Traduction par Fernand Hû.
Ernest Leroux (Bibliothèque orientale elzévirienne, XXIp. 57-60).

CHAPITRE XVIII




LA SOUILLURE


235 Tu es maintenant comme une feuille jaunie. Les compagnons de Yama t’entourent. Tu es sur le seuil du départ, et tu n’as pas de provisions pour la route !

236 Retire-toi en toi-même comme dans une île. Mets-toi vite à l’œuvre. Deviens savant. Une fois sans souillure, sans péché, tu arriveras au monde divin des Arhats.

237 Ta vie touche à sa fin, tu es arrivé dans le voisinage de Yama. Tu ne peux t’arrêter dans l’intervalle, et tu n’as pas de provisions pour la route !

238 Retire-toi en toi-même comme dans une île. Mets-toi vite à l’œuvre, deviens savant. Une fois sans souillure, sans péché, tu ne seras plus assujéti ni à la naissance, ni à la vieillesse.

239 Que successivement, petit à petit, sans interruption, le sage souffle sur les souillures de son âme, comme l’ouvrier sur celles de l’argent.

240 De même que la souillure qui se produit sur le fer, une fois produite, le ronge ; de même celui qui a une conduite désordonnée, ses actes l’entraînent dans la voie de la perdition.

241 L’omission est une souillure pour la prière, l’inactivité pour une maison, la nonchalance pour l’aspect extérieur, la négligence pour un gardien.

242 L’inconduite est une souillure pour une femme, l’égoïsme pour un distributeur. Des mœurs dépravées sont une souillure en ce monde et dans l’autre.

243 Il y a cependant une souillure pire encore, la souillure par excellence, c’est l’ignorance.

244 Aisée à vivre est la vie pour l’homme impudent, effronté comme un corbeau, arrogant, agressif, insolent, se plaisant à tourmenter les autres.

245 Malaisée à vivre est la vie pour l’homme modeste, recherchant sans relâche la pureté, n’ayant ni attachement, ni arrogance, vertueux et perspicace.

246 Celui qui détruit une existence, qui dit des paroles mensongères, qui prend en ce monde ce qui ne lui est pas donné, qui s’approche de la femme d’autrui,

247 Et qui s’adonne aux boissons spiritueuses, — celui-là, en ce monde, arrache lui-même ses propres racines.

248 Ô homme, apprends ceci : « Ceux qui se conduisent mal sont les incontinents », afin que la convoitise et l’inconduite ne te plongent point pour longtemps dans la douleur.

249 Les hommes donnent en raison de leur foi, en raison de leurs bonnes dispositions. Aussi celui qui s’irrite à propos de ce qui est donné à boire et à manger aux autres, — celui-là n’arrive au recueillement ni le jour, ni la nuit.

250 Celui chez lequel tout cela a été complètement détruit, radicalement extirpé, — celui-là arrive au recueillement, soit le jour, soit la nuit.

251 Il n’est point de feu comparable à la passion, de prison comparable à la haine, de filet comparable à l’agitation de l’esprit, de torrent comparable à la convoitise.

252 Facile à voir est la faute d’autrui, difficile à voir la sienne propre[1]. Les fautes d’autrui, on les fait ressortir le plus qu’on peut ; les siennes propres, en revanche, on les dissimule comme le tricheur dissimule le kali[2] à son partenaire.

253 Celui qui n’a d’yeux que pour les fautes d’autrui, qui est enclin sans relâche à les faire ressortir, — celui-là, sa concupiscence croît toujours, loin de toucher à sa fin.

254 Dans l’air, il n’existe point de chemin. Ce n’est pas le dehors qui fait l’ascète. L’illusion charme la multitude ; sans illusion est le Tathâgata.

255 Dans l’air il n’existe point de chemin. Ce n’est pas le dehors qui fait le Çramana. Les agrégations d’éléments ne sont point éternelles, et rien ne saurait émouvoir les Buddhas.

  1. Quid autem vides festucam in oculo fratris tui ; et trabem in oculo tuo non vides ? (Matt. VIII, 3.)
  2. Le kali, le mauvais coup, le coup qui fait perdre. Est-ce le même que les Romains appelaient « canis » (le double as) ? Cf. Suétone, Aug. LXI. Properce, IV, viii.