaitement gravées. Monnaie anglaise, dont j’ai débarrassé Milord Sleen dans une partie qui a duré trois jours… des guinées ! Messieurs, nous sommes si sujets à être trompé par nos mouches, nous recevons si souvent de faux rapports, puis nous ne nommons pas les témoins, nous ne nous permettons ni récolement, ni confrontation. Allons, M. Philidor, cinq guinées à Vaugiens et vous serai blanc comme neige. Ô M.Philidor, vous auriez assassiné le père éternel, que vous êtes plus innocent que l’enfant qui vient de naître.

Ce dîner avec accompagnement rétablit Philidor dans l’opinion des inquisitives travellers : mais il acheva de rendre fou le pauvre Humbert. Son maître le fit tant griffonner, charger un peu celui-ci pour décharger celui-là, enfin le traita avec tant de dureté que le physique du Houzard résistant mieux que celui du pauvre Abbé Landais, le moral céda et mon homme devint tout-à-fait fou. Joignez à toutes les raisons que nous avons données de l’aliénement de son esprit, la frayeur de Bicêtre, où il apprit que Receveur l’avait condamné, pour avoir vendu à Morande un demi-louis, la communication d’une de ses dépêches. Le malheureux disparut tout-à-coup. Ce ne fut qu’à force de recherches que Morande le découvrit et lui ôta le chapeau rond et le [?] surtout que lui avait donné leur commun maître.


§. XI.


Arrivée de M. d'Adhémar. Fuite honteuse de Receveur. Tempête et dispersion de la troupe.


C'est dans ces circonstances qu'arriva à Londres le marquis d'Adhémar, ambassadeur du roi. Il regarda avec raison comme au-dessous de lui de traiter avec un subalterne de la police. Mais comme Morande tient à plus d'une branche, il ne put s'empêcher de le revoir de temps à autres chez lui. Cependant on fait de bonne part que ses fréquentes visites sont plutôt pour les Secrétaires que pour l'Ambassadeur qui ne passe pas pour aimer la mauvaise compagnie.

Le plénipotentiaire partir peu après et l'ambassadeur signifia aux mouches qu'elles eussent à s'envoler. Receveur partit donc après avoir laissé à Morande la surintendance de son armée qui n'est pas peu nombreuse. Avant le départ du Général en Chef, elle était divisée en deux corps. Charlot avait sous lui un grand Capitaine Suisse, trois Officiers François, son Secrétaire, cinq ou six goujats et une douzaine d'autres affamés. Godard comptait sous sa bannière, un président, un baron Allemand, un baronnet d'Irlande, le gros Mouchard, deux Abbés, Philidor etc. tout cela allait, venait, subsistait, mangeait et riait aux dépens des affaires étrangères. Philidor partir le premier, Godard le suivit de près avec Receveur, Humbert fut mis à Bethléem, le capitaine au prévôt, trois officiers français ne purent plus paraître faute de souliers, les goujats furent envoyés sur la Tamise, le baron allemand partit pour la Russie, l'un des abbés mourut et le reste se cacha de honte dans des trois dont ils ne sortent qu'après que les chauve-souris et les chouettes ont commencé à attrister de leurs chants lugubres l'âme de ceux qui prennent le frais à leur fenêtre, après le coucher du soleil. Charlot resta chargé de la correspondance générale. On croit qu'il a un louis par jour. C'est le vieux Goy qui est le courrier de confiance. Il a déjà fait un voyage, député extraordinairement par Charlot. Cependant Receveur partir et reçut, en montant de sa chaise, le tendres embrassements de son féal Gazetier, qui le fit accompagner par le fidèle Secrétaire sans culotte. On dit même que les joues étaient mouillés de larmes qu'ils versaient de regret d'avoir fait si peu de mal. Mais ils se promirent mutuellement de réparer leur mauvaise réussite, à la première occasion. Receveur n'ignorait pas combien il devait haïr M_s. Il avait que peu reconnaissant des bontés de son maître, il répandait dans le public que de M_r ne l'avait mis auprès de Receveur que pour l'empêcher de faire des sottises. Il savait encore que l'imprudent Gazetier l'avait perdu en le faisant connaître du Chevalier Ecl..., qu'il avait été de moitié dans la lettre de Maurice ; qu'ils avait suborné Humbert, composé les minutes des diverses lettres que Mr. De J_t lui avait écrites pour avoir de l'argent, tantôt de gré, tantôt de force. Qu'il avait imaginé l'histoire d'un abbé la Porte, qu'ils ont cherché et qui n'existe pas : Il n'était pas bien certain qu'il n'eût pas vu la route qu'avait enfilée la tabatière d'or. Enfin, en méditant tout ceci, il arriva à Douvres. Un paquebot était prêt ; ils s'embarquèrent . A peine ont-ils quitté la côté d'Angleterre que les vents soufflent avec furie, la mer grossit, enlève le navire jusqu'aux cieux et le précipite aussi-tôt au centre d'un abîme d'eau . Le mal de mer leur prend. Receveur croit voir dans un nuage noir et épais, l'ombre de Crapet qui le poursuit encore, il se croit au dernier de ses jours. Couché sur le tillac entre l'espion Chinois qui priait Dieu pour la première fois de sa vie et le Secrétaire qui salissait le pont à travers les nombreux orifices de ses grègues, il ne voyait de tous côtés qu'une mort certaine. Il était dans cette horrible apathie que donne le mal de mer, étendu sur le pont, au milieu des débordements de bile de ses acolytes. Quand il en fut tiré par quelques coups de garcettes bien appliqués dont un matelot Anglais assaisonnait de « God damn the French dogs' ». Il fallut, malgré les ordres dont on était décoré, courir à la pompe. Enfin, on aborda à grand peine à Boulogne. C'est là que se tournant vers la côté d'Angleterre, Receveur s'écria dans un moment d'enthousiasme : « Maudite terre chienne de liberté, peuple qui haïssez l'autorité des Rois et les Inspecteurs de police : j'ai couru chez vous les plus grands risques, vos lois ont terni mes lauriers, la frayeur et la colère ont achevé de détraquer ma cervelle, j'ai souffert chez vous tous les tourments réunis dont j'ai accablé tant de misérable. Mais m'importe, je suis assez vengé, cruels Anglais, je vous laisse Morandes. »


