LXIV
De la province de Teuduch, de Gog et Magog, et de la ville des Cianiganiens.


En sortant de la province d’Égrigaia et allant vers l’orient, le chemin conduit à la province de Teuduch[1], qui contient beaucoup de villes et de châteaux, et où ce grand roi, renommé par toute la terre sous le nom vulgaire de Prêtre-Jean, faisait autrefois sa résidence ; mais à présent cette province paye tribut au Grand Khan ; elle a un roi qui est de la race du grand Prêtre-Jean. Au reste, tous les Grands Khans, depuis la mort de celui qui fut tué dans le combat qu’il donna contre Cinchis, ont toujours donné leurs filles en mariage à ces rois-là. Et quoiqu’il y ait dans le pays quelques idolâtres et quelques mahométans, cependant la plus grande partie des habitants de la province sont chrétiens, et les chrétiens tiennent le premier rang dans la province, surtout parmi une certaine nation nommée Argon, qui surpasse les autres peuples en capacité et en excellence. Il y a aussi deux cantons nommés Gog et Magog. On trouve dans ces pays la pierre nommée lazuli, dont on fait d’excellent azur. On y fait aussi des étoffes de poil de chameau, qui sont très bonnes, de même que des étoffes de soie et d’or de plusieurs façons. Il y a là une ville nommée Sindacui, où l’on fait de très belles et bonnes armes de diverses sortes, pour l’usage des gens de guerre. Il y a dans les montagnes de cette province de grandes mines d’argent et grande quantité de bêtes sauvages pour la chasse ; le pays de montagnes est appelé Ydisa. À trois journées de la susdite ville on en trouve une autre, nommée Cianiganiorum, où il y a un magnifique palais appartenant au Grand Khan et où il fait sa demeure quand il vient dans la ville. Il y vient souvent, parce qu’il y a près de cette ville des marais où il y a de toutes sortes d’oiseaux, surtout des grues, des faisans, des perdrix et d’autres sortes. On prend ces oiseaux avec des griffalques (gerfauts) ou faucons ; le roi y goûte un singulier plaisir. On y trouve de cinq sortes de grues : quelques-unes ont les ailes noires comme les corbeaux ; d’autres sont blanches ayant les plumes semées d’yeux de couleur d’or, comme nos paons ; on en voit aussi comme chez nous ; il y en a d’autres plus petites, mais qui ont de longues plumes très belles de couleur mêlée de rouge et de noir ; la cinquième espèce est de couleur grise, ayant les yeux rouges et noirs, et celles-là sont fort grandes. Il y a près de cette ville une vallée où se voient quantité de cabanes dans lesquelles on nourrit un grand nombre de perdrix, que l’on garde pour le roi lorsqu’il vient en cette ville.

  1. Les commentateurs s’accordent assez peu sur la situation réelle de ces dernières provinces et des villes dont il va être question.