[TEXTE INCOMPLET]

CHAPITRE PREMIER

UNE PAROLE DU PAPE


Le récent congrès de la Bonne Presse, réunissant à Paris les nombreux amis des œuvres de La Croix, a été marqué par un fait qui mérite une attention très particulière, à cause de l'influence considérable qu'il peut avoir sur les dispositions d'esprit des catholiques et sur leur conduite politique, à ces heures d'une extrême gravité.

M. Piou, président de l'Action libérale, y a fait entendre un discours pro domo, dont le rapport avec la propagande de la Bonne Presse n'apparaît guère, mais auquel La Croix s'est néanmoins efforcée de donner une importance capitale. Le premier point de cette apologie est « qu'en défendant la liberté, M. Piou estime servir la cause de l'Église ». Une déclaration si banale ne peut certainement soulever aucune contestation. On se demande seulement ce que l'orateur pensait en tirer pour sa cause particulière. La liberté et le droit commun sont, pour tous les catholiques également, le premier objet de leurs revendications religieuses. Ces principes d'ordre naturel se placent d'eux-mêmes au premier rang comme offrant la base la moins discutable et facilitant l'accord avec tous les hommes que n'anime pas un esprit sectaire. C'est pourquoi l'Église y trouve son premier moyen de défense, non pas spécialement en France, mais dans tous les pays, non pas seulement aujourd'hui, mais toujours. La prudence ou une condescendance maternelle peut même lui conseiller, dans une situation donnée, de limiter temporairement ses exigences aux droits qui découlent de ces grands principes sociaux, mois ce ne sera jamais en les séparant, ni même en faisant abstraction du fondement religieux dont ils tirent leur valeur. Car la liberté n'a pas de sens vrai et certain, elle n'est qu'une source de désordre, hors du plan d'un Dieu créateur et maître du monde. Les catholiques se tromperaient donc en se comportant dans la vie publique de manière à laisser croire qu'ils considèrent la liberté comme donnant par elle-même un titre suffisant au droit, et plus encore à nos droits religieux. En outre, selon les paroles du Saint-Père rapportées par M. Piou, et dans lesquelles on est peut-être plus fondé à voir une leçon discrète qu'une approbation, il ne leur sera jamais loisible de transformer en question de doctrine une question de conduite momentanée et de renoncer pour l'Église aux droits spéciaux, et plus étendus qui sont essentiels à sa mission dans le monde

Comment faut-il donc entendre le récit de La Croix? Elle ajoute, avec de gros soulignements, « qu'admis à l'honneur insigne d'une audience du Saint-Père, au moment de la séparation, M. Piou confia à Pie X les amertumes, pour ne pas dire les alarmes, que causait à son cœur pénétré de foi le reproche d'hérésie adressé au titre libéral de l'association dont il était le fondateur par certains catholiques, qui y voyaient la consécration du libéralisme condamné.

Et le pape Pie X répondit :

« ILS NE COMPRENNENT PAS QUE CE N'EST PAS UNE QUESTION DE DOCTRINE, QUE C'EST UNE QUESTION DE CONDUITE. L'ÉGLISE DE FRANCE DOIT ÊTRE DÉFENDUE PAR LA LIBERTÉ »[1].

Observons d'abord que c'est trop exagérer, d'une part, de prêter à la critique le reproche d'hérésie, surtout appliqué à la seule dénomination de libérale, et trop dissimuler, de l'autre, en réduisant l'objet de cette critique à une question d'étiquette. Si c'est ainsi que M. Piou à présenté la situation au Saint-Père, on avouera qu'il le renseignait mal. Dans tous les cas, on est vraiment surpris qu'une réponse d'une vérité aussi universelle ait pu être invoquée par M. Piou et par La Croix comme la justification particulière et la sanction officielle d'une conduite qui, en fait, — car c'est là une question de fait, de fait palpable, dont on ne peut refuser l'examen, — se trouve en désaccord avec la parole dont on s'autorise. Oui, « l'Église doit être défendue par la liberté », mais on est en droit de se demander si M. Piou et La Croix font de cette parole une interprétation légitime, et d'observer même que l'Action libérale va justement à l'encontre, en élevant la question de conduite jusqu'à une question de principes.

Faut-il donc croire, qu'en parlant ainsi, Pie X a entendu ratifier pleinement le programme et les œuvres d'une association qui a exclu de ses statuts le nom de Dieu et la mention de la religion catholique ? Il ne sera pas difficile au lecteur de se procurer ses statuts pour vérifier cette assertion. Et cette exclusion était tellement volontaire et calculée, qu'un jour le président de l'Action libérale s'en prévalut pour faire une réponse victorieuse au reproche de cléricalisme, M. Barthou l'ayant adressé à cette ligue, M. Piou le força à insérer dans son journal une réplique où il se borne à reproduire les statuts de l'association. Cette simple et brutale reproduction lui avait paru constituer la plus topique et la plus décisive des réfutations.

Faut-il croire qu'en parlant expressément d'une simple question de conduite, Pie X a entendu couvrir des énoncés de principes tels que ceux formulés par M. Piou à l'époque où il commençait à répandre à travers la France le programme de l'Action libérale : « La liberté, sous toutes tes formes et tous

[…]

  1. La Croix, 21 octobre 1908.