F I N.



  1. Lors du ridicule siège de Genève, le roi de France Louis XIV, fit publier la proclamation suivante : Charles-Léopold, marquis de Jaucourt, maréchal des Camps et armées du Roi, gouverneur pour S. M. des villes, citadelles et comté de Blaye et du fort Médoc, l’un des Inspecteurs-Généraux de ses troupes, commandant en chef celles rassemblées dans le pays de Gex, etc.
      Ordonnons à tous les sujets du Roi mon maître, qui se trouveraient actuellement dans Genève, d’en sortir avant dix heures du matin, si faire se peut ; et si cette sortir se trouvait impossible par l’opposition de ceux qui occupent la ville, nous défendons audits sujets de S. M. de coopérer en rien à la défense de ladite place, ni à aucune mesure qui pourraient prendre le gens qui l’occupent : déclarent que tout Français pris par nous, les armes à la main, contre nos troupes ou celles de nos alliés, sera pendu selon la rigueur des ordonnances.
  2. François-Hubert Receveur de Livremont, ancien militaire, capitaine des Invalides et inspecteur de police
  3. Charles Théveneau de Morande
  4. Mr. de S — n’a jamais possédé pour un écu de fonds en France. L’Hôtel qu’il habite à Paris, sa maison de campagne ne sont pas à lui. Il les loue ; il sent bien qu’on ne transporte pas une terre comme des billets de banque. Note des Editeurs
  5. Ceux qui ont lu les mémoires sur la Bastille du célebre Mr. Linguet, se rappelleront sans doute ses soupçons sur la mort prématurée d’un habitant de ces tristes lieux. Ils frémiront en songeant que que c’est à cette même époque qu’y il est mort l’infortuné Chevalier de Launay. Il avait été rédacteur de la Gazette anglo-américaine. Ce papier s’imprimoit à Maestricht pour le compte d’un Anglois. Une querelle élevée entre eux causa la perte de l’infortuné Chevalier : il passa à Amsterdam où il se lia avec les auteurs des libelles tant recherchés par Receveur : & mourut suffoqué subitement à la Bastille dans le temps où Linguet y entendit un si grand bruit. (Note d’un homme bien instruit.)
  6. Ceci est si vrai que la caisse des profits du jeu est tenue par Gombaud le plus fripon de tous les Lyonnois. Cet emploi lui vaut 40.000 livres de rente. Il est en même temps le caissier des plaisirs honteux d’Ammelot : ce ministre si peu digne de succéder au vertueux Malesherbes, donne aux filles des bons sur Gombaud : voyez sur tout ceci une petite brochure, intitulée les Joueurs, & que mon libraire vous procurera, quoique M. le N— l’ait fait supprimer (Note fournie par Mr. le Duc de C———s à son passage à Londres.)
  7. On reprochoit au comte d’Argenson de n’employer dans la police que des coquins & des fripons. — Trouvez-moi répondit-il, d’honnêtes gens qui veuillent faire ce métier, & je vais les mettre à la place de ceux que j’emploie. — Quel aveu ! (Note de l’Auteur.)
  8. Bernard-René Jordan de Launay, gouverneur de la Bastille.
  9. I — Les voleurs ont un argot et les gens de la police un autre : ceux-ci insultent avec une cruauté sans égale aux maux de ceux-là. Quand ils les sont chargé de fer, ils se disent entre eux qu’ils leur ont mis la mousseline, et mille autres plaisanteries de cette force. C’est une lâcheté d’insulter aux maux des voleurs ; mais à ceux d’un citoyen honnête qui est la victime de la haine, ou de l’humeur d’un homme en place ! Les cheveux dressent à la tête quand on songe à la barbare insolence de ces marauds ! Note de l’Auteur.
