Le Diable à Paris/Série 1/Un coup de canif
UN COUP DE CANIF
Personne n’ignore que Robert adorait sa femme. Il l’avait épousée par amour, vous le savez comme moi, et il s’était jeté avec un tel enthousiasme dans sa nouvelle vie, que du jour au lendemain toutes ses relations furent brisées comme verre. Il s’enferma dans son sanctuaire, mit la clef en dedans et dégusta son bonheur goutte à goutte. Lorsqu’on le rencontrait, il vous disait un mot à peine : il avait coupé ses favoris, ne portait plus que les moustaches et ne quittait pas les cravates bleues. Il semblait avoir peur de son passé, tant il prenait de soin à éviter ceux qui pouvaient lui en rappeler le souvenir. Il paraissait préoccupé, vous regardait à deux fois, avant de vous reconnaître, et vous répondait comme le fait un homme durant l’entr’acte, lorsqu’il est pressé de regagner sa stalle. Raoul n’était pas le premier chez lequel je remarquais ces façons d’être. Presque tous les jeunes mariés se ressemblent : ils acquièrent tout à coup une circonspection, une dignité particulière aux gens qui ont gagné un gros lot, aux francs-maçons nouvellement initiés, et aux conspirateurs qui viennent de prêter serment.
Ils ne lisent plus les mêmes journaux, changent de tailleur et démoliraient Paris tout entier, n’était la dépense, pour anéantir sous les décombres toutes les Nana et Nini qui parfois encore leur sourient en passant.
Raoul fut ainsi pendant huit mois environ. Vers le milieu du neuvième, il y eut un relâchement dans ses habitudes.
On le rencontra plus souvent ; ses favoris commencèrent à repousser et les cravates bleues se montrèrent moins fréquemment ; il avait repris l’usage du cigare, marchait plus lentement et flânait volontiers. Ce n’est pas qu’il fût moins heureux dans son intérieur, ou qu’il aimât moins sa jolie petite femme ; car je me souviens qu’à cette époque même je le rencontrai à une pièce fort en vogue où il était venu seul, et lui ayant demandé des nouvelles de sa femme, il me répondit en confidence et avec un grand accent de franchise :
« Mon cher, c’est un trésor ! »
Quand un mari dit cela aussi nettement, il y a lieu de croire, n’est-il pas vrai ? qu’il est fort amoureux. Eh bien, non ; je crois, en y réfléchissant, qu’il y a lieu de croire à une certaine diminution d’amour de sa part. Lorsque j’entends l’un d’eux me dire de sa femme : « C’est un trésor, mon cher, il faut la connaître, etc., etc., » je crois voir un homme qui souffle sur un tison qui s’éteint. Quand le feu flambe, on se chauffe et on ne dit rien.
Or, pour vous dire toute la vérité, Raoul commençait à souffler son feu. Les douceurs mêmes qui l’avaient enivré il y a neuf mois lui paraissaient maintenant un peu fades. Il trouvait autour de lui la température tiède, accablante, et lorsque sa femme venait tout doucement par derrière et l’embrassait au front, il commençait à s’apercevoir, ce qui ne lui était jamais arrivé, que cela le décoiffait, et il en était irrité. Il ne disait rien, ne se mettait point en colère, mais il était agacé ; d’autant plus que la charmante petite femme ne manquait pas, après son baiser, de lui fermer les yeux avec ses deux mains et de rire comme une folle.
« Voyons, Louise, disait-il, je suis en train de lire.
— Alors il faut dire : Ma petite femme, je t’adore, ou sans cela je ne lâche pas.
— Mais je t’ai dit cela cinq cents et tant de fois ! » Il enrageait au fond et disait rapidement : « Ma petite femme, je t’adore : la, je t’adore ; embrasse-moi ; c’est fini… tu es un ange… ôte les mains.
— Du tout, du tout, c’est de la contrebande, cela, il faut dire, Ma pe…ti…te femme, bien gentiment.
— Ma pe-ti-te femme, répétait Raoul, en tapotant sur la table, je t’a… Je t’adore, la ; je ne me fais pas prier, tu ne diras pas que je me suis fait prier.
