Le Diable au XIXe siècle/XXIX

Docteur Bataille ()
Delhomme et Briguet (tome 2p. 138-229).

CHAPITRE XXIX

Les apparitions réelles.




L’hallucination naturelle, on vient de le voir, n’est qu’un désordre, un dérangement organique, venant ou d’une lésion de l’organe cérébral, ou d’une surexcitation du système nerveux troublant l’action régulière et normale des sens.

Mais, à côté de ces hallucinations de l’ordre entièrement physique et naturel, il y a une autre sorte de visions dont la cause ne saurait être attribuée qu’à l’action d’un agent extérieur, à l’action d’esprits diaboliques agissant en nous et sur nous, soit qu’ils troublent et égarent nos sens, soit qu’ils nous trompent en prenant des formes de trépassés, de spectres, ou tout autre genre de fantômes d’êtres humains. C’est cet ordre de visions ou d’apparitions ayant un caractère décidément surnaturel, qui constitue l’une des parties essentielles de la Magie, la « Nécromancie » ou l’art magique d’évoquer les âmes des morts, pour en obtenir la connaissance de l’avenir ou des révélations sur les mystères de l’autre monde. Cet art est tellement essentiel à la Magie, il a été de tout temps un privilège tellement caractéristique de ses adeptes, que la Nécromancie est devenue synonyme de la Magie.

Le respect, la religion des morts est un sentiment des plus chers à l’homme, naturellement désireux de retrouver dans un autre monde les êtres qu’il a aimés ici-bas. C’est ce sentiment naturel et légitime que le démon s’est efforcé d’exploiter à son profit, depuis le jour où il lui a été permis de tendre à l’âme humaine tous les pièges que pouvait lui inspirer sa haine de Dieu et de l’humanité.

Aussi trouvons-nous dans toutes les fausses religions dont il s’est fait le dieu, un ensemble de pratiques et de rites ayant pour but des communications plus ou moins directes avec les Esprits ou âmes des trépassés. C’est donc avec raison que nos magiciens modernes, pour justifier leurs croyances et leurs pratiques nécromanciennes, les font remonter à l’origine même des religions diaboliques qui les ont précédés dans cette voie et dont ils ne font qu’imiter et singer les prétendus prodiges.

La nécromancie moderne n’est qu’une résurrection de toutes les vieilles nécromancies en honneur dans les religions panthéistes de l’Orient, ou dans le paganisme grec ou romain. Il me faudrait un volume pour parcourir toutes les superstitions scélérates ou infâmes que Satan a su inspirer à ses fidèles sous le semblant du culte religieux rendu aux morts, depuis Hermès[1] et Zoroastre jusqu’aux magiciens ou aux sorcières qui encombraient Rome sous les premiers empereurs.

Je dois me borner à quelques traits saillants, où se retrouvent, comme dans leur type initial, les théories et les pratiques de la nécromancie contemporaine.

Les batteries du diable sont toujours au fond les mêmes ; seulement il sait les modifier avec un art proprement infernal, pour les adapter aux changements opérés dans les esprits et les mœurs par les progrès de la science et de la civilisation. Ce qu’il essayait d’obtenir dans les rites païens par la crainte et la terreur, il l’essaie aujourd’hui en inspirant à un certain nombre de ses adeptes une religion toute de mansuétude, de bienveillance et de douceur, capable de prendre par le sentiment les âmes tendres et aimantes qu’attirent ces fallacieuses intimités d’outre-tombe, et qui, amorcées par ce dangereux mirage du spiritisme, se laissent aller sur cette voie glissante en oubliant les enseignements de l’Église et les engagements de leur baptême.

Les spirites actuels, — je parle ici de ceux qui font publiquement étalage de leur spiritisme et dont les adeptes ne croient pas ou feignent de ne pas croire à l’intervention diabolique dans leurs prestiges, — tiennent le raisonnement suivant :

« — De deux choses l’une : ou il faut admettre la possibilité des communications réelles des incarnés terrestres (des vivants) avec les esprits désincarnés (les âmes des morts) ; ou bien il faudrait prouver d’une manière péremptoire que jamais, depuis que l’humanité peuple le globe, aucune manifestation semblable n’a eu lieu. »

Le sophisme de cette argumentation saute aux yeux ; ce dilemme ne s’adresse qu’à ceux qui seraient en effet assez aveugles pour nier la réalité des communications spirites, non seulement de celles de nos jours, mais de celles qui sont attestées dans le passé par tous les témoignages les plus authentiques de la tradition, de l’histoire et même des livres sacrés. Je ne suis certes pas de ceux-là, et c’est au contraire en m’appuyant sur ces témoignages mêmes acceptés par les spirites, que je me fais fort de démontrer l’origine diabolique de ces communications, et le rôle non moins diabolique de tous ceux qui s’en font les propagateurs et les barnums.

Un coup d’œil rapide sur l’histoire de la nécromancie dans le polythéisme suffira pour mettre cette assertion en pleine évidence.

Voyons ce qu’étaient chez les Grecs et les Romains le culte des mânes et l’évocation des ombres des morts, qui en constituait un des principaux rites. Il me suffira, pour produire la conviction, d’exposer les faits.


On sait que les Grecs distinguaient trois classes de divinités : les divinités supérieures ou olympiennes, les echtoniennes ou terrestres, et les infernales. Au-dessous de ces divinités n’ayant d’humain que leurs passions et leurs vices, ils reconnaissaient des puissances inférieures, demi-dieux, démons ou génies, qui servaient d’intermédiaires entre les dieux et les hommes et dont ils peuplaient l’éther ou l’air. Ces puissances mystérieuses n’étaient, aux yeux des païens, que les âmes des « héros », devenus après leur mort les « démons bienfaisants », habitant sur la terre, « gardiens des mortels, dit Hésiode, et qui, voilés d’un nuage épais, parcourent la terre en tous sens, répandant les biens. »

Ces démons, dont parle Hésiode, étaient les héros de l’âge d’or. Mais la somme des maux égalant au moins sur la terre celle des biens, les païens voulurent voir, en opposition à ces démons bienfaisants, d’autres puissances surnaturelles, source de tous les maux qui assaillent l’humanité. Les âges qui suivirent l’âge d’or virent donc paraître ces génies terribles et malfaisants, qui, eux aussi, n’étaient censément que les âmes ou les mânes des morts portant envie à l’humanité vivante, et dont on imagina d’apaiser par tous les moyens possibles les instincts haineux et cruels.

Comme on ne savait au juste à quelle catégorie de démons on avait affaire, le culte qu’on leur rendait était nécessairement empreint d’une crainte et d’une terreur dont l’âme ne pouvait se défendre. On ne s’approchait qu’en silence des banquets servis en l’honneur des héros ; le voisinage de ces êtres invisibles, tenant en leurs mains le sort des mortels, avait toujours quelque chose de redoutable. La terreur s’accroissait au coucher du soleil ; la rencontre d’un héros pendant la nuit était censée porter malheur.

Dans les lois de Zaleucus et de Charondas, il est formellement question de génies malfaisants ou funestes, de démons vengeurs, qui perdent les familles, les souillent et y sèment la discorde. On peut lire dans Pausanias et Élien l’histoire de cet esprit malfaisant, jadis homme, devenu pour les habitants de Locres une espèce de monstre, exterminateur, qu’on ne pouvait apaiser que par l’offrande annuelle de la plus belle fille du pays, qui fut enfin vaincu par le locrien Euthymus, un célèbre athlète, et disparut pour toujours sous les flots de la mer.

Les oiseaux étaient les emblèmes naturels des démons et des héros, que l’on se figurait habitant les plaines de l’air. C’est sous cette forme que les Perses se représentaient leurs génies vigilants. De là, sans doute, l’origine des oiseaux prophétiques, consultés par la mancique grecque et romaine. À Babylone, on en tenait enfermés dans des cages d’or, sous l’inspection des mages, et on leur donnait le nom de « langues ».

Le génie ou démon était considéré comme le compagnon, l’initiateur de la vie, et, suivant l’expression d’Horace, le dieu de la nature humaine. Se concilier le génie, l’apaiser quand il s’irritait, était donc un des soins principaux de la vie.

Le culte qui leur était rendu venait de cette croyance générale que tel ou tel de ces esprits avait apparu aux siens en quelque grande circonstance, et qu’il ne cessait de veiller sur eux. Ce culte était essentiellement un culte funèbre ; on dédiait aux génies, comme aux dieux echtoniens, une sorte d’autel bas, ou de foyer recouvert d’une grille de bois, et disposé pour recevoir les offrandes funèbres ; l’enceinte qui leur était consacrée, le plus souvent près de leurs tombeaux, s’appelait Heroon[2]. La victime qu’on leur immolait avait la tête penchée en bas (la tête des victimes immolées aux dieux était rejetée en arrière et regardait le ciel), et son sang coulait dans une fosse pratiquée au-dessous. Des livres spéciaux, dont il est parlé dans Athénée, décrivaient ces rites. Ces sacrifices avaient lieu le jour qui suivait celui de la nouvelle lune, réservé aux dieux, et vers le soir.

C’est surtout chez les Romains que ce culte des mânes ou âmes des morts fut en honneur et revêtit un caractère de plus en plus terrible et diabolique. L’esprit de l’Orient, de l’Égypte et de Samothrace respire tout entier dans la doctrine étrusque des esprits, adoptée par les fils de Romulus.

Dans cette doctrine, chaque famille, chaque homme, chaque ville, chaque maison, chaque individu à son démon ou génie ; partout où des hommes habitent ensemble, un génie est présent ; chaque foyer a son dieu lare (maitre et seigneur). Suivant Apulée, les esprits qui jadis, comme âmes, avaient habité des corps humains, se nommaient « lémures ». Si, à cause de ses fautes durant la vie, l’esprit ne trouvait dans la mort aucun lieu où se reposer avec plaisir, il apparaissait comme un fantôme, comme une « larve » ; mais, comme on ne pouvait décider avec certitude quel sort avait été le partage d’un défunt, on lui donnait le nom indéterminé de dieu-mâne.

Les lares ou mânes, analogues aux génies, démons et héros de la Grèce, présidaient à toutes les transactions des hommes, aux affaires de l’État comme à celles des particuliers. Tout ce que renfermait la maison était confié à leur garde ; aussi le symbole naturel des lares était le chien, et les idoles qui les représentaient étaient souvent couvertes de peaux de chien. L’autel où l’on sacrifiait aux lares était le foyer : ils avaient aussi leurs chapelles ou sanctuaires domestiques, le lararium, avec des esclaves préposés à leur entretien.

Des fêtes publiques étaient célébrées en leur honneur, les Lalaria, les Compitalia (en l’honneur des lares des carrefours). Des enfants y étaient immolés en sacrifice à la déesse Mania, la mère des mânes, pour le salut des familles. Nous savons par Macrobe que ce fut Junius Brutus qui, après l’expulsion des Tarquins, introduisit une nouvelle forme de sacrifices, où des têtes d’ail et de pavot furent substituées aux têtes humaines.

Les Lemuralia furent instituées par Romulus lui-même, pour apaiser l’âme de son frère Remus, qui, sous la forme d’un malin esprit, apparaissait dans Rome en lui annonçant des malheurs. Entre autres cérémonies destinées à conjurer les esprits malfaisants, on jetait des fèves par la fenêtre. Du temps de Numa, les Lémurales ayant été un instant abolies, Rome fut envahie par la peste et par des nuées de fantômes poussant d’affreux hurlements.

Il eût été étrange qu’il ne se fût pas mêlé à ces superstitions diaboliques quelque élément impur et obscène. « Le génie, dit Festus, à le droit de tout faire dans la maison. » C’est en vertu de ce droit que le dieu lare se manifestait quelquefois au foyer domestique sous la forme du lingam. Ocrisia, mère de Servius Tullius, passait pour avoir eu ce fils de son union avec le dieu lare, ayant pris cette forme obscène.

D’autres fois, le dieu lare se transformait en larve ; ces larves, toujours représentées par des squelettes, étaient le plus souvent des âmes d’assassinés, de grands criminels ou de morts non ensevelis.

L’un des principaux rites qui servaient à apaiser la cruauté des mânes (diri manes) était les repas funèbres qu’on offrait aux morts, « charisties » lugubres, si souvent anathématisées par les prophètes et les apôtres. Dans ces cérémonies, on appelait trois fois les âmes de ceux qui étaient morts sur la terre étrangère ; selon saint Épiphane, la formule d’évocation était celle-ci : « Réveille-toi, mange et bois. » Après la vérification ou l’appel nominal du mort, on l’interrogeait sur la cause de sa mort, le lieu où il était ; puis venaient le sacrifice et le festin, toujours accomplis dans le plus profond silence, pendant que les ombres soupaient, elles aussi en silence, du plat et de la coupe ; la coupe s’appelait obba, en raison des ob et obboth, mots qui désignaient les « revenants ».

Si l’appétit des mânes ne suffisait pas à consommer les victuailles qui leur étaient offertes, on brûlait ce qui restait du festin. Pausanias, au rapport des prêtres de Delphes, parle d’un certain démon Eurinomus qui ne laissait jamais que les os. Il y avait donc des esprits sobres et des esprits voraces.

Cette distinction s’est conservée chez les Chinois, dans les festins offerts aux ombres des trépassés : « Les vivres apportés et le vin versé, rapporte Mgr Maigrot, pour laisser plus de liberté à l’esprit, tout le monde sort, frappé d’une crainte respectueuse, croyant voir et entendre leurs voix et leurs soupirs. Le médium seul est resté, et l’un des trois rapports qu’il doit faire sur ce qui s’est passé dans cet imposant tête-à-tête roule sur la manière dont ce repas a été consommé ; il doit dire si l’esprit a bien mangé et bien bu ; et sa tristesse est grande lorsque les mets sont intacts, car c’est une preuve que le sacrifice est refusé. Tout le monde alors se retire en silence et dans la consternation, tandis que, dans le cas contraire, on reconduit l’esprit et on lui dit adieu. »

Rien n’empêche de croire à cette apparence de consommation matérielle du manger et du boire par les démons ; il peut en être de ces esprits comme des anges, et en particulier de l’ange Raphaël qui, en quittant la famille de Tobie, lui dit : « Lorsque j’étais avec vous, je paraissais manger et boire ; mais je me nourris d’un pain que vous ne pouvez pas manger et d’un breuvage que vous ne pouvez pas boire. »

Le caractère de cruauté signalé chez les diri manes devait se communiquer aux solennités célébrées en leur honneur : « Ces sacrifices, nous dit Athénée, dans le commencement si touchants et si pieux, avaient fini par les orgies les plus ignobles, orgies pendant lesquelles ils en venaient à dévouer à ces dieux infernaux leurs femmes et leurs enfants, à les écraser sous le poids de leurs malédictions, à briser de coups leurs domestiques et leurs esclaves, et à réaliser toutes les menaces qu’ils avaient proférées. »

Le culte des mânes finit comme il avait commencé, par le sang.

« Pour joindre le plaisir et l’intérêt à la cruauté, comme dit Tertullien, on remplaça autour du tombeau les anciennes immolations d’esclaves par des jeux de gladiateurs qui remplissaient le même but et prirent le nom de bustuaires, du bûcher (bustum), dont ils ensanglantaient les cendres. » Valère Maxime nous montre les fils de Junius Brutus offrant un présent de gladiateurs funéraires pour honorer les cendres de leur père. Suétone raconte comment Jules César, voulant réjouir les mânes de sa fille morte, institua des combats de bêtes et de gladiateurs comme on n’en avait jamais vu. Des sièges vides étaient réservés dans ces réjouissances funèbres aux âmes des morts qu’on voulait honorer.

On ne s’étonnera plus que saint Paul et les Pères de l’Église se soient élevés si sévèrement contre d’aussi impies superstitions, que l’esprit du mal essayait de perpétuer parmi les chrétiens.

Je n’en finirais pas si je voulais relever chez les différents peuples modernes toutes les traditions singulières où revivent en partie ces erreurs païennes, et que Satan met tous ses soins à entretenir chez les esprits faibles qui n’ont pas l’enseignement de l’Église ou qui s’en éloignent. Je n’en citerai qu’un exemple frappant, emprunté à l’histoire d’un des peuples qui se disent les plus éclairés et les plus libres de toute superstition, l’Angleterre. Pour empêcher les suicidés de revenir sur la terre tourmenter les vivants, la loi anglaise les traitait comme on traitait les vampires : on les enterrait ignominieusement dans un carrefour, le corps traversé d’un pieu. Ce n’est qu’en 1824 qu’un Acte de Georges IV défendit cette absurde pratique.

D’après de nombreuses traditions encore en cours, les âmes des suicidés, comme celles des damnés, forment les orages et les tourbillons. Dans beaucoup de pays allemands, quand une tempêté violente vient à souffler, on dit que le diable passe avec l’âme d’un pendu.


Il ne faut pas croire que ces superstitions diaboliques n’avaient cours que dans les croyances populaires ; elles étaient partagées par les esprits les plus éminents : un Pythagore qui disait : « L’air est tout rempli d’âmes, d’esprits (âmes des morts, démons ou héros) qui envoient aux hommes les songes et leur indiquent des remèdes dans leurs maladies » ; un Platon, pour qui la divination tout entière était en rapport nécessaire avec l’existence des esprits : « C’est, disait-il, par des communications avec ces êtres intermédiaires entre la divinité et nous que viennent les prophéties, les rites sacrés, les initiations, les oracles, tous les autres moyens de connaître la volonté des dieux et de nous les rendre propices. » Chez les Romains, Quintilien parlait comme Platon : « De là, dit-il (de la croyance aux esprits), l’apparition des âmes évoquées et ces visions de leurs images toujours chères, de leurs visages et de leurs corps ; de là ces oracles et ces préceptes nocturnes ; de là ces fêtes infernales et l’honneur que nous rendons aux tombeaux. »

Toute l’histoire grecque et romaine est pleine de ces apparitions, de ces évocations des morts, hommes, héros ou demi-dieux. Ces grands hommes, qui assistaient à de pareilles apparitions, étaient à mille lieues de se douter qu’ils étaient les jouets du diable.

Tantôt ce n’était que l’ombre d’un soi-disant défunt qui apparaissait, c’était alors la sciamancie (divination par l’ombre) ; tantôt le cadavre même du défunt se montrait, c’était dans ce cas la nécyomancie (divination par le mort).

Je ne m’arrêterai point aux évocations si connues, dont le récit se trouve dans les poètes grecs ou latins : Orphée évoquant Eurydice ; Ulysse ; dans Homère, évoquant Tirésias ; les nombreuses évocations de l’Énéide, toutes évocations opérées à l’aide du sang et de formules tellement impératives et déprécatoires que Quintilien disait : « Les dieux et les mânes sont comme torturés par le murmure plein d’horreur et par les sommations tyranniques du magicien. » La poésie, dans ces terribles récits, ne ferait que refléter le caractère et l’esprit des croyances populaires. La scène grecque, reflet fidèle, elle aussi, des superstitions vulgaires, était pleine d’apparitions, d’ombres et de spectres. Nous les retrouvons jusque dans les drames de Sénèque. Celui-ci, dans son Œdipe, nous fait entendre les termes mêmes de la formule magique de l’évocation, telle qu’elle se pratiquait à l’époque héroïque de la Grèce :

Laïus, muni de soufre, pénètre dans la forêt chère aux spectres et à Hécate. Trois fois le vieux Tirésias invoque cette déesse, ainsi que l’Achéron, les mânes et celui qui régit les mânes ; trois fois il entonne ce chant magique, qui tour à tour apaise et force les âmes ; le sang des troupeaux a coulé, le lait lui succède ; après quoi, les yeux fixés sur la terre, il chante encore et appelle les ombres d’une voix plus grave et plus émue :

« Pluton, Proserpine et Tisiphone, je vous adjure, laissez venir à moi les mânes de la race de Cadmus, et retenez tous les autres. Entendez ma voix, ô séjour de la mort et des supplices, desservi par les-mânes ; laissez franchir vos portes à l’ombre qui les pousse, et que le Styx nous rende pour un moment sa proie ! que Tisiphone, après avoir secoué trois fois ses serpents, la ramène elle-même à la lumière oubliée, et que Cerbère ne s’avise pas de lui présenter ses trois têtes pour la faire reculer !… Mais quoi ! mes yeux ne voient rien paraitre ! Rien ne répond à ma voix !… Allons, plus de retard ; j’en atteste les dieux ; si mon attente se prolonge, je vais ébranler le Tartare. Je ne craindrai même pas de troubler Hécate et de révéler les secrets des trois mondes. »

Et sur cette impérieuse sommation, l’ombre apparaissait.

Apparitions sollicitées, ou apparitions spontanées, divination par le cadavre, ou par l’âme rendue visible, ou par de simples phénomènes nécessitant sa présence malgré son invisibilité, toutes ces formes de nécromancie abondent dans l’histoire grecque ou romaine ; et, triomphe de l’éternel imposteur, Satan, il est arrivé à des catholiques de perdre de vue que, dans ces apparitions, c’est le diable qui se montre ; oui, un chrétien fidèle, un auteur catholique, comme M. de Mirville, a cru que vraiment ce sont les trépassés eux-mêmes qui apparaissent. Il a, en effet, écrit des lignes telles que celles-ci :

« Lorsque, comme Cimon, on avait fait tout exprès le voyage d’Héraclée pour y voir l’ombre d’une mère bien-aimée, et que celle-ci, par suite de cette évocation, avait révélé à son meurtrier le sort qui l’attendait, comment douter de sa présence ?

« Lorsqu’à Marathon, deux ombres, dont l’une offrait la parfaite image de Thésée, et l’autre celle du laboureur Érechtée, eurent décidé du gain de la bataille, le premier en marchant à la tête de l’armée, le second en enfonçant les rangs ennemis à coups de socle de charrue, comment douter que derrière ces ombres ne s’abritassent leurs personnes elles-mêmes ?

« Lorsque, sur ce même champ de bataille, comme aux bords du lac de Trasimène, quatre cents ans plus tard, dit Pausanias, on entendait encore les plaintes et les soupirs des animaux et des hommes, comme l’on percevait la vue de leurs ombres, comment et pourquoi ne pas croire à la voix de tant de victimes ?

« Lorsque, dans les heroa, le héros apparaissait en personne pour vous annoncer la guérison réclamée, pourquoi douter ? Valère-Maxime, historien digne de foi, après avoir avancé qu’il y a autant de démons que d’âmes humaines, affirme solennellement qu’il a vu de cette manière lui-même, et bien éveillé, la forme et le visage d’Achille, d’Esculape et d’Hercule.

« La persuasion devenait bien autrement profonde, lorsque sur le lieu de presque tous les assassinats, suicides, sépultures incomplètes ou violées, le spectre était pour ainsi dire attaché à l’endroit. °

« Voyez : palais de Caligula hanté jusqu’à son incendie ;

« Palais de Néron, jusqu’à sa destruction ;

« Tous les lieux visités par Othon, traînant partout avec lui le spectre de Galba, sa victime, avec lequel on l’avait vu lutter et rouler au pied de sa couche, dès la première nuit de son règne ;

« Maison d’Athénodore, où Pline vous affirme que le spectre désigna lui-même l’endroit où restait sa dépouille[3] ;

« Maison d’Eubatidas à Corinthe, où Lucien établit un phénomène semblable dans le fond et dans la forme ;

« Maison de Dion, où un spectre féminin et menaçant vint le frapper de terreur, peu de jours avant le suicide de son fils.

« On n’en finirait pas, si l’on voulait dérouler l’interminable chaîne d’apparitions prophétiques et vengeresses qui, dans l’antiquité, décidèrent aussi souvent du sort de tant de personnages illustres que du destin des États.

« C’est par milliers que l’on pourrait rapprocher de ces moniteurs antiques qui prévinrent Brutus, Cassius, César, Julien, etc., ceux qui, dans les temps modernes, annoncèrent au roi de Naples, cité par Guichardin, sa fin prochaine, ou à Paul Ier, empereur de Russie, le triste sort qui l’attendait[4]. »

Il est de toute évidence qu’un si grand nombre de faits merveilleux, racontés par les témoins ou par des historiens dignes de foi ne sauraient être attribués à l’hallucination naturelle, individuelle ou collective ; mais ce n’est point aux âmes des défunts qu’il faut les attribuer.

Tous les Pères de l’Église ont reconnu la réalité de ces prodiges, et n’ont pas hésité à en dénoncer l’auteur, celui seul qui avait intérêt à les produire, l’ennemi du genre humain, le démon. « Ce sont vos anciens morts, disait saint Clément d’Alexandrie aux païens de son temps, qui sont devenus dieux chez leurs descendants. Mais c’est avec raison que vous les appelez des démons. Comment pourriez-vous les regarder comme des dieux, ces démons impurs, horribles, que tous reconnaissent pour des êtres fangeux, enfoncés par leur propre poids dans la matière et sans cesse errant autour des tombeaux ? Là, ils nous apparaissent comme des spectres dans les ténèbres, comme de vains simulacres, des ombres creuses, d’affreux fantômes. Voilà vos dieux ! »

Saint Augustin, qui connaissait à fond tous les mystères du paganisme, et qui a émis sur ces questions de la magie les idées les plus profondes et les plus sages, dit à son tour :

« On rapporte, de nombre de morts, qu’ils ont apparu en songe ou de toute autre manière à des personnes vivantes, pour leur apprendre où avaient été jetées leurs dépouilles sans sépulture et leur montrer où il fallait les déposer. Si nous traitions ces récits de mensonges, nous paraitrions vraiment impudents de venir contredire les affirmations des fidèles et les témoignages de ceux qui certifient que la chose leur est arrivée. Ces apparitions se font sans que l’âme du mort en soit informée ou en ait conscience, mais par l’opération des anges (angelicis operationibus), Dieu le permettant ou l’ordonnant ainsi, soit pour la consolation des vivants, soit pour recommander aux hommes la piété envers les morts. Mais, à côté de ces apparitions angéliques, il y a les fausses apparitions, celles qui induisent à l’erreur, comme celle de Palinure dans Virgile, où la conclusion à tirer est celle-ci, que les morts doivent être ensevelis pour que leurs âmes puissent passer dans le séjour infernal. »

Et le saint évêque établissait ainsi la véritable doctrine de l’Église sur ce sujet des apparitions des âmes des trépassés :

« Les âmes des morts n’interviennent en aucune façon dans les affaires des vivants. Ces apparitions se font par la permission de la Providence divine, selon la profondeur insondable de ses jugements. Si les âmes des morts intervenaient dans les affaires des vivants, quand nous les voyons en songe, elles s’entretiendraient avec nous ; et, pour ne parler que de moi, ma pieuse mère ne passerait pas une nuit sans venir me visiter et causer avec moi, elle qui m’a suivi sur terre et sur mer pour vivre avec moi. Serait-elle donc devenue assez cruelle dans une vie plus heureuse, pour ne point venir, lorsque mon cœur est tourmenté, consoler son triste fils, qu’elle a aimé uniquement, qu’elle n’a jamais voulu voir dans le chagrin ? Si donc nos parents nous ont abandonnés, comment peuvent-ils prendre part à nos soucis, à nos inquiétudes et aux événements de notre vie ? Et si nos parents n’y ont aucune part, quels autres morts sauront ce que nous faisons ou ce que nous souffrons ?… Les âmes des morts sont dans un lieu où elles ne voient pas ce qui arrive aux hommes vivants. Comment verraient-elles donc leurs tombeaux où leurs corps sont ensevelis ou négligés ? » (De curâ pro mortuis, cap. VI.)

Voilà pour les apparitions angéliques accordées par la volonté de Dieu aux fidèles et aux saints. Quant aux apparitions magiques que l’on raconte de l’antiquité païenne, saint Augustin n’était pas moins formel. Réfutant les opinions de Porphyre sur la magie, il établit que tout ce qui s’est fait ou se fait d’extraordinaire en ce genre, par certains tons de voix, par des figures ou des fantômes, est d’ordinaire l’ouvrage du démon ; et qu’en règle générale tout ce qui s’opère de merveilleux et ne se rapporte point au culte du vrai Dieu doit être considéré comme une illusion diabolique. (De civitate Dei, cap. XI, XII.)

Les Pères de l’Église, en professant cette doctrine, s’inspiraient des saintes Écritures. En effet, l’Ancien et le Nouveau Testament renferment un assez grand nombre de ces apparitions, soit divines, soit diaboliques, pour qu’il ne soit pas permis aux fidèles de douter de leur réalité et de la véritable cause qui les a produites.

La plus célèbre des évocations rapportées par l’Ancien Testament est celle du prophète Samuel, racontée au chapitre 28 du 1er  Livre des Rois. Elle rentre à un double titre dans notre sujet : l° parce qu’elle établit l’existence des pratiques magiques au sein même du peuple juif à l’époque de Saül ; et 2° parce qu’elle est souvent invoquée par les spirites de notre temps à l’appui de leurs doctrines sur l’autre monde et l’évocation des esprits. D’autre part, elle a fourni à plusieurs Pères de l’Église et à de nombreux commentateurs des saintes Écritures l’occasion d’approfondir cette mystérieuse question des rapports de l’humanité vivante avec l’autre monde.

Voici le récit de l’Écriture :

« Saül désespéré dit à ses serviteurs : Cherchez-moi une femme ayant un esprit de Python, afin que par elle, je suscite (j’évoque). Et ses serviteurs lui dirent : Il y a à Endor une femme ayant un esprit de Python. Et il changea d’habits, prit deux hommes avec lui, alla avec eux chez cette femme, et lui dit : Devine-moi, par ton Python, et évoque-moi qui je te dirai. Et la femme lui dit : Eh quoi ! tu connais les derniers décrets de Saül (Saül par un édit récent, avait banni tous les devins et magiciens de son royaume) ; tu sais qu’il a exterminé les devins ; pourquoi viens-tu me tendre un piège qui peut me coûter la vie ? — Vive le Seigneur ! répondit Saül, il ne t’arrivera aucun mal. Et la femme lui : Qui veux-tu que je t’évoque ? — Évoque-moi Samuel, répondit Saül.

« Mais, lorsque la femme eut vu Samuel, elle poussa un grand cri et se tourna vers Saül : Pourquoi m’as-tu trompé ? lui dit-elle. Tu es Saül. Et le roi lui dit : Ne crains rien ; qu’as-tu donc vu ? Et la femme dit à Saül : Je vois quelque chose de divin qui s’élève de terre. Saül répliqua : Quelle est sa forme ? — C’est un vieillard revêtu d’un manteau, dit la femme. Et Saül, comprenant que c’était Samuel, inclina son visage vers la terre et l’adora. Alors, Samuel dit à Saül : Pourquoi troubles-tu mon repos en m’évoquant ? Et Saül lui dit : Je suis par trop malheureux, voilà les Philistins, et Dieu, se retirant de moi, ne veut me répondre ni par les songes, ni par Urim, ni par les prophètes ; c’est pour cela que je l’ai évoqué, afin que tu me montres ce qu’il faut que je fasse. Et Samuel lui dit : Pourquoi m’interroges-tu, puisque Dieu s’est retiré de toi et qu’il est passé du côté de ton rival ? Le Seigneur m’a révélé ce qu’il ferait de toi : Il t’enlèvera ton royaume et le donnera à David ton parent. Parce que tu as désobéi au Seigneur, en ne secondant pas les décrets de sa juste colère contre Amalec, écoute ce qu’il te réserve aujourd’hui. Dieu te livrera avec Israël entre les mains des Philistins ; demain, toi et tes fils vous serez avec moi (parmi les morts).

