Traduction par Fernand Hû.
Ernest Leroux (Bibliothèque orientale elzévirienne, XXIp. 81-85).

CHAPITRE XXIV




LA CONVOITISE


334 Chez l’homme qui ne veille pas sur sa conduite, la convoitise s’étend comme une liane. Il erre çà et là, semblable au singe courant dans la forêt après un fruit.

335 Celui qui est l’esclave ici-bas de cette convoitise perverse et empoisonnée, — celui-là, l’affliction croît en lui aussi rapidement que le bîrana[1] touffu.

336 Celui qui ici-bas secoue le joug difficile à secouer de cette convoitise, l’affliction se détache peu à peu de lui, comme des gouttes d’eau tombant d’une feuille de lotus.

337 Je vous le dis pour votre salut, à vous tous qui êtes assemblés ici : « Déracinez en vous la convoitise, comme on déracine le bîrana pour avoir l’ushîra[2] ; afin que Mâra, semblable au torrent brisant un roseau, ne recommence pas sans cesse à vous briser.

338 De même que, tant que sa racine est intacte, un arbre plein de sève repousse, quoique coupé, toujours à nouveau, de même, tant que n’est point extirpée la tendance à la convoitise, revient toujours à nouveau cette cause de douleur.

339 Celui chez lequel le désir entraînant des jouissances est un torrent aux trente-six canaux, — celui-là, habile à faire le mal, ses goûts passionnés l’emportent comme des coursiers,

340 Les courants coulent dans tous les sens ; la liane va s’étendant sans cesse. Dès que vous voyez pousser cette liane, déracinez-la à l’aide de la Science Parfaite.

341 Entraînantes et délicieuses sont pour l’homme les jouissances ! Lorsque, pris dans les liens du plaisir, ils courent après le bonheur, les hommes sont soumis à la naissance et à la vieillesse.

242 Poussé en avant par la convoitise, le commun des hommes court çà et là, ainsi qu’un lièvre pourchassé. Une fois liés et enchaînés par elle, ils sont plongés pour longtemps dans une douleur sans cesse renaissante.

343 Poussé en avant par la convoitise, le commun des mortels court çà et là, comme un lièvre pourchassé. Qu’il repousse donc loin de lui la convoitise, le Bhixu qui désire pour lui-même l’absence de toute passion !

344 Celui qui, après s’être, dans la forêt, affranchi de toute convoitise, se remet à courir après cette convoitise dont il s’était si bien affranchi, — cet habile homme, regardez-le : délié, il retourne à ses liens.

345 Ce n’est point un lien solide, disent les sages, que celui qui est en fer, en bois ou en corde. Un lien beaucoup plus solide, c’est le souci qu’on prend des boucles d’oreilles en pierres précieuses, des enfants et des femmes.

346 C’est un lien solide, disent les sages, que celui qui, quoique lâche, retient et est difficile à délier. Lorsqu’on l’a brisé, on embrasse la vie religieuse, sans se soucier de rien désormais et sans plus songer à l’amour et au plaisir.

347 Ceux qui se laissent aller à la passion suivent un courant auquel ils ont eux-mêmes donné naissance, comme l’araignée tisse son propre filet. Les sages, eux, après l’avoir rompu (ce courant), embrassent la vie religieuse, sans se soucier de rien désormais, et sans plus songer à l’amour ni au plaisir.

348 Affranchis-toi de ce qui est devant, de ce qui est derrière, de ce qui est au milieu, et dirige-toi vers l’autre rive. L’esprit une fois affranchi de tout, tu ne seras plus soumis à la naissance et à la vieillesse.

349 Quand un homme dévoré de soucis, livré aux passions violentes, ne recherche que son plaisir, la convoitise grandit en lui. Et c’est lui-même qui resserre ses liens.

350 Celui qui se complait dans l’absence de tout souci, qui, s’instruisant sans cesse, ne pense qu’à la douleur, — celui-là, certes, éloignera de lui, brisera même les liens de Mâra.

351 Quand arrivé au but, exempt désormais de crainte, de convoitise et de péché, on a coupé les épines de l’existence, cette renaissance-ci est la dernière.

352 Celui qui, exempt de convoitise, détaché de tout, connaissant les mots et leur explication, distinguant dans l’assemblage des syllabes celles qui précèdent de celles qui suivent, est arrivé à sa dernière incarnation, — celui-là, on l’appelle « le grand Savant, le grand Homme. »

353 « J’ai triomphé de tout, je sais tout. Tous mes éléments constitutifs sont exempts de souillure. Je me suis débarrassé de tout. Je me suis affranchi, en détruisant en moi la convoitise. La science que j’ai acquise, à qui la communiquerais-je bien ? »

354 Sur tout don l’emporte le don de la Loi ; sur toute saveur, la saveur de la Loi ; sur toute jouissance, la jouissance de la Loi ; sur tout bonheur, la destruction de la convoitise.

355 Les jouissances tuent l’insensé qui ne cherche point à atteindre l’autre rive. Par le désir des jouissances, l’insensé se tue lui-même, comme s’il était son propre ennemi.

356 La mauvaise herbe est une plaie pour les champs, comme la passion pour le commun des mortels. Aussi tout don fait à ceux qui sont exempts de passion produit-il des fruits nombreux.

357 La mauvaise herbe est une plaie pour les champs, comme la haine pour le commun des mortels. Aussi tout don fait à ceux qui sont exempts de haine produit-il des fruits nombreux.

358 La mauvaise herbe est une plaie pour les champs, comme la convoitise pour le commun des mortels. Aussi tout don fait à ceux qui sont exempts de convoitise produit-il des fruits nombreux.

359 La mauvaise herbe est une plaie pour les champs, comme l’agitation de l’esprit pour le commun des mortels. Aussi tout don fait à ceux qui sont exempts d’agitation produit-il des fruits nombreux.

  1. Bîrana ou vîrana, andropogon muricatum. (Bot.)
  2. Ushîra, racine odorante du bîrana.