XXIII
Des courriers et des messagers du Grand Khan, et des maisons qui leur sont destinées sur les routes.


De la ville de Cambalu partent plusieurs grands chemins qui mènent dans les provinces voisines ; il y a sur chacun de ces chemins des châteaux ou hôtelleries, avec de très beaux palais, à vingt-cinq milles de la ville de Cambalu, où les courriers du roi se reposent. Ces demeures s’appellent en langue du pays « janli », comme qui dirait logis des chevaux, car il y a toujours dans ces maisons-là trois ou quatre cents chevaux du roi, qui sont préparés pour les courriers de Sa Majesté ; et ainsi, de vingt-cinq milles en vingt-cinq milles, ils trouvent de pareilles hôtelleries, jusqu’à l’extrémité de l’empire ; et par toutes les routes il y a bien dix mille de ces hôtelleries, sur tous les chemins de l’empire, et le nombre des chevaux qui y sont entretenus pour le service des courriers monte au moins à deux cent mille. Dans les endroits inhabités, il y a aussi de ces sortes de cabarets, jusqu’à trente et quarante milles, à la susdite distance les uns des autres. Les villes voisines sont obligées de fournir à la nourriture des chevaux et à l’entretien de ceux qui en ont soin ; les hôtelleries qui sont situées dans les déserts reçoivent leurs provisions de la cour du roi. De sorte donc que quand le roi veut être informé de quelque chose, fût-ce d’un bout de son empire à l’autre, il envoie des cavaliers qui portent son commandement, et qui font en un jour des deux et trois cents milles de chemin, et en peu de jours parcourent une grande partie de la terre. Ce qui se fait de la manière que voici : on envoie deux hommes à cheval, qui courent sans s’arrêter jusqu’à la première hôtellerie, où étant arrivés ils laissent leurs chevaux fatigués et en prennent de frais, et ensuite ils se rendent au second cabaret. C’est ainsi qu’ils en usent soit en allant ou en revenant ; et en très peu de temps ils portent les ordres du roi à l’extrémité de l’empire, ou lui apportent des nouvelles des endroits les plus reculés. Entre ces hôtelleries il y a encore des habitations éloignées de trois à quatre milles les unes des autres, où il y a fort peu de maisons et où logent les coureurs à pied, lesquels portent une ceinture garnie de sonnettes. Ces coureurs sont toujours prêts, quand il vient des lettres du roi, de les porter avec une extrême vitesse à la première habitation ; et comme avant qu’ils arrivent le son de leurs clochettes les annonce, d’autres qui sont destinés au même emploi se préparent à porter les lettres plus loin. De sorte que ces lettres passent d’habitation en habitation, par plusieurs coureurs différents, et vont ainsi jusqu’où elles doivent rester. Et il arrive souvent que le roi apprend par là des nouvelles en trois jours, ou reçoit des fruits nouveaux d’un endroit éloigné de dix journées de Cambalu. Or tous ces coureurs sont exempts de tout tribut ou impôt, et reçoivent outre cela une bonne récompense du roi.