« Aussitôt Saül tomba étendu sur la terre ; car ces paroles de Samuel avaient glacé son cœur, et sa faiblesse était extrême, car il n’avait pas mangé de la journée. Alors, la pythonisse, s’adressant à Saül encore épouvanté, lui dit : Je vous ai obéi, ô roi, comme votre servante devait le faire : je vous ai livré ma vie en me rendant à vos paroles. Maintenant, écoutez votre servante à son tour, consentez à manger ce peu de pain afin que vous ayez la force de vous retirer. Le roi refusa et dit : Je ne mangerai point. Mais ses serviteurs se joignirent à la femme ; alors il finit par entendre leurs voix, se leva de terre et s’assit sur un lit. Et la femme alla tuer un veau gras qu’elle avait dans sa maison ; puis, pétrissant un peu de farine de froment, elle plaça l’un et l’autre devant le roi et ses officiers, et ils en mangèrent ; et ayant ainsi repris des forces suffisantes, ils purent retourner d’où ils étaient venus.

« Et le lendemain, la prédiction fut accomplie. »

Il y a peu de faits signalés par la Sainte Écriture, qui aient donné lieu à autant de commentaires, et de commentaires différents, chez les Pères de l’Église et dans les temps modernes. Sans entrer dans le détail des diverses opinions qui ont partagé les commentateurs sur la nature de ce fait, disons que tous sont unanimes à y reconnaître un fait surnaturel ; le débat roule uniquement sur cette double question : Était-ce une apparition divine ou une apparition diabolique ? Le prophète Samuel a-t-il réellement apparu à Saül, ou seulement son ombre et son image ? Sur ces points controversés, nous n’avons qu’à nous en tenir à l’opinion de Bossuet, qui, après avoir mûrement examiné la question, la résout ainsi au livre V, art. 3 de sa Politique tirée de l’Écriture Sainte :

« Il n’était pas au pouvoir d’une enchanteresse d’évoquer une âme sainte, ni au pouvoir du démon, qui a paru, selon quelques-uns, sous la forme de Samuel, de dire si précisément l’avenir. Dieu conduisait cet événement, et voulait nous apprendre que, quand il lui plait, il permet qu’on trouve la vérité par des moyens illicites, pour la juste punition de ceux qui s’en servent… C’est ainsi que Saül trouva dans sa curiosité la sentence de sa mort. »

Bossuet était en cela d’accord avec une autorité encore plus haute que la sienne, celle de l’Ecclésiaste, où il est écrit, XLVI, 23 :

« Après cela, Samuel mourut, et il déclara et fit connaître au roi que la fin de sa vie était proche ; il éleva sa voix du fond de la terre et prophétisa pour détruire l’impiété de la nation, »

La conclusion de M. de Mirville, examinant après tant d’autres ce problème avec sa sagacité et son érudition habituelles, sera la nôtre :

« Que ce grand drame de Saül serve au moins à nous intimider nous-mêmes, et surtout à intimider nos Saüls de club et de salon ; qu’ils sachent que plus d’un nécroman de nos jours fait monter des dieux auxquels il était loin de s’attendre, et qu’à plus d’un il fut prophétisé : « Demain tu seras avec moi. »

La sentence du Deutéronome ne cesse de peser sur les nécromanciens présents ou à venir :

« Qu’il ne soit trouvé entre vous aucun qui consulte les morts ; quiconque le fera sera en malédiction et opprobre auprès du Seigneur son Dieu. »


Cet esprit de Python, que nous venons de voir en exercice dans le récit de la Bible, nous le retrouvons avec les mêmes caractères dans le Nouveau Testament (Actes, ch. XVI), et servant ici encore, malgré lui, par la volonté de Dieu, au triomphe de la vérité.

« Nous rencontrâmes à Philippes, dit l’écrivain sacré, une jeune fille ayant un esprit de Python, par lequel elle rapportait beaucoup d’argent à ses maitres en devinant. Et cette fille suivait Paul et nous, en criant : « Ces hommes sont les serviteurs du Dieu tout-puissant, ils vous annoncent la voie du salut. » Elle faisait cela depuis plusieurs jours ; mais, cette fois, Paul s’impatientant se retourna et dit à l’esprit : « Je t’ordonne, au nom de Jésus-Christ, de sortir de cette fille. » Et à l’instant même il sortit. »

La nécromancie semble reprendre une nouvelle vigueur, au moment même où paraissait sur la terre Celui qui devait abolir ici-bas le règne de Satan, et arracher le genre humain à ses prestiges et à ses faux miracles. Rien de plus naturel que de voir le démon redoubler alors de rage et s’efforcer désespérément de lutter, par toute la puissance qui était en lui, avec les miracles du Christ et de ses apôtres. Nous en avons vu déjà un exemple frappant dans Simon le magicien, essayant d’opposer ses prestiges aux miracles de Pierre, et produisant à peu près dès lors tous les phénomènes extraordinaires opérés de nos jours par les palladistes. La nécromancie jouait un grand rôle dans ses prodiges : « On le voyait, dit Anastase le Sinaïte (un témoignage à ajouter à tous ceux que j’ai déjà cités) faire apparaître dans les festins des fantômes et des spectres, faire mouvoir, les meubles d’un appartement par des esprits invisibles. Il se disait escorté par des multitudes d’ombres, auxquelles il donnait le nom d’âmes des morts. » (Patrologie grecque, t. 89, col. 523.)

Un autre mage de cette époque, non moins célèbre, et appartenant comme lui à cette même école d’Alexandrie d’où sont sortis les Gnostiques, ancêtres des Palladistes, a jeté un trop vif éclat, et est trop formellement exalté comme un des patrons, des ancêtres vénérés de la nouvelle secte satanique, pour que nous le passions sous silence[5]. Apollonius de Tyane est un des maîtres reconnus de la nécromancie moderne, et d’autant plus volontiers qu’il passe pour un sage, un profond philosophe. On peut dire que ç’a été le triomphe de Satan de se concilier ainsi nombre d’esprits distingués et en apparence défenseurs des grands principes de la raison et de la morale, pour abriter derrière eux la scélératesse de ses desseins et la grossièreté de ses mensonges. Il a bien compromis le nom même de Socrate, en lui faisant ajouter foi à ce démon familier qui lui recommandait d’immoler un coq à Esculape.

Ainsi en fut-il de tous ces philosophes d’Alexandrie, qu’il induisit à mêler à leurs systèmes cosmogoniques ou théologiques les dogmes et les pratiques les plus absurdes de la théurgie et de la magie. Les Plotin, les Porphyre, les Jamblique, — cela est certain pour quiconque y regarde de près, — ne sont que des adeptes de la cabale et du satanisme.

Pendant qu’en Occident, à Rome, pullulaient les magiciens de carrefour et les médiums vulgaires, si bien qu’ils devenaient un fléau et que les empereurs étaient obligés de les expulser comme avait fait Saül, des prodiges plus relevés s’accomplissaient en Égypte et dans l’Orient sous le couvert de la philosophie et de la science ; le grand thaumaturge, disciple de Pythagore, Apollonius de Tyane, étonnait le monde par ses miracles, et, comme disent nos spirites modernes, « rattachait de nouveau la terre au ciel, » c’est-à-dire à l’enfer, puisque nous le savons, pour les initiés, le ciel n’est que le royaume du dieu Lucifer.

Il est impossible, en effet, quand on a parcouru cet ensemble de prestigieuses merveilles qui composent la vie du magicien de Tyane, de n’y voir que de la jonglerie, de la prestidigitation, des tours de physique amusante, comme ceux d’un Robert-Houdin ; on ne peut supposer, sans renoncer à toute espèce de certitude, que des milliers de témoins, qui ont ajouté foi à ces étranges phénomènes, aient été ou les dupes d’un impudent charlatanisme, ou les jouets d’une impossible hallucination.

La renommée d’Apollonius à contrebalancé longtemps chez les derniers païens celle du Christ ; du temps même de saint Augustin, il s’en trouvait encore pour lui dire que les miracles d’Apollonius valaient ceux de Jésus ; à quoi le saint docteur répondait « qu’après tout, les démons pouvaient opérer certains prodiges qui, sans avoir la réalité de ceux des anges, leur ressemblaient néanmoins en apparence… Quant à ceux de Jésus, ajoutait-il, les Gentils qui s’en moquaient les eussent sans doute reçus pour très véritables, s’il se fût agi d’Apulée ou d’Apollonius. »

Apulée, l’auteur de l’abominable roman qui s’appelle l’Âne d’or, eût été très fâché de voir son nom accolé ainsi à celui du magicien de Tyane ; il nous apprend lui-même, dans son Apologie, qu’accusé de magie, il se défendit d’être lui-même un Apollonius de Tyane, c’est-à-dire un véritable magicien.

La plupart de ceux qui n’ont voulu voir dans l’histoire d’Apollonius qu’une légende fabuleuse, depuis Lucien jusqu’à Louis Figuier, s’appuient sur cette considération, que cette histoire ne repose sur le témoignage d’aucun auteur digne de foi, la Vie d’Apollonius, par Philostrate, la seule source que nous ayons de sa biographie, n’étant, disent-ils, qu’un pur roman, à mettre à côté de l’Âne d’or, d’Apulée. Je regrette, avec M. de Mirville qui a trouvé et dit toute la vérité sur Apollonius, de ranger dans cette catégorie l’illustre défunt évêque d’Angers, Mgr Freppel. Encore celui-ci, comme honteux de son scepticisme, essaie de le pallier en concluant qu’il ne peut s’empêcher de reconnaître sur la figure grimaçante du magicien de Tyane « le reflet d’une puissance surnaturelle, qui se complaît à contrefaire les miracles de Dieu[6]. » Si la vérité sur ce sujet paraissait à l’éloquent professeur de Sorbonne trop délicate et trop scabreuse pour son auditoire académique, j’avoue ne pas avoir les mêmes scrupules, et je ne puis m’empêcher de voir dans Apollonius, non pas un pâle reflet d’une puissance surnaturelle, mais la griffe même de Satan, singeant les miracles du nouvel Évangile, dans le but évident de retenir les âmes dans les erreurs et les turpitudes du paganisme. Ne nous lassons pas de répéter le mot de saint Augustin : « Tout ce qui s’opère de merveilleux et ne se rapporte point au culte du vrai Dieu n’est qu’illusion diabolique. »

Quant à la Vie d’Apollonius par Philostrate, sans que nous la considérions comme parole d’Évangile, et bien qu’écrite seulement au quatrième siècle, elle offre au lecteur judicieux et non prévenu toutes les garanties de sincérité que peut offrir l’ouvrage d’un disciple enthousiaste, travaillant sur des données authentiques, un journal écrit au jour le jour par un compagnon et intime ami du maître, Damis, dont les notes ont passé tout entières, uniquement remaniées pour le style et la forme, dans la rédaction de Philostrate.

Du reste, la vie d’Apollonius n’avait pas attendu le quatrième siècle et le livre de Philostrate pour être parfaitement connue du monde païen, au moins dans ses grandes lignes. Comment s’expliquer autrement l’immense renommée dont il jouit de son vivant et longtemps encore après sa mort ? Caracalla, élevant un heroon à sa mémoire ; Alexandre Sévère mettant son buste entre ceux de Jésus-Christ, d’Abraham et d’Orphée ; Titus lui donnant rendez-vous du fond de la Palestine à Argos, en lui écrivant que son père et lui lui devaient tout ; l’empereur Aurélien lui faisant construire un temple, en souvenir de son apparition sur les murs de Tyane et de son entretien posthume avec lui ? « Aurélien, dit l’historien Vopiscus, avait résolu de détruire la ville de Tyane, qui ne dut son salut qu’à un miracle d’Apollonius. Ce grand ami des dieux se présenta subitement à l’empereur au moment où il rentrait dans sa tente, sous l’extérieur qu’on lui connaissait de son vivant, et lui dit en langage pannonien : « Aurélien, si tu veux vaincre, abandonne ces mauvais desseins à l’égard de mes concitoyens… » Aurélien connaissait parfaitement le visage d’Apollonius, dont il avait vu le portrait dans beaucoup de temples. Frappé d’étonnement, il lui promit à l’instant même portrait, statue et temple, et épargna les habitants de Tyane. »

Et Vopiscus ajoute : « Ces renseignements, que j’ai recueillis de la bouche des hommes les plus graves, je les ai relus ensuite dans les livres de la bibliothèque d’Ulpien. » Or, Vopiscus écrivait en 250, c’est-à-dire un siècle avant Philostrate.

Enfin, si Apollonius n’avait été qu’un fourbe ou un héros de roman, les Éphésiens ne lui auraient pas élevé une statue d’or comme à un dieu.

Avant de rappeler quelques-uns de ces prodiges fameux, dont le récit occupe un énorme volume dans Philostrate, remontons à la source, et disons quelques mots de l’initiation.

Apollonius, après s’être imbu des doctrines de Pythagore, de la métempsychose en particulier, s’était fait initier à l’art magique des Mages de Babylone, des Brahmanes de l’Inde et des Gymnosophistes de l’Égypte.

Sur l’initiation de Babylone, nous n’avons que quelques détails insignifiants ; Damis, dans son journal, dit qu’il ignore ce que purent être les entretiens qu’il eut avec les mages : « car, lorsqu’Apollonius, dit Philostrate, allait trouver les mages, il lui défendait de le suivre. » Damis dit seulement qu’Apollonius se rencontrait avec les mages à midi et à minuit, et qu’un jour qu’il demandait : « Que faut-il penser des mages ? » il n’obtint pas d’autre réponse que celle-ci : « Ils savent beaucoup de choses, mais il y en a qu’ils ignorent. »

Chez les Brahmanes de l’Inde, Damis ne fut admis non plus qu’à voir les dehors et la fantasmagorie théâtrale de ce qu’on peut appeler une séance du Grand Conseil de l’Ordre.

« Quand Apollonius parut, dit Philostrate, les Sages l’accueillirent en lui tendant la main. Iarchas seul resta sur le siège élevé où il était assis. Ce siège était fait d’airain noir et enrichi d’ornements d’or ; les sièges des autres Sages étaient aussi en airain, mais sans ornements, moins élevés, et placés au-dessous de celui d’Iarchas.

« Dès qu’il vit Apollonius, il le salua en langue grecque, et lui demanda la lettre du roi de l’Inde. Comme Apollonius s’étonnait de la prescience d’Iarchas, celui-ci ajouta : « Il y a dans cette lettre une omission qui a échappé au roi ; il y manque un D ». Et cela se trouva vrai.

« Il lut la lettre, puis dit à Apollonius : « Que pensez-vous de nous ? — Ce que je pense ? ne l’ai-je pas assez fait voir par le voyage que j’ai fait pour vous voir, et qu’aucun de mes concitoyens n’avait entrepris avant moi ? — Et que croyez-vous que nous sachions de plus que vous ? — Je crois que votre science est beaucoup plus étendue et plus divine que la mienne. Mais si je ne trouve pas chez vous à augmenter mes connaissances, j’aurai du moins appris une chose, c’est qu’il ne me reste plus rien à apprendre. — Les autres hommes demandent aux étrangers qui ils sont et pourquoi ils viennent. La première preuve de notre science, c’est que nous savons qui nous arrive. Jugez-en tout d’abord. »

« Et il donna des détails sur la famille du père et de la mère d’Apollonius, sur tout ce qu’il avait fait à Égée, sur la manière dont Damis s’était attaché à lui, sur ce qu’ils avaient enseigné ou appris dans leur voyage : on eût dit qu’il les y avait accompagnés.

« Iarchas avait parlé sans s’interrompre, et sans la moindre obscurité.

« Apollonius demeura stupéfait : « Comment pouvez-vous savoir tout cela ? s’écria-t-il. — C’est, répondit Iarchas, par une science à laquelle vous n’êtes vous-mêmes pas tout à fait étranger, mais que vous ne possédez pas tout entière. — Voudrez-vous bien me l’apprendre tout entière ? — Oui, tout entière. — Vous connaissez donc la nature de mon esprit ? — Nous connaissons toutes les sortes d’esprits, et une foule d’indices nous les révèlent… Mais voici que midi approche, et il convient d’accomplir les cérémonies sacrées. Commençons à remplir nos devoirs envers les dieux ; après cela nous parlerons sur tel sujet que vous voudrez. Vous pouvez assister à tout ce que nous allons faire. — Cortes, je ferais injure au Caucase et à l’Indus, que j’ai franchis pour venir vers vous, si je ne rassasiais mes yeux de toutes vos cérémonies. — Rassasiez-les donc, et suivez-nous. »

« Après s’être baignés dans une fontaine et s’être frotté la tête avec un parfum semblable à de l’ambre, ils se mirent en rond, formèrent un chœur et frappèrent la terre du bout de leur baguette ; et la terre, se gonflant comme les flots de la mer, les enleva en l’air à la hauteur de deux coudées.


Apollonius de Tyane chez les Brahmanes — La terre, se gonflant comme les eaux de la mer, les enleva en l’air.

« … Après avoir accompli toutes les cérémonies sacrées, les Sages s’assirent sur leurs sièges. Alors Iarchas, s’adressant au jeune homme qui portait l’ancre :

« Apporter, lui dit-il, le trône de Phraorte[7], et que le sage Apollonius s’y assoie pour s’entretenir avec nous. »

La conversation rapportée par Damis[8], roule en grande partie sur la transmigration des âmes, d’après Pythagore, système singulièrement prôné de nos jours par les héritiers d’Apollonius. Les Sages apprennent à Apollonius que dans sa vie antérieure il a été pilote d’un vaisseau égyptien. Puis, ils se mettent à faire l’apologie de Tantale, absolument comme nos spirites font celle de Caïn ou de Judas. En parlant de Tantale, Iarchas montrait à sa gauche une statue, haute de quatre coudées, qui avait l’air de tendre une coupe; dans cette coupe, pleine jusqu’aux bords, sans qu’une goutte en tombât, bouillonnait une liqueur en quantité suffisante pour étancher la soif d’un homme. Cette coupe ne se vide jamais, quel que soit le nombre de ceux qui y portent les lèvres.

Le roi (inférieur dans la hiérarchie secrète à Phraorte, dont il est question plus haut) étant survenu, les Sages restèrent assis, et le roi se présenta, tendant les mains vers eux comme un suppliant. Alors, Iarchas se leva et engagea le roi à prendre une collation. Celui-ci accepta : aussitôt quatre trépieds, semblables à ceux de Delphes, vinrent d’eux-mêmes ; au-dessus d’eux étaient des échansons en airain noir ; la terre se couvrit d’un gazon plus moelleux que tous les lits. Les mets se succédèrent d’eux-mêmes dans un plus bel ordre que s’ils avaient été disposés par des maîtres d’hôtel. Deux des trépieds fournirent le vin, les deux autres fournirent en abondance l’eau chaude et l’eau froide. Les échansons d’airain mêlaient l’eau et le vin et présentaient les coupes.

Le repas terminé, tous les convives s’abreuvèrent à la coupe inépuisable de Tantale. Puis, ils dormirent sur le lit tout préparé que la terre leur offrait, jusqu’au milieu de la nuit. À minuit, ils se levèrent et commencèrent par célébrer le rayon du Soleil, en se tenant en l’air comme ils l’avaient fait à midi.

Apollonius assista à plusieurs autres séances secrètes, « consacrées, dit Philostrate, à la science des astres, à la divination, à l’art de lire dans l’avenir ; on y faisait les sacrifices et les invocations les plus agréables aux dieux »… « À ces séances, nous dit Damis, Apollonius seul assistait avec Iarchas. Il en a profité pour les quatre livres qu’il a écrits sur l’astrologie et sur les sacrifices. Iarchas fit présent à Apollonius de sept anneaux qui portaient les noms des sept planètes, et Apollonius en mettait un chaque jour, selon le nom du jour. »

Damis est loin de nous dire tout ; mais il nous en dit assez pour que son récit justifie ce jugement de Tillemont dans ses Mémoires sur l’histoire ecclésiastique des six premiers siècles : « Si le récit de Philostrate a quelque chose de véritable, ces Brahmanes n’étaient pas des dieux, comme ils avaient l’insolence de le dire, mais d’infâmes magiciens ; et il ne faut pas douter, vu l’estime qu’Apollonius en témoigne toujours depuis, que dans les entretiens qu’il eut avec eux, où Damis même n’assista pas, il n’en ait appris de nouvelles manières de se familiariser avec les démons, et de trouver l’enfer sur la terre. »

Lorsqu’ils dirent adieu à Apollonius, ils l’assurèrent que non seulement après sa mort, mais de son vivant même, il serait un dieu pour la plupart des hommes.

Et Apollonius écrivait bientôt à Iarchas :

« — Votre sagesse m’a frayé le chemin du Ciel. Ce n’est pas en vain que j’aurai bu dans la coupe de Tantale. »

On voit aussi par là que de tout temps l’Inde a été un pays privilégié pour le satanisme.

« Parmi les prodiges d’Apollonius, un certain nombre se rattachent à la nécromancie ; je choisis le récit suivant, parce qu’on y voit l’intention évidente de singer les récits de l’Évangile.

Étant sur le territoire de Troie, il évoqua toutes les traditions que rappelaient ces lieux, et annonça l’intention de passer une nuit près du tombeau d’Achille.

Ses disciples essayant de l’effrayer, Apollonius leur dit : « Je n’ai rien de commun avec les Troyens, et je prétends bien avoir avec lui un entretien plus agréable que n’en ont jamais eu ses anciens amis. S’il me met à mort comme vous me l’annoncez, eh bien ! j’irai rejoindre Memnon et Cycnus, et peut-être Troie me donnera-t-elle, comme à son Hector, une fosse pour sépulture. »

Puis, il s’avança seul vers le tombeau, et ses compagnons retournèrent au vaisseau, comme il faisait déjà nuit.

Au point du jour, Apollonius revint les trouver et leur demanda : « Où est Antisthène de Paros ? » C’était un jeune homme qui depuis sept jours était venu à Troie se joindre à ses disciples. Antisthène se présenta. « N’avez-vous pas, lui demanda Apollonius, un peu de sang troyen dans les veines ? — Mes ancêtres étaient Troyens, répondit le jeune homme, et je me flatte d’appartenir à la famille de Priam, une race d’hommes de cœur. — Achille a donc raison de me défendre toute liaison avec vous. Il m’a chargé d’avertir les Thessaliens d’un grief qu’il a contre eux, et comme je lui demandais si je ne pouvais pas encore faire quelque chose qui lui fût agréable, il m’a répondu : « Ce sera de ne pas admettre, au nombre de vos disciples, le jeune homme de Paros ; car c’est un pur Troyen, et il ne cesse de chanter les louanges d’Hector. » Et Antisthène quitta Apollonius.

Lorsqu’ils eurent remis à la voile, ses compagnons lui dirent : « Comment ! vous avez conversé avec Achille, vous avez appris de lui sans doute une foule de choses que nous ignorons, et vous ne nous en dites rien ! Vous ne nous faites pas même connaître sous quelle forme Achille vous est apparu… — Je vous dirai tout, répondit Apollonius, mais à la condition que vous ne me ferez pas le reproche de fanfaronnade. »

Tous les passagers se joignirent à Damis pour exprimer à Apollonius le désir d’entendre ce récit :

« Je n’ai pas, dit Apollonius, creusé une fosse, comme Ulysse ; je n’ai pas versé le sang des brebis pour évoquer l’ombre d’Achille. Je me suis borné à faire la prière que les Indiens m’ont dit qu’ils font à leurs génies : « Ô Achille ! le vulgaire te croit mort, mais tel n’est pas mon sentiment, ni celui de Pythagore, mon maître. Si nous avons raison, offre-toi à mes regards sous la forme qui est aujourd’hui la tienne ; tu seras assez payé de t’être montré à moi, si tu m’as pour témoin de ton existence présente. » J’avais à peine dit ces mots, que la terre trembla légèrement autour du tombeau, et je vis se dresser devant moi, haut de cinq coudées, un jeune homme couvert d’une chlamyde thessalienne, qui n’avait rien de cet air fanfaron que l’on prête quelquefois au fils de Pélée, mais grave et d’un visage qui n’avait rien que d’aimable. Sa beauté n’a pas encore été, selon moi, vantée comme elle le mérite… Peu à peu, il sembla que sa taille grandit, bientôt qu’elle fût doublée, enfin qu’elle fût plus haute encore. Je crus le voir haut de douze coudées, et sa beauté croissait avec sa taille. On voyait que sa chevelure n’avait jamais été coupée ; il l’avait conservée entière pour le fleuve Sperchius, le premier oracle qu’il eût consulté. Son menton avait gardé sa première barbe. — « C’est avec plaisir, me dit-il, que je reçois la visite d’un homme tel que vous. Il y a longtemps que les Thessaliens négligent de m’offrir des sacrifices. Je ne veux pas encore écouter ma colère ; car, si je le faisais, ils périraient en plus grand nombre que ne périrent autrefois les Grecs ici même. J’aime mieux les avertir avec douceur de ne pas outrager mon ombre en lui refusant les honneurs qui lui sont dus. Aussi je vous prie de rapporter mes paroles à leur assemblée. »


Apollonius de Tyane au tombeau d’Achille — Peu à peu, la taille du fantôme grandit, bientôt elle fut doublée, enfin elle fut plus haute encore.

Puis, Achille répondit complaisamment aux cinq questions que lui adressa Apollonius, questions de pure curiosité mythologique, et finit en lui recommandant la mémoire de Palamède : « Toi, Apollonius (car les sages sont unis entre eux par une sorte de confraternité), aie soin de son tombeau, et relève sa statue honteusement renversée ; tu la trouveras en Éolie, près de Méthymne, dans l’île de Lesbos. » — « Après m’avoir donné ces ren seignements, dit Apollonius en terminant, et m’avoir parlé du jeune homme de Paros, il jeta une légère lueur et disparut ; déjà les coqs commençaient à chanter. »

En fidèle disciple de Pythagore, Apollonius, ai-je dit, professait la métempsychose, et ne manquait pas une occasion de se livrer à des prestiges pour faire croire à ce dogme diabolique. Un jour, il découvrait l’âme d’Amasis, ancien roi d’Égypte, dans un lion qui venait lécher ses pieds ; un autre jour, à Tarse, celle de Télèphe le Mysien, dans le corps d’un enfant mordu par un chien enragé.

Il y a lieu de citer encore la fameuse descente d’Apollonius dans l’antre de Trophonius, un des oracles les plus mystérieux de la Grèce.

« Apollonius, dit Philostrate, s’en alla en Arcadie ; tous ses admirateurs s’attachèrent à ses pas. Il y a dans le sol, près de Lébadée, une ouverture consacrée à Trophonius, fils d’Apollon ; elle ne s’ouvre qu’à ceux qui y pénètrent pour consulter l’oracle. Elle ne se voit pas dans le temple, mais un peu plus haut sur la colline ; elle est fermée par une barrière en fer. Pour y descendre, on s’assied auprès de l’ouverture, et l’on est comme tiré en bas. Ceux qui y pénètrent sont habillés de blanc ; ils tiennent à la main des gâteaux de miel pour apaiser les serpents qui gardent l’entrée. La terre les rend à la lumière les uns tout près de l’ouverture, les autres fort loin ; ils se trouvent transportés, les uns au-delà de la Locride et de la Phocide, les autres, et les plus nombreux, sur les frontières de la Béotie.

« Étant donc entré dans le temple, Apollonius dit : « Je désire descendre dans l’antre de Trophonius pour consulter l’oracle. » Les prêtres s’y opposèrent ; ils dirent au peuple qu’il ne fallait pas permettre à un magicien de pénétrer les mystères de Trophonius. Le jour-là, Apollonius parla philosophie près de la fontaine Mercyna. Quand le soir fut venu, il se présenta à l’ouverture de l’antre avec les jeunes gens qui le suivaient, enleva quatre des barreaux qui en fermaient l’entrée, et s’enfonça sous terre avec son manteau. Cette résolution fut si agréable à Trophonius, qu’il apparut lui-même aux prêtres pour leur reprocher d’avoir traité Apollonius comme ils l’avaient fait, et leur ordonna de se rendre à Aulès, leur annonçant qu’il sortirait de l’antre en cet endroit d’une manière plus merveilleuse qu’il n’était arrivé à aucun homme. Apollonius sortit de dessous terre le septième jour, après avoir séjourné bien plus longtemps que n’ont coutume de le faire les autres hommes. Il tenait en main un livre contenant les préceptes de Pythagore. Ce livre est déposé à Antium, où il est l’objet d’une grande curiosité.

La mort d’Apollonius, arrivée à l’âge de quatre-vingt-dix ans, selon d’autres de plus de cent ans, appartient à la légende. Les uns le font mourir à Éphèse, d’autres à Crète. Selon les Crétois, Apollonius entra dans le temple de Dictynne (ville de l’ile de Rhodes) dont les richesses sont gardées par des chiens féroces ; ces chiens, au lieu d’aboyer à son approche, vinrent le caresser. Les gardiens du temple, cependant, arrêtèrent Apollonius comme magicien et comme voleur et le chargèrent de chaînes. Apollonius se dégagea pendant la nuit, et, appelant les gardiens pour qu’ils n’en ignorassent, il courut aux portes du temple qui s’ouvrirent, et qui, aussitôt qu’il les eut franchies, se refermèrent. On entendit alors des voix de jeunes filles qui chantaient : « Quittez la terre ; allez au ciel ! »

Tel est l’homme dont la renommée se perpétua longtemps encore chez les païens, et que les magiciens modernes ont toutes les raisons du monde de reconnaître comme un de leurs maîtres et modèles. Quant aux chrétiens, ils feront bien de s’en tenir à ce jugement du grand saint Athanase : « Jusqu’à aujourd’hui, dit-il (question XXII), on sacrifie à Apollonius, on lui adresse des vœux soit contre les animaux nuisibles, soit contre les inondations et tous les périls qui menacent la société. Par lui, les démons ont fait toutes ces merveilles, non seulement pendant sa vie, mais encore après sa mort ; demeurant à ses autels, ils ont continué de les faire en son nom, pour mieux séduire et fasciner ceux qu’ils veulent attirer. »

Enfin, il est bon de rappeler encore en quelle grande vénération les palladistes tiennent Apollonius de Tyane : c’est un de leurs patriarches, un de leurs saints ; sa statue est dans plusieurs Parfaits Triangles ; il est invoqué fréquemment par les Mages Élus, qui se placent sous son patronage.

Plus loin, j’aurai à raconter, dans ce chapitre, l’émouvante apparition faite sous sa forme par un diable, à la suite d’une évocation du F∴ Constant.

C’est aussi de l’alphabet secret dit des Mages, attribué à Apollonius de Tyane, que tous les occultistes, des diverses écoles, se servent ; c’est par la valeur des lettres de cet alphabet que les Ré-Théurgistes Optimates interprètent les mystères du Livre Apadno, et le nom même que, d’ores et déjà, les lucifériens donnent à l’Ante-Christ, dont ils annoncent la venue pour le 29 septembre 1995, est : Apollonius Zabah, nom dont le total des lettres donne exactement le nombre mystique 666.


Après Apollonius de Tyane, il est un autre sataniste de haute importance dont il est nécessaire de parler, et qui est, lui aussi, fréquemment invoqué et évoqué dans les triangles.

Malgré tous les efforts du démon pour contrebalancer par les miracles de ses adeptes ceux des apôtres et de leurs successeurs, le Christianisme marchait à pas de géant à la conquête du monde ; le vieil empire romain, dans la personne de Constantin, s’inclinait devant la croix, et il semblait que c’en fût bien fini pour toujours du vieux levain de paganisme que Satan avait réussi à entretenir jusque-là parmi les rhéteurs et les beaux esprits de la décadence.

L’enfer cependant ne se résignait pas à abandonner la partie ; déjà il avait en vain déchaîné contre l’Église cette tourbe impure de lucifériens déguisés, connus sous le nom de Gnostiques, et qui, tour à tour, s’abattaient dans la risée et le mépris sous les anathèmes des disciples du Christ. Le règne de Satan semblait toucher à sa fin. Aux grands maux les grands remèdes, et une tentative désespérée fut essayée par l’enfer, pour ressusciter en face de l’Église triomphante, le cadavre du paganisme qui tombait en putréfaction.