— Tu m’aimes donc toujours ?
— Parbleu ! mais je ne peux pas te le signer tous les quarts d’heure, sois juste. »
Et il ramassait son livre qui était tombé par terre en se refermant, de sorte qu’il cherchait pendant cinq minutes la page commencée. Cela le mettait de mauvaise humeur, et un quart d’heure après, en se mettant à table, tout naturellement, il trouvait le potage trop salé.
« Tiens, je ne trouve pas, moi, disait Louise.
— Et moi je le trouve, » répliquait Raoul en versant de l’eau dans son bouillon.
Il faut dire que la chère petite, qui croyait voir un parti pris chez son mari, protestait en mettant du sel, de sorte que Raoul haussait les épaules et s’écriait au bout d’un instant de silence :
« Ma chère, votre cuisinière ne sait pas cuire la viande ; celle-ci n’est pas mangeable. Il n’y a qu’au restaurant qu’on trouve un filet présentable ; » et il poussait une espèce de soupir qui ressemblait à s’y méprendre à un regret continu.
« Il n’y a qu’un mois que vous vous plaignez ainsi, mon ami, je ne comprends pas.
— Vous ne comprenez pas… vous ne comprenez pas… D’abord je ne me plains pas ; remarquez bien… À vous entendre, on croirait que je ne suis content de rien !
— Je ne dis pas cela.
— Vous le laissez supposer du moins… »
Il se faisait un silence ; mais durant ce temps Raoul pensait que tout à l’heure, après le dîner, il irait s’installer dans le salon, n’ayant ce soir-là ni spectacle, ni bal ; qu’il ouvrirait son journal et que tout en lisant il verrait le mouvement régulier de l’aiguille de sa femme et l’éternelle tapisserie à dessins rouge et noir sur fond blanc, et qu’après le journal il reprendrait son livre, et qu’après avoir bâillé trois fois il regarderait la pendule ; que sa femme aurait l’air chagrin en le voyant bâiller, et lui dirait pour l’empêcher de dormir :
« J’ai bien envie de faire ce petit coin-là bleu au lieu de le faire noir ; qu’est-ce que tu en penses, petit homme ? »
Petit homme ! une expression qui l’avait fait pleurer de tendresse et lui semblait absurde à présent. Toutes ces pensées venaient une à une, et à mesure qu’elles arrivaient il sentait sa mauvaise humeur croître, de sorte qu’il reprenait tout à coup avec aigreur :
« Je ne vois pas ce qu’il y a d’extraordinaire à exiger un filet bien cuit.
— Eh bien ! j’ai tort, je veillerai à cela, disait Louise avec un air un peu pincé.
— Vous ai-je dit que vous aviez tort ?… j’ai tort ! Vous avez une singulière manie, ma chère enfant, celle de vous poser en victime continuellement. »
Au fond il se sentait absurde, mais cela était plus fort que lui et la colère lui montait au cerveau, comme la sueur monte au front dans un endroit trop chaud.
« Voyons, Raoul, calmez-vous ; il n’y a pas grand mal dans tout cela.
— Me calmer ! suis-je donc en colère ? Oh ! mais vous êtes impossible, ma chère !
— Eh bien ! oui, je suis impossible, je vous l’accorde.
— Ce qu’il y a de joli, c’est que vous me l’accordez, mais n’en êtes point convaincue : au fond, vous vous trouvez parfaite ; votre respectable tante vous le répète assez souvent. Je m’étonne qu’elle ne soit pas venue ce soir vous demander à dîner… Qu’est-ce que vous avez après ce filet ?
— Je ne sais vraiment pas. »
Le dîner s’achevait dans le plus profond silence ; puis aussitôt après Raoul prenait son chapeau.
« Vous sortez ?
— Si vous voulez bien le permettre. »
Et il s’en allait d’un pas assuré. Dans l’escalier il se disait :
« Elle ne m’a pas demandé si je rentrerais tard, c’est extraordinaire. Oh ! j’ai été trop faible dans les premiers mois. »
Une fois dans la rue, il s’arrêtait sur le trottoir, ne sachant où aller. Il respirait à pleins poumons comme un homme qui sort de l’eau, et marchait au hasard en boutonnant ses gants.