  10. Nous devons ajouter ici une petite anecdote qui pourra servir à l’histoire de l’édition générale des Œuvres de Mr. de Voltaire , et à celle du Sr. Caron de Beaumarchais.
      On sait qu'il a acheté tous les manuscrits qui étaient restés à Mme. Denys: entre autre il s’en trouva un cacheté, sur lequel étoit écrit ; pour n’être ouvert qu’après la mort du Roi de Prusse. L’avide Caron n’a pas attendu que ce Prince ait passé la barque de son St. Patron, il a ouvert le paquet et méprisé les dernières volontés du poète comme il avoir fait celles de feu Mr. du Verney.
      Il a lu l’Hyver dernier ces mémoires à qui a voulu les entendre, ils ont servi d’Episode à son mariage de Figaro.
      Entre autres anecdotes nous en rapporteront deux plaisantes, l’une concerne Mme. du Châtelet, et l’autre le Roi de Prusse.
      Ce Monarque avoit composé une diatrible des plus violentes contre l’imbécile Louis XV, et l’avoit adressée à Voltaire pour la corriger. Le Poëte s’appercut que le paquet avoit été ouvert à la poste par des commis que le Roi y entretient aux dépens du public pour voler les secrets des familles, sous prétexte du bien de l’État. Il prit en conséquence le parti d’envoyer la pièce à Mr. le Duc de C.—… qui fit venir Palissot et lui commanda une semblable diatrible contre le Roi de Prusse. Voltaire à qui on renvoya l’une et l’autre les fit repasser au Roi de Prusse, et elles restèrent dans l’oubli toutes les deux, jusqu’à ce que Beaumarchais les en ait tiré.
      Cette indiscrétion a mis dans des frayeurs indescriptibles l’Auteur de la comédie des Philosophes, qui rêve jour et nuit qu’il va être assailli par des escogrifes envoyés par le Roi pour venger S. M. offensée.
      Voici l’autre anecdote. —— Mr. de Voltaire avoir fait cadeau à la Marquise du Châtelet d’une boîte d’or à secret, dans laquelle était son portrait. Après la mort de cette Dame, il se trouva à la vente, et la poussa avec un acharnement qui fut remarqué, et haussa extraordinairement le prix de bijou. A peine le Poëte l’a-t—il en l’on pouvoir qu’il l’ouvre et rencontre au lieu de sa figure celle de Mr. de St. Lambert ; on peut juger de son dépit d’avoir payé si cher la figure d’un mauvais Poëte.
  11. Ce Magistrat juge ce jour là toutes les malheureuses que la garde de Paris ou ses suppôts ont rencontré dans les rues ou trouvé exerçant leur métier sans y être autorisées par ces Messieurs et sans leur payer un droit. Elles sont toutes à genoux. Le magistrat parait avec un air qui témoigne assez d'importance de sa noble fonction. Les unes gémissent, d'autres moins modestes découvrent des appas dégoutants, d'autres disent au juge des vérités les plus dures, le nomment souteneur de B_ _l, fripon, Roi des escrocs, chef des traitres et des calomniateurs. Monseigneur envoie la bande en gros à l'hôpital et l'en retire en détail pour peupler convenablement les différents quartiers de la ville et avoir soin qu'il ne se perdre aucune des branches de son revenu. Note de l'auteur
  12. Il avait mis sa montre en gage. Note de l'auteur.