Il trouva pour cette œuvre l’homme le mieux fait pour la faire réussir, si elle avait été viable : Julien l’Apostat.

Nous devons nous arrêter quelque peu sur cette entreprise extraordinaire, parce que nous y retrouverons déjà ébauchée l’organisation satanique qui fonctionne aujourd’hui sous nos yeux, et que je me suis proposé d’arracher au mystère ténébreux dont elle s’enveloppe et se couvre. Sous d’autres noms, c’est toujours le vieux paganisme, avec ses erreurs et ses infamies, que Satan essaie de ressusciter aujourd’hui, réservant à ses élus suprêmes de se poser sans voiles devant leurs adorations comme le dieu véritable du monde.

Voyons donc ce qu’a été en réalité ce Julien, dont notre siècle a maintes fois essayé la réhabilitation, et que nos magiciens modernes ont inscrit au premier rang des saints de leur calendrier. Ils lui devaient bien cet honneur ; car, en effet, peu de révoltés contre le Christ et son Église ont été aussi évidemment, aussi brutalement les suppôts et les instruments de Satan.

Ses prédécesseurs chrétiens, depuis Constantin, avaient par leurs édits proscrit la magie ; Julien la remit en honneur, en fit la règle unique de sa vie et ne se proposa qu’un seul but : relever les autels et le culte de Satan.

On sait comment Julien, confié par son cousin, l’empereur régnant Constance, à des maîtres chrétiens, élevé même en vue du sacerdoce, conçut dès sa plus tendre jeunesse une violente et profonde aversion contre le christianisme, et consomma son apostasie dans son cœur longtemps avant de la professer en public.

Saint Grégoire de Nazianze, qui le vit de près, puisqu’il fut son condisciple à Athènes, a raconté, dans ses éloquents Discours contre Julien, une anecdote merveilleuse de son enfance ; il avait alors quatorze ou quinze ans, et demeurait avec son frère Gallus au château de Marcellum, en Cappadoce. Les deux frères ayant voulu bâtir en commun une chapelle sur le tombeau de saint Mamas, les travaux de Julien furent arrêtés et détruits par une main invisible, comme si le saint martyr de Cappadoce eût voulu repousser les hommages d’un ennemi caché.

Gallus nommé César, Julien resta seul et alla étudier à Constantinople. Là, il suivit en secret les leçons du rhéteur païen Libanius qui lui étaient interdites, et, comme dit ce dernier dans le pompeux éloge qu’il a fait de son disciple, « trempa ses lèvres aux sources plus pures et plus saines de la vérité, disant adieu aux contes ineptes (l’enseignement chrétien) dont il avait été nourri, et rétablissant dans son âme, comme dans un temple, les images méconnues des dieux. Cependant il dissimulait ses sentiments intimes. Appartenant au fond à ces dieux, nouvellement révélés à sa piété, il semblait toujours esclave des enseignements de son enfance. »

Les sciences occultes piquèrent dès lors fortement sa curiosité. Il sollicita l’autorisation de visiter les écoles d’Orient, dans l’intention surtout de s’y livrer aux recherches de l’art divinatoire, à l’étude de l’astrologie et de la magie.

Pergame surtout, où, selon le mot d’Eunape, les autels de Plotin fumaient encore, l’attirait. Là vivaient encore les restes de cette fameuse école d’Alexandrie, d’où étaient sorties la plupart des sectes gnostiques. Le vieil Edésius, dernier disciple de Jamblique le thaumaturge, y tenait école ; autour de lui brillaient à la fois, comme philosophes et magiciens, Eusèbe de Myndo, Priscus, Chrysanthe et Maxime d’Éphèse. On y apprenait une science mystérieuse, dont le dernier terme était de donner à ses adeptes des pouvoirs surhumains.

Dans un de ses ouvrages, Julien raconte que le Soleil, invoqué par lui, lui parla en ces termes :

« — Vous êtes jeune, et n’êtes pas encore initié. Faites-vous donc initier, et purifiez-vous de toutes les souillures de l’impiété (du christianisme) ; par considération pour vos ancêtres (païens), nous voulons purifier votre famille. C’est vous que nous réservions à cette œuvre pour laquelle vous avez été revêtu d’un corps mortel ; en nous obéissant, vous deviendrez vous-même un dieu. »

Dès lors, Julien n’avait plus respiré qu’après cette bienheureuse initiation qui lui donnerait les moyens surnaturels de satisfaire son immense ambition, d’arriver à l’empire et de restaurer dans le monde romain les autels du paganisme sur les ruines de ceux du Christ ; faire disparaître Constance et abolir le règne du Nazaréen, telle fut dès lors son unique pensée.

On devine avec quel enthousiasme il fut accueilli par ces philosophes, qui, eux aussi, ne rêvaient que la restauration du paganisme et l’anéantissement de cette religion nouvelle devant laquelle leurs oracles s’étaient tus et leurs magiques prestiges éclipsés. Partout, sur son passage, Julien ne rencontre que des encouragements, des pronostics favorables à ses desseins.

À Pergame, chacun des mages se le renvoie de main en main, afin d’exciter encore, si possible, son exaltation et son délire. Le vieil Edésius lui dit : « Ah ! si vous aviez jamais le bonheur d’être initié à nos mystères, vous rougiriez d’être homme, vous ne pourriez plus souffrir ce nom. Que je voudrais que Maxime fût ici ! Mais il est à Éphèse. Priscus est en Grèce ; il n’y a ici avec moi qu’Eusèbe et Chrysanthe. »

Maxime avait recueilli directement les traditions de Jamblique ; il était reconnu par les autres initiés comme le maître et le chef des thaumaturges. Dans le temple d’Hécate, on l’avait vu, après avoir brûlé l’encens et murmuré quelque hymne mystérieux, opérer des prodiges : l’image de la déesse avait d’abord souri, puis ri aux éclats ; à son ordre, les torches qu’elle tenait dans ses mains s’étaient enflammées. « Chrysanthe, nous dit Eunape, le véridique historien de ces mystérieux personnages, était, avec Maxime, uniquement occupé à produire des prodiges par l’apparence du souffle divin. » Maxime était bien l’homme qu’il fallait à Julien : « Enfin, s’écria-t-il, j’ai découvert celui que je cherchais depuis si longtemps ! » Il allait enfin nager en plein satanisme, voir les statues se mouvoir, les spectres se lever, entendre la foudre retentir dans le temple des dieux.

Cependant, on veut mettre sa foi à l’épreuve ; on essaie de le dégoûter de la magie de Maxime, afin d’exciter son zèle et de lui inspirer le désir d’en savoir davantage. Eusèbe fait l’office de modérateur ; dans ses conférences avec Julien, il insiste à dessein sur la distinction qu’il faut établir entre les vrais prodiges venant des dieux, et les impostures qui fascinent et illusionnent les sens au moyen de la prestidigitation. Mais plus il s’efforce de faire passer Maxime à ses yeux pour un charlatan, plus s’enflamme en Julien le désir de le connaître ; il brûle d’aller à Éphèse rejoindre Maxime.

Que se passa-t-il à Éphèse entre Maxime et Julien ? Nous en savons quelque chose par Théodore et Libanius. Selon le récit de Théodore, Maxime conduisit Julien dans un temple, et là évoqua les démons en sa présence. Après beaucoup de cérémonies et d’invocations, Satan paraît sous des formes épouvantables. Saisi d’effroi, par une réminiscence machinale de ses premières croyances, Julien fit le signe de la croix, et tout disparut. Maxime, alors, le réprimanda vivement d’avoir ainsi troublé la cérémonie : « Ne vous imaginez pas, lui dit-il, que ces esprits appréhendent le signe de la croix, ni que ce soit la figure de ce signe qui les ait chassés d’ici ; c’est qu’ils ont détesté votre action, et ils se sont retirés pour témoigner l’horreur qu’ils en éprouvaient. »


Au temple d’Éphèse, où Maxime évoqua des démons devant lui, le jeune Julien, saisi d’effroi, fit le signe de la croix, par une réminiscence machinale de ses premières croyances.

Julien n’eut pas de peine à être convaincu, et cette expérience acheva de le confirmer dans son apostasie.

« Dès lors, dit Libanius, Julien brisa, comme un lion furieux, tous les liens qui l’attachaient au christianisme. Il résolu d’effacer de son front les stigmates de son baptême ; ces démons, dont on avait voulu l’affranchir, étaient vraiment les dieux trois fois saints, les dieux immortels. Maxime consacra à Mithras un taureau, symbole du taureau équinoxial que le dieu égorge au printemps et dont il répand sur la terre le sang fécondant. Il supplia l’âne du monde de rejeter sur l’innocente victime la peine que Julien avait encourue en faisant profession d’athéisme (c’est-à-dire de christianisme). Il creusa une fosse en chantant des hymnes au Soleil et en accomplissant les cérémonies d’usage ; puis, Julien descendit dans la fosse sur laquelle Maxime égorgea le taureau. Julien en sortit couvert de sang, mais lavé par ce sang de toutes ses souillures chrétiennes. Dès lors, son projet bien arrêté fut de détruire le christianisme, s’il arrivait jamais au pouvoir. »

Désormais, Julien s’attacha particulièrement à Maxime, qu’il fit le confident de tous ses desseins. Chrysanthe les rejoignit bientôt à Ephèse, et les deux théurges remplirent son esprit de leur science magique sans le rassasier. Non content de leurs enseignements « qui pouvaient à peine, dit Eunape, satisfaire sa curiosité, » il voulut être initié aux mystères d’Éleusis. Il arriva en Attique en mai 355.

L’idolâtrie, avec ses mystères diaboliques, s’était réfugiée à Éleusis, comme dans une espèce de forteresse. C’est là que le soir, après une journée passée aux écoles d’Athènes, on voyait Julien se rendre au temple de la déesse où siégeait le pontife le plus renommé de la Grèce, l’hiérophante, le correspondant actif de tous les philosophes asiatiques. « Il ne m’est pas permis, dit Eunape, de donner le nom de cet hiérophante, parce qu’il a initié l’auteur de ce livre aux arcanes sacrés. »

Saint Grégoire de Nazianze, alors condisciple de Julien, avec saint Basile, aux écoles d’Athènes, nous a laissé du futur empereur ce fidèle portrait :

« Il était d’une taille médiocre et avait les cheveux bouclés, la barbe hérissée et pointue, les yeux vifs et pleins de feu ; toute sa personne était bien formée ; mais les défauts de son esprit altéraient ce que la nature avait mis d’agréments dans ses traits. Sa tête était dans un mouvement continuel ; il haussait et baissait sans cesse les épaules. La vivacité de ses regards toujours errants et incertains avait quelque chose de rude et de menaçant ; sa démarche était chancelante. Il portait dans ses traits et ses éclats de rire un air de raillerie et de mépris. Des distractions fréquentes, des paroles embarrassées, et autres caprices, des questions sans ordre et sans réflexion dont il n’attendait pas la réponse, qui se croisaient les unes les autres sans méthode et sans solidité, marquaient assez les désordres de son âme. » — « Quel monstre l’empire nourrit dans son sein ! disait Grégoire en le montrant à ses amis ; fasse le ciel que je sois un faux prophète ! »

À dater de son initiation, il s’établit entre Julien et le chef de la théurgie, Maxime, l’union la plus étroite. Maxime fut son indispensable confident et le principal inspirateur de ses crimes.

« Je ne vis pendant votre absence, lui écrivait Julien, que dans le moment où je lis vos lettres ; nous sommes unis l’un à l’autre par des liens plus étroits que ceux de l’hospitalité. » Il est avéré que Maxime trempa, en effet, dans toutes les entreprises criminelles de l’apostat. Valentinien, parvenu à l’empire, se souvint que Maxime l’avait desservi auprès de Julien, et le fit enfermer ; relâché, il fut arrêté de nouveau comme magicien, et puni du dernier supplice pour avoir égaré Julien par ses conseils et ses prestiges.

Selon Eunape, Maxime, dans une de ses cérémonies magiques à Ephèse, lui avait formellement promis l’empire. Dès l’an 355 ou 356, dans une lettre à Thémistius, Julien exposait clairement ses secrets desseins : « J’ai besoin plus que jamais de votre secours et de celui des autres philosophes. Vous devez tous me seconder, puisque je combats à votre tête, et que je m’expose pour vous. Le monde attend avec raison que je ferai plus que n’ont fait Solon, Pittacus et Lycurgue. »

En même temps, pour déjouer tout soupçon et désarmer la colère de Constance, il remplissait assidûment ses fonctions de lecteur à Nicomédie, se faisait raser, se couvrait d’un froc. « Le lion, dit Libanius, empruntait la peau d’un vil animal » ; il parvint ainsi à rassurer Constance, à rassurer son frère Gallus ; il est probable que le secret des conciliabules de Nicomédie, de Pergame, d’Éphèse et d’Athènes ne transpira pas jusqu’en Italie.

Nous ne suivrons pas Julien, devenu César, dans ses campagnes victorieuses contre les barbares, Germains ou Francs, envahissant la Gaule romaine, campagnes dont il rapportait tout le succès à la protection de Bellone, la déesse de la guerre. À son entrée dans les Gaules, une vieille femme aveugle s’écria prophétiquement qu’il relèverait les temples des dieux. Les Thermes de Julien, dont Paris a conservé les ruines, furent témoins des entretiens que le disciple de Maxime avait journellement avec les puissances infernales.

« Le César, au moyen des daimons, dit Libanius, savait tout ce qui se passait jusqu’aux extrémités du monde, et, son corps ne lui permettant pas de s’élever jusqu’au ciel, les dieux descendaient sur la terre pour converser avec lui. Ils étaient son conseil et sa garde. »

Cependant, l’exécution des oracles qui lui assuraient l’empire tardait trop au gré de son impatience. Sans attendre la mort de Constance, il résolut de s’emparer du pouvoir. Pendant une nuit, les soldats courent aux armes, bloquent le palais et proclament Julien auguste (avril 360). Nous savons par Eunape toute l’histoire de cette conspiration militaire, et comment Julien se couronna lui-même, tout en protestant de son innocence et en se posant en victime de la violence qui lui était faite. Jamais conjuration ne fut mieux démontrée. Eunape nous révèle que le grand-prêtre d’Éleusis fit à cette occasion un voyage dans les Gaules et ne fut point étranger à cette révolution. Constance ne consentant point à partager l’empire avec cet auguste improvisé, sa mort fut dès lors résolue. Ammien Marcellin raconte qu’une nuit, Julien, à demi-éveillé, vit un fantôme brillant qui répéta plusieurs fois ces quatre vers en langue grecque :

« — Lorsque Jupiter sera à l’extrémité du Verseau, et que Saturne entrera dans le 25e degré de la vierge, Constance, empereur d’Asie, finira tristement ses jours. »

Au moment même où il perdait sa femme Hélène, sœur de Constance, qu’on l’a soupçonné d’avoir empoisonnée, il s’amusait, au moyen de la science augurale et des songes, à présager le prochain trépas de Constance.

Quoi de plus clair que cette lettre écrite par Julien à son médecin Orébase, peu de temps avant son départ des Gaules :

« Je viens d’avoir un songe, que je regarde comme une prédiction certaine. Je voyais un arbre très haut. Il sortait de sa racine un jeune arbuste… Je m’approche, et je trouve l’arbre renversé. Le rejeton ne l’était pas ; mais il paraissait se tenir en l’air. Mes alarmes ont redoublé : « Quel arbre ! ai-je dit ; le rejeton court grand risque de périr avec lui. — Rassurez-vous, m’a dit alors un inconnu, le jeune arbuste ne fera que croître et se fortifier. »

« Julien, dit saint Grégoire de Nazianze, pouvait bien savoir la mort de Constance, puisque Julien était l’auteur de cette mort. »

Le voilà donc marchant en armes contre Constance, en attendant l’heure si désirée de son trépas. À son entrée dans l’Illyrie, il rejette complètement le masque, et abjure publiquement le christianisme. « Les dieux m’ordonnent, écrit-il, de rétablir leur culte dans toute sa pureté ; je leur obéis de tout mon cœur. » Le jour de l’Épiphanie (6 janvier 361), par un dernier acte d’hypocrisie, il s’était encore associé aux prières des chrétiens.

Il se préparait à attaquer la Thrace, lorsque Constance mourut subitement en Cilicie (3 novembre 361). Au moment même où il expirait, un soldat tombe en aidant Julien à monter à cheval ; aussitôt on entendit Julien s’écrier : « Il est par terre celui qui m’a élevé au faite. »

On sait le reste : comment sur les pas de Julien, les autels des idoles se relevèrent, comment le palais du nouvel empereur devint le réceptacle de toutes les superstitions, de toutes les impuretés païennes, le théâtre des pratiques les plus odieuses de la magie satanique. Julien étalait sans pudeur les images de la débauche, en allant adorer les dieux immortels « entouré de courtisanes », dit Ammien. La cour était pleine de philosophes et de gens perdus, reconnaît Gibbon. On voyait à Constantinople les statues de ses bâtards.

Dans plusieurs de ses lettres, Julien lui-même parle, en termes couverts, de certaines cérémonies mystérieuses, pratiquées dans l’ombre de la nuit, de sacrifices aux dieux mânes, aux dieux infernaux. Sa prédilection pour le culte de Cybèle, la mère des dieux, est assez significative. On connait l’histoire de cette déesse et du berger Atys, qui, ayant un jour préféré une nymphe à la déesse, fut mutilé par Cybèle : en mémoire de ce haut fait, ses prêtres se faisaient la même mutilation ; les païens eux-mêmes les regardaient comme infâmes. Un des plus grands éloges que Libanius a faits de Julien, c’est de nous le montrer « en commerce avec les daimons, instruit par les daimons, assis avec les daimons ».

Voici, tracé par saint Chrysostome, le tableau de la cour de Julien :

« Une fois empereur, Julien découvrit au grand jour la superstition qu’il avait jusque-là tenue secrète. De toutes parts furent envoyés des édits ordonnant que les temples des idoles fussent restaurés, leurs autels relevés, les anciens honneurs rendus aux démons. Magiciens, opérateurs de prestiges, devins, aruspices, ménagyrtes, tous les marchands de prodiges accoururent de tous les coins du monde ; on vit le palais lui-même se remplir d’infâmes et de vagabonds. Ceux qui autrefois mouraient de faim, ceux qu’on surprenait en flagrant délit de maléfices et d’empoisonnements, ceux qui pouvaient à peine gagner leur vie dans des métiers sordides, devenus prêtres et devins sacrés, furent en grand honneur. L’empereur conduisait autour de lui, à travers la ville et les faubourgs, un troupeau d’hommes efféminés et de prostituées arrachées à leurs repaires ; le cheval impérial et les prétoriens suivaient de loin par derrière. Hommes perdus et femmes perdues, tout le troupeau des débauchés, entourant l’empereur placé au milieu d’eux, parcouraient ainsi le forum, en proférant les paroles et poussant les éclats de rire qui conviennent à des gens de cette espèce. Nous savons que toutes ces choses paraitront incroyables à la postérité. Mais pour ceux qui survivent encore à ce temps et qui les ont vues, il n’est pas besoin qu’on les rappelle. Oui, il existe des vieillards, et même des jeunes gens qui ont vu ces infamies ; qu’ils me démentent, si j’ai exagéré le récit de ces horreurs… Il n’y a rien d’étonnant que ce malheureux qui s’était abandonné aux démons pour être leur jouet, n’ait pas eu honte de choses dont se glorifiaient les dieux qu’il adorait. Rappellerai-je les nécromancies et les meurtres d’enfants ? Oui, ces sacrifices, que les hommes osèrent offrir avant l’avènement du Christ, et qui avaient cessé depuis, il entreprit de les restaurer, mais non en public ; car, bien qu’il fût empereur, et agissant en tout à sa guise, cependant l’impiété et la férocité de ce crime surpassait encore la grandeur de son pouvoir. Et cependant, ils ont osé le commettre ! »

Un des principaux caractères du satanisme de Julien fut le soin qu’il prit de singer en tout les pratiques du christianisme qu’il avait résolu de tuer avec l’arme du mépris et du ridicule. Souverain pontife de l’hellénisme, il fait comme les apôtres ; il écrit des lettres pastorales aux pontifes subalternes de l’empire : « Il est honteux, écrit-il à un pontife de Galatie, qu’aucun juif ne mendie, et que les impies Galiléens, outre leurs pauvres, nourrissent encore les nôtres, que nous laissons manquer de tout. » Ce n’est pas sans raison que saint Grégoire de Nazianze l’appelle « le singe du christianisme. »

Si Julien put se faire un instant illusion sur le succès de sa tentative de restauration du paganisme, cette erreur ne fut pas de longue durée, et bientôt il s’aperçut de la vanité de cette infernale entreprise. En mainte contrée, le réveil de l’idolâtrie trouvait des résistances invincibles ; le ciel même s’en mêlait, et le Galiléen faisait sentir au champion de Satan la force de son bras.

Gallus avait fait transférer le corps du saint martyr Babylas d’Antioche à Daphné, dans une basilique voisine du temple d’Apollon. Depuis cette translation, l’oracle d’Apollon était muet. Selon Libanius, le voisinage du « mort » incommodait le dieu de la jeunesse et de la poésie. Julien ne pouvait manquer de venir au secours du dieu, et le débarrasser d’un si incommode voisin. Il faut l’entendre lui-même, racontant le triste abandon de ce sanctuaire de Daphné :

« Vers le dixième mois arrive l’ancienne solennité d’Apollon, et la ville (Antioche) devait se rendre à Daphné pour célébrer cette fête. Je quitte le temple de Jupiter Casius, et j’accours, me figurant que j’allais voir toute la pompe dont Antioche est capable. J’avais l’imagination remplie de parfums, de victimes (les habitants d’Antioche appelaient Julien, par dérision, le victimaire), de libations, de jeunes gens revêtus de magnifiques robes blanches, symbole de la pureté de leur cœur ; mais tout cela n’était qu’un beau songe. J’arrive dans le temple, et je n’y trouve pas une victime, pas un gâteau, pas un grain d’encens. J’en suis étonné ; je crois pourtant que les préparatifs sont au dehors, et que, par respect pour ma qualité de souverain-pontife, on attend mes ordres pour entrer. Je demande donc au prêtre ce que la ville offrira dans ce jour si solennel. « Rien, me répondit-il, voilà seulement une oie que j’apporte de chez moi ; car la ville n’a rien offert aujourd’hui. »

On comprend le courroux de Julien : il fit « purifier » le lieu et transporter les restes de saint Babylas dans l’intérieur d’Antioche. Le lendemain, le temple de Daphné et la statue d’Apollon furent réduits en cendres par le feu du ciel. On appliqua les prêtres du dieu à sa question, ainsi qu’un grand nombre de chrétiens : « Pour moi, ajoute Julien, j’étais persuadé qu’Apollon avait abandonné ce temple. La première fois que j’y entrai, la statue me le fit connaître tout d’abord. Si quelqu’un refuse de m’en croire, je prends le Soleil à témoin de ce que j’avance. »

Sous prétexte de venger la majesté d’Apollon, Julien fit piller la principale église d’Antioche et enlever les vases sacrés.

Julien rencontra encore le bras du Galiléen, lorsqu’il essaya de relever le temple de Jérusalem ; des flammes sortirent de terre et consumèrent matériaux et ouvriers.

Malgré tous ses efforts et le concours de l’enfer, la grande entreprise de Julien échouait piteusement ; il n’avait fait que galvaniser un cadavre.

Il voulut alors chercher une consolation à son échec en se jetant dans une vaste entreprise guerrière contre la Perse ; il brûlait de joindre le surnom de Parthique à ses anciens trophées des Gaules. Il comptait, pour le succès de cette guerre, sur le secours de ses dieux. Entraîné par la fougue de son caractère et les funestes conseils de Maxime, il ne connut pas d’obstacles, jusqu’à ce que, s’étant avancé au delà du Tigre, dans un pays changé par les Perses en un désert, après une bataille gagnée sur l’ennemi qu’il s’acharnait à poursuivre, il fut atteint par un javelot parti d’une direction inconnue, et mourut de sa blessure vers le milieu de la nuit du 26 au 27 juin 363, remplissant sa main de son sang, qu’il lança contre le ciel en poussant ce cri de rage : « Tu as vaincu, Galiléen ! »

Peu de temps auparavant, étant à Corres, Julien, au témoignage de Théodoret, qui résidait près de cette ville, s’était introduit secrètement dans le temple de la Lune, et lui avait immolé une femme « qui fut trouvée, après le départ de Julien, suspendue par les cheveux, les mains étendues, le ventre ouvert. » Julien avait fouillé ses entrailles pour y chercher des augures de sa victoire sur les Perses.

Après sa mort, on trouva dans son palais des coffres pleins de têtes et des puits pleins de cadavres. « Je passerai sous silence, dit saint Jean Chrysostome, le fleuve Oronte et les morts immolés pendant la nuit, que l’empereur y cachait, les cadavres amoncelés dans les souterrains et les parties les plus secrètes du palais, et ceux qui pourrissaient dans les puits et les fossés… »

La chute de Julien lui fut en quelque sorte prédite à lui-même par le démon ; ce qui prouve bien que, lorsque le diable pronostique vrai, c’est Dieu qui se sert de lui comme instrument et l’oblige à faire connaître l’avenir.

C’était la veille de sa mort, dans la nuit du 25 au 26 juin. Après quelques moments d’un sommeil inquiet et léger, rapporte Ammien Marcellin (l’un de ses historiens païens), Julien s’était éveillé selon sa coutume pour composer ; car il était encore auteur, même au milieu des soucis d’une guerre où son armée ne trouvait partout devant elle que des ruines. Tandis qu’il méditait profondément sur quelque idée de sa philosophie impie, un démon lui apparut sous la forme d’un fantôme qu’il avait déjà vu à Paris ; cette fois, le fantôme était pâle et défiguré, comme l’apostat l’avoua à ses amis ; ce démon parut sortir de la tente avec un air triste, couvrant sa tête d’un voile. Julien fut effrayé un instant, et, quittant son lit, offrit des sacrifices à ses dieux. On est en droit de penser que le diable était, en effet, navré de savoir par Dieu que celui qui avait juré de détruire le christianisme, et qui y avait employé tous ses efforts, allait mourir le lendemain.

La mort du tyran fut, d’autre part, révélée, par des voix merveilleuses, à plusieurs chrétiens pieux, notamment à Didyme l’aveugle, célèbre docteur d’Alexandrie. Ce jour-là (26 juin), Didyme, étant chez lui très affligé du mal que Julien faisait à l’Église, passa la journée dans le jeûne et la prière, et ne voulut pas même prendre de nourriture. Lorsque la nuit fut venue, il s’endormit sur le siège où il était assis et crut voir des chevaux blancs courir en l’air, montés par des personnages qui criaient : « Dites à Didyme, qu’aujourd’hui, à sept heures, Julien a été tué ; lève-toi, mange et envoie-le dire à l’évêque Athanase. » Didyme remarqua l’heure, le jour, la semaine et le mois, et la révélation se trouva véritable ; car la septième heure de la nuit, comme on comptait autrefois, correspond à notre une heure du matin ou une heure après minuit, qui est exactement celle où l’apostat mourut, en damné.


Mais arrivons à la nécromancie moderne.

La nécromancie ne cessa d’être pratiquée et même enseignée pendant tout le moyen-âge ; de là, cette multitude de légendes, racontant les apparitions de morts venant donner aux vivants des nouvelles de l’autre monde, annoncer un évènement sinistre, ou révéler un crime. De là, ces nombreuses croyances superstitieuses qui se sont perpétuées jusqu’à nos jours dans presque toutes les parties du monde civilisé et même chrétien. Selon la tradition polonaise, par exemple, les âmes des damnés rôdent pendant la nuit autour de leurs tombeaux, hurlent comme des chiens ou des loups, et tâchent d’égarer les passants dans de mauvais chemins. Des génies ou esprits femelles, appelés Boguienckas, volent l’enfant nouveau-né, et le remplacent par une progéniture du diable. L’air est peuplé d’esprits condamnés à une pénitence éternelle. Le pécheur est enterré avec son âme ; pour se soulager de ses tourments, cette âme, la nuit venue, sort de son tombeau et s’en va aux alentours effrayer les vivants. Les suicidés se promènent avec l’instrument qui leur a servi pour s’arracher la vie ; les décapités portent leur tête sous le bras ; les pendus traînent leur corde. Les magiciens des campagnes se faisaient comme un jeu de répandre ces erreurs-là et bien d’autres, malgré l’Église qui enseignait que les fantômes de ce genre, lorsqu’ils étaient aperçus vraiment, étaient uniquement des démons, cherchant à terroriser les gens, et qu’il suffisait d’invoquer Dieu et la Vierge à haute voix pour les faire fuir.

Dans les nombreux procès intentés aux sorciers jusqu’au dix-septième siècle, on pourrait relever une foule de pratiques nécromantiques dont la constatation juridique contribua à les convaincre de commerce et de pacte diabolique. La nécromancie était du reste une des bases de la doctrine cabalistique, si en honneur auprès des magiciens de ce temps. Les rabbins soutenaient que l’habitude attire l’âme des morts aux lieux où elle a demeuré durant sa vie terrestre ; certains cabalistes professaient que l’âme vitale et fluidique (nos spirites contemporains, on le voit, n’ont rien inventé) reste auprès du corps jusqu’à la putréfaction complète ; ce lien dure au moins un an après la mort ; c’est pendant cet intervalle qu’on peut le plus facilement évoquer l’âme du trépassé. C’est ainsi, disaient-ils, que les ossements d’Élisée opérèrent un an après la mort du prophète.

Mais si les magiciens du moyen âge pratiquaient la nécromancie et toutes les formes de l’art diabolique, ils ne pouvaient s’y livrer qu’avec des précautions infinies, en se cachant des lois qui poursuivaient justement les pratiques magiques comme un crime contre Dieu et la société humaine. Il en fut ainsi jusqu’au dix-huitième siècle, où, l’Église voyant diminuer son influence sociale par suite des progrès de l’erreur, un plus libre champ s’ouvrit aux manifestations de l’esprit du mal. Il ne fut plus forcé de se cacher dans les antres des nécromants, mais put étaler ses prestiges en pleine lumière, à la clarté du soleil et sous les lustres des salons. Il prit un costume fashionable de savant ou d’homme du monde ; il essaya d’amuser la société, et y réussit. Il se fit prédicateur de morale, mais d’une morale pleine de sensibilité et de charme, bien faite pour détacher les âmes faibles des principes élevés et austères du christianisme ; en somme, il prêcha sa vieille doctrine qui lui avait si bien réussi jusqu’à l’avènement du Christ, le paganisme, en y mêlant quelques ingrédients falsifiés, empruntés au christianisme. Voilà tout le secret de ces manifestations modernes connues sous les noms de mesmérisme, magnétisme, spiritisme, qui ont fait le tour du monde, et dont les victimes aujourd’hui sont innombrables.

Le spiritisme surtout est le chef-d’œuvre mondain de Satan, comme le palladisme est son chef-d’œuvre gouvernemental ; l’un lui sert à captiver par prestidigitation ou par prestiges des familles entières ; par l’autre, il inspire et dirige les sectes philosophiques et politiques, ennemies de l’Église. Grâce au spiritisme, la vieille nécromancie rajeunie devient une religion, bien mieux, comme le prétendent les spirites, la religion, la seule véritable et divine.