« J’ai besoin d’air, disait-il, ouf !… c’est une excellente petite femme, mais j’ai été trop faible. »
Il entrait chez un marchand de tabac pour allumer son cigare. Sur les boulevards il voyait les cafés ouverts, une foule étalée sur des chaises, et il réfléchissait que pour flâner à son aise dans Paris il faut être seul. Il passait devant son ancien cercle tout étincelant de lumière, mais il n’osait point encore y monter, quoiqu’il en eût grande envie ; il craignait certains sourires et passait de l’autre côté de la rue. Il se rappelait que, lorsqu’il donnait le bras à sa femme, la jupe lui frottait la jambe d’une façon agaçante ; qu’en passant devant les bijoutiers et les modistes madame s’arrêtait invariablement, ce qui le rendait furieux ; et que lui, de son côté, en face des armuriers et des libraires, il se disait : « Si j’étais seul, j’entrerais voir cela de près. » Il se rappelait qu’hier encore, en revenant du Bois, la conversation s’en allait mourante au roulement de la voiture, puis qu’il s’était tu, ne sachant plus que dire, et avait senti que ses paupières se fermaient. Il était effrayé de se trouver déjà si vieux et si triste, lui qui riait si fort, il y a deux ans à peine. Enfin, au bout de deux heures, il avait un remords et instinctivement rentrait chez lui, où il trouvait sa femme avec les yeux rouges.
« Elle a pleuré !… se disait-il ; si je ne peux pas sortir un instant sans retrouver des larmes, en vérité c’est à déserter. »
Au lieu de l’embrasser comme il en avait eu envie en montant l’escalier, il disait d’un petit air glacial :
« Bonsoir, ma chère, » et rentrait chez lui.
Louise, de son côté, sentait que son mari s’ennuyait auprès d’elle, elle devinait que tout en elle, jusqu’au frôlement de sa robe, agaçait Raoul. Elle faisait mille efforts pour rétablir la gaieté, les causeries intimes, les bons petits éclats de rire au coin du feu ; mais l’effort même qu’elle s’imposait la rendait gauche. Elle embrassait à contre-temps, entamait une conversation méditée d’avance, tandis que son mari lisait un livre intéressant, et celui-ci répondait :
« Ah ! vraiment ! » sans même lever les yeux.
D’autre part elle se sentait blessée dans son amour-propre, et lorsqu’elle avait essayé devant son mari un chapeau sur l’effet duquel elle comptait et que Raoul lui avait dit :
« Il n’est pas mal ce chapeau, seulement je l’aurais pris jaune au lieu de blanc, » la pauvre chère petite se sentait des envies de battre quelqu’un et se disait : « Que faire, mon Dieu ! que faire ? »
Cet état de choses qu’on appelle, je crois, la lune rousse, durait depuis un mois environ, lorsque Raoul, qui était encore à table, reçut un billet plié menu et parfumé.
« Vous permettez, n’est-ce pas ? » dit-il, en se tournant vers sa femme, et il déplia la lettre qui était ainsi conçue :
« Qui sait, mon cher Raoul, s’il ne vous serait pas agréable de vous trouver dans ce petit restaurant du bois de Vincennes qui est au milieu de l’eau ? N’est-ce pas le numéro 3 dont les fenêtres donnent sur le lac ? J’ai idée que, demain mardi, ce salon sera libre, qu’en pensez-vous ? C’est à voir dans tous les cas. Vers sept heures le soleil s’abaisse derrière les arbres, on est au frais dans ce chalet, et les filets chateaubriand y sont exquis.
« Amanda, se dit Raoul, où diable ai-je connu une Amanda ? » Il resta un instant pensif.
« C’est une mauvaise nouvelle ? » fit Louise.