  13. L’un d’eux est le fameux Receveur qui a déjà été à Londres il y a quelques années, pour enlever le sieur Morande, auteur de plusieurs libelles contre des gens en place
  14. Porcherons de Londres. Note de l'auteur.
  15. Fameuses bandes détruites par Receveur si l’on en croit cet alguazil qui a souvent créé des chimères pour les combattre et se rendre important ; note de l'auteur
  16. N’oubliez pas que nous conservons, autant qu’il est possible, le style de ces Messieurs.
  17. Bourreau de Paris. Il avait table ouverte deux fois la semaine pour les chevaliers de Saint-Louis de la Police. Receveur, du Rocher, d'Hemery etc. en faisaient l'ornement (Note fournie par le Gazetier Cuirassé).
  18. C'est ce même respect pour l'honneur des familles qui a fait dire à Vestris, tout Vestris qu'il est, un mot qui vaut bien la peine d'être cité. Monsieur son fils ayant fait des dettes, il assembla l'illustre famille et présenta la quittances des créanciers avec une gravité digne du caractère de danse, qui a adopté. Mon fils, dit-il les Vestris ont toujours eu de l'honneur, pour cette fois je vous pardonne ; mais si vous recommencez, je vous ôtes mon nom et vous fais mettre à Bicêtre. Je ne veux point qu'il y ait de Guimenée dans ma famille. Les maisons élevée comme celle des Charlots et des Vestris ont raison de soutenir leur honneur. (Note tirée des Mémoires pour servir à l'Histoire des Théâtres, par feu M. l'Abbé Hubert, Docteur en Sorbonne.)
  19. Cette action a couvert Receveur de l'opprobre public et de la haine même de ces camarades.Un grand ministre informé de son apparition à Londres et qui a donné des ordres pour le veiller de près, s'est écrié en apprenant cette histoire : « Cet homme est un Desrues qui craint la brûlure. » (Note fournie par le Gazetier.)
  20. M. Linguet l’a sauvé de la potence dans l’affaire du comte de Morangies. Par reconnaissance, il est venu à Bruxelles pour enlever ses papiers et sa maîtresse. Si jamais on venait à vouloir faire justice de Receveur, souvenez-vous,qui que vous puissiez être, qui seriez tenté de chercher à le sauver, des Vautours et des Pigeons et de des Bruguieres.
  21. Nous regrettons sincèrement que Mr. Laboureau n’ait pas rendu publique diverses petites poésies qu’il a dans son porte-feuille et dont il régale fréquemment ses amis. Son Café d’Orange est très plaisant, il y a de portraits dans le goût de Boucher qui sont faits d’après nature. Si ces animaux ont un défaut, c'est celui d’être trop parlants. Dans son jardin de Standmore, il rappelle les bigarrures de la fortune du Gazetier, depuis les premières histoires qu’il tient d’un m d'Arnay-le-Duc, avec qui il voyagea dans la diligence de Lyon, jusqu’à la collection des tulipes. On trouve dans son Ode sur la Liberté des stances que J. B. ne rougirait pas d’avoir faites. Note de l'auteur
  22. Ceci pourrait bien n’être pas vrai car M. le N_ [Lenoir] aime les détails. Quand ils fait arrêter quelqu’un, il a grand soin de s’informer si sa femme, ses enfants et la famille ont pleuré. Note de l'auteur.
  23. Le vieux Goy a dit à vingt personnes qu’il n’avait été obligé de passer la nuit à exhorter Morande à se battre contre un ministre, éditeur du Morning Herald [Henry Bate Dudley] et que sans l’eau de vie dont il avait imbibé son courage, il n’aurait jamais pu lui faire prendre feu. Note de l'auteur