« Je pense, dit fort bien Albert Duroy de Bruignac[9], l’un de ceux qui ont le mieux démasqué le spiritisme au point de vue catholique, que le spiritisme est la forme de la magie la plus habile qui ait paru dans l’ère moderne. C’est la forme de la magie qui parle le plus au cœur et à des sentiments élevés, sans éveiller nécessairement les passions mauvaises… Maintenant, les désirs innocents, même vertueux, peuvent être entraînés dans la magie à l’aide de l’ignorance. Serions-nous arrivés au moment où des hommes feront des prodiges capables de séduire, s’il était possible, les élus eux-mêmes ? (Matth. XXIV, 21.) Dieu veuille nous épargner les calamités dont il frappe souvent les hommes après le développement inusité des œuvres magiques[10] ! »

C’est là, en effet, le grand danger du spiritisme, que Satan s’y transforme mieux qu’il ne l’a jamais fait, en ange de lumière, jusqu’à tromper ceux mêmes dont il se sert comme instruments et comme apôtres. Voilà pourquoi il est maintenant utile de revenir sur ce sujet, que j’ai esquissé à traits peut-être un peu trop rapides dans mon chapitre des Vocates Procédants (nom que les palladistes donnent aux personnes qui ont, en dehors des triangles, des manifestations réelles, mais moins caractéristiques que les leurs, puisqu’ils sont, eux, à leur dire, les Vocates Élus).

Je ne veux, du reste, étudier ici le spiritisme que comme la pratique diaboliquement raffinée de la nécromancie en dehors des triangles, mise à la portée de tous et présentée par les initiés sous des formes séduisantes qui la rendent d’autant plus dangereuse et plus redoutable pour quiconque tient à mettre sa foi à l’abri des atteintes de Satan,

Le spiritisme, tel que l’intitulent ses adeptes non lucifériens, est à la fois un ensemble de pratiques magiques tendant à évoquer les âmes des morts, et une doctrine très nettement formulée, quand on est parvenu à la dégager des semblants de christianisme qu’elle affecte de revêtir ; en d’autres termes, c’est un ensemble de phénomènes diaboliques, et une religion, qui ne peut être que diabolique, comme les faits prodigieux sur lesquels elle s’appuie.

Je vais donc exposer ici : 1° les principaux phénomènes de nécromancie produits par le spiritisme diabolique ; 2° la doctrine que ces phénomènes tendent à faire prévaloir surtout contre l’enseignement de l’Église.


A. — principaux phénomènes du spiritisme diabolique


Je n’ai pas, bien entendu, la prétention de retracer ici l’histoire complète du spiritisme ; cette histoire a été faite et refaite à tous les points de vue ; un volume, du reste, ne suffirait pas pour relater les faits innombrables qui remplissent les journaux et revues spirites ou spiritualistes (ces deux mots, pour les adeptes de la nouvelle religion, sont devenus synonymes), publiés depuis bientôt un demi-siècle dans les deux mondes.

Ces faits, du reste, pour être admis comme preuves authentiques de l’intervention infernale ont besoin d’être passés au creuset de la critique ; car il est arrivé plus d’une fois que les faits en apparence les plus certains, le mieux appuyés sur des témoignages d’une autorité réputée irrécusable, se sont-trouvés démentis et convaincus de fausseté et d’imposture. Je n’en veux citer qu’un exemple fameux dans l’histoire du spiritisme, et qui prouve mieux qu’aucun autre combien il faut se défier, en cette matière, des autorités les plus respectées et les plus respectables.

Il n’y a pas d’homme dont le témoignage ait été invoqué en faveur de la réalité des prodiges spirites avec plus de confiance et d’unanimité que M. Crookes, le grand physicien et chimiste anglais, l’inventeur du Thallium, l’auteur renommé de mille autres découvertes scientifiques. Du jour où M. Crookes admit, après mûr examen, les phénomènes spirites comme indéniables, il y eut, dans tout le monde spirite, un cri de triomphe ; après une telle adhésion, les plus ridicules supercheries durent être acceptées comme articles de foi ; il paraissait impossible qu’un tel homme, habitué aux plus minutieuses analyses, aux plus délicates expériences, pût se tromper, quand il s’agissait de faits visibles et tangibles, faciles à constater et à vérifier, et qu’il pût jamais être la victime d’une mystification, la dupe d’un Mannteuffel ou d’un Leymarie.

C’est cependant ce qui est arrivé à M. Crookes, et au sujet d’une des manifestations diaboliques les plus importantes et les plus décisives, ce qu’on appelle la matérialisation des esprits, c’est-à-dire leur apparition visible et tangible. Non seulement M. Crookes donna tête baissée dans cette insigne farce des photographies spirites dont j’ai dévoilé l’imposture, mais il fut. pendant plusieurs mois, le jouet d’un habile pseudo-médium féminin, qui abusa indignement de sa crédulité de savant, et fit de lui la risée de l’Angleterre.

Il est d’autant plus à propos d’insister sur cette mésaventure que presque tous les historiens du spiritisme, même les plus graves, n’hésitent pas aujourd’hui encore à reproduire, comme faisant autorité, le récit où M. Crookes lui-même a naïvement raconté sa mystification, avec toutes les précautions prises par lui pour ne point être dupe. Or, jamais il n’y eut mystification plus évidente, et dupe plus complète. C’est à croire, pour l’honneur d’expérimentateur de M. Crookes, qu’il n’a écrit cette histoire que pour expérimenter jusqu’où peut aller, sur la foi d’un savant, la crédulité des badauds du dix-neuvième siècle.

Voici, en deux mots, toute l’histoire :

Le prodige s’opérait dans un cabinet fermé par des rideaux, où le médium, miss Cook, reposait censément endormie. À un moment donné, les rideaux s’ouvraient, et l’esprit réincarné, sous le nom de Katie King, apparaissait à l’assemblée. Non seulement Katie King marchait au milieu des assistants, et leur parlait ; mais sur leur désir, elle se laissait prendre dans leurs bras et leur permettait d’appuyer leur tête sur sa poitrine afin de compter les pulsations de son cœur : « J’usai de cette permission, dit M. Crookes, — convenablement, comme tout homme bien élevé l’eût fait dans ces circonstances — et je puis assurer que le fantôme (qui du reste ne fit aucune résistance) était un être aussi matériel que miss Cook elle-même. »

Oh ! oui ! excellent Crookes ; le fantôme, que tu embrassais convenablement (c’est entendu), n’était que miss Cook elle-même, que tu croyais en crise magnétique ou somnambulique, étendue inerte sur le canapé du cabinet plongé dans la plus complète obscurité. Ou, si ce n’était pas miss Cook, c’était un compère femelle, qui disparaissait aussitôt que l’expérimentateur pénétrait dans le cabinet avec une lampe à phosphore, pour s’assurer de la présence simultanée du médium et de son fantôme.

« En retournant à mon poste d’observation, dit M. Crookes, Katie apparut de nouveau, et dit qu’elle pensait qu’elle pourrait se montrer à moi en même temps que son médium. Le gaz fut baissé, et elle me demanda ma lampe à phosphore. Après s’être montrée à sa lueur pendant quelques secondes, elle me la remit dans les mains, en disant : « Maintenant, entrez, et venez voir mon médium. » Je la suivis de près dans ma bibliothèque, et à la lueur de ma lampe, je vis miss Cook reposant sur le sofa exactement comme je l’y avais laissée. Je regardai autour de moi pour voir Katie, mais elle avait disparu. Je l’appelai, mais je ne reçus pas de réponse. »

Décidément, il faut être naïf comme un… chimiste, pour se laisser tromper par d’aussi grossières illusions. Mais rien n’égale la séance d’adieu ; car enfin il fallut bien que cette comédie finît ; miss Cook était à bout de forces et de médianimité.

« Lorsque le moment de nous dire adieu, raconte M. Crookes, fut arrivé pour Katie, je lui demandai la faveur d’être le dernier à la voir. En conséquence, quand elle eut appelé à elle chaque personne de la société et qu’elle leur eût dit quelques mots en particulier (d’après un autre témoin oculaire, elle donna à chacun un petit bouquet entouré d’un ruban bleu), elle donna des instructions générales pour notre direction future et la protection à donner à miss Cook…

« Ayant terminé ses instructions, Katie m’engagea à entrer dans le cabinet avec elle, et me permit d’y demeurer jusqu’à la fin.

« Après avoir fermé le rideau, elle causa avec moi pendant quelque temps, puis elle traversa la chambre pour aller à miss Cook qui gisait inanimée sur le plancher. Se penchant sur elle, Katie la toucha et lui dit : « Éveillez-vous, Florence, éveillez-vous ! Il faut que je vous quitte maintenant ! »

« Miss Cook s’éveilla, et, tout en larmes, elle supplia Katie de rester quelque temps encore. « Ma chère, je ne le puis pas ; ma mission est accomplie. Que Dieu vous bénisse ! » répondit Katie, et elle continua à parler à miss Cook.

« Pendant quelques minutes, elles causèrent ensemble, jusqu’à ce qu’enfin les larmes de miss Cook l’empêchèrent de parler.

« Suivant les instructions de Katie, je m’élançai pour soutenir miss Cook, qui allait tomber sur le plancher et qui sanglotait convulsivement. Je regardai autour de moi, mais Katie et sa robe blanche avaient disparu. Dès que miss Cook fut assez calmée, on apporta une lumière et je la conduisis hors du cabinet. »

Je ne sais si M. Crookes fut fidèle à l’injonction que lui fit Katie de continuer à protéger son médium ; ce qu’il y a de certain, c’est qu’après avoir perdu son prestige par la divulgation de cette incroyable supercherie, miss Cook se retira des affaires et disparut comme son fantôme.

Si tous les prodiges opérés par le spiritisme des Vocates Procédants ressemblaient à celui-là, le spiritisme serait bientôt jugé, malgré toutes les attestations d’authenticité que pourraient leur donner les hommes de science et les corps savants eux-mêmes. Mais malheureusement, ainsi que je l’ai déjà prouvé, et de l’aveu même des magiciens opérateurs, « il y a autre chose ! » Il y a des médiums autrement sérieux que miss Cook ; il y a des médiums véritable ; dont les prodiges attestés par des milliers de témoins, dans les circonstances les plus variées et sous le contrôle des précautions les plus sévères, prouvent avec la dernière évidence qu’ils ne peuvent être, ainsi que le reconnaît le F∴ Constant, que les agents de « Celui qu’on adorait, dans les rites secrets du sabbat ou du temple, sous la figure du Baphomet ou du bouc androgyne de Mendès. »

Si, parmi les médiums de toute espèce qui pullulent dans les deux mondes, — médiums à effets physiques et à effets intellectuels, médiums extatiques et somnambules, médiums typtologues, médiums guérisseurs, médiums écrivains, médiums peintres ou musiciens, médiums à matérialisation, médiums à baisers (baisers très palpables que les esprits déposent sur les lèvres), médiums à sueur de métal ou de diamants, médiums factotums, etc., — si, dis-je, parmi cette infinie variété de médiums, il s’en trouve un certain nombre de l’étoffe de miss Cook ou de cette Kate Fox, dont il a été question à propos de la naissance du spiritisme en Amérique, on pourrait en citer un grand nombre d’autres dont la puissance diabolique n’est pas jouée, et qui portent véritablement en eux le signe irrécusable de Satan.

Dans la patrie même de miss Cook, on ne doit pas hésiter à classer dans cette dernière catégorie plusieurs femmes dont la médianimité réelle est incontestable et n’a jamais été contestée :

— Une lady Sandhurst, une voyante de première force, qui a le don singulier de se dédoubler à volonté, bien mieux, de pouvoir émettre cinq ou six doubles d’elle-même, et de plus la faculté, à l’aide des esprits avec lesquels elle est familière, d’être informée sur le champ de tout ce qui peut arriver en bien ou en mal à ses amis, quelque éloignés qu’ils soient.

— Une mistress Davies, de Norwood, prédestinée dès sa plus tendre enfance à être l’instrument conscient ou inconscient (je ne sais) de l’intervention diabolique. Elle a laissé quelques notes d’autobiographie, dont je détache le passage suivant :

« J’avais huit ans, quand je fis ma première expérience. Pendant que ma grand’mère était mourante, de onze heures du soir à deux heures du matin, de vigoureux coups furent frappés sous mon lit. Quand ils cessèrent, ma grand’mère était morte.

« Huit ans après, à l’âge de seize ans, un matin, comme on m’apportait mon déjeuner dans mon lit, je fus subitement frappée de l’apparition d’un enfant étrange qui sauta sur mon lit ; il semblait avoir de cinq à six ans. Debout entre mes pieds, il souriait et me dit : « Voici le point décisif de votre vie. » C’était un bel enfant ; mais je sentais en moi une répugnance extrême et une haine instinctive pour lui. Je m’assis sur mon lit et priai Dieu de me débarrasser de cette vision. Mais l’enfant riait toujours et me défait. Sa figure, quoique belle, prit une expression vraiment démoniaque, et il riait de plus en plus fort à mesure que je prononçais le nom du Christ.


La première apparition de Lucifer à mistress Davies, de Norwood, alors qu’elle avait 16 ans Satan, sous la forme d’un tout jeune enfant, sauta sur le lit et s’y tint debout, riant et la défiant.

Enfin, je criai de toutes mes forces : « Au nom du Dieu tout-puissant, va-t-en ! » et immédiatement il s’évanouit.

Miss Davies ne persévéra pas dans ces bonnes dispositions ; peu de temps après, elle s’affiliait avec sa sœur et ses frères à une « Société Spiritualiste » de Birmingham, donna des séances suivies dans sa propre maison, et devint un véritable médium diabolique.

« Notre famille, dit-elle, était vraiment médiumnistique et nous obtînmes bientôt d’étranges phénomènes, plus effrayants qu’agréables. Les deux premières années, j’éprouvai une espèce de possession. Durant ce temps, je développai complètement mes pouvoirs clairvoyants ; mais avant d’être totalement maîtresse de mes facultés, j’eus considérablement à souffrir. Je tombais en transe et j’étais possédée de temps en temps par l’esprit de ma mère.

« Dans une de ces crises d’état inconscient, mon frère baignait ma figure, pour me faire revenir à moi, quand la voix de ma mère se fit entendre avec calme : « Laisse-la ; elle n’est point évanouie. »

Son frère, effrayé des phénomènes qui se produisaient dans la maison, eut le courage de se soustraire à cette espèce de possession et renonça au spiritisme.

— Une madame Blavatsky[11], dont j’aurai occasion de parler plus amplement dans la seconde partie de ce chapitre.

Mais de tous les médiums qui se sont fait un nom dans ce siècle, un surtout mérite que nous nous arrêtions plus longuement à lui, parce qu’il semble véritablement un privilégié, un enfant gâté de Satan, par le nombre et la variété des prodiges de nécromancie qu’il lui a plu d’opérer par son intermédiaire. Il nous sera donné d’étudier dans l’écossais Daniel Dunglas Hume ce qu’est capable de produire, en fait de surnaturel, en notre siècle, la puissance satanique, dans le milieu mondain.

Daniel Dunglas Hume naquit à Édimbourg dans le mois de mars 1833. Sa mère était une voyante, douée de ce qu’on appelle « la seconde vue ». Adopté par sa tante, il l’accompagna à l’âge de neuf ans en Amérique. S’il faut l’en croire, les phénomènes merveilleux dont il fut favorisé se manifestèrent dès sa première enfance ; son berceau était souvent balancé, « comme si quelque esprit tutélaire eût veillé sur son sommeil ».

Dès l’âge de quatre ans, au témoignage de sa tante, il eut une vision relative aux circonstances qui accompagnèrent la mort d’une de ses cousines. La première vision dont il se souvint eut lieu à l’âge de treize ans. Il la raconte ainsi lui-même :

« Ma santé délicate me défendait alors les jeux auxquels se livraient les enfants de mon âge ; quelques mois avant, je m’étais lié avec un garçon plus âgé que moi de deux ou trois ans, et dont la nature ressemblait assez à la mienne. Nous avions l’habitude de lire la Bible ensemble, et un jour, au mois d’avril, comme nous venions d’achever notre lecture, qui avait lieu dans les bois, tout entiers l’un et l’autre à la contemplation muette des splendeurs d’une végétation naissante, mon ami se tourne vers moi et me dit : « Oh ! j’ai lu une histoire si étrange ! » et, là-dessus, il me rapporte un conte d’esprit relatif à la famille du lord X*** et dont j’ai depuis vérifié l’authenticité. Un portrait de la dame à qui le fait arriva existe encore dans la famille et on la nomme la dame au ruban noir. Le présent lord X***, qui est de la même famille, m’a dit aussi être né dans la chambre où l’esprit apparut.

« Mon ami Edwin me demanda si je croyais à l’authenticité du récit ; je lui répondis que je n’en savais rien, mais que j’avais entendu parler de choses aussi étranges. Nous convînmes alors que celui des deux qui le premier quitterait la terre se présenterait le troisième jour à l’autre, si toutefois Dieu le permettait. Nous lûmes un autre chapitre de la Bible, et nous prières pour l’accomplissement de notre double vœu.

« Un mois après environ, j’allai, avec ma famille, résider à Troy, dans l’état de New-York, situé à près de trois cents milles de Norwich, où Edwin habitait. Un soir, vers la fin de juin, j’étais allé passer la soirée avec quelques amis, et rien n’arriva durant cette soirée qui pût exalter mon imagination ou exciter mon esprit ; au contraire, je fus toujours dans un état fort calme. La famille s’était retirée dans ses appartements respectifs, et moi-même j’avais gagné ma chambre, si pleinement éclairée par la lune que la bougie était devenue inutile.

« Mes prières dites, j’étais assis sur le lit et me préparais à ramener le drap sur moi, lorsqu’une obscurité soudaine sembla envahir la chambre. Cela me surprit, car je n’avais pas vu un seul nuage dans le ciel.

« En regardant en haut, je vis la lune toujours brillante, mais de l’autre côté de l’obscurité, dont la densité redoubla jusqu’à laisser voir à travers elle une sorte de lumière dont je ne puis décrire le caractère, mais qui ressemblait à celle que moi et tant d’autres ont vue depuis dans des chambres illuminées par la présence d’un esprit. Cette lumière augmenta graduellement, et mon attention fut attirée au pied du lit, où se tenait mon ami Edwin.

« Il m’apparut dans une sorte de nuage lumineux qui éclairait sa figure, plus nettement dessinée que si la vie l’eût animée. Ses traits étaient les mêmes, à part un certain rayonnement, et la seule différence que j’eus à constater fut dans la chevelure qui était longue et roulait sur ses épaules en boucles ondoyantes. Il me regarda avec un sourire d’ineffable douceur ; puis, levant lentement son bras droit vers les cieux, il fit trois cercles dans l’air ; après quoi, la main, le bras, puis le corps lentement s’évanouirent.

« Alors la clarté revint dans la chambre ; je restai muet, et dans l’impossibilité de faire aucun mouvement, quoique j’eusse conservé toutes mes facultés.

« Aussitôt que j’eus recouvré le mouvement, je sonnai, et la famille, croyant que j’étais malade, s’empressa autour de moi. Je m’écriai : « J’ai vu Edwin, il est mort il y a trois jours aujourd’hui et à la présente heure. » Le fait se vérifia trois jours plus tard, à l’arrivée d’une lettre annonçant qu’après quelques heures de maladie, Edwin avait succombé à une dyssenterie maligne. »

En 1850, Hume eut une semblable vision qui lui annonça la mort de sa mère, laquelle habitait à Waterford, à douze milles de lui.

Si de tels récits étaient écrits de la main d’un saint Augustin où d’un saint Jérôme, nous n’hésiterions pas à voir dans ce merveilleux un effet des puissances célestes mues par la volonté de Dieu ; on a vu plus d’une fois, en effet, les pactes stipulés entre vivants pour s’apparaître mutuellement après la mort, mis en pratique par de très saints personnages. Saint Thomas, examinant cette question, laisse sur ce sujet une grande latitude aux opinions : s’il condamne ces pactes quand ils procèdent du doute ou d’une simple curiosité, il les accepte comme légitimes s’ils proviennent d’une véritable piété et d’une foi religieuse en l’autre vie. Mais tel n’est pas le cas de notre magicien. Sa vie tout entière prouve surabondamment qu’il n’a jamais eu d’autre mobile, dans ce qu’il appelle sa carrière surnaturelle, que le désir de se faire un nom et de substituer les rêveries du spiritisme aux dogmes de l’Église sur l’autre vie. Toutes les fois qu’il parle de Dieu, comme l’auteur et la source de la puissance magique qu’il s’attribue, nous savons quel dieu il faut entendre : c’est le dieu des gnostiques, de Simon le magicien et de Cagliostro.

Il est bon de nous rappeler à ce sujet la règle formulée par Benoit XIV :

« On doit rejeter comme suspectes toutes les apparitions révélatrices qui renferment quelque chose d’inutile, de curieux, d’insolite et de nouveau. » À plus forte raison celles qui tendent ouvertement à la destruction de la foi et de la doctrine du Christ.

Quelques mois après la mort de sa mère, au moment même où il était question des phénomènes singuliers qui se produisaient à Rochester, dans la famille Fox, Hume fut favorisé des mêmes manifestations des esprits frappeurs, manifestations qui le sacrèrent médium et lui révélèrent décidément sa vocation. Comme ces manifestations furent le point de départ de sa vie surnaturelle et comme la prise de possession de son âme par le seul agent capable de les produire, c’est-à-dire Satan, il est important de s’y arrêter un instant, et d’en écouter le récit détaillé de sa propre bouche.

« J’entendis, un soir, en me couchant, trois forts coups à la tête de mon lit, pareils à ceux qu’on eût produits avec un marteau. Ma première idée fut que quelqu’un s’était caché dans ma chambre dans le but de m’effrayer. Le bruit venant à se renouveler, et cette fois de façon à résonner dans mon oreille, je crus immédiatement que ce devait être quelque chose de surnaturel.

« Après quelques minutes de silence, je les entendis de nouveau ; ce fut tout, quoique je ne dormisse pas de la nuit.

« Ma tante était membre de l’Église écossaise, et quelques deux ans auparavant, j’avais, à sa grande désapprobation, embrassé les doctrines « wesléyennes » ; mais son opposition devint si violente, que je dus rejoindre les « congrégationalistes ».

« Un matin, en descendant pour déjeuner, elle remarqua la pâleur de ma figure et me reprocha d’avoir été agité par quelques-unes de nos réunions théologiques. J’allais m’asseoir à table, quand ce meuble fut assailli par une pluie de frappements continus. Je m’arrêtai, saisi de terreur devant de tels bruits émanant d’une cause invisible, lorsque je fus ramené aux banales réalités de la vie par l’exclamation de ma tante parfaitement scandalisée :

« — Ainsi, s’écria-t-elle, vous avez amené le diable dans ma maison, n’est-ce-pas ? »

« Ma tante avait entendu parler par ses voisins des phénomènes de Rochester, et elle considérait ces frappements comme l’œuvre du démon.

« Dans son exaspération, elle prit une chaise et la jeta contre moi. Sachant combien j’étais innocent du fait qui provoquait sa malheureuse colère, je me sentis blessé par sa violence, en même temps que je me fortifiai dans la résolution de savoir la cause qui avait troublé notre repas du matin.

« Il y avait, dans le village, trois ministres, un congrégationaliste, un anabaptiste et un wesléyen. Dans l’après-midi, ma tante, que son courroux contre moi aveuglait au point d’oublier ses préventions religieuses contre les sectes rivales, manda ces ministres chez elle pour se consulter avec eux et les exhorter à prier pour moi, dans le but de me délivrer de ces étranges visites.

« Le prêtre anabaptiste, M. Mussey, vint le premier ; après m’avoir interrogé sur la façon dont je m’étais attiré ces manifestations occultes, et ne recevant de moi aucune réponse qui le satisfît, il désira que nous priions ensemble pour les faire cesser. Nous nous mîmes donc à genoux, et à chaque énonciation des noms sacrés de Dieu et de Jésus, il se produisit de légers coups dans sa chaise et dans différentes parties de la chambre, et chaque fois que nous implorions la miséricorde du Très-Haut pour nous et notre prochain, c’étaient des roulements continus qui se joignaient à nos prières ferventes.

« Je fus tellement frappé, tellement ému, que je résolus sur le champ, encore à genoux, de me mettre à l’entière disposition de Dieu, et de suivre la direction de ce qui ne pouvait être que le bien et la vérité, puisqu’on exprimait sa joie à ces principaux passages de ma prière.

« Ce fut là certainement le point où mon existence fit un coude, et, depuis, je n’en ai pas senti un seul regret, quoique pendant longtemps j’aie eu beaucoup à souffrir dans l’exécution de ce projet. Mon honneur a été mis en question, mon orgueil blessé, mes espérances mondaines obscurcies, et je fus chassé de la maison à l’âge de dix-huit ans, quoique je ne fusse encore qu’un enfant par la délicatesse de ma santé, sans ami, et avec la charge de trois jeunes enfants.

« Quant aux deux autres révérends, le congrégationaliste ne voulut pas entrer dans la question, en disant qu’il ne voyait pas pourquoi un garçon bien intentionné serait persécuté pour des faits qu’il ne pouvait ni empêcher ni causer ; et le méthodiste fut assez méchant pour ne voir en cela que l’œuvre du démon, me traita comme une brebis perdue et finalement me refusa toute consolation.

« Cependant, en dépit des visites de ces ministres et de l’aversion profonde de ma tante, les frappements ne cessaient pas, et les meubles à leur tour se mirent en mouvement sans le secours d’un agent extérieur.

« La première fois que ce phénomène se produisit, j’étais dans ma chambre, occupé devant la glace à brosser mes cheveux ; je vis tout à coup, dans la glace, une chaise placée entre la porte et moi, s’avancer doucement dans ma direction. Ma première impression fut une grande frayeur, et je jetai les yeux autour de moi pour voir si je ne pourrais pas me sauver ; mais la chaise se trouvait entre moi et la porte, et elle avançait toujours à mesure que je la regardais : à un pied environ de distance, elle s’arrêta ; j’en profitai pour bondir par-dessus elle, me précipitai dans les escaliers, m’emparai de mon chapeau qui était dans le vestibule, et sortis pour méditer sur cet étonnant phénomène.

« Plus tard, pendant que j’étais tranquillement assis dans le salon, avec ma tante et mon oncle, la table, parfois les chaises et d’autres meubles se promenaient d’eux-mêmes dans la chambre, à la grande surprise et au grand dégoût de mes parents.

« Une fois, pendant que la table était ainsi en mouvement, ma tante prit la Bible de famille, et la plaçant sur le meuble, elle ajouta : « Voilà qui chassera le démon d’ici » ; mais, à son grand étonnement, la table s’agita d’une manière plus gentille, comme si elle eût été flattée de porter un tel fardeau. Alors l’irritation de ma parente n’eut plus de bornes ; bien résolue à mettre fin à ces mouvements, elle se plaça elle-même avec colère sur la table ; mais celle-ci s’éleva de nouveau au-dessus du parquet avec son vivant fardeau… »


Manifestations diaboliques, pendant la jeunesse de Hume : sa tante s’étant assise sur une table qui se mouvait d’elle-même, la table s’éleva au-dessus du parquet avec son vivant fardeau.

« Ma seule consolation à cette époque, dit-il encore, était de voir une autre tante, une veuve, qui vivait tout près de là, et dont la sincère et vive sympathie fut une grande bénédiction pour moi. Chez elle, durant une de mes visites, le même phénomène se manifesta, et cette fois nous fîmes des questions qui furent intelligemment répondues. L’esprit de ma mère se communiqua à moi dans cette maison par l’avertissement suivant : « Daniel, ne craignez rien, mon enfant, Dieu est avec vous ; qui donc alors voudrait être contre vous ? Cherchez à faire le bien, soyez vrai et aimant, et vous prospérerez, mon enfant. Votre mission est glorieuse, vous convaincrez les infidèles, guérirez les malades, et consolerez ceux qui souffrent. »

« Ce fut la première communication que je reçus, et elle eut lieu la première semaine de ces mystérieuses visites. Je ne l’ai jamais oubliée, et je ne l’oublierai jamais. Ce fut aussi la dernière semaine que-je passai chez ma tante ; ses convictions religieuses ne purent soutenir plus longtemps la continuation de ces manifestations étranges, et elle considéra comme un devoir pour elle de m’engager à quitter sa maison ; ce que je fis. »

Nous savons que, par malice, Satan, usant à l’excès de la tolérance divine, se plait à se transformer en ange de lumière, cette métamorphose étant pour lui le meilleur moyen de séduire les âmes ; il serait difficile d’en citer un exemple plus frappant que celui de Hume. D’autre part, une circonstance fort remarquable n’aura pas échappé au lecteur de ce récit : la désinvolture avec laquelle le démon se joue de tous les exorcismes tentés contre lui par des ministres appartenant à d’autres Églises qu’à celle du Christ, comme s’il leur disait : « Il n’a été donné de chasser les démons qu’aux véritables disciples de Jésus ; vous n’êtes, en vous érigeant en expulseurs du diable, que leurs copistes impuissants ; je me moque de votre Bible et de vos anathèmes : ce jeune homme m’appartient en dépit de vos colères et de vos exorcismes ; je ferai de lui l’un des principaux dépositaires de ma puissance, l’un des plus triomphants apôtres de la nouvelle religion que je prétends établir parmi les hommes. »

Satan trouvait dans son jeune disciple un auxiliaire puissant pour l’exécution de son dessein ; l’orgueil dont il parle lui-même, si profondément blessé par les humiliations qu’on lui fait subir, et l’ambition d’exhiber sur un théâtre public les diaboliques facultés (divines selon lui) dont il vient de faire, en intérieur privé, une si merveilleuse expérience.

Au bout de huit jours, les manifestations qui s’opèrent par sa médianimité, à Norwich et dans une ville voisine, sont déjà connues, grâce à la presse, dans les États-Unis : « Finalement, dit Hume, je me voyais embarqué, sans un acte de ma propre volition, bien plus, contre ma volonté même, sur l’océan orageux d’une existence publique. À partir de ce jour, je ne m’appartins plus… Hommes et femmes de toutes classes et de tous pays, médecins et savants, ministres de toutes sectes, artistes et hommes de lettres, tous ont avidement cherché les preuves de cette question brûlante, c’est-à-dire la possibilité de causes spirituelles agissant directement sur le monde matériel. »

Quant à lui, il n’est que l’instrument passif de cette puissance surnaturelle qui agit en lui, le véhicule inconscient du magicien qui opère ses prodiges ; on ne saurait le reconnaitre et le déclarer plus nettement qu’il ne le fait lui-même :

« Je n’ai rien à dire sur l’occurrence des manifestations extraordinaires dont je fus l’objet ; ainsi qu’on l’a vu, elles s’imposèrent à moi avec cette escorte d’incidents désagréables et pénibles que j’ai décrits. Je n’ai, et n’ai jamais eu le moindre contrôle sur elles, et il m’est tout aussi impossible de faire qu’elles soient ou non, qu’il m’est impossible d’en augmenter ou diminuer la fréquence. Quelles que soient les lois particulières qui les ont développées en ma personne, j’en suis ignorant comme tout le monde. Quand elles se produisent, je n’ai conscience ni du mobile qui les crée, ni de la forme qu’elles vont revêtir. »

Le seul caractère personnel particulier que Hume signale en lui, c’est une organisation excessivement nerveuse, à laquelle du reste il est loin d’attribuer en quoi que ce soit les effets extraordinaires qui se produisent par son intermédiaire. Loin d’affaiblir sa constitution délicate, la production de ces phénomènes, accompagnés cependant de crises simulant le somnambulisme, vraies extases démoniaques où il perd connaissance, ne fait que soutenir ses forces et alimenter la source de sa vie.