Il se rappela alors que sa femme était là, et répondit comme un homme interrompu par un indiscret :
« Non, non, c’est de mon tailleur » Seulement, comme il mettait précipitamment du sucre dans son café pour éviter de regarder sa femme en face, il crut voir du coin de l’œil qu’elle l’observait fixement. Au lieu de chiffonner la lettre il la remit soigneusement dans l’enveloppe et la glissa dans sa poche.
Chose assez difficile à expliquer, il fut charmant ce soir-là.
Cette lettre folle, cette Amanda qu’il ne se rappelait pas le moins du monde, faisaient naître en lui les plus riantes idées. Il était en quelque sorte flatté qu’on ne crut pas le mauvais sujet tout à fait mort en lui, et il éprouvait un véritable plaisir à être vertueux, se sentant sous la main un moyen de ne plus l’être.
« Je n’irai certes pas à ce rendez-vous, se disait-il, mais enfin si j’étais un autre homme !… Il y en a peu qui résisteraient à un moment de folie… Ce n’est même pas un moment de folie, c’est un moment de gaieté qu’il faut dire. Après tout, pourquoi se laisser éteindre ? Ah ! si je n’avais pas un ange pour femme ! Elle ne s’en doute pas, la pauvre mignonne ! » Il la regardait, penchée sur la tapisserie, et ne disant mot.
« Elle ne se doute de rien… si je voulais ! »
Il se leva d’un air gaillard et marcha de long en large dans le salon, tout en fredonnant, avec la satisfaction de quelqu’un qui est armé jusqu’aux dents et qui se dit : « Si je ne tue personne, c’est uniquement parce que je suis bon ; on ne se doute pas combien je suis bon. » Il se sentait en ce moment-là une véritable supériorité.
« Comme tu travailles avec ardeur ce soir, ma chère ! c’est très-gentil ce dessin-là, le filet noir fait bien au milieu du rouge, il fait très-bien ce filet noir ; » et il ajoutait à part lui : « Ce qu’il y a de particulier, c’est que je ne me rappelle pas cette Amanda. C’est absurde, cette lettre, » et il chantonnait : « Absurde… surde… surde. » Il était heureux comme un roi.
Le lendemain matin la première pensée qui lui vint à l’esprit fut celle de ce dîner, et, tout en déjeunant, il ne put s’empêcher d’expliquer à Louise ce qu’est un vrai filet chateaubriand bien cuit.
« En voulez-vous manger ce soir ? j’en ferai faire un.
— Non, pas ce soir. Je parle de cela, mais je n’en ai point envie ; d’ailleurs, ce soir, cela n’est pas possible. » Il avait plaisir à mettre le pied sur la pente du talus, persuadé qu’il ne glisserait pas.
« Que ferez-vous donc ce soir ?
— Je ne t’ai donc pas dit cela ?… J’ai rencontré Paul Y***, excellent garçon, qui m’a invité à dîner pour ce soir. Son frère revient du Mexique. Je me suis excusé, mais il a mis une telle insistance que j’ai été vraiment touché. Excellent garçon que ce brave Paul !
— Ah ! fit Louise.
— Oh ! mais je n’irai pas… très-probablement. »
Raoul se leva de table, embrassa sa femme et se dit à lui-même :
« Il est bien clair que si je n’étais pas le modèle des maris, rien ne me serait plus facile que d’aller là-bas, d’autant plus qu’au fond c’est fort innocent. »
Vers cinq heures et demie il rentra chez lui.
« Bast ! dit-il, j’ai peur de fâcher le brave Paul, je vais aller dîner chez lui. Cela ne te chagrine pas, n’est-ce pas, ma petite Louise ? D’ailleurs, j’ai pensé à une chose : je vais te déposer chez ta tante, tu dîneras avec elle, et Jean ira te reprendre. Moi, je vais à pied, cela me fera du bien, je ne fais pas assez d’exercice. Est-ce convenu ?
