Le Diable à Paris/Série 2/Les Lorettes
Les Lorettes
— Enchanté, M’sieu, de l’honneur de vous voir !
— Et la santé, Mosieu, comment va-t-elle ?
— Mais… pas mal… Et vous ?
Madame !… madame !… un billet de bal pour un baiser de vous… Madame !… moins cher qu’au bureau…
— Voilà mon petit Émile qui venait dîner avec moi, juge un peu ! et moi qui soupe avec Mosieu chose… un gros comme ça !
— Bête ! on dîne avec le gros et on soupe avec le petit.
« Paris le 26 Octobre 1841. — « Au premier janvier prochain, je payerai, à l’ordre de mademoiselle Beaupertuis, la somme de trois cent deux francs soixante-quinze centimes, valeur reçue… » (en quoi ?… en affection ? en tendre intérêt ? en dévouement ?) — Pas de bêtises ! voyons ! — « En marchandises. »
— T’en es donc bien coiffée, du petit ? — Tais-toi donc ! voilà trois semaines… c’était le jour de la Saint-Médard, un mardi, ma chère… il m’a plu tout de suite. — Ah ! bien, t’en as pas fini avec cet Henri-là… il a plu le jour de la Saint-Médard : t’en as au moins pour quarante jours.
— M’ame Norine — Hein ? — Y’a quarante ans, je croquais les pommes vertes et je n’haïssais pas les femmes mûres. — Après. — Après ?… quand j’ai aimé les pommes mûres, j’ai aimé les femmes vertes. — Vieux passionné !… allez donc manger vos pommes cuites !
— Tu seras marraine……
— Comment ! encore un ?… quelle enceinte continue !
— Avoir perdu ses plus belles années, tout ce qu’on avait d’illusion, de simplicité de cœur ; jeunesse ! avenir !… et tout !…
— Pour un crapaud comme ça !…
— Ce que c’est pourtant que nos sentiments !… sais-tu que faut convenir que c’est bien farce, Minette, quand on examine ça !…
— … Une forêt de Bondy quoi !…
— J’ai eu bien du chagrin, allez mon bon Henri, depuis que je ne vous ai vu, j’ai perdu mosieu Fortuné !
— Le père de votre petite ?
— Non, Henri… son parrain !
— Un petit jeune homme qui avait l’air si sentimental !
— Oui, sentimental comme un bilboquet… et ça vous fiche des coups.
— Ça, c’est peu drôle.
Le roi de trèfle en voyage : la femme brune attend un blond…… et voici le valet de cœur : réussite !
— T’as bien tort, va, ma fille de laisser ta petite te parler comme ça !…
— Dis : Grand’mère, tu nous embêtes !
Mon petit homme, faut être raisonnable… c’est mon parrain qui veut absolument me faire un sort dans son bien des Bouches-du-Rhône, pour l’éducation de sa petite… Je vas te laisser la mienne…
… Je vous dis, moi, que ça n’est pas à votre général, qui a des pieds à dormir debout, parce que je viens de voir son cabriolet à la Bourse !… et que c’est à Alfred ces éperons-là !… et que vous êtes une bête à deux fins, miss Anna !…
— As-tu jamais vu ! Élodie Charnu qui ne vous regarde pas les camarades depuis qu’elle a trouvé un serin de mosieu pour se marier !… ça fait des manières et ça a dansé dans les chœurs, je vous demande un peu, une porte-maillot comme ça !…
— Et qui en avait vu, des cavalcades !…
Me souffler un amant, toi !… à moi ! oh ! que tu es bien heureuse que ça n’est qu’Anatole ! car si ç’avait été mon Émile, oh ! quelle vénérable tripotée je vous ficherais, ma poule !
— Cré chien ! Loïse, t’as là une casquette…
— Un peu chouette !