« Fréquemment, dit-il, durant les plus graves accès de maladie, mes souffrances ont été soudainement calmées d’une façon mystérieuse, et bien des fois, lorsqu’il m’eût été impossible de me remuer dans le lit, dans la crainte d’augmenter mon hémorrhagie de poumon, ma tête a été doucement soulevée et mon oreiller arrangé par des mains invisibles. Ce fait s’est produit en présence de plusieurs témoins. »

Une autre preuve de l’objectivité ou de la réalité extérieure de l’agent surnaturel qui opère en lui, indépendamment de lui, c’est qu’à certains moments ses facultés médianimiques l’abandonnent sans cause apparente, comme nous le verrons plus loin.

Ces facultés ne se bornent pas chez lui, comme chez certains autres médiums, à faire tourner ou parler des tables ; il a tous les dons extraordinaires de seconde vue, accordés par Satan aux plus grands sorciers d’autrefois. Au début même de son apostolat, il opère en ce genre des merveilles.

« J’étais à Lébanon, dans la famille d’un vieux résident, lorsque m’apparut un esprit qui se nommait « l’Oncle Tilden. » Je demandai à une dame, qui faisait partie de la famille, si elle reconnaissait ce nom ; mais avant qu’elle pût me répondre, l’esprit me fit signe qu’il ne voulait pas que cette dame dît son nom, et ajouta qu’il viendrait me voir un autre jour, où il serait plus maître de moi. Au bout de quelque temps il revint, pendant que j’étais en extase, et me dit que certains papiers cherchés pendant nombre d’années par sa famille et abandonnés comme introuvables étaient dans une maison dont il dépeignit la situation près de Cleveland, dans l’état d’Ohio. Lesdits papiers étaient des titres à la propriété d’un terrain dont la valeur s’était accrue en raison de projets de construction, et dont un tiers revenait à une dame ; mais, en raison de la perte desdits titres, celle-ci avait été frustrée de ses droits et vivait en conséquence dans une situation fort humble. Il décrivit minutieusement par mon intermédiaire la partie de la mansarde et la forme de la boîte où ils étaient renfermés. On écrivit au fils de la dame tous ces détails, les recherches furent faites et les actes trouvés au lieu indiqué. »

Il ne faut pas perdre de vue, pas plus qu’il ne le perd lui-même au milieu de la succession de ces prodiges, le but qu’il poursuit de concert avec son inspirateur et son maître : la religion spirite, qu’il s’agit d’implanter dans les esprits.

« À Boonton, en New-Jersey, j’eus de fréquentes visions d’esprits, amis de personnes qui m’étaient parfaitement étrangères, avec la description de leur physionomie ; les esprits me donnèrent leurs noms, la date du jour où ils quittèrent la terre, et répondirent à toutes les questions qu’il plut aux assistants de leur poser.

« Ces réponses vinrent à moi pendant que j’étais dans un état anormal, c’est-à-dire en un état d’extase, et tout ignorant du milieu naturel qui m’environnait ; mais elles se produisirent avec une facilité d’élocution de beaucoup supérieure, m’a-t-on dit, à celle que j’avais ordinairement dans la transmission immédiate des réponses des esprits aux questions qu’on leur faisait. J’étais alors d’une sensibilité telle, que le son d’une musique sacrée eût provoqué chez moi l’extase, laquelle me mettait toujours en compagnie d’esprits amis, et cela d’une manière aussi palpable que je m’y trouve avec mes amis de ce monde. C’est ainsi que des centaines de personnes se sont convaincues de la vérité de la communion spirituelle et ont senti s’émousser leur scepticisme ; athées, déistes et infidèles furent ainsi amenés à croire à la Providence et à la direction immédiate des esprits. »

Bien plus, Hume se faisait, aux derniers moments de ses adeptes, le ministre de la mort, et cherchait à entretenir dans leur âme, jusqu’au dernier souffle, la foi diabolique à la doctrine spirite.

En voici un exemple que mes lecteurs feront bien de méditer, en songeant au terrible réveil de ces pauvres âmes déçues à leur entrée dans l’autre vie.

« Pendant que j’étais à Lébanon, mon jeune ami, le fils de Mme E***, tomba malade, et je vis l’esprit de son père, que je n’avais jamais connu de ce monde… Il vint à moi, pendant que j’étais seul dans ma chambre, et se tenant debout près de moi, il me dit : « Ezra sera avec moi dans trois semaines ! allez le voir. »

« Je demeurais alors chez un ami, à trois milles de distance du jeune malade : je suivis les prescriptions de l’esprit, et allai voir Ezra, qui, en effet, était dans son lit.

« De concert avec sa sœur, je l’assistai de mes soins jusqu’à sa mort qui arriva le dix-neuvième jour de sa maladie.

« Il avait alors dix-huit ans, et s’était mis, depuis quelques mois, avec mon concours, en rapport avec les manifestations spirituelles ; il était même devenu quelque peu médium, et il recevait parfois des communications, principalement de son père, au moyen des frappements et de l’alphabet.

« Lors de ma première visite durant sa maladie, il me dit, avec le plus grand sang-froid, qu’il était sûr de ne pas en revenir, et qu’il avait été averti par son père, au moyen de petits coups donnés dans son oreiller, que c’était sa dernière maladie… Quelque temps après, il reçut la visite d’un diacre, qui blâma énergiquement toutes ces choses, argumenta avec le jeune moribond, essaya de lui arracher ses chères croyances, mais heureusement sans le moindre succès.

« La veille de son départ pour l’autre monde, plusieurs personnes vinrent chez lui ; l’une d’elles m’avoua que c’était pour s’assurer si les derniers moments n’amolliraient pas son courage, ou n’amèneraient pas une rétractation. J’en parlai à Ezra qui me pria de les faire entrer dans sa chambre, où je les laissai pour aller prendre un repos de quelques heures.

« À une heure et demie du matin, Ezra m’envoya chercher, je les trouvai encore là ; Ezra avait parlé la plus grande partie du temps. En s’adressant à sa mère, il disait : « Songez seulement, mère, que je ne boiterai plus ! » — Il boitait depuis l’âge de six mois. — Il me pria de regarder par la croisée et de lui dire comment était le matin ; je lui répondis qu’il faisait un beau clair de lune ; il me rappela une conversation que nous eûmes six mois avant, dans laquelle il disait qu’il aimerait à s’en aller par un clair de lune, tandis que moi je préférais le soleil couchant.

« Il m’exprima le désir que personne ne portât le deuil pour lui ; il me pria de garder sa main dans la mienne, et, pendant que je la tenais ainsi, sa figure s’illumina tout à coup d’une expression de béatitude ; puis il prononça mon nom, comme s’il eût voulu me montrer quelque douce vision glissant devant ses yeux, et l’âme s’exhala…

« Depuis le départ d’Ezra, il a été fréquemment avec moi, m’exhortant à écrire à sa mère et à sa sœur. Quelquefois j’ai senti quelque chose, évidemment lui, s’emparer de ma main et tracer sa propre écriture. »

On voit que le jeune magicien prenait au sérieux la mission dont le démon seul pouvait lui avoir inspiré l’idée ; le lecteur aura remarqué que cette mort, à laquelle Hume seul préside, a tous les caractères d’une mort diabolique ; il n’y est nullement question de Dieu, de rédemption, de fin dernière, mais seulement de clair de lune, de coucher de soleil, d’un état bienheureux où disparaîtront les infirmités corporelles, et où l’âme du défunt entretiendra avec les vivants un agréable commerce. Ce seul récit suffirait pour ne laisser aucun doute sur le véritable auteur de ces manifestations d’outre-tombe.

Aussi Satan, heureux du succès des débuts de son disciple, ne lui laisse-t-il pas de repos dans l’exécution de ses desseins ; rien ne doit entraver sa mission démoniaque.

Un jour, par exemple, Hume rencontre un savant, théologien dévoyé, professeur d’hébreu et de langues orientales à New-York, Georges Bush, qui avait sacrifié sa carrière sacerdotale à l’étude des doctrines de Swedenborg. Celui-ci, frappé des dons surnaturels de Hume, l’invita à venir habiter sa maison pour y étudier avec lui les écrits du grand nécromant suédois. Mais l’étude de Swedenborg parait à Hume bonne pour des rêveurs et des fous ; il juge qu’il ne doit point se laisser détourner de sa mission plus pratique et qu’il lui vaut mieux avoir affaire dans un autre milieu. Aussitôt Satan, sous l’apparence de l’esprit de sa mère, lui apparaît dans l’état de veille et lui dit : « Mon fils, vous ne pouvez accepter cette offre obligeante ; votre mission est beaucoup plus importante que celle d’un prédicateur de chaire. » Et Hume obéit.

Il resta à Lébanon jusqu’à la fin de janvier 1852. Dans les derniers mois de son séjour dans cette ville, les manifestations spirites redoublèrent de pouvoir, et présentèrent une phase d’un nouveau caractère :

« Des mains invisibles venaient me toucher, écrit-il, ainsi que les autres personnes assises près de moi. Nous sentîmes fréquemment leur contact, et en maintes occasions la main d’un esprit se plaça dans la nôtre d’une façon aussi palpable que si c’eût été une main réelle, quoique parfaitement invisible pour nous. Elle restait tranquillement dans notre main, jusqu’à ce que nous essayions de l’enfermer dans la nôtre ; alors même elle ne se retirait pas, elle s’évanouissait pour ainsi dire à travers nos doigts. »

Les nombreuses séances données par Hume à Springfield, au domicile de Rufus Elmer, eurent alors un grand retentissement. Pendant qu’il était en état de crise, non seulement les tables enchantées quittaient le parquet, s’élevaient dans l’air et y flottaient quelque temps; mais on entendait des décharges terribles qui faisaient osciller le parquet. « On eût dit, rapportent les procès-verbaux, la vibration occasionnée par un tonnerre lointain ou la voix éloignée du canon, qui faisait trembler la table, les chaises, tous les meubles et nous-mêmes, d’une telle manière qu’on en sentait et voyait nettement les effets. »

D’autres fois, c’étaient « des lumières produites dans des chambres obscures ; tantôt une illumination graduelle suffisante pour la perception des plus minutieux objets, tantôt une clarté phosphorescente se glissant, tremblante, le long des murs, ou bien encore des émanations lumineuses s’exhalant de corps humains, ou filant comme des météores à travers l’appartement. »

À New-York, en mai 1852, Hume est envahi par les chercheurs de toute classe et de toute condition, avides de la nouvelle religion spirite et des prodiges qui la prouvent. Le moyen de n’être pas éblouis et fascinés en face de phénomènes tels que celui opéré le 10 mai dans la maison de M. Partridge ?

« M. Hume dit ensuite que deux esprits désiraient se mettre en rapport avec M. P***. Aussitôt, on entendit des bruits et des agitations sourdes, pareils à ceux d’une tempête : mugissements et plaintes du vent, bouillonnement des eaux et fracas des vagues. On croyait entendre le bruit effrayant d’un vaisseau chassant sur ses ancres et en butte à une mer terrible, le craquement de ses jointures, son balancement affreux sur les vagues géantes. La peinture d’un naufrage était si vive, qu’un froid tressaillement courut par tous mes membres. Le médium parla d’un bateau à vapeur en perdition, et il dépeignit l’agonie des mourants au milieu d’une mer furieuse et d’une tempête profonde. L’esprit qui faisait ces démonstrations pour identifier sa présence, était une des personnes qui perdirent la vie dans le naufrage du paquebot l’Atlantique en novembre 1849. » (Rapport du Dr  Hallock, médecin de New-York, témoin oculaire.)

À New-York, Hume fut en rapport avec les grandes célébrités spirites, dont l’autorité avait fait entrer le spiritisme dans la phase scientifique dont nous avons parlé : le juge Edmonds, les professeurs Hare et Mapes. Les prodiges opérés par le mage écossais confirmèrent ces savants dans leur foi « spiritualiste, » et la commission instituée à New-York, sous leur direction, pour l’examen des manifestations « spirituelles, » enregistra plusieurs faits merveilleux produits par la médianimité de Hume.

Ce fut dans le mois d’août suivant qu’étant chez M. Cheney, à South-Manchester, état de Connecticut, il fut pour la première fois, comme Simon le magicien, soulevé en l’air, « manifestation, dit-il, qui n’est arrivée maintes fois depuis, en Angleterre et en France. »

Hume décrit ainsi lui-même ces élévations ou lévitations miraculeuses :

« Je suis, en général, soulevé perpendiculairement, mes bras roidis et relevés par-dessus ma tête, comme s’ils voulaient saisir l’être invisible qui me lève doucement du sol. Quand j’atteins le plafond, mes pieds sont amenés au niveau de ma tête, et je me trouve comme dans une position de repos.

« J’ai demeuré souvent ainsi suspendu pendant quatre ou cinq minutes ; on en trouvera un exemple dans un compte-rendu de séances qui eurent lieu en 1857, dans un château près de Bordeaux.

« Une seule fois, mon ascension se fit en plein jour ; c’était en Amérique.

« J’ai été soulevé dans un appartement à Londres, Sloane-Street, où brillaient quatre becs de gaz, et en présence de cinq messieurs qui sont prêts à témoigner de ce qu’ils ont vu, sans compter une foule de témoignages que je peux ensuite produire.

« En quelques occasions, la rigidité de mes bras se relâche ; et j’ai fait, avec un crayon, des lettres et signes sur le plafond, qui existent encore, pour la plupart, à Londres. »

À mesure que Hume poursuit sa mission à travers l’Amérique, sa puissance croît de plus en plus, d’une façon qui le surprend lui-même. À Boston (1854), « les esprits, dit-il, furent vus distinctement par tous ceux qui étaient présents dans le salon, et plus d’une fois il leur arriva d’embrasser des personnes d’une manière sensible et audible pour elles. »

Cette même année, commença le phénomène si remarquable d’instruments jouant des airs, sans qu’aucune main humaine touchât leurs cordes.

La santé de Hume s’étant trouvée rudement atteinte par l’hiver de 1855, les médecins furent d’accord que son seul espoir de prolonger sa vie était de visiter l’Europe. La séance d’adieu donnée par le magicien à ses amis d’Hartford dépassa en merveilleux tout ce qu’on avait vu jusqu’alors.

Voici quelques fragments du compte-rendu de cette séance prodigieuse :

« La guitare, à la distance de cinq à six pieds de la société, joua d’une manière exquise pendant plusieurs minutes, en dehors de toute coopération des personnes présentes ; la musique était supérieurement belle… Puis, des mains invisibles la ramenèrent et la placèrent près de la table. M. Hume remarqua que tout ceci dépassait ce qu’il avait vu jusqu’alors dans ses précédentes expériences, et il proposa de « voir ce qu’on pourrait, » en transportant la guitare dans le coin le plus éloigné de la chambre.

« Nous lui fîmes observer que ce serait inutile, les esprits étant sans pouvoir à cette distance de lui ; mais, dès qu’il eut repris sa place, les esprits recommencèrent à jouer de l’instrument à cet éloignement extrême, distant d’environ onze pieds du cercle ou du médium.

« Puis, la guitare quitta de nouveau sa place et se dirigea vers le cercle ; mais, rencontrant sur son chemin une lourde chaise en acajou, l’instrument fut étendu par terre et la chaise tirée à quelques pieds sur le côté ; après quoi, la guitare fut relevée et portée tout autour du cercle par les invisibles, puis enfin placée dans le coin opposé.

« Un moment après, je la vis se balancer dans l’air, et s’élever encore presque au-dessus de ma tête… La forme indistincte d’une main humaine se dessinait, tenant l’instrument un peu au-dessous du centre.

« Me dressant tout à coup, je saisis la guitare de mes deux mains fermes et la tins au-dessus de ma tête, demandant alors que celui qui en avait tiré des sons voulût bien en jouer encore. Immédiatement, les cordes frémirent, comme sous une pression de doigts humains, quoique invisibles, et l’instrument résonna de nouveau aussi harmonieusement, au milieu de l’air, qu’il l’avait fait naguère sur le parquet… »

En quittant l’Amérique (31 mars 1855), Hume se dirigea du côté de l’Angleterre. Le bruit de sa présence s’y répandit bientôt, et, avant un mois, il eut plus d’invitations qu’il n’en pouvait satisfaire. Sa maison, à Ealing, fut assiégée par une foule incessante de curieux, qui la plupart se convertirent au spiritisme, si bien que le pasteur d’Ealing, homme clairvoyant en cette circonstance, crut de son devoir de prêcher publiquement contre lui, en déclarant que ces manifestations étaient l’œuvre du démon.

Il faut entendre avec quel satanique orgueil Hume accueille cette accusation, qu’elle vienne de l’Eglise catholique ou d’une communion protestante, et se pose décidément en apôtre inspiré d’une doctrine appelée à abolir toute foi chrétienne sur la terre.

« La position prise par la plupart des membres du clergé est pour moi une manifestation extraordinaire, dit-il ; car, certainement, ces phénomènes, la cause dût-elle en remonter à Dieu ou au diable, ont, dans l’espace de dix années, amené plus de conversions aux grandes vérités de l’immortalité et de la communion des anges, avec les conséquences qui en découlent (on verra plus loin quelles sont ces conséquences), que toutes les sectes de la chrétienté n’en ont fait pendant la même période.

« En vérité, pendant que les églises perdent leurs adhérents, la foi dans les lois spirituelles, causée par ces manifestations externes, gagne chaque jour du terrain dans le scepticisme des masses. Et il n’y aurait rien d’étonnant que celles-ci, à leur tour, poursuivant leurs études nouvelles, ne viennent convertir le clergé à leur croyance dans les lois spirituelles. »

La présomption de Hume, diabolique dans sa véritable cause, pouvait être jusqu’à un certain point légitimée à ses yeux par l’habileté avec laquelle Satan savait donner à ses manifestations une couleur religieuse et même biblique.

Ainsi dans une des séances données à Sandgate (comté de Kent), après plusieurs prodiges devenus ordinaires à Hume : tables élevées à plusieurs pieds au-dessus du sol, accordéons jouant des airs mélodieux, mains et bras apparaissant sous des draperies blanches, etc., voici que la main d’un esprit saisit une Bible protestante qui était sur la table, et l’ouvrit aux yeux de tous. Une feuille fut pliée en deux, et la main, prenant un crayon, marqua les deux versets XVI et XVII du 13e chapitre de saint Matthieu : « Mais bénis soient vos eux, puisqu’ils voient ! Bénies soient vos oreilles, puisqu’elles entendent ! Car, en vérité, je vous le dis, beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir les choses que vous voyez, et ils ne les ont pas vues ; ils ont désiré entendre les choses que vous entendez, et ils ne les ont pas entendues. »

« À ce moment, ajoute la relation, des mains et des bras furent vus en grand nombre ; à plusieurs reprises, toutes les personnes du cercle les sentirent aussi distinctement que si c’eût été des mains et des bras d’êtres vivants. »

Ces jongleries singeant le sentiment religieux ; n’empêchaient pas les esprits de Hume de trahir de temps en temps leur véritable origine. « Un jour, dit le docteur J.-J.-G. Wilkinson, dans une lettre écrite au Morning Advertiser sous le pseudonyme de Verax, sur ses Soirées passées avec M. Hume et les Esprits, je demandai aux esprits si les jongleurs faisaient leurs tours par les mêmes moyens employés ici ; il me fut répondu : « Non. » Mais ils répondirent franchement : « Oui » quand je leur parlai des jongleurs indiens. » On a va plus haut ce qu’il fallait penser des prodiges des fakirs.

Dans ses crises extatiques, Hume ne manquait pas de prêcher en faveur de la nouvelle doctrine spiritualiste qu’il était chargé d’enseigner au monde. « M. Hume, dit le même docteur Wilkinson, passa ensuite dans un état extatique, et parla de sa vie spirituelle, de l’intronisation prochaine de son dogme sur la terre… »

Il serait beaucoup trop long de suivre notre magicien dans ses pérégrinations apostoliques, en Angleterre, puis en Italie, à Florence, à Naples et à Rome. Ce sont toujours, du reste, à peu près les mêmes prodiges[12] ; la réputation de Hume à Florence était devenue tellement éclatante, qu’elle avait pénétré jusque chez les paysans.

« Ceux-ci croyaient fermement, dit Hume, que j’avais l’habitude d’administrer les sept sacrements de l’Église catholique aux crapauds, pour obtenir, au moyen d’évocations, la résurrection des morts. Ceci les avait tellement enragés, qu’ils étaient pleinement résolus à m’ôter la vie, et, dans ce but, ils se cachaient dans le voisinage, armés de fusils. »

On sent percer, dans le langage du magicien, la secrète pensée qu’il a tout à craindre pour sa vie, des entreprises et des poignards catholiques (?). Il raconte même longuement une prétendue tentative d’assassinat dont il fut sauvegardé par la protection des esprits. Ne se sentant point en sûreté à Florence, et du reste fort à court d’argent, ses amis d’Angleterre le croyant plongé dans une vie des plus dissolues et lui ayant en conséquence coupé les vivres, il profita de la proposition d’un noble Polonais pour quitter cette ville ingrate et se rendre à Naples.

Là, quoique, ainsi que ses esprits le lui avaient annoncé, sa puissance magique l’eût quitté pour une année, il ne laissa pas que de développer par sa présence un certain pouvoir chez les autres ; il eut ainsi l’honneur de convertir un homme qui devait être une des plus grandes lumières spirites, l’honorable Robert Dale Owen, le ministre américain près la cour de Naples, l’auteur futur d’un livre célèbre dans les annales du spiritisme : Faux pas sur les limites d’un autre monde.

Dans les loisirs que lui laissa l’éclipse momentanée de sa puissance diabolique, et peut-être par un effet de la grâce divine, Hume se plongea dans la lecture de tous les livres qu’il put rencontrer, relatifs aux doctrines de l’Église romaine. Ces lectures, et un certain dégoût du monde, surtout depuis son dernier séjour à Florence, l’inclinèrent à entrer dans l’Église catholique, et même à s’enfermer dans un monastère.

C’est dans ces dispositions qu’il arriva à Rome en 1856.

Les Mémoires de Hume, lorsqu’il aborde le sujet de sa conversion (?) au catholicisme, deviennent singulièrement brefs et laconiques. Voici à quoi se bornent ses confidences :

« Après deux ou trois semaines de sérieuses délibérations de la part des autorités cléricales, il fut décidé que je serais reçu membre de l’Église, et la confirmation me fut administrée. La princesse O*** fut ma marraine, et le comte B*** mon parrain. Je fus reçu par le Pape avec une bonté extrême, et il me fit des questions sur mon passé. Me montrant un crucifix qui se trouvait près de nous sur la table, il ajouta : « Mon fils, c’est en ceci que nous plaçons « notre foi ». Il me donna ensuite une grande médaille d’argent, que j’ai eu depuis le malheur de perdre. »

Tout porte à croire que la conversion de Hume au catholicisme n’était pas sérieuse, mais seulement un moyen pour lui d’échapper à ce qu’il appelait les persécutions de l’Église et de continuer ses pratiques sous la sauvegarde du clergé catholique et la haute protection du Pape, sans tenir compte de la promesse sacrée qu’on avait, certainement, exigée de lui, avant son abjuration, de renoncer désormais à toute œuvre diabolique. C’est ce que laisse entrevoir clairement ce passage de ses Mémoires, où il argue de la prétendue tolérance du Pape, contre ceux qui lui rappelaient cet engagement inséparable de sa conversion :

« On a maintes fois dit de moi, par la suite, qu’à cette entrevue avec le Pape, je lui avais promis de ne plus avoir de manifestations ; est-il nécessaire d’ajouter, après ce que j’ai déjà dit, que je ne pouvais faire une telle promesse, et que Sa Sainteté ne me le demanda aucunement ? »

Il va de soi que Sa Sainteté, confiante en la sincérité de sa conversion, n’avait aucun besoin de lui rappeler une promesse qui était la condition sine qua non de son admission au nombre des enfants de l’Église.

Le Pape était si pou dans les dispositions de consentement tacite ou de tolérance que lui prête le magicien, qu’au moment où il quitta Rome pour venir à Paris, dans le dessein apparent « de se perfectionner dans le langage français », il l’adressa, pour sa direction spirituelle, à l’homme le moins capable de laisser fléchir sur ce point les exigences de la foi et de la discipline catholique, le R. P. de Ravignan.

Lorsqu’en juin 1856, il arriva à Paris, le bruit de sa conversion, répandu en France, avait alarmé et scandalisé tout le clan spirite, qui fondait sur lui les plus hautes espérances. Au lieu du brillant magicien qui avait émerveillé l’Amérique, l’Angleterre et l’Italie, il leur arrivait un pauvre néophyte, abandonné de ses facultés surnaturelles, sachant à peine écrire son nom, et, pour comble de scandale, se confessant et communiant. Ce fut un haro général qui trouva son expression la plus virulente, sinon la plus châtiée, dans le Journal Spirite, du fameux médium d’alors, le rival de Du Potet, Cahagnet :

« Notre malheureux Youme est entré dans le giron de l’Église, en déclarant qu’il n’a pu opérer tant de merveilles que conduit par le diable en personne. Il a été frappé, de suite, une médaille en l’honneur de cette victoire, médaille représentant d’un côté l’Immaculée-Conception et de l’autre les esprits infernaux d’Amérique vaincus par ladite Immaculée-Conception. Peu importe à l’Église catholique, elle tient Youme dans son giron et ne le lâchera pas assurément. »

Cependant, l’auteur de cette diatribe grotesque espère bien qu’il en sera autrement, et souffle dans le cœur du malheureux converti le remords de son apostasie et l’ambition satanique de briser ses nouveaux liens par un retour éclatant à l’Église de Satan.

« Le parti catholique, ajoute Cahagnet, sent son infériorité envers cet homme ; il sait que, dans quelques mois, ses facultés lui seront accordées de nouveau ; il sait que Pie IX n’est pas saint Pierre, quoiqu’il passe n’être qu’un avec ce vainqueur d’Apollonius de Tyane. (Il veut, sans doute, dire Simon le magicien.) Si Youme s’élève en l’air, le plus puissant des arcanes de l’Église de Dieu en pourra peut-être faire redescendre à terre ce maudit américain. Ce sera un affront. Ce coquin de médium est capable de soustraire toutes les hosties consacrées du saint tabernacle, sans en ouvrir la porte. Il ne faut pas qu’un tel scandale arrive dans Rome ! »

Si la conversion de Hume eût été sérieuse, de telles paroles l’eussent plutôt déterminé à se séparer à jamais d’hommes capables de déverser sur l’Église catholique et son souverain chef des sarcasmes aussi impies. Mais Hume avait son plan ; il espérait que le P. de Ravignan, si connu pour sa charité et sa mansuétude, fermerait les yeux sur sa conduite, et que, sous le couvert de ce nom respecté, il pourrait accréditer en France les merveilles du spiritisme et continuer son apostolat infernal. Ce qui ne laisse aucun doute sur ce point, malgré les protestations de Hume dans ses Mémoires[13], c’est le récit suivant, écrit par le P. A. de Ponlevoy, dans sa biographie du R. P. Xavier de Ravignan (t. II, p. 298) :

« Nous ne pouvons terminer ce chapitre sans faire mention de ce fameux médium américain, qui avait le triste talent de faire tourner autre chose que les tables et d’évoquer les morts pour divertir les vivants. On a beaucoup parié, même dans les journaux, de ses rapports religieux et intimes avec le P. de Ravignan ; et l’on a semblé vouloir, sous le passe-port d’un nom accrédité, introduire et consacrer en France ces belles découvertes du nouveau monde.

« Voici le fait dans toute sa simplicité. Il est très vrai que le jeune étranger, après sa conversion en Italie, fut adressé et recommandé de Rome au P. de Ravignan ; mais, à cette époque, en abjurant le protestantisme, il avait aussi répudié sa magie, et il fut accueilli avec cet intérêt qu’un prêtre doit à toute âme rachetée du sang de Jésus-Christ, et plus encore peut-être à une âme convertie et ramenée dans le sein de l’Église.

« À son arrivée à Paris, toutes ses anciennes pratiques lui furent de nouveau absolument interdites. Le P. de Ravignan, d’accord avec les principes de la foi qui proscrivent la superstition, défendait, sous la peine la plus sévère qu’il pût infliger, d’être acteur ou même témoin de ces scènes dangereuses et quelquefois criminelles.

« Un jour, le malheureux médium, obsédé par je ne sais qui, homme ou démon, vint à manquer à sa promesse ; il fut repris avec une vigueur qui le terrassa ; survenant alors, par hasard, je l’ai vu se rouler à terre et se tordre comme un ver aux pieds du prêtre saintement courroucé.

« Cependant, le Père, touché de ce repentir convulsif, le relève, lui pardonne et le congédie après avoir exigé cette fois, par écrit, une promesse sous la foi du serment. Mais il y eut bientôt une rechute éclatante, et le serviteur de Dieu, rompant avec cet esclave des esprits, lui fit dire de ne plus reparaître en sa présence. »

Après ce récit, qui porte en lui-même la marque infaillible de la plus complète véracité, il serait superflu d’insister sur les rapports de Hume avec le P. de Ravignan. Bien que le magicien converti lui eût affirmé qu’il n’invoquait pas les esprits, le P. de Ravignan était trop instruit des choses de la foi pour ignorer qu’il y a avec le démon des pactes implicites, dont il suffit de remplir les conditions matérielles pour que les effets s’ensuivent. Aussi, quand son pénitent lui exprimait hypocritement sa crainte de voir se reproduire les manifestations, spirites à l’époque fixée par les esprits, le saint prêtre lui assurait-il que, maintenant qu’il était membre de l’Église, ce pouvoir ne lui reviendrait plus.

Hume, du reste, n’avait pas eu le courage d’attendre même l’époque fixée par les esprits pour revenir à son vomissement. Dès les premiers jours de son séjour à Paris, il avait renoué ses correspondances avec l’invisible ; il raconte lui-même avec grands détails un fait « d’autant plus extraordinaire, dit-il, que je n’avais pas encore recouvré ma puissance, et qu’il semble indiquer une transmission involontaire de médianimité ».

Ce fut dans la nuit du 10 février 1857, au moment où la pendule sonnait minuit, que des frappements sonores vinrent l’avertir solennellement de la résurrection de son pouvoir. Puis, une main se plaça sur son front, et une voix lui dit : « Courage, Daniel ; vous serez bien prochainement. » (Il était tombé malade pendant l’hiver.) À partir de ce moment, les manifestations diaboliques ne cessèrent plus : elles eurent lieu, s’il faut en croire Hume, en présence même du P. de Ravignan, qui, voyant son pénitent retombé dans son péché, lui refusa l’absolution.

« J’essayai de raisonner avec lui, disent les Mémoires, et de lui expliquer qu’il m’était impossible de m’empêcher d’entendre et de voir, que Dieu, ayant daigné m’accorder ces deux facultés, il n’était pas en mon pouvoir de les ignorer. Il refusa de m’écouter et dit que je n’avais pas à raisonner. « Faites ce que je vous dis ; autrement, supportez-en les conséquences. » Je le quittai, tout déconcert6. Je désirais ne pas lui désobéir, et cependant je sentais que Dieu était plus grand que l’homme, et que, puisqu’il m’avait donné le pouvoir de raisonner, je ne voyais pas pourquoi je m’en verrais privé. » On le voit, nous ne sommes pas loin de la scène racontée par le P. de Ponlevoy.

Du reste, certaine circonstance pouvait encourager Hume dans son espérance chimérique de faire accréditer sa mission par l’Église catholique, je veux parler de l’imprudente adhésion de certains membres du clergé d’alors, aux pratiques du spiritisme. C’était le temps des fureurs magnétiques de l’abbé Faria et de la guitare magique de l’abbé Almignana, dont s’autorisait le mage Cahagnet, dans ses Arcanes, pour rassurer les consciences timorées.