— Comme vous voudrez ; mais ne vous donnez pas la peine de me conduire chez ma tante, j’irai de mon côté. »
Une demi-heure après, Raoul, beau comme un astre, le sourire aux lèvres et cravaté de bleu, montait dans un coupé de louage et se faisait conduire au bois de Vincennes. Il lui sembla qu’il était plus léger de cinquante livres et il monta l’escalier du chalet en se disant : « Après tout, elle ne le saura pas ! »
C’est avec un certain plaisir qu’il retrouvait cette odeur de cuisine particulière aux restaurants, ce bruit d’assiettes, de plats ; qu’il vit les garçons affairés escaladant les escaliers, la serviette sous le bras et des couverts dans la poche de la veste.
« Monsieur est seul ? lui dit l’un d’eux.
— Oui, mais j’attends quelqu’un. Le no 3 est libre, n’est-ce pas ?
— Oui, monsieur. »
Le garçon ouvrit une petite porte, et Raoul entra tout joyeux. Il lui sembla que le garçon lui lançait un regard qui voulait dire : « Mauvais sujet, va ! » et il fut ravi.
« Monsieur ne commande rien d’avance ?
— Non, j’attendrai. » Il ôta son chapeau et inspecta la pièce. C’était l’éternel cabinet qu’il avait vu cinq cents fois : papier rouge à ramages d’or, divan à trois coussins et trop mou, pendule en bronze doré représentant une bergère sur une fontaine, et deux pots de fleurs sans fleurs ; un piano droit flétri et sans clef attendait le Désert, comme les ânes de Montmorency attendent leur cavalier ; un tapis où toutes les bottes de Paris ont le droit de laisser leurs traces ; puis une petite table ronde sur laquelle le couvert était mis. Les fourchettes et les cuillers, lourdes, épaisses, résistantes, étaient déformées et ternies ; on sentait que des centaines d’inconnus s’en étaient déjà servis, et que des centaines d’autres s’en serviraient encore. Sur le bord des assiettes, trop solides, était écrit en toutes lettres le nom du restaurant. Tout cela rappela à Raoul un dégoût qu’il avait éprouvé jadis, mais dont il ne se souvenait plus, et il ouvrit les deux fenêtres pour renouveler l’air de la pièce qui sentait le renfermé.
« J’avais oublié tout cela, se dit-il, et je suis bien aise d’être venu, c’est curieux ; » puis il fredonna pour chasser des idées confuses qui lui venaient à l’esprit. Il sentait que sa gaieté s’en allait, il tira sa montre ; il était sept heures un quart, et il avait faim.
« Au fait, si cette lettre était une plaisanterie, je n’y avais pas songé… après tout ce serait pour le mieux. » On était fort gai dans le cabinet voisin, et, au milieu du bruit des assiettes et des verres, il distinguait des éclats de rire. Je ne sais pas trop ce qui lui passa par la tête, mais il s’accouda sur l’appui de la fenêtre et regarda fixement le lac qui était tranquille comme une glace ; les arbres s’y reflétaient au loin et une bonne odeur de bois, par intervalles, venait jusqu’à lui.
« Ma pauvre petite femme, » murmura-t-il.
Il allait sonner, lorsqu’un bruit de jupe de soie se fit entendre dans le corridor. La porte s’ouvrit, une femme entra avec précipitation, et, tout effarée, vint s’asseoir sur le divan. Elle avait un voile si épais qu’il était impossible de distinguer ses traits, mais on devinait dans tous ses gestes l’élégance, et aussi la peur et l’embarras… Raoul resta stupéfait. Il fixait la nouvelle venue et cherchait à distinguer sous le voile. Enfin, il reconnut sans doute des traits qui lui étaient connus, un visage qui lui rappelait des souvenirs encore bien vivaces, car il pâlit extrêmement, et, tout à coup, se précipita dans les bras que la jeune femme lui tendait.
« Dis-moi que tu ne m’en veux pas, s’écria Louise, car c’était elle ; dis-le-moi vite. » Elle releva son voile ; ses yeux brillaient au milieu de grosses larmes.
« C’est moi qui t’ai trompé, » dit-elle tout bas en s’emparant de la tête de son mari. Puis, éclatant de rire malgré les pleurs :
« Vois-tu, je mourais d’envie de manger un filet chateaubriand bien exécuté. »