Hume, excommunié par le P. de Ravignan, trouva un consolateur, disons plus, un confesseur (car il continua encore quelque temps de jouer cette infâme comédie) dans un certain abbé de C*** qui, en face de plusieurs manifestations, lui dit : « qu’il vaudrait tout autant pour lui se coucher vivant dans sa tombe, que d’exécuter les ordres qui lui avaient été prescrits. » Venant en effet à réfléchir, l’abbé de C*** renonça à le confesser lui-même, et l’adressa à un autre directeur spirituel, à l’un des plus éloquents prédicateurs du jour, en lui disant : « De grand cœur, je voudrais remplir cette mission ; mais, comme cela se saurait, je n’en retirerais que des persécutions. »

Parmi les prodiges opérés par Hume dans cet hiver de 1857, je ne citerai que le suivant, ainsi raconté par un journal de Paris :

« La comtesse L*** (une femme croyante dans les manifestations spirites) avait eu, une douzaine d’années auparavant, une étrange hallucination. Elle était un soir occupée à broder, près de son frère, qui lui faisait la lecture d’un des livres les plus irréligieux du siècle dernier. Durant l’attention mécanique qu’elle prêtait à cette lecture, il lui arriva de lever la tête, et elle fut frappée de terreur en jetant les yeux sur la figure bouleversée de son frère.

« C’était, d’ordinaire, un jeune homme doux, bienveillant et sympathique, aux traits calmes et sereins ; mais à ce moment il était méconnaissable, sous la contraction qui les dénaturait : le frémissement convulsif des sourcils, des yeux tout grands ouverts, une bouche tordue aux extrémités par le sourire amer du désespoir, telle était l’expression de cette figure, qu’un peintre eût choisie pour représenter la chute d’un ange.

« La comtesse, effrayée, pensa, tout à coup, que son frère était possédé par un démon. Elle vit ensuite fréquemment cette même expression infernale sur le visage de son frère, même dans ses états de plus grand calme ; mais cette idée lui était si horrible, qu’elle n’osa jamais s’en ouvrir à lui.

« L’hiver dernier, M. Hume fut présenté à la comtesse. Un soir qu’il se trouvait chez elle, dans une situation d’esprit ordinaire, il vit son attention appelée vers un buste magnifique, en marbre. Il ignorait alors que ce fût celui du frère de la comtesse, mais son visage changea tout à coup et devint en proie à une agitation violente. La comtesse fortement alarmée lui demanda ce qui pouvait l’affecter à ce point.

« M. Hume répondit : « Madame, l’homme dont voici le buste est possédé par un démon. »

« On peut juger de l’étonnement de la comtesse en apprenant de la bouche de M. Hume un fait dont elle s’était doutée depuis douze ans. Elle le pressa de questions, et celui-ci, libre de ses émotions, s’étant levé pour examiner de plus près le buste, dit ensuite en se tournant vers la comtesse : « Dans quelque temps, votre frère subira un grand malheur, et ce malheur le délivrera de ses ennemis. »

« La prédiction s’est réalisée : le comte de P*** perdit, quatre mois après, dans la banqueroute de M. Thurneyssen, une grande partie de sa fortune. »

Un autre prodige, la guérison instantanée d’un enfant sourd depuis quatre ans par suite d’une fièvre typhoïde, rappelle les plus grandes merveilles diaboliques d’Apollonius de Tyane, à qui, du reste, on n’hésita pas à le comparer.

Il donna quelques séances aux Tuileries, séances sur lesquelles il a toujours décliné toute conversation, et qui donnèrent lieu aux racontars les plus divers ; la version la plus-vraisemblable est que Napoléon II fit remercier M. Hume, parce que l’Impératrice avait été tellement affectée par ses manifestations que l’Empereur redouta pour elle et son entourage la continuation de ces scènes diaboliques[14].

Après de nombreuses et rapides pérégrinations en Amérique, puis à Paris de nouveau, en Italie et en Belgique, Hume partit pour Saint-Pétersbourg, accompagné d’Alexandre Dumas, qui devait servir de parrain à son mariage. Il y épousa, le 1er  août 1858, une jeune dame russe, fille du général russe comte de Kroll et filleule de l’empereur Nicolas, avec qui il « s’était fiancé chez une comtesse italienne. La jeune épouse du magicien ne pouvait manquer d’être initiée à la mission et au grand art de son mari ; cette initiation eut lieu peu de temps après leur mariage, et de la manière suivante, selon le récit de Hume lui-même :

« Une nuit, pendant que ma femme dormait profondément, je vis l’esprit de ma mère entrer dans ma chambre, suivi d’un autre esprit que je reconnus, quoique je ne l’eusse jamais vu sur la terre, pour être celui de mon beau-père. J’étais enchanté que ma femme dormît, car elle était à l’abri de la frayeur que cette vision lui aurait donnée ; aussi, quelle fut ma surprise, en l’entendant tout à coup me dire : « Daniel, il y a quelqu’un dans la chambre avec nous… C’est votre mère, et près d’elle se tient mon père. Elle est très belle et je n’ai pas peur. » Ses actions pourtant démentirent ses paroles, car elle se tourna de mon côté, en tremblant violemment. Les esprits alors disparurent, et de très forts frappements s’entendirent çà et là dans la chambre ; nous adressâmes quelques questions auxquelles on répondit. Ce fut l’initiation de ma femme aux faits du spiritualisme. »

Pendant le peu de temps qui lui restait à vivre, Mme  Hume s’associa de plein cœur aux doctrines et aux pratiques de son mari. « Elle était, dit Mme  Howitt, autre spiritualiste décidée, une ferme croyante dans le spiritualisme. L’amour de Dieu l’avait initiée aux vérités du monde spirituel ; il lui avait été donné de résoudre la grande, mystérieuse et insondable énigme de la vie future, et telle fut sa fidélité aux connaissances qui lui avaient été ainsi départies, qu’elle était prête à la témoigner dans la vie comme dans la mort. »

Cependant, touchée de la grâce avant sa mort (1862), elle abjura la religion schismatique grecque (dont elle avait été, dit Mme  Howitt, la personnification vivante), entre les mains de Mgr Baudry, évêque de Périgueux, qui lui administra les derniers sacrements. Hume se garde bien, dans ses Mémoires, de parler de cette abjuration qu’elle ne put faire, sans doute, sans abjurer aussi ses erreurs spirites. Il tient à montrer que tout le mérite de cette mort édifiante doit être attribué aux communications de sa femme avec les esprits et en particulier avec celui de Cagliostro, son ange gardien. Il nous la montre jusqu’à la fin continuant à voir chaque jour des esprits. « Ses plus fréquents visiteurs étaient son père et sa mère. Elle reçut d’eux les plus caressants messages, les plus douces paroles de bienvenue relativement à son séjour spirituel. Elle était aussi visitée souvent par l’esprit d’une femme voilée qu’elle ne connaissait pas, mais dont la présence lui était d’un grand soutien, quoiqu’elle ne parlât jamais, ni ne levât son voile. » M. Hume apprit que ce bon esprit continuerait à porter son voile, jusqu’à la fin, et qu’alors ce même voile serait jeté sur l’esprit nouveau-né de sa pauvre chérie, pour lui cacher les pleurs et les sanglots exhalés autour du lit où reposerait son corps. Pendant les derniers six mois de sa maladie, le voile de l’esprit se releva lentement et graduellement des pieds vers la tête ; aux deux derniers jours, l’esprit lui apparut avec son voile roulé comme un diadème, autour du front, à l’exception pourtant d’une partie qui, comme un feston, tombait sur sa figure.

« Un jour, plusieurs personnes qui étaient dans la chambre de la malade virent la main et le bras de l’esprit jusqu’à l’épaule : ils paraissaient être d’une substance lumineuse, admirablement formés, et couverts d’une sorte de voile de lumière. »

Après sa mort, l’esprit de Sacha (nom familier que Hume donnait à sa femme) devint un de ses plus habituels visiteurs, et opéra de nombreux prodiges en sa faveur.

De Périgueux, Hume retourna en Angleterre, où il donna de nombreuses séances qui achevèrent de convertir au spiritisme un grand nombre de personnes, parmi lesquelles des savants des plus distingués.

Parmi ces glorieuses conquêtes de Hume, il faut citer l’un des physiciens les plus renommés de la Grande-Bretagne, longtemps rebelle, mais enfin convaincu, dit-il, par une foule d’expériences consciencieuses de la vérité et de la réalité des phénomènes spirites, et devenu bientôt l’un des plus enthousiastes champions de l’apparition des esprits, et de leur commerce avec les vivants, M. A. Russel Wallace. Hâtons-nous de dire qu’il est, avec Darwin, l’inventeur de la fameuse hypothèse de l’évolution et de la sélection naturelle, dont j’ai démontré plus haut l’absurdité et le néant. Écoutons-le lui-même nous exposer comment il fut converti au spiritisme :

« J’étais, dit-il, un matérialiste si complet et si convaincu, qu’il ne pouvait y avoir dans mon esprit aucune place pour une existence spirituelle et pour aucun autre agent dans l’univers que la matière et la force. Les faits, cependant, sont des choses opiniâtres. Ma curiosité fut d’abord excitée par quelques phénomènes légers, mais inexplicables, qui se produisaient dans une famille d’amis ; mon désir de savoir et mon amour de la vérité me forcèrent de poursuivre les recherches. Les faits devinrent de plus en plus certains, de plus en plus variés, de plus en plus éloignés de tout ce que la science moderne enseigne et de toutes les spéculations de la philosophie de nos jours. Les faits me vainquirent. Ils me forcèrent de les accepter comme faits, longtemps avant que je pusse admettre l’explication « spirituelle ». Il n’y avait pas en ce temps, dans ma fabrique de pensées, de place pour cette conception ; peu à peu, lentement, une place se fit. Elle se fit, non par des opinions préconçues ou théoriques, mais par une continuelle action de faits sur faits dont on ne pouvait se débarrasser d’aucune façon[15] ».

Ce serait être dupe des mots que de s’imaginer que M. Wallace, grâce aux miracles des spirites, se soit converti au véritable spiritualisme même philosophique. Son spiritualisme n’est, comme celui de tous les spirites qui ont un système, qu’un matérialisme déguisé. En acceptant les rêveries des spirites sur les apparitions des trépassés, en d’autres termes, les pratiques de la nécromancie, il n’a point abjuré son darwinisme, et ne reconnaît, en somme, dans la nature, que la matière et la force. Non, le spiritisme, quoi qu’il en dise, ne sera jamais le spiritualisme ; confondre ces deux choses, comme on le fait en Angleterre, et même en France à la suite de l’Angleterre, c’est un sophisme, et un sophisme infernal, digne de Satan qui l’a inventé.

Revenons à Hume.

Je n’insisterai pas sur ses nouvelles manifestations en Italie, en Belgique, en Russie ; elles ne sont, du reste, qu’une répétition, avec quelques variantes des manifestations décrites plus haut. Il revint ensuite à Paris, le 20 janvier 1863, et continua de fréquenter les Tuileries. L’année suivante, il fut sommairement expulsé de Rome comme sorcier, bien qu’il n’eût pas osé y donner de séances[16]. Il se réfugia alors en Angleterre, où il fonda, avec le Dr  Elliotson, le Spiritual Athenœum, pour la propagation des doctrines spirites. Il vécut dès lors aux dépens de la Société, dont il était le secrétaire.

En 1866, une riche veuve, nommée Jane Lyon, l’adoptait pour son fils, et lui faisait don de 60.000 livres sterlings, qu’elle réclama peu après devant les tribunaux, sous prétexte que Hume les lui avait extorquées par une influence « spirituelle ». Le tribunal décida en faveur de la plaignante.

En 1870-71, nous trouvons notre magicien à la suite de l’armée allemande qu’il accompagna de Sedan à Versailles, où il fut publiquement reconnu et reçu par le roi de Prusse.

Dans le mois d’octobre de 1871, il épousait à Paris une jeune fille de la noble famille russe d’Aksakoff, nom célèbre dans les fastes du spiritisme russe. Sa santé commençant à baisser considérablement en 1872, il établit sa résidence tantôt à Nice, tantôt en Suisse.

Les loisirs de ses dernières années furent consacrés à la composition d’un livre, qui parut, en 1877, sous le titre de Lumières et Ombres du Spiritualisme. Il y dévoile impitoyablement toutes les supercheries du faux spiritisme, les nombreuses « scélératesses » commises en son nom ; il y attaque avec une violence singulière certaines doctrines d’Allan-Kardec, mais pour y substituer les siennes, qui ne valent guère mieux (on le verra plus loin). Il a, du reste, pour Allan-Kardec, un mépris transcendant qui s’explique tout naturellement par ce seul mot : « Allan-Kardec n’était pas médium. » À ce propos, il raconte le fait suivant dont il « atteste la vérité » :

« Avant même que j’eusse pu savoir la mort d’Allan-Kardec, je reçus de lui, en présence du comte de Duaraven, alors vicomte Adare, un message ainsi conçu : « Je regrette d’avoir enseigné la doctrine spirite. Allan-Kardec. »

On sent que ces invectives de Hume contre Allan-Kardec ne sont de sa part que l’effet de la jalousie de métier ; Hume ne pouvait lui pardonner le succès immense de ses livres et de sa propagande. La doctrine qu’il oppose aux absurdités d’Allan-Kardec n’est autre chose que l’enseignement bouddhiste, tel qu’il est encore aujourd’hui pratiqué dans le Thibet. On rencontrera plus loin un passage du livre de Hume qui ne laisse aucun doute sur son opinion touchant la destinée des âmes après la mort. Pour étayer la négation de l’enfer, il va jusqu’à invoquer cette parole du Christ dans l’Évangile : « Dans la maison de mon Père, il y a beaucoup de demeures ; j’y vais préparer une place pour vous. »

C’est la France qui possède les ossements d’un des plus grands magiciens du dix-neuvième siècle. Hume mourut à Auteuil, le 21 juin 1886, et fut enseveli à Saint-Germain-en-Laye. Il pourrait bien se faire qu’un jour ou l’autre nous voyions se reproduire sur son tombeau des phénomènes analogues à ceux du cimetière Saint-Médard.

Les biographes de Hume voient dans sa vie « un prodige inexplicable ». Rien ne s’explique mieux pourtant, quand on connait l’habile rôle joué par Satan dans toutes les manifestations surnaturelles de notre siècle, si bien faites pour déconcerter la science et séduire les âmes égarées hors des chemins de l’Église.

Un point important n’aura point échappé au lecteur ; ce sont les efforts désespérés de Satan pour s’introduire au sein du bercail catholique et amener, si cela était possible, les chefs du troupeau de Jésus-Christ à tolérer et à autoriser la nouvelle religion qu’il voudrait implanter dans le monde. Mais le pasteur suprême est là qui veille, et Dieu ne permettra pas que soit vaine la parole de son Fils : « Les portes de l’enfer ne prévaudront point contre mon Église. » S’il permet à Satan de s’affubler quelquefois de la houlette, il le force aussi à se trahir et à se montrer tel qu’il est, la bête meurtrière et féroce, cherchant qui dévorer. Lisez le récit de ces deux faits.

Le vicomte de Meslon fut longtemps en rapport avec un guéridon qui se disait animé par l’âme de son frère aîné défunt. Intelligence, divination, zèle, piété, dévotion, rien n’y manquait. Un jour, une petite table chiffonnière, actionnée par hasard, se prit à parler, et accusa l’esprit du guéridon d’imposture ; mais celui-ci persista dans ses dires, et somma la chiffonnière, au nom du Dieu vivant, de démasquer elle-même son hypocrisie. Après une résistance opiniâtre et des soubresauts convulsifs, la chiffonnière s’avoua animée par le démon. La confiance dans le guéridon était presque absolue ; mais Dieu ne permit pas qu’elle durât davantage. Un dimanche, après des résistances, le guéridon dit textuellement : « Je m’ennuie de vous répéter sans cesse des paroles mielleuses que je ne pense pas, et de vous exprimer des sentiments affectueux, lorsque je n’ai pour vous que des sentiments de haine. — Qui es-tu donc ? — L’esprit du mal. — Quel a été ton but ? — De chercher à vous inspirer de la confiance pour mieux vous tromper ensuite. Dieu me force à parler ainsi : l’enfer me réclame, adieu ![17] »

M. Bénézet, dans son curieux livre les Tables tournantes raconte l’autre fait que voici :

Les époux L***, sa fille et son gendre, s’étaient déterminés par ses conseils à laisser leurs expériences des tables. Mais celles-ci les provoquaient à de nouvelles communications par des mouvements, des coups, etc. Un soir que ces coups se faisaient entendre sous la chaise de Mme  L***, celle-ci trempa ses doigts dans l’eau bénite et les secoua sous la chaise. Sa main fut aussitôt saisie et mordue au-dessous de la seconde phalange du pouce, et elle eut de la peine à la retirer. Son mari ne soupçonnait pas d’abord la cause des cris qu’elle poussait ; mais il fut bien plus surpris en voyant sur la chair rouge et enflée l’empreinte d’une double rangée de dents. — Mme  L*** n’était pas encore remise de l’émotion causée par cette attaque inattendue, qu’elle poussa de nouveaux cris, en portant la main à l’épaule droite, et tomba en syncope. Son mari avait beau regarder, il ne voyait rien, la robe même n’éprouvait aucun froissement. Il découvrit l’épaule et y trouva comme une sorte de contusion, de la grandeur d’une pièce de cinq francs ; il vit même quelques gouttes de sang couler. Quand elle eut recouvré ses sens, Mme  L*** se sentit mordre encore, à l’avant-bras et ensuite aux reins, quoique d’une façon moins sensible…

On voit que le démon lâche difficilement sa proie, et de quelles vengeances il serait capable, si Dieu ne lui disait : « Tu n’iras pas plus loin. » On conçoit, en revanche, qu’il ne soit que miel et douceur pour ceux qui, oublieux des avertissements de l’Église et des enseignements de la foi, s’abandonnent à ses suggestions et se font les dociles instruments de son pouvoir.

B. — DOCTRINES DU SPIRITISME.

On peut dire aux spirites, et autres adeptes de la nécromancie moderne, en transformant légèrement les termes d’un proverbe vulgaire : « Dis-moi ce que tu enseignes, et je te dirai qui tu es. »

Rien de plus varié, de plus discordant que les doctrines du spiritisme, quand elles essaient d’expliquer scientifiquement les faits surnaturels qu’il attribue à l’intervention des esprits ; depuis l’Od ou fluide odique du baron de Reichenbach et le perisprit d’Allan Kardec jusqu’à la force psychique de M. Crookes et l’astralité de M. Lermina. Ce que j’ai dit du perisprit peut s’appliquer en grande partie à toutes ces hypothèses plus absurdes les unes que les autres, et qui toutes se rapportent au moins en ce point qu’elles tendent au matérialisme, à l’adoration et au culte du dieu-fluide.

Mais nous les voyons concorder avec un admirable ensemble et une unanimité merveilleuse, dès qu’il s’agit de la négation des dogmes catholiques ; de sorte qu’on peut dire en toute certitude que le spiritisme diabolique ou la nécromancie moderne n’a qu’un seul but : l’abolition de la doctrine catholique.

C’est uniquement contre l’Église de Jésus-Christ qu’est braquée cette immense machine infernale à laquelle tous les spirites donnent pour fondement une prétendue doctrine spiritualiste professée dès l’origine du monde par tous les adeptes de la magie, depuis Melchisédech jusqu’à M. Hume. Cette doctrine se décore du nom ronflant de théosophie ou sagesse de Dieu, doctrine qui, d’après eux, s’est perpétuée jusqu’à nous à travers les temps dans les dépositaires privilégiés de la science occulte ou magique.

Je ne saurais passer sous silence, à propos de théosophie, une des grandes-prêtresses contemporaines de cette religion mystérieuse qui a fait tant de dupes dans les deux mondes, et dont les organes se multiplient de plus en plus de nos jours, Mme  Blavatsky. Elle a fondé en Europe et en Amérique la Société dite Théosophique, avec le concours de deux autres femmes, la comtesse d’Adhémar et la duchesse de Pomar. Depuis sa mort, ou sa désincarnation, pour parler la langue spirite, la Société est dirigée par Mme  Annie Besant en Europe, M. Judge en Amérique, et M. Keishtley en Asie.

Voici le portrait que trace de cette extraordinaire cosaque un des plus jeunes apôtres de l’occultisme, M. Jules Bois : « Elle nous apparaissait à la fois fatale, belle et méchante, portant à son front l’auréole noire de l’Anté-Christ, destructrice des dieux, tourmenteuse des consciences et soufflant la folie dans les trompettes de l’énorme et magique sagesse de l’Orient. »

Ce portrait se rapporte parfaitement à la photographie qui a été reproduite plus haut.

« C’est elle, en effet, continue M. Jules Bois, les yeux dilatés, la tête enveloppée dans un fichu noir, le corps empaqueté d’une houppelande sans forme, tenant de la blouse et du manteau d’homme, avec, autour de la taille, une sorte de cordelière monacale. Les cheveux crépus sur le front s’épaississent presque blancs. Ses yeux sont inexplicables, couleur de l’acier, couleur du glaive, couleur de ces archanges féroces et divins, qui, d’un regard, dévastent l’univers ; que reste-t-il de la femme en ce visage comme écrasé par le sceau d’une volonté terrible ?… »

Un de ses plus enthousiastes disciples, Jean Mattheus (Arthur Arnould), nous la dépeint comme résumant en elle toute la sagesse de l’Orient, et jouissant au plus haut degré des facultés surnaturelles qui distinguent les adeptes de la magie satanique :

« Ce qu’elle disait, ce qu’elle écrivait, n’était souvent pas d’elle, mais lui venait de nos maîtres invisibles qui se servaient d’elle. Sa puissance de suggestion fut formidable. Combien de fois, à Londres, il lui arrivait de dire à quelqu’un : « Regardez sur vos genoux. » Et celui qui regardait apercevait, épouvanté, une araignée énorme. Alors, elle souriait : « Cette araignée n’existe pas, c’est moi qui vous la fais voir. » Quand elle écrivait Isis dévoilée ou la Secrète doctrine, elle s’endormait parfois de fatigue ; car elle travaillait vingt heures chaque jour. Au matin en s’éveillant, vingt à trente pages avaient été écrites à la suite des siennes, d’écriture différente, sans qu’elle sût comment. Dans l’Inde, elle manqua mourir ; elle se trainait sur le chemin expirante, quand un Mahatma[18] apparut : « Je puis te sauver, lui dit-il, mais tu dois accepter toutes les hontes, toutes les douleurs et tous les mépris pour l’avenir. — J’accepte, répondit-elle. » Le Mahatma la toucha au front, et elle vécut. Pour ma part, je l’ai vue, visible, presque impotente, à Fontainebleau, se transformer brusquement, et nous apparaître toute droite, les yeux pleins de lumière, les membres souples de jeunesse, et nous disant : « Mes maîtres du Thibet viennent de m’envoyer leur force avec un mystique message. »

Mme Blavatsky eut, en effet, la douleur de se voir reniée par quelques-uns de ses frères en Satan, jaloux, sans doute, de ses mystérieuses relations avec les Mahatmas du Thibet. Qu’elle vienne des Mahatmas du Thibet, ou des prétendues révélations des esprits européens, la doctrine du spiritisme a toujours la même source, l’inspiration diabolique. Qu’elle s’appelle Cabale, Bouddhisme, Théosophie, Esotérisme, Occultisme, Franc-Maçonnerie, Magnétisme, Martinisme, Swédenborgisme, etc., dès lors qu’elle est anticatholique, elle est immédiatement marquée du sceau du diable. Les citations qui suivent le prouveront abondamment.


Dieu. — « Le seul Dieu que nous devons servir, c’est l’humanité. » (Mme Blavatsky.)

— « Nous sommes athées en ce sens que nous repoussons la conception d’un Dieu anthropomorphique, en dehors de la nature. Aussi, nous ne prions pas. Il n’y a pas d’autre Dieu que la Substance unique, se différenciant et se manifestant dans l’univers. Tel est le mouvement dit d’évolution ou descente de l’esprit dans les derniers règnes de la matière : puis l’involution ou retour de tous les êtres dans le sein de cette Substance unique, L’Inde appelle cette allée et venue des choses le jour et la nuit de Brahma. » (Doctrine de Mme Blavatsky et des théosophes, exposée par Jean Mattheus (Arthur Arnould).

On le voit, il est difficile d’être plus carrément panthéiste.

— « Les croyances religieuses populaires (le christianisme) et les doctrines spiritualistes ne diffèrent pas moins les unes des autres en ce qui concerne la Divinité. Nos modernes instituteurs religieux soutiennent qu’ils savent énor- mément de choses touchant Dieu. Ils définissent minutieusement ses divers attributs ; ils expliquent exactement ce qu’il a fait et pourquoi il a agi ainsi, et ils déclarent qu’après la mort, nous devons nous réunir à lui, le voir et le connaître. Dans l’enseignement des esprits, on ne trouve pas un mot de tout cela. Ils nous apprennent qu’ils communient avec des intelligences plus élevées qu’eux-mêmes, mais de Dieu ils ne connaissent réellement rien de plus que nous ; nulle compréhension de la Divinité n’est réclamée par qui que ce soit d’entre elles ; elles s’accordent ainsi avec la plus transcendante philosophie, laquelle affirme que nous ne saurions connaître rien de l’être infini, absolu, sinon qu’il est non seulement inconnu et inconnaissable, même inconcevable. » (Wallace, les Miracles et le moderne Spiritualisme.)

« La matière est éternelle… L’infini des espaces, ou l’Univers, compose son être, et l’infini des temps, son existence. » (Revue spiritualiste, 1864.)

« Les sectateurs de ce Dieu cruel (les Juifs), après avoir d’abord enseigné que seuls ils étaient ses enfants, ses fils bénis et de prédilection, ont fait place à d’autres (les chrétiens) qui, adoptant leurs enseignements, y ont ajouté toutes sortes de mystères qui révoltent la raison : trois Dieux égaux et coéternels l’un à l’autre et dont l’un cependant aurait été engendré par le premier et par le troisième ; une sainte femme, mère de plusieurs enfants, et cependant demeurant vierge et mise sur le même rang que son créateur ; des peines éternelles et l’impossibilité de jamais se réhabiliter pour nos pauvres âmes qui reprendront leurs corps pour brûler à toujours ; Dieu parlant à un seul peuple, à une certaine catégorie d’hommes et à une certaine époque du temps, et depuis ce temps-là toute révélation, toute communication interrompue entre lui et les enfants de la terre, si ce n’est par le canal d’une corporation sacerdotale chargée de nous expliquer Dieu comme elle l’entend et de nous distribuer ses grâces. » (Ibid, 1865.)

Divinité de Jésus-Christ. — « Le Christ n’est pas Dieu ; il est rentré au ciel comme les autres. — « Comment le Christ est-il vu au ciel ? — Comme un très bon esprit ; il est bienaimé, voilà tout. » (Cahagnet, Arcanes de la vie future, II.)

« Le Christ, sachant qu’il n’est pas Dieu, ne se prévaut pas plus de la religion qu’il a enseignée aux hommes que les autres fondateurs (Bouddha ou Mahomet) des leurs. » (Ibid.)

« Bientôt, altérant les textes, on ne présenta plus l’artisan de Nazareth comme il s’était présenté lui-même, c’est-à-dire comme Christ, oint, roi, comme un prophète, comme un envoyé, l’homme en qui les dons divins de notre nature s’étaient le plus développés, mais comme un Dieu égal à l’Éternel, son fils unique… Un passage des Évangiles, sur lequel personne, que nous sachions, n’a encore fixé son attention, c’est celui qui est compris dans les quatre versets du chapitre XVII, selon saint Matthieu. Pour nous, il ressort de ces quatre versets que Jésus connut les devoirs, les peines et la sanctification du mariage ; qu’il fut père, au moins d’un premier-né. On voit aussi dans l’Évangile que Jésus a eu des frères et des sœurs ; qu’il vivait encore vers l’âge de cinquante ans… » (Revue Spiritualiste, publiée par Piérart, 1863.)

Et c’est là une des revues du spiritisme les plus modérées.

« Les sacrements ne sont qu’une imitation des cérémonies magiques de l’ancien monde, des réminiscences de ces temps fatidiques, où par la vertu d’un signe, d’une opération sacramentelle, on se promettait de pouvoir gouverner une volonté, enchainer une destinée. » (Ibid.)

« Soyons spiritualistes rationnels, dévoués avant tout à la vérité : ne plaçons pas Jésus en dehors de l’humanité. » (Ibid.)

« Nos lecteurs savent le fond de nos idées relativement à Jésus. Nous avons montré qu’il n’a rien apporté de nouveau comme dogme et comme morale ; que les faits nouveaux qu’on lui doit réellement ne sont que la vulgarisation, sans distinction de race et de caste, de hautes vérités maintenues jusqu’à lui à l’état ésotérique… Nous avons aussi formulé cette opinion que, si Jésus s’est dit Dieu, il ne l’a fait que dans le sens qu’il explique lui-même au chapitre X, selon saint Jean, et que, s’il a fait des miracles, c’est parce que, comme le Bouddha, Moïse, Élie, Pythagore, Empédocles, Apollonius de Tyane, il avait connu les secrets de la magie divine, et que, comme tant d’hommes avant et après lui, il s’était éminemment spiritualisé… » (Ibid.)

« Après tant de précurseurs, va venir le Messie attendu, le Verbe nouveau, qui sera la plus haute manifestation spirituelle du temps, en qui les faits, les vérités du testament de l’avenir se personnifieront, et qui, scellera peut-être aussi de son sang le pacte d’une nouvelle alliance… Bientôt sa voix puissante, accompagnée de l’action retentissante du miracle, se fera entendre sur les monts et dans les vallées, et tout homme de bonne volonté dira en le voyant : « Voilà celui qui doit cimenter, unifier les aspirations des frères de la Jérusalem nouvelle, et faire retrouver les voies perdues du royaume de Dieu et de sa justice. » (Piérart, ibidem.)

« Jésus-Christ est ressuscité en esprit et non en corps, et c’est ainsi qu’il s’est manifesté à ses disciples, se rendant visible et tangible à leurs sens en vertu des facultés inhérentes aux esprits… » (Ibid.)

La croix, le signe à l’aide duquel nos dévots prétendent chasser les démons, était un signe vénéré des païens, qu’on retrouve partout comme le symbole du principe de la génération, l’acte par lequel le principe actif mâle, personnifié par la ligne verticale, rencontrait le principe passif ou féminin, personnifié par la ligne horizontale. » (Ibid.)

Comme on le voit, nous retrouvons là l’enseignement secret, donné en maçonnerie, dès le grade de Rose-Croix.

Destinée des âmes après la mort. Ciel et enfer. — Autour de chacun de nous voltigent sans cesse des multitudes d’êtres spirituels. Ce sont les âmes de ceux qui nous furent chers. Elles s’efforcent d’entrer en communication avec nous ; cependant, elles n’en possèdent nullement les facultés naturelles. Mais elles devront à la présence d’un médium d’entrer en relation avec les êtres qu’elles continuent de chérir. Ainsi naissent ces manifestations qui sont le langage dont les esprits se plaisent à user. » (Hume.)

— « Vous n’ignorez pas que les âmes des trépassés se promènent sous l’apparence du feu sur leurs tombes, jusqu’à ce qu’elles soient délivrées et aient expié tout le terrestre dont elles étaient chargées et qu’elles aient trouvé le repos éternel… Quand le travail de la putréfaction est à la fin, les lueurs cessent et les morts sont réconciliés. » (Baron de Reichenbach, un des oracles du spiritisme, l’inventeur de l’Od ou fluide odique, d’où sont sortis tous les autres fluides dont les spirites nous ont inondés ; Lettres odiques-magnétiques, 1853.)

— « La préexistence des âmes et l’éternité de l’Esprit, vérités voilées par la révélation biblique. » (Baron de Guldenstubbé, la Réalité des Esprits.)

— « L’âme de l’homme, chez qui, durant la vie, l’élément psychique a été perpétuellement subordonné à l’élément matériel, est comme liée à la terre ; il erre, flotte près de la terre, soumis aux forces humaines qui peuvent le contraindre à se rapprocher encore plus à l’état de revenant, de matérialisation, voire même, comme Katie King, d’être quasi-vivant et provisoirement réincarné. L’être désincarné des morts aux premières périodes de la vie, ou par accident, par le crime d’autrui, par suite de crimes personnels, par suicide, chez qui la vie aura été violemment et subitement interrompue, devra achever à l’état de corps astral la période de temps qui aurait été employée sur terre à l’évolution normale. Ceux-ci cherchent à rentrer dans la vie par tous les moyens possibles. Ils engagent une lutte perpétuelle contre les corps astraux des hommes mal équilibrés, afin de se substituer à eux. D’où les fous, les épileptiques, les névrosés de tout ordre, qui sont réellement des possédés. » (Lermina.)

— « Sur quoi est fondé le dogme de la réincarnation ? — Sur la justice de Dieu et la révélation.

« Quel est le but de la réincarnation ? — Expiation, amélioration progressive de l’humanité ; sans cela où serait la justice ?

« L’esprit qui a animé le corps d’un homme peut-il, daris une nouvelle existence, animer celui d’une femme, et réciproquement ? — Oui. » (Allan-Kardec.)

« Les perplexités que suggère cette doctrine monstrueuse, dit Home, adversaire de la réincarnation des âmes, sont incalculables. On n’en peut voir la fin. La grand’mère y devient sa propre petite-fille. Néron peut se métamorphoser en la mystique Mme  Guyon. L’âme d’un criminel peut se transformer en celle d’un Vincent de Paul. »

— « L’esprit proprement dit est-il à découvert, ou est-il environné d’une substance quelconque ? — L’esprit est enveloppé d’une substance vaporeuse pour toi, mais encore bien grossière pour nous : assez vaporeuse cependant pour pouvoir s’élever dans l’atmosphère et se transporter où il veut. » (Allan-Kardec.)

— « Il est pour tous une progression éternelle, laquelle dépend uniquement de la puissance de volonté employée à développer la nature spiritique : il n’existe pas d’esprits mauvais ; mais les esprits de méchants hommes, et même les pires, progressent sûrement bien que lentement. » (Wallace, les Miracles et le moderne Spiritualisme.)

« Nous nous rangeons à l’avis de ces Juifs qui ne croyaient pas aux guérisons démoniaques : nous mettons la démonophobie (crainte des démons) au rang du scepticisme matérialiste. La démonophobie date surtout du moyen-âge, et est le produit de ses superstitions absurdes. » (Baron de Guldenstubbé.)

— « Si le dogme qui veut que les élus partent de ce globe pour se réunir devant le trône de Dieu, tous vêtus des mêmes robes blanches, le front orné des mêmes couronnes d’or, et qu’ils n’aient, au terme du voyage, d’autre occupation que celle qui consiste à agiter des palmes pendant une interminable éternité ; si le dogme qui veut que les réprouvés partent des ténèbres avivées par la lueur des flammes, pour y être tourmentés à jamais ; si ces dogmes sont vrais, alors les mots prononcés par le Messie : « Dans la maison de mon Père, il y a beaucoup de demeures ; j’y vais préparer une place pour vous » n’ont plus de sens. Que ces paroles si consolantes sont d’une grande portée, nous en avons la preuve dans les révélations spirituelles de l’époque où nous vivons. » (Hume, Les lumières et les ombres du Spiritualisme.)

— « Dieu créant sans cesse, il y aura sans cesse des âmes qui s’écarteront de la voie du bien et encourront les châtiments ; c’est en ce sens seul que l’enfer est éternel. » (Dr  Grand, Lettre d’un catholique sur le Spiritisme.)

— « Satan n’est point un être distinct, c’est la personnification du mal et de tous les mauvais esprits. » (Allan-Kardec.) En d’autres termes : Satan n’existe pas.

Définition lumineuse du diable : « Le diable n’est que la contingence réfractaire du désaccord de vos activités désassorties. » (Toast porté à Hume dans le banquet qui lui fut offert par les spirites de Paris après son expulsion de Rome.)

— « Pourquoi Dieu a-t-il créé le paradis et l’enfer? — Afin que l’un sauve de l’autre.

« Quelle est la distance qui les sépare ? — D’après Johanan, c’est un mur ; d’après Aha, c’est une palme : d’après d’autres docteurs, c’est un doigt seulement. Maïmonides nous affirme nettement que l’enfer n’est qu’un mot pour exprimer les douleurs et les tortures morales… Le feu ne peut rien sur l’âme, puisqu’elle est un être spirituel. » (Revue spiritualiste, 1864.)

— « L’enfer se trouve dans l’âme du méchant. » (Ibid.)

— « Toute chose maudite ne sera plus, » dit l’Apocalypse, XX, 11-13 ; or, s’il est quelque chose qui soit maudit, c’est Satan et ses anges ; ils ne le seront donc plus lorsque le moment sera venu. » (Ibid.)

« Le Satan manichéen, tel que l’enseigne l’Église catholique, n’existe pas. » (Revue spiritualiste, 1864.) Cette fois, le mot y est en toutes lettres.

On sait que le chef-d’œuvre de Satan, en notre siècle, c’est de s’être fait nier lui-même ; il a à cœur le mot de Voltaire : « Faites-moi croire au diable, et je croirai à tout le surnaturel chrétien. »

— « Qu’on ne confonde pas notre théorie avec celles des religions qui ont inventé un paradis ou un enfer, récompensant ou punissant éternellement une existence vertueuse ou criminelle. Le ciel, atteint par une individualité, est exactement adapté à ses capacités ; car le ciel est sa propre création, l’œuvre de ses aspirations et de ses facultés. » (Jules Lermina.)

— « Le Nirvana, but de toute âme à travers la série des réincarnations, est un état de bonheur illimité qui se perfectionne toujours ; c’est un ciel qui progresse en spirale, sans cesse. » (Arthur Arnould.)

— Dialogue entre un esprit et un médium : « Qui donc es-tu ? — Je suis le démon. — Et que me veux-tu ? — T’avoir. — Mais tu n’as point toujours parlé de la sorte ; tu prétendais souffrir, tu te donnais pour une âme, et tu parlais comme un enfant de l’Église. — Eh bien, ne fallait-il pas d’abord parler votre langage ? C’est afin de ne point trop brusquement vous offusquer, que je cheminais en apparence dans l’ornière des préjugés catholiques. Si j’ai menti, je veux dire vrai : le purgatoire n’est pas… — Et l’enfer ? — L’enfer est moins encore. — Quelle est donc la loi de l’éternelle justice ? Quel est le lieu de l’éternelle miséricorde ? — L’une est le ciel, et l’autre est le ciel encore. — Le criminel et l’innocent éprouveront donc à jamais le même sort ? Nulle différence n’est donc après la mort entre la victime et le bourreau ? — Non, sans doute ; cela vous étonne ici-bas : mais en vérité, la différence est nulle. — Et quel est donc le nom du Dieu de ce monde et de ce ciel ? — Fatalité. » (Cité par le R. P. Xavier Pailloux, de la Compagnie de Jésus, dans son livre : le Magnétisme, le Spiritisme et La Possession.)


Morale. (Aveux des spirites.) — « Nous avons le récit de communications où la pratique des avortements, si répandue aux États-Unis, trouvait parmi les correspondants de l’autre monde de complaisants défenseurs. » (Dr  Paul Gibier.) .

— « Le remords est vain : tout acte bon ou mauvais porte en lui ses suites fatales. » (Arthur Arnould.)

— « La loi de Dieu est-elle ce qu’on appelle loi naturelle ? — Oui, et c’est la seule vraie pour le bonheur de l’homme. » (Allan-Kardec, le Livre des Esprits.)

— « En voulant produire le bien, j’ai motivé beaucoup d’observations qui enfantent le mal. » (Déclaration posthume d’Allan-Kardec.)

— « L’aspiration continuelle vers les joies entrevues de l’immortalité et l’espoir d’y atteindre par le suicide font que, par la suite, l’être obsédé n’a plus qu’un désir irrésistible, celui d’attenter à ses jours. » (Hume, Les lumières et les ombres du Spiritualisme.)

— « J’ai vu des tables dire des choses bien drôles à des hommes graves, et des dames se lever rougissantes, repoussant avec indignation un joli petit guéridon en bois de rose, outrées des infamies qu’il leur débitait. Cet inconcevable et impudent visiteur ne respectait pas même l’enfance. On m’a montré des dessins, réputés obscènes partout ailleurs que dans les cabinets d’anatomie, tracés par une planchette sous la main d’une innocente de dix ans à peine, qui, toute surprise, courut les porter à sa mère, en lui disant : « Maman, qu’est-ce donc que cela ? » (Eugène Nus, Choses de l’autre monde.)

— « Le progrès pour loi de la vie, l’expiation effaçant le crime, la responsabilité proportionnelle aux forces, la monstrueuse conception de l’enfer effacée de la conscience, la solidarité érigée en dogme, etc., voilà la loi des spirites, qui n’est pas autre chose que le souffle chrétien épuré. » (Eugène Nus, ibid.)

— « Chaque groupe a son code social et moral, élaboré par les frappeurs. Les Mormons, comme les trembleurs et les perfectionnistes, sont approuvés dans l’autre monde. Les partisans de l’amour libre, comme ceux du mariage indissoluble, ont leurs esprits familiers. Il y a même des habitants du ciel qui pactisent avec l’avortement, pratiqué, comme on sait, sur une grande échelle, dans la libre Amérique. » (Eugène Nus, ibid.)

— « L’indissolubilité du mariage est-elle dans la loi de nature ou seulement dans la loi humaine? — C’est une loi humaine très contraire à la loi de nature. Les hommes peuvent changer leurs lois ; celles de la nature sont immuables. » (Allan-Kardec, Le Livre des Esprits.)


Prétention du spiritisme à se proclamer supérieur à toutes les religions et au christianisme en particulier. — « Science nouvelle inconnue à Moïse et à Jésus-Christ, cependant prédite par les prophètes et les apôtres… La grande science de la manifestation directe du monde surnaturel, base unique de toutes les religions historiques, depuis la loi majestueuse de Jéhovah jusqu’à la parole divine et pleine d’onction du saint Martyr du Calvaire, depuis le Véda des Indiens jusqu’à la Zend-Avesta de Zoroastre, depuis les cérémonies mystérieuses de l’Égypte jusqu’aux oracles de la Grèce et de Rome. L’écriture directe et surna- turelle des esprits est quelque chose d’analogue à la révélation directe du Décalogue à Moïse, et à l’écriture merveilleuse tracée sur les murs du roi Balthazar dans Daniel… Le christianisme est impuissant à démontrer expérimentalement la réalité d’un monde surnaturel des causes invisibles. L’absurde crainte des démons a rendu les prêtres et les théologiens orthodoxes inaptes à combattre par la voie expérimentale les matérialistes et les incrédules… L’orthodoxie fait du démon le souverain maître de l’univers, tandis que le bon Dieu est relégué comme un vieux saint suranné et impotent dans une niche de l’univers. L’Église chrétienne est devenue le suppôt de Satan… » (Baron L. de Guldenstubbé, La réalité des Esprits et le phénomène merveilleux de leur écriture directe démontrés.)

« L’Église chrétienne n’a presque jamais prêté attention aux prophètes véritables (magiciens et spirites) ; elle a toujours persécuté les vrais prophètes, amis de Dieu. Les religions positives, avec l’établissement du sacerdoce, ne sont qu’une décadence de l’esprit religieux primitif du spiritualisme… Apollonius de Tyane rattacha de nouveau la terre au ciel… Le christianisme est tombé dans l’idolâtrie avec la théorie de la Trinité, l’invocation des saints, la mariolâtrie, et surtout la démonophobie. Quant à l’Église d’aujourd’hui, elle est ce qu’il y a de plus triste au monde. Les prêtres ne font plus de miracles… L’étude des traditions ne suffit pas ; il faut s’initier dans la science des mages et des voyants ; il faut être versé dans les mystères de la nécromancie et de l’évocation des esprits… L’évocation mentale est l’alphabet du spiritualisme. Quant aux prétendus scrupules religieux qu’on oppose à l’évocation des morts, et qui ne sont nullement fondés sur l’autorité de la Bible, ces objections absurdes ne sont que l’amer fruit de la démonophobie de nos orthodoxes » (Baron de Guldenstubbé, Ibid.)

— « Les phénomènes spirites ont achevé en fait la victoire de l’homme sur la mort et le tombeau : Ô mort ! où est ton aiguillon ? » (Tous les spirites en chœur.)

— « Le catholicisme, religion obscure, avide et cruelle, ennemie de l’activité humaine, adversaire de l’intelligence, négatrice de tout progrès. » (Jules Lermina.)

« Quel est le premier principe ? Les religions officielles nous répondent par un mot : Dieu. C’est la tarte-à-la-crème de toutes les théocraties. » (Jules Lermina.)

Le même Lermina a remplacé Dieu par « le corps astral, manifestation principielle de l’élévation vers les régions supérieures. Linga Sharira, matière comme corps, force comme astralité, pénétration du monde inférieur dans le monde supérieur, principe de l’hominalité, tendant à travers l’astralité vers la spiritualité, etc. » Tout le livre est écrit dans ce style.

— « Le spiritualisme, à l’envisager dans ses résultats, est un culte des plus poétiques ; expansif et lumineux, il ne sait pas avoir d’idées sinistres. » (Jules Lermina.)

Le fragment suivant donnera une idée assez juste du nouveau culte des spirites :

« O tempora, o mores ! Qui donc, à me voir, il y a quelques années, venir tous les dimanches prendre ma place accoutumée dans la vieille église paroissiale, aurait pu deviner qu’un pareil changement se serait fait en moi ! Ce n’est plus à l’église qu’on me trouve maintenant, mais, par invitation spéciale, dans le salon de Mme X***. C’est dans cette sacristie nouvelle que nous attendons l’arrivée solennelle de l’officiant, qui pourtant ne met ni surplis, ni camail, ni rabat. Sans qu’elle soit annoncée par une cloche, l’heure du service arrive, et nous nous rendons, deux à deux, comme des enfants de chœur, dans la salle à manger, qui est notre église pour la soirée. Notre unique autel aujourd’hui, c’est la table autour de laquelle nous nous asseyons. Après un moment d’attente, l’hôte et l’hôtesse se lèvent, se retirent un moment, et reviennent avec de blanches fleurs, pures comme la prière. C’est leur première offrande à Mme X***, comme prêtresse de la nouvelle communion… Notre petite congrégation attend alors que le monde des esprits veuille bien la diriger. Les esprits viennent. Nous entonnons un chant suave. On abaisse les lumières, et la dame-médium se retire au fond du cabinet. Bientôt un visage parait à l’ouverture des rideaux. C’est une ravissante figure de femme, pleine de vie et de beauté. Un sourire d’ange entr’ouvre ses lèvres : l’œil est avivé par une douceur exquise ; ses traits décèlent l’amour, un amour infini… Sa main salue avec : le bras, divinement moulé, s’étend vers nous, sous les plis de la draperie, comme pour nous bénir… C’est Marie Stuart !… Des paroles tombent de ses lèvres, sur lesquelles se pâment encore les sourires de l’amour… etc… » (Cité par Hume : Les lumières et les ombres du Spiritualisme.)


Apparition de Marie-Stuart dans une société de spirites, rapportée par Hume dans un de ses ouvrages.

— « Le catholicisme souffrira plus par le spiritisme que par le matérialisme. Que de personnes nous connaissons, dont les convictions religieuses ont failli devant les faits spirites, après avoir longtemps résisté aux raisonnements scientifiques ! » (Dr  Gibier.)

« Le but du spiritisme est de créer l’unité entre les éléments épars de la famille humaine, et de les grouper au moyen d’un aimant suprême : l’amour fraternel. Telles ne sont point les doctrines de l’Église catholique, et c’est à elle que nous avons affaire. Non seulement elle amoindrit l’esprit du christianisme et le sens de la spiritualité, mais elle ne se tient même pas au niveau des progrès de la civilisation. Elle a failli de la manière la plus complète à satisfaire les vœux légitimes, les espérances de l’Esprit. » (Revue Spiritualiste, 1863.)

« Le spiritualisme a maintenant atteint un tel degré d’extension, il compte dans ses rangs une si grande partie de la classe éclairée et intelligente, que nulle pression extérieure ne peut désormais affecter ni retarder sa marche ascendante. Il a jeté ses profondes et durables racines dans les cœurs, et le Tout-Puissant seul pourrait maintenant enrayer ses progrès. » (Ibid.)


À ces citations j’en pourrais ajouter beaucoup d’autres aussi significatives, aussi concluantes. Celles-ci suffisent pour prouver indubitablement que les doctrines enseignées par les esprits et leurs interprètes n’ont qu’un but : le reversement du dogme et de la morale catholiques. Et c’est bien là le signe infaillible de la source diabolique d’où les doctrines spirites émanent.

Mais je ne veux pas terminer ce chapitre sans rappeler trois faits, dont l’un est des plus récents.

J’emprunte le premier à cet apostat déjà souvent cité, le F∴ Constant ; le récit figure tout au long dans son livre de Dogme (chap. XIII).


« Au printemps de l’année 1854, raconte le défroqué devenu mage luciférien, j’étais allé à Londres pour échapper à des chagrins d’intérieur et me livrer, sans distraction, à la science.

« J’avais des lettres d’introduction pour des personnages éminents et curieux de révélations du monde surnaturel. J’en vis plusieurs, et je trouvai en eux, avec beaucoup de politesse, un grand fond d’indifférence ou de légèreté.

« On me demandait tout d’abord des prodiges, comme à un charlatan. J’étais un peu découragé ; car, à vrai dire, loin d’être disposé à initier les autres aux mystères de la magie cérémonielle, j’en avais toujours craint, pour moi-même, les illusions et les fatigues. D’ailleurs, ces cérémonies exigent un matériel dispendieux et difficile à rassembler.

« Je me renfermais donc dans l’étude de la haute cabale, et je ne songeais plus aux adeptes anglais, lorsqu’un jour, en rentrant à mon hôtel, je trouvai un pli à mon adresse.

« Ce pli contenait la moitié d’une carte, coupée transversalement, et sur laquelle je reconnus tout d’abord le caractère du sceau de Salomon, et un papier fort petit, sur lequel était écrit au crayon : « Demain, à trois heures, devant l’abbaye de Westminster, on vous présentera l’autre moitié de cette carte. »

« Je me rendis à ce singulier rendez-vous. Une voiture stationnait sur la place. Je tenais, sans affectation, mon fragment de carte à la main ; un domestique s’approcha de moi et me fil signe en m’ouvrant la portière de la voiture. Dans la voiture, était une dame en noir, dont le chapeau était recouvert d’un voile très épais ; elle me fit un signe de monter près d’elle, en me montrant l’autre moitié de la carte que j’avais reçue.

« La portière se referma, la voiture roula ; et, la dame ayant relevé son voile, je pus voir que j’avais affaire à une personne âgée, ayant sous des sourcils gris des yeux noirs extrêmement vifs et d’une fixité étrange.

« — Sir, me dit-elle, avec un accent anglais très prononcé, je sais que la loi du secret est rigoureuse entre les adeptes : une amie de sir B*** L***, qui vous a vu, sait qu’on vous a demandé des expériences, et que vous avez refusé de satisfaire cette curiosité. Peut-être n’aviez-vous pas les choses nécessaires : je veux vous montrer un cabinet magique complet ; mais je vous demande, avant tout, le plus inviolable secret. Si vous ne me faites pas cette promesse sur l’honneur, je vais donner ordre qu’on vous reconduise chez vous. »

« Je fis la promesse qu’on exigeait de moi, et j’y suis fidèle en ne disant ni le nom, ni la qualité, ni la demeure de cette dame, que je reconnus bientôt pour une initiée, non pas précisément du premier ordre, mais d’un grade très élevé.

« Nous eûmes plusieurs longues conversations, pendant lesquelles elle insistait toujours sur la nécessité des pratiques pour compléter l’initiation. Elle me montra une collection de vêtements et d’instruments magiques, me prêta même quelques livres curieux qui me manquaient ; bref, elle me détermina à tenter chez elle l’expérience d’une évocation complète, à laquelle je me préparai pendant vingt-et-un jours, en observant scrupuleusement les pratiques indiquées au treizième chapitre du Rituel. »

Ce sont les pratiques que j’ai reproduites plus haut (page 135 et suivantes) et que le F∴ Constant nomme cérémonies préparatoires des évocations de science et d’intelligence ; le lecteur se rappelle que j’ai formellement distingué cette recette, sous le rapport de l’efficacité, de celle relative aux évocations d’amour, cette dernière provoquant forcément l’hallucination.

Ici, ne l’oublions pas, nous en sommes aux apparitions réelles.

« Tout était terminé le 24 juillet, continue le F∴ Constant ; il s’agissait d’évoquer le fantôme du divin Apollonius et de l’interroger sur deux secrets : l’un qui me concernait moi-même, l’autre qui intéressait cette dame.

« Elle avait d’abord compté assister à l’évocation avec une personne de confiance ; mais, au dernier moment, cette personne eut peur, et, comme le ternaire ou l’unité est rigoureusement requise pour nos rites magiques, je fus laissé seul.

« Le cabinet préparé pour l’évocation était pratiqué dans une tourelle. On y avait disposé quatre miroirs concaves, une sorte d’autel, dont le dessus de marbre blanc était entouré d’une chaîne de fer aimanté ; sur le marbre blanc était gravé et doré le signe du pentagramme, et le même signe était tracé, en diverses couleurs, sur une peau d’agneau blanche et neuve qui était tendue sous l’autel. Au centre de la table de marbre, il y avait un petit réchaud de cuivre, avec du charbon de bois d’aulne et de laurier ; un autre réchaud était placé devant moi sur un trépied.

« J’étais vêtu d’une robe blanche assez semblable aux robes des prêtres catholiques, mais plus ample et plus longue, et je portais sur la tête une couronne de feuilles de verveine entrelacées dans une chaîne d’or. D’une main je tenais une épée neuve et de l’autre le Rituel.

« J’allumai les deux feux avec les substances requises et préparées, et je commençai, à voix basse d’abord, puis en élevant la voix par degrés, les invocations du Rituel. »

Dans son récit, le F∴ Constant ne donne pas le texte de ces invocations ; mais ailleurs, il reparle de cet incident de sa vie, et il dit :

« Lors de notre évocation d’Apollonius de Tyane, nous avons pris pour rituel la Magie Philosophique, de Patricius, contenant les dogmes, de Zoroastre et les ouvrages d’Hermès Trismégiste ; nous lûmes à haute voix le Nuctéméron (d’Apollonius), en grec, et nous y ajoutâmes la conjuration suivante :

« Boulès d’o pater pantom, kaï kathégétès o trismégistos Ermès. Iatrikès d’o Asclépios o Ephaïsthou. Ischuos te kaï momès palin Osiris mé d’om o teknon autossu. Philosophias dé Arnébaskévis. Poïétikès dé palin o Asclépios, o Imouthès.

« Outoï t’a krupta, phusin Ermès, ton émon épignoson. Taï grammaton panton, haï diacrinousi, khaï tina ménantoï kateschosin a dé kaï pros euergésias dnéton phthaneï, sélaï haï obélishoïs charadsosin.

« Magéian, o Apollonios, é Apollonios, o Apollonios didaskéis tou Zoroastron tou Oromadsou, esti dé touto, théon thérapéia. »

Reprenons le récit de l’évocateur.

« La fumée s’étendit, dit le F∴ Constant ; la flamme fit vaciller tous les objets qu’elle éclairait, puis elle s’éteignit. La fumée s’élevait blanche et lente sur l’autel de marbre ; il me sembla sentir une secousse de tremblement de terre ; les oreilles me tintaient, et le cœur me battait avec force.

« Je remis quelques branches et des parfums sur les réchauds, et, lorsque la flamme s’éleva, je vis distinctement, devant l’autel, une figure d’homme plus grande que nature, qui se décomposait et s’effaçait.

« Je recommençai les évocations, et je vins me placer dans un cercle que j’avais tracé d’avance entre l’autel et le trépied. Je vis alors s’éclaircir peu à peu le fond du miroir qui était en face de moi, derrière l’autel, et une forme blanchâtre s’y dessina, grandissant et semblant s’approcher peu à peu.

« J’appelai trois fois Apollonius en fermant les yeux ; et, lorsque je les rouvris, un homme était devant moi, enveloppé tout entier d’une sorte de linceul, qui me sembla être gris plutôt que blanc ; sa figure était maigre, triste et sans barbe ; ce qui ne se rapportait pas précisément à l’idée que je me faisais d’Apollonius.

« J’éprouvai une sensation de froid extraordinaire, et, lorsque j’ouvris la bouche pour interpeller le fantôme, il me fut impossible d’articuler un son. Je mis alors la main sur le signe du pentagramme, et je dirigeai vers lui la pointe de l’épée, en lui commandant mentalement, par ce signe, de ne point m’épouvanter et de m’obéir.


Je dirigeai vers lui la pointe de l’épée, en lui commandant mentalement, par ce signe, de ne point m’épouvanter et de m’obéir.

« Alors, la forme devint plus confuse, et il disparut tout à coup.

« Je lui commandai de revenir. Alors, je sentis passer près de moi comme un souffle, et, quelque chose m’ayant touché la main qui tenait l’épée, j’eus immédiatement le bras engourdi jusqu’à l’épaule. Je crus comprendre que cette épée offensait l’esprit, et je la plantai par la pointe dans le cercle auprès de moi.

« La figure humaine reparut aussitôt ; mais je sentis un si grand affaiblissement dans mes membres et une si prompte défaillance s’emparer de moi, que je fis deux pas pour m’asseoir. Dès que je fus assis, je tombai dans un assoupissement profond et accompagné de rêves, dont il ne me resta, quand je revins à moi, qu’un souvenir confus et vague. J’eus pendant plusieurs jours le bras engourdi et douloureux.

« La figure ne m’avait point parlé ; mais il me sembla que les questions que j’avais à lui faire s’étaient résolues d’elles-mêmes dans mon esprit.

« À celle de la dame, une voix intérieure répondait en moi : Mort (il s’agissait d’un homme dont elle voulait savoir des nouvelles).

« Quant à moi, je voulais savoir si le rapprochement et le pardon seraient possibles entre deux personnes auxquelles je pensais, et le même écho intérieur répondait impitoyablement : Mortes !

« Je raconte ici les faits tels qu’ils se sont passés, je ne les impose à la foi de personne.

« L’effet de cette expérience sur moi fut quelque chose d’inexplicable. Je n’étais plus le même homme, quelque chose d’un autre monde avait passé en moi ; je n’étais plus ni gai ni triste, mais j’éprouvais un singulier attrait pour la mort, sans être cependant aucunement tenté de recourir au suicide.

« J’analysai soigneusement ce que j’avais éprouvé ; et malgré une répugnance nerveuse très vivement sentie, je réitérai deux fois, à quelques jours seulement de distance, la même épreuve. Le récit des phénomènes qui se produisirent diffèrerait trop peu de celui-ci pour que je doive l’ajouter à cette narration déjà peut-être un peu longue. Mais le résultat de ces deux autres évocations fut pour moi la révélation de deux secrets cabalistiques, qui pourraient, s’ils étaient connus de tout le monde, changer en peu de temps les bases et les lois de la société tout entière. »

Au sujet de cette apparition, ma conclusion sera comme pour toutes celles de ce genre ; c’est le diable, le diable seul, que le F∴ Constant a vu et touché.


Le second fait dont je veux dire quelques mots ne constitue pas une apparition, à proprement parler ; mais il démontre nettement que les phénomènes du spiritisme sont dus uniquement à l’intervention diabolique.

On sait que les spirites se servent de n’importe quoi pour obtenir l’action de leurs prétendus esprits ; les tables mêmes ne leur suffisent pas, on en est arrivé jusqu’à entretenir une conversation extra-naturelle avec une pipe ou avec un chapeau. On sait aussi que le spiritisme est en honneur chez la plupart des francs-maçons des hauts grades.

Donc, ceci s’est passé, encore à Londres, mais non plus dans un oratoire magique privé. L’époque n’est pas éloignée, comme on va le voir. Les spectateurs sont des francs-maçons anglais et américains, et je me hâte de dire que je tiens le renseignement de quelqu’un dont j’ai fait la connaissance dans les triangles et qui ne m’a jamais trompé.

Personne n’ignore aujourd’hui la scission qui s’est produite dans la haute-maçonnerie, entre les chefs secrets qui tiennent pour que la direction suprême demeure à Charleston et les autres chefs qui considèrent comme acquis le vote du 20 septembre 1893, ayant transféré cette direction à Rome et dans les mains du grand-maitre italien Adriano Lemmi. Au Suprême Conseil du rite écossais siégeant à Londres, on approuve le transfert ; mais, néanmoins, les rapports ne sont pas brisés avec les partisans de Charleston. Les délégués américains, même ceux qui font opposition à Lemmi avec le : plus de violence, sont les bienvenus, chaque fois qu’ils se présentent ; on les accueille avec honneur et cordialité. C’est à Londres que les opposants ont établi leur comité de permanence ; c’est de Londres qu’est partie leur « voûte de protestation. »

Or, quelques séances de spiritisme ont eu lieu au siège du Suprême Conseil écossais pour l’Angleterre et le pays de Galles, au Freemason’s Hall de Great-Queen-street ; les maçons londoniens profitaient de la présence de leurs frères des États-Unis, dont plusieurs sont réputés pour leur puissance en médiumnité. Quelle belle occasion de se livrer aux exercices favoris des arrière-loges ! Rien ne pouvait si bien distraire ces messieurs et ces dames de leurs intrigues pour ou contre l’antipape du palais Borghèse.

Aussi s’en est-on donné à cœur-joie, m’a-t-il été affirmé, dans les derniers jours de novembre et les premiers de décembre surtout.

Bien entendu, il fallait être trente-troisième écossais ou bon palladiste pour assister à ces soirées intimes, demi-maçonniques, demi-spirites, et voir le médium mâle ou femelle mettre le squelette « en état de pénétration ; » car, dans tout Suprême Conseil qui fait bien les choses, on dédaigne les tournoiements de tables, mais l’on fait écrire le squelette.

Pour les lecteurs qui ne comprendraient pas, je dois expliquer que l’accessoire indispensable d’un Suprême Conseil est un squelette, planté debout dans la salle des séances, lequel tient d’une main un poignard et de l’autre le drapeau du rite. Ce squelette est articulé et pourvu d’un mécanisme, dont l’effet est de lui faire agiter, à un moment donné, le poignard sur la tête du récipiendaire ; le prix d’un squelette de ce genre est, d’ordinaire, de 600 francs ; on le trouve, notamment, sur le catalogue du F∴ Teissier, fournisseur parisien très renommé.

C’est pourquoi, nos hauts-maçons anglais et américains, à leurs séances de spiritisme, débarrassèrent le squelette du Suprême Conseil de son drapeau et de son poignard, et prièrent divers esprits, à tour de rôle, de vouloir bien se servir de cet intermédiaire pour répondre à quelques questions.

Le squelette, si l’esprit évoqué daigne répondre à l’appel, s’anime donc ; il va et vient ; s’il s’agit d’un esprit folâtre, le squelette exécute des cabrioles (cela s’est vu) ; si c’est, au contraire, Moloch qui pénètre le squelette, les assistants ont des chances de recevoir quelques horions, car Moloch est un diable le plus souvent de très mauvaise humeur.

Le 1er  décembre, ce fut Asmodée qui consentit à rendre intéressante la soirée ; grâce à la présence d’une personne que je ne veux pas désobliger en la nommant, Asmodée ne se fit aucunement prier. On lui demanda de donner l’état des principaux « daimons » opérant dans tels et tels pays. Le squelette s’approcha d’une table ; on lui passa une plume, de l’encre, du papier, et il écrivit les noms désirés.


Le squelette s’approcha d’une table : on lui passa une plume, de l’encre, du papier, et il écrivit les noms désirés.

Voilà un exemple qui prouve bien que le spiritisme est essentiellement satanique. Qui, si ce n’est un des princes du royaume infernal, pouvait faire une semblable communication ?

J’ai réussi à obtenir un extrait de cette communication des plus étranges, c’est-à-dire la déclaration d’Asmodée concernant la France. Je la reproduis telle quelle. Je n’ai pas l’original, qui est déposé aux archives du Suprême Conseil de Londres, mais j’ai une copie dont l’authenticité est au-dessus de toute contestation possible.

En somme, ce sont là les chefs-diables actuellement en station dans notre pays. Ils sont classés par provinces, chacune correspondant à un archevêché et à ses évêchés suffragants. Ils ont un grand chef général, un Conseil d’administration et de discipline. Ils dirigent évidemment des milliers de diablotins dans leur œuvre de mal, de perdition des âmes. Cette milice n’est pas nouvelle, comme organisation ; nous avons tous, auprès de nous, un esprit de ténèbres, luttant presque sans cesse contre l’influence de notre ange gardien. Il en est de même des villes, des paroisses, des provinces, des diocèses, des pays.

Voici donc le document diabolique intéressant la France, document écrit par un « génie du feu, » à la date du 1er  décembre 1893:


GRAND CHEF GÉNÉRAL, délégué par Lucifer pour le gouvernement de tous les daimons chefs de diocèses : Bitru (délégué en 000892, en remplacement de Belphégor, lequel a été envoyé en Suisse sur la demande de 725)


PROVINCE D’AIX. — Aix : Goolam. — Ajaccio : Sigeist. — Digne : Farol. — Fréjus : Baalpéri. — Gap : Karmolec. — Marseille : Croméruach. — Nice : Sifflet.

PROVINCE D’ALBI. — Albi : Juju. — Cahors : Syamour. — Mende : Colloplasm. — Perpignan : Patural. — Rodez : Aroé-Tacritau.

PROVINCE D’AUCH. — Auch : Smetbaba. — Aire : Abrag. — Bayonne : Rinoël. — Tarbes : Makkah.

PROVINCE D’AVIGNON. — Avignon : Pierre-de-Feu. — Montpellier : Septivorax. — Nîmes : Bboïpilith. — Valence : Aminor. — Viviers : Roboam.

PROVINCE DE BESANÇON. — Besançon : Xiph. — Belley : Léminoddon. — Nancy : Curiul. — Saint-Dié : Butadieu. — Verdun : Mringaleth.

PROVINCE DE BORDEAUX. — Bordeaux : Vauvert. — Agen : Salométis. — Angoulême : Lytan. — Luçon : Oomer. — Périgueux : Gornidas. — Poitiers : Libidun. — La Rochelle : Peau-de-Requin.

PROVINCE DE BOURGES. — Bourges : Gomorith. — Clermont : Baudoin. — Limoges : Sirsur. — Le Puy : Delphiron. — Saint-Flour : Tabelum. — Tulle : Rabignol.

PROVINCE DE CAMBRAI. — Cambrai : Baltazo. — Arras : Gueule-de-Volupté.

PROVINCE DE CHAMBÉRY. — Chambéry : Emnestor. — Annecy : Caïph. — Saint-Jean-de-Maurienne : Samapibus. — Tarentaise : Maitre Persil, dit Saute-Buisson.

PROVINCE DE LYON. — Lyon : Uphir. — Autun : Baëlboug. — Dijon : Truffus. — Grenoble : Etergadoul. — Langres : Phaleg. — Saint-Claude : Birban.

PROVINCE DE PARIS. — Paris : Cordohar. — Blois : Poséidon. — Chartres : Foudry. — Meaux : Zarapata. — Orléans : Le Dépendeur. — Versailles : Beltram.

PROVINCE DE REIMS. — Reims : Axaphat. — Amiens : Léchart. — Beauvais : Oilette. — Châlons-sur-Marne : Rappatolen. — Soissons : Sistro.

PROVINCE DE RENNES. — Rennes : Hahem. — Quimper : Teusarpoulier. — Saint-Brieuc : Nouriçay. — Vannes : Gauric.

PROVINCE DE ROUEN. — Rouen : Fume-Bouche. — Bayeux : Carniveau. — Coutances, Ptyas, dit Motelu. — Évreux : Alassor. — Séez : Sacrati.

PROVINCE DE SENS. — Sens : Uapinell. — Moulins : Mécrixas. — Nevers : Bouphégau. — Troyes : Truski.

PROVINCE DE TOULOUSE. — Toulouse : Barapati. — Carcassonne : Gros-Ménard. — Montauban : Tarbouchik. — Pamiers : Halipleumon.

PROVINCE DE TOURS. — Tours : Kolmouth. — Angers : Vulvafélix. — Laval : Nanoni. — Le Mans : Omnibor. — Nantes : Gargomella.

ALGÉRIE. — Alger : Dididi. — Constantine : Wiimlazer. — Oran : Brostyx.

PARFAIT CONSEIL DES DIX-NEUF pour l’administration et discipline des Daimons de France (siégeant une fois par semaine à minuit, dans la nuit du vendredi au samedi, au chef-lieu de chaque diocèse, à tour de rôle).

Bitru, ambassadeur de Lucifer pour la France, grand-maitre, président du Conseil.

Cordohar, grand lieutenant, premier vice-président.

Vauvert, deuxième vice-président.

Uphir, grand daimon d’éloquence, promoteur.

Axaphat, promoteur-suppléant.

Baltazo, grand secrétaire du Conseil.

Goolam, secrétaire-adjoint.

Gomorith, grand maître des cérémonies.

Smetbaba, grand ministre des récompenses.

Xiph, grand terrible ou pénitencier.

Kolmouth, grand dépositaire des pactes.

Juju, grand dispensateur des sorts (distributeur des maléfices).

Fume-Bouche, grand capitaine des nuées, couvreur du Conseil.

Hahem, grand vigilant du sud-est.

Pierre-de-Feu, grand vigilant du sud-ouest.

Emnestor, grand vigilant du nord-est.

Uapinell, grand vigilant du nord-ouest.

Barapati, porte-étendard du Conseil.

Dididi, grand annonciateur, héraut d’armes.


Cette liste de diables ne constitue pas seulement un document curieux ; ce qu’il importe de retenir surtout de la séance où elle a été écrite, c’est que, dès qu’on avance dans le spiritisme, c’est-à-dire quand les spirites sont en même temps francs-maçons, ils ne se bornent plus à évoquer les ombres des trépassés, ils font appel aux puissances infernales, aux démons eux-mêmes.

Enfin, il n’est pas inutile de rappeler la manifestation spirite, essentiellement diabolique aussi, qui avait lieu à Charleston, chaque année le 11 mars, tout le temps que vécut le docteur Gallatin Mackey. J’ai déjà signalé ce fait étrange, et j’aurai à y revenir encore, quand j’en serai à la Théurgie ; là, je donnerai les réponses produites à la réunion de 1881, à laquelle j’assistai. Ces réponses avaient trait à ce qui se passe « dans le royaume du Dieu-Bon ; » l’esprit des ténèbres se glorifiait en parlant à ses adeptes et mentait avec une superbe inouïe. La place de cette narration est donc bien à la XIe partie de mon ouvrage ; mais, en attendant, il est intéressant de dire les conditions dans lesquelles le phénomène avait lieu, puisque ce phénomène est censément une manifestation d’esprit de défunt, soit une œuvre de spiritisme.

La séance s’ouvrit donc sous la présidence d’Albert Pike, dans la salle du Suprême Conseil écossais, qui est au bout de la grande galerie de droite dite Galerie Saint-Jacques, à côté même du Sanctum Regnum (voir le plan, au 1er  volume, page 297). La convocation n’avait été adressée qu’aux frères affiliés au rite suprême ; aussi, les invités entraient-ils par l’aile gauche, en suivant la Galerie Sainte-Hypathie et en traversant ensuite le parvis des Mages Élus et le Prohibitum Propylæeum : la porte de droite du parvis du Suprême Conseil était soigneusement fermée à clef et gardée extérieurement par un couvreur appartenant à la Masonic Veteran Association, ayant pour consigne d’éloigner les initiés avec l’anneau qui se seraient aventurés jusque dans ces parages, par la galerie de droite. L’assemblée, au nombre de quarante-quatre personnes seulement, comprenait, si j’ai bonne souvenance, cinq ou six Maitresses Templières, mais seulement de celles (dites Souveraines) qui avaient reçu la révélation d’Astarté dans le sanctuaire d’Eva.

Au nord, c’est-à-dire à gauche en entrant dans le temple, se trouve une colonne de granit, sur laquelle est posé un crâne humain ; c’est la prétendue relique de saint Jacques, le crâne que l’on dit être celui de Jacques Molay et qui a été apporté à Charleston par Isaac Long. C’est tout simplement un crâne quelconque, et j’affirme, en outre, m’étant livré aux études les plus approfondies sur l’anthropologie, que ce n’est point là le crâne d’un Français du quatorzième siècle. Ce n’est pas même un crâne d’Européen, et vraiment la supercherie est grossière, saute à l’œil de quiconque a eu pour maître Broca. Ainsi, l’angle sphénoïdal a 136°, et l’angle nasal, 68°. La capacité crânienne (il m’a été permis de la mesurer, lors de la visite de l’immeuble que je fis l’après-midi sous la conduite de Chambers) est de 1351 centimètres cubes or, il est reconnu aujourd’hui que la capacité des crânes de Français des treizième et quatorzième siècles varie dans les environs de 1425 à 1430 centimètres cubes, pour la moyenne ; quel écart !… Messieurs mes ex-frères de Charleston, montrez à qui vous voudrez votre tête de Jacques Molay ; je vous dis, moi, que c’est un crâne de Malais ou de Péruvien. Apportez votre relique à Paris ; faites-la examiner à la Société d’anthropologie, et vous verrez ce qu’on vous répondra !…

Mais pourquoi insister ?… L’intéressant pour nous est la manifestation même de l’objet macabre, Satan en ayant fait son instrument, comme il se serait servi tout aussi bien d’un crâne de singe.

Un fauteuil était placé à peu de distance de la colonne de granit. Le docteur Gallatin s’y assit. On s’en souvient, j’ai dit que les occultistes de Charleston prétendent qu’il avait en lui l’âme du grand-maitre des Templiers.

L’heure du phénomène annuel était venue : le vieux Mackey sembla s’abandonner de lui-même à une mort bizarre, qui le saisissait, l’étreignait graduellement, lente et douce. La tête rejetée en arrière, il eut l’air d’expirer, sans râle. C’était une sorte de léthargie, mais une léthargie d’une espèce toute particulière, telle que je n’en ai jamais constaté de semblable.

Puis, le crâne de la colonne de granit s’éclaira tout à coup. On venait d’éteindre les lumières de la salle. Le crâne maintenant était un foyer de clarté. Mais ce n’était pas cette lueur maigriote du crâne de la Chambre du Milieu, au jour d’initiation, lueur produite par une bougie ou une petite lampe, transformant en fanal lugubre la tête décharnée volée à quelque cadavre d’un amphithéâtre ; c’était une lumière vive, éclatante.


Les manifestations diaboliques du prétendu crâne de Jacques Molay à Charleston, en la salle du Suprême Conseil du Rite Écossais.

Bientôt, des cavités du nez et des yeux, des flammes jaillirent, puissantes, en épais filets ; le feu sifflait, hurlait, comme si le crâne eût été l’ouverture extrême d’une cheminée de hauts-fourneaux, ou, mieux encore, le cratère minuscule d’un volcan.

Ces flammes, sortant furieuses, variaient de couleur, rouges, jaunes, vertes, blanches, tour à tour, et elles ne consumaient pas l’objet d’où elles s’élançaient, mais elles produisaient dans la salle une terrible chaleur. Par moments, elles se calmaient et gardaient les proportions de flammes ordinaires ; mais, parfois, brusquement, elles formaient comme un triple serpent de feu, qui s’allongeait vers nous, se balançait dans l’espace ; les extrémités affectaient même, de temps en temps, de prendre la forme de têtes de tout autant de reptiles, avec le dard. C’était un spectacle saisissant, et, si ce n’était là qu’une opération de physique, je suis obligé de reconnaître qu’elle fut admirablement réussie devant moi.

Cependant, ainsi que je l’ai dit plus haut, j’avais, dans ma visite de l’après-midi, soigneusement examiné la colonne de granit, et j’ai gardé l’opinion que ces flammes ne sortaient pas de là. Alors, d’où venaient-elles, puisqu’il n’y avait aucun combustible dans la boîte crânienne ?… Le dilemme se pose et s’impose : ou jonglerie de physique amusante, exécutée avec une habileté parfaite ; ou manifestation des flammes mêmes de l’enfer. Sans me prononcer d’une façon absolue, j’admets sur ce point l’absence de supercherie.

Le plus extraordinaire, c’est que ce crâne parlait tout en vomissant des flammes ; les mugissements du feu étaient entremêlés de blasphèmes criés d’une voix forte et stridente.

Ce fut alors qu’Albert Pike posa des questions à la prétendue tête de Jacques Molay, et il y fut répondu, non par mots entrecoupés, mais par phrases bien suivies, bien cousues les unes aux autres, ainsi qu’un orateur aurait parlé ; seulement, ici, l’orateur invisible avait une voix qui n’avait rien d’humain.

La durée du phénomène fut d’une bonne heure, au bout de laquelle le crâne s’éteignit, et le docteur Gallatin Mackey reprit ses sens, tandis qu’on rallumait les flambeaux de la salle.

— Frères et sœurs, dit Pike en prononçant la clôture de la séance, n’oublions pas que nous avons prêté serment de venger ce saint martyr ; n’oublions pas qu’après avoir frappé de mort la Royauté, nous devons exterminer l’Église ; n’oublions pas que nous sommes les ultionnistes du Palladium… Bonne justice par Lucifer !

Et l’assistance clama en chœur :

— Bonne justice par Lucifer !


Tel est, à mon sentiment, le dernier mot du spiritisme contemporain. Ses manifestations, on le voit, fluctuent invariablement des Vocates Procédants aux Vocates Élus ; l’épisode du F∴ Constant, que j’ai rapporté tout à l’heure, est le trait d’union entre ces deux classes d’adeptes, qui agissent les uns et les autres, quoique différemment, par l’inspiration de Satan.

S’il y a des charlatans, qui trompent, et des hallucinés, qui s’imaginent voir, il y a aussi des opérateurs prédilectionnés du démon et qui fournissent à celui-ci l’occasion de manifestations surnaturelles ; s’il y a des apparitions imaginaires, il y a aussi des apparitions réelles, mais qui, dans le spiritisme, quelque nom qu’il porte, sont exclusivement diaboliques.

Enfin, lorsqu’on considère que la presque unanimité des chefs d’école spirite sont en même temps des francs-maçons, que nous trouvons de ces sectaires même parmi les magnétiseurs qui s’exhibent sur les scènes publiques et font indirectement une propagande contre l’enseignement de l’Église (tel le fameux Donato), on est bien forcé .de reconnaître que l’âme de toute cette action antichrétienne dans le monde, c’est la franc-maçonnerie des divers rites.

Or, les divers rites maçonniques ne sont eux-mêmes que les instruments du Palladisme, rite suprême, direction souveraine de tout l’occultisme organisé ; et le Palladisme, c’est l’Église de Satan.

Voilà encore pourquoi le Palladisme est tenu si secret, est nié même au besoin. Il est le moteur de l’enfer sur terre.

Le lecteur l’a-t-il bien compris ?

    gens dans l’intérieur de la maison ; il se met à écrire ; il attache au travail son esprit, ses yeux et sa main, de peur que son imagination oisive ne vienne à lui créer des fantômes et de vaines terreurs. D’abord un profond silence, le silence ordinaire des nuits ; bientôt un froissement de fers, un bruit de chaines. Lui, sans lever les yeux, sans quitter ses tablettes, affermit son me, et s’efforce d’imposer à ses oreilles. Le bruit s’augmente, s’approche ; il se fait entendre près de la porte, et enfin dans le chambre même. Le philosophe se retourne : il voit, il reconnait le spectre tel qu’on l’a décrit. Le fantôme était debout, et semblait l’appeler du doigt : Athénodore lui fait signe d’attendre un instant, et se remet à écrire. Mais le bruit des chaînes retentit de nouveau à ses oreilles ; il tourne encore une fois la tête, et voit que le spectre continue à l’appeler du doigt. Alors, sans tarder davantage, Athénodore se lève, prend la lumière et le suit. Le fantôme marchait d’un pas lent ; il semblait accablé par le poids des chaînes ; arrivé dans la cour de la maison, il s’évanouit tout à coup aux yeux du philosophe. Celui-ci marque le lieu où il a disparu par un amas d’herbes et de feuilles. Le lendemain, il va trouver les magistrats, et leur demande de faire fouiller en cet endroit. Un trouve des ossements encore enlacés dans des chaines ; le corps consumé par le temps et par la terre n’avait laissé aux fers que ces restes nus et dépouillés. On les rassemble, on les ensevelit publiquement, et, après ces derniers devoirs, le mort ne troubla plus le repos de la maison.
    « Cette histoire, je la crois sur la foi d’autrui ; mais voici ce que je peux assurer sur la mienne. J’ai un affranchi, nommé Marcus, qui ne manque pas d’instruction. Il était couché avec son jeune frère ; il lui sembla voir quelqu’un assis sur son lit, qui approchait des oiseaux de sa tête, et qui lui coupait les cheveux au-dessus du front. Quand il fit jour, on aperçut qu’il avait le haut de la tête rasé, et ses cheveux furent trouvés épars autour de lui. Peu de temps après, une nouvelle aventure du même genre vint confirmer la vérité de l’autre. Un de mes jeunes esclaves dormait, avec ses compagnons, dans le lieu qui leur était destiné : deux hommes vêtus de blanc (c’est ainsi qu’il le raconte) vinrent par les fenêtres, lui rasèrent la tête pendant son sommeil, et s’en retournèrent par la même voie. Le lendemain, lorsque le jour parut, on le trouva rasé comme on avait trouvé l’autre, et les cheveux qu’on lui avait coupés étaient épars sur le plancher. Ces aventures n’eurent aucune suite remarquable, si ce n’est que je ne fus point accusé devant Domitien qui régnait alors ; je ne l’eusse pas échappé, s’il eût vécu plus longtemps, car on trouva dans son portefeuille un mémoire contre moi, dont Curus était l’auteur. De là on peut conjecturer que la coutume des accusés étant de négliger et de laisser croitre leurs cheveux, les cheveux coupés de mes esclaves m’annonçaient un péril heureusement écarté… »
    La question des esprits, comme on vient de le voir dans Pline-le-Jeune, préoccupait singulièrement les observateurs réfléchis ; en voici un nouvel exemple tiré d’un dialogue de Lucien sur le même sujet :
    Cléodème, s’entretenant avec un de ses amis, incrédule aux choses de la magie, lui dit :
    « Moi aussi, j’ai été autrefois plus incrédule que vous sur ces sortes de prodiges. Cependant, en voyant voler en l’air un barbare des pays hyperboréens, c’est le nom qu’il se donnait lui- même, j’ai été forcé de me rendre. Que fallait-il faire, quand je le voyais en plein jour soutenir en l’air, marcher sur l’eau, passer à travers le feu ?… Comment vous dire tout ce qu’il nous a fait voir de prodiges, inspirant des amours, évoquant des démons, ressuscitant des morts en putréfaction, faisant venir Hécate elle-même sous une forme visible ?… « Je vais vous raconter ce que j’ai vu faire chez Glaucias, fils d’Alexiclés. Glaucias venait d’hériter de son père, mort depuis peu, lorsqu’il se mit en tête d’épouser Chrysis, fille de Déménète. J’étais alors son maitre de philosophie : à dix-huit ans, il savait déjà user de l’analyse, et avait suivi un cours complet de physique. Ne sachant plus que devenir avec sa passion, il vint me conter sa peine ; je crus devoir mener chez lui notre mage hyperboréen, auquel il donna tout de suite quatre mines, lui en promettant seize autres, s’il le faisait agréer par Chrysis. Le mage attend la pleine lune, époque où ces sortes de charmes ont le plus d’effet, creuse une fosse dans la cour de la maison, et au milieu de la nuit, commence par évoquer, nous présents, Alexiclès, père de Glaucias, mort depuis plus de sept mois. Le vieillard, irrité de la passion de son fils, commence par entrer dans une grande colère ; mais il finit par

    consentir à cette inclination. Le mage fait alors venir Hécate, suivie de Cerbère, puis il force la lune à descendre ; spectacle aux mille formes, aux figures les plus variées, qui nous représente d’abord une femme, ensuite un bœuf magnifique, et enfin un chien de chasse. Enfin, l’hiperboréen, ayant façonné un petit Cupidon avec de la boue : « Pars, lui dit-il, et amène-nous Chrysis ! » Le morceau de boue s’envole ; un instant après, la jeune fille frappe à la porte, entre et se jette au cou de Glaucias. Alors, la lune remonte au ciel, Hécate redescend sous terre, tous les fantômes disparaissent, et nous reconduisons Chrysis chez elle, heureuse et demandant à être fiancée à Glaucias. »

  1. Je rappelle ici qu’Hermès est en réalité un des plus puissants démons, qu’il a vécu sur terre sous forme humaine, ayant réalisé, dans toute la vérité du terme, ce que l’on appelle, pour désigner un homme très méchant : « un diable incarné ».
  2. À Athènes, la peine de mort était prononcée contre celui qui couperait un rameau de chêne dans le bocage consacré à un héros.
  3. Pline-le-Jeune à Sura :
    « Je voudrais bien savoir si vous pensez que les fantômes soient quelque chose de réel, s’ils ont une forme qui leur soit propre ; si vous leur attribuez une puissance divine ; ou si ce ne sont que de vaines images qui se tracent dans une imagination troublée par la crainte. »
    Pline se posait la même question que nous et y faisait la même réponse ; certaines visions peuvent être de pures hallucinations naturelles ; mais il y en a d’autres auxquelles il est bien difficile de ne pas accorder croyance en leur réalité.
    « Ce qui me porterait à croire qu’il existe réellement des spectres, c’est l’aventure arrivée à Curtius Rufus. Encore sans fortune et sans nom, il avait suivi en Afrique le magistrat à qui le gouvernement de cette province était échu. Sur le déclin du jour, il se promenait sous un portique, lorsqu’une femme, d’une taille et d’une beauté plus qu’humaine, se présente à lui. La peur le saisit : « Je suis l’Afrique, lui dit-elle ; je viens te prédire ce qui doit t’arriver. Tu iras à Rome, tu rempliras les plus grandes charges : tu reviendras ensuite gouverner cette province, et tu y mourras. » Tout arriva comme elle l’avait prédit ; on raconte même qu’arrivant à Carthage et sortant de son vaisseau, la même figure se présenta devant lui et vint à sa rencontre sur le rivage. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il tomba malade et que, jugeant de l’avenir par le passé, il désespéra de sa guérison, malgré que tous les siens en conservaient l’espoir.
    « Mais voici une autre histoire qui ne vous paraîtra pas moins surprenante, et qui est bien plus terrible ; je vous la donnerai telle que je l’ai reçue. Il y avait à Athènes une maison vaste et spacieuse, mais mal famée et funeste. Dans le silence de la nuit, on entendait un froissement de fers, et, en écoutant avec attention, le retentissement de chaînes agitées. Le bruit semblait d’abord venir de loin, et ensuite s’approcher. Bientôt apparaissait le spectre : c’était un vieillard maigre et hideux, à la barbe longue, aux cheveux hérissés ; ses pieds et ses mains étaient chargés de fers qu’il secouait. De là, des nuits affreuses et sans sommeil pour ceux qui habitaient cette maison : l’insomnie amenait la maladie, et, l’effroi s’augmentant sans cesse, la maladie était suivie de la mort ; car, si le jour n’était pas troublé par cette funeste image, le souvenir la rappelait aux yeux, et la terreur survivait à la cause qui l’avait produite. Aussi la maison fut-elle bientôt déserte et livrée tout entière à son hôte mystérieux. On plan cependant un écriteau, dans l’espérance qu’ignorant cette effrayante histoire quelqu’un pourrait peut-être l’acheter ou la louer.
    « Le philosophe Athénodore (il avait été précepteur d’Auguste) vient à Athènes, lit l’écriteau, demande le prix, dont la modicité lui inspire des soupçons ; il s’informe, on l’instruit de tout. Loin de s’effrayer, il s’empresse d’autant plus de louer la maison. Vers le soir, il se fait placer un lit dans la salle d’entrée, demande ses tablettes, son poinçon, de la lumière ; il renvoie ses
  4. De Mirville, Pneumatologie, tome IV
  5. Tout dernièrement encore, M. Jules Bois, dans un poème intitulé : la Porte héroïque du Ciel (drame ésotérique), mettait Apollonius de Tyane à peu près sur le même rang que Jésus-Christ.
  6. Les Apologistes chrétiens au second siècle.
  7. Roi de l’Inde, qu’Apollonius avait visité dans son voyage, et qui lui avait donné une lettre de recommandation pour Iarchas.
  8. Qui n’y assista pas, mais qui la rapporte d’après le récit que lui en fit Apollonius.
  9. Satan et la Magie de nos jours.
  10. Le marquis de Roys, dans une brochure intitulée : La vérité sur le Spiritisme (1863), fait ainsi ressortir ces suites funestes :
    « Quelques Pères rapportent, d’après d’anciennes traditions, que les pratiques de la magie surtout ont occasionné le déluge. L’histoire montre que leur recrudescence a été souvent suivie de terribles catastrophes. Il est certain qu’elle a précédé en Europe les guerres de religion, et que l’affreuse guerre qui désole l’Amérique a suivi de près l’invasion du spiritisme. Les annales de l’histoire de Chine constatent que des calamités ont toujours suivi la recrudescence des évocations spirites… Les plus désolantes scènes de la révolte des Taïpings se sont passées aux lieux où avait dominé la recrudescence de l’épidémie spirite. »
    Et, ajouterai-je, la Révolution française ne peut-elle pas compter, parmi ses causes secrètes et généralement trop négligées, l’épidémie de magie et de sorcellerie qui la précéda immédiatement sous l’influence croissante de la franc-maçonnerie ?
  11. J’ai fait figurer plus haut les portraits de ces trois femmes médiums, qu’il est impossible de ne pas compter parmi les victimes du satanisme. (Voir pages 145 et 153.)
  12. Quelques relations très curieuses des phénomènes d’Italie, trop longues pour être insérées ici, trouveront leur place dans la Revue mensuelle, qui a été créée comme complément de ma publication.
  13. « Si le reste de l’ouvrage n’est pas plus exact que ce qui précède, dit Hume, après avoir cité le récit du P. de Ponlevoy, il ne vaut certainement pas la peine d’être lu. Le bon P. de Ravignan savait bien que je n’étais pas américain… Il savait aussi que je n’invoquais jamais les esprits. Il n’est pas et il ne sera jamais nécessaire d’avoir un nom important pour accréditer une vérité qui vient de Dieu, et j’étais trop bien instruit du pouvoir des faits pour penser qu’ils eussent besoin, pour passe-port, même du nom du P. de Ravignan. Son biographe doit avoir reçu une bien pauvre éducation en théologie et en histoire, pour oser écrire que le spiritualisme est une belle découverte du nouveau monde, lorsqu’il est constant qu’on en retrouve la trace en n’importe quelle contrée de la terre dont l’histoire fasse mention… » Je laisse au lecteur de décider entre le témoignage du saint religieux et le démenti du médium apostat.
  14. Au chapitre des Vocates Procédants, j’ai rapporté un épisode de spiritisme aux Tuileries, à l’époque de la vogue de Hume.
  15. Le Miracle et le monde spiritualiste, 8e.
  16. Aussitôt qu’on eut appris à Paris l’expulsion de Hume, les spirites, en masse, protestèrent ontre l’intolérance et la persécution catholiques, et offrirent au malheureux banni un banquet solennel auquel furent invités tous les croyants. Hume accepta d’abord ; puis, se ravisant par prudence, il déclina l’invitation sous prétexte de motifs graves et de raisons impératives, qu’il déclara ne pouvoir faire connaître. Le but principal du banquet étant manqué, on l’ajourna à une circonstance plus heureuse.
    La partie la plus importante du repas devait être la série des toasts préparés par les convives. Ces toasts furent publiés, et il faut en mettre quelques fragments sous les yeux du lecteur afin qu’il sache bien jusqu’où vont le fureur et la rage de la secte diabolique contre l’Église romaine.
    Voici un passage du toast porté par le directeur de la Revue Spiritualiste, Z.-J. Piérart :
    « C’est encore le même esprit (l’esprit du moyen-âge) qui anime nos inquisiteurs modernes. Dans leurs anathèmes, ils ne font point de distinction. Que vous soyez orthodoxe ou non, propagateur d’hérésie ou fils soumis de l’Église, du moment que vous êtes fauteur de faits de l’ordre spirituel, vous êtes condamné, mis hors du giron, voué à l’abomination de la désolation.
    « M. Hume en est un exemple… Ses Mémoires, livre de faits, étranger à toute doctrine, à toute conclusion extra-catholique, ont été mis à l’index…
    « Qui êtes-vous donc, hommes étranges, qui avez à ce point peur des manifestations de l’Esprit, qu’il vous faille le bras séculier, une police, des gendarmes pour les combattre ?…
    « Si vous n’avez pas hérité du don de miracles des apôtres, n’en perdez pas au moins le souvenir. — Cessez alors de substituer vos persécutions à celles des Lyrans contre lesquels tant de courageux apôtres luttèrent. Retirez-vous. — Abdiquez votre puissance temporelle, et laissez le Saint-Esprit accomplir librement son œuvre ; laissez-le souffler là où il le juge bon. Laissez le, vous dis-je, si vous ne voulez bientôt être foudroyés par lui !…
    « Quel vertige vous égare ? Serait-il vrai qu’il faille vous appliquer cette maxime qui plus d’une fois a retenti à la veille des jours où la justice de Dieu s’est fait comprendre :
    « Quos vult perdere Jupiter dementat ! »

    « Sait-on ce que le jeune médium écossais était allé faire dans la ville de Léon X et d’Alexandre Borgia ? Le sait-il lui-même ? Il croit y avoir été poussé par le besoin d’un climat plus doux, par son amour pour les arts. Mais ne devait-il pas, en y séjournant, retrouver à son insu des facultés prophétiques, et en nouveau Jonas avertir de son destin cette Ninive moderne, pour qu’elle puisse à temps retrouver la voie de Dieu et se convertir ! Mais c’est bien plus : le jeune médium porte le nom de Daniel, et dans la Babylone moderne, celle que le xvie siècle a appelée la grande prostituée, le nouveau Daniel était peut-être poussé à assister à quelque festin de Balthazar, comme il s’y en trouve au moment des saturnales de février. Là, peut-être, aurait-il vu une main invisible écrire encore les mots fatals : Mané, Thécel, Pharès, et il aurait pu en donner à temps l’explication. Mais un esprit de vertige l’a fait expulser de cette ville des destinées, où il semblait avoir été mystérieusement poussé dans ces temps critiques. Il a été rejeté sur la terre des Mèdes et des Perses du monde moderne. Craignez, malheureux astrologues, chaldéens aveugles, qu’il n’y rentre bientôt à leur suite !… »

  17. Alb. Duroy de Bruignac : Satan et la Magie de nos jours.
  18. Les Mahatmas sont des démons incarnés, vivant mystérieusement au